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Une mère juive (rappelons ici que, pour en être une, il n’est pas
nécessaire d’être juif ni même d’être une mère – c’est un archétype
universel) offre à son fils deux cravates, l’une est rouge, l’autre est
bleue. Pour lui faire plaisir, il en porte une le lendemain, mettons la
rouge. En le voyant, dépitée, la mère fond en larmes : « J »étais sûre
que
l’autre ne te plairait pas ». Immanquablement, s’il avait porté la
bleue,
il aurait droit exactement à la même scène. Face à cette « double
contrainte », il ne lui reste plus que deux choix : porter les deux
cravates ensemble, c’est-à-dire devenir fou, ou bien n’en porter
aucune,
c’est-à-dire rompre avec sa mère. Le lien avec les femmes musulmanes ?

Celles-ci sont également soumises à une double contrainte : la religion
les somme de porter le voile alors que l’État le leur interdit (à
l’école). Pour se libérer d’un de ces pouvoirs, elles sont contraintes
de
se soumettre à l’autre et réciproquement. Il leur reste alors, tout
comme
au fils juif, deux possibilités. Soit elles se plient aux deux
autorités,
donc tentent en même temps de porter et d’ôter leur voile, ce qui est
contradictoire donc impossible. Soit elles refusent
simultanément l’obligation et l’interdiction de le porter, ce qui est
absurde mais constitue la seule réponse logique au monde absurde dans
lequel elles vivent. Ce deuxième choix est aussi contradictoire que le
premier mais, ici, la contradiction est dépassable : refuser les deux
injonctions revient à rompre avec tous les pouvoirs à la fois, en
somme,
à entonner encore une fois ce bon vieux « ni dieu, ni maître ».

Enfin, ce ne sont pas seulement les femmes musulmanes qui se retrouvent
dans la même situation que le fils qui a reçu les deux cravates, c’est
le
cas de toutes les personnes, qui, en toute bonne foi, souhaitent
prendre
une position dans ce débat. En effet, s’ils se prononcent contre le
foulard, ils risquent d’être suspectés d’arrière- pensées racistes.
S’ils
prennent la position opposée, ils se verront prêter une complicité
objective avec les islamistes. C’est la situation classique qui conduit
à
s’autocensurer de peur que la vérité ne puisse être utilisée par
l’adversaire. L’expérience montre combien ce type de démarche aboutit
au
contraire du résultat recherché. Pendant la guerre froide, les
« intellectuels de gauche », sommés de choisir entre les deux blocs
(c’est-à-dire entre un capitalisme d’État et un capitalisme de marché)
ont opté dans leur majorité pour le bloc soviétique et ont tu ses
crimes
pour que leur dévoilement ne renforce le camp occidental et pour ne pas
« désespérer Billancourt ». Une décennie plus tard, la vérité -malgré
leurs
efforts- fut connue de tous et le discrédit en rejaillit non seulement
sur le bloc de l’Est mais aussi sur l’idée même de Révolution qui fut,
depuis, associée à celle de totalitarisme. Seuls, certains osèrent
refuser l’ensemble de l’alternative qui leur était imposée et
critiquèrent, d’un point de vue révolutionnaire, l’URSS, contribuant à
ce
que les nouveaux Billancourt puissent encore concevoir quelque espoir.

De la même manière, dans le débat actuel, il est nécessaire de dire la
vérité -quelque soit l’avantage que tel ou tel adversaire puisse en
tirer
à court terme. A long terme, comme chacun le sait, « seule la vérité est
révolutionnaire ».

NI DIEU

Il se trouve que le voile islamique est à la fois un signe
d’appartenance religieuse et une discrimination sexiste. En lui
s’opposent les droits de la femme et les « droits » de la religion.
Défendre les uns revient à nier les autres. En tant que communistes
libertaires, nous défendons sans hésiter les droits de l’individu
contre
ceux de sa culture. Ici, il sera essentiellement question de l’Islam,
puisque le débat actuel porte sur ses pratiques, mais ce qui en sera
dit
s’applique dans ses grandes lignes sans difficultés aux trois
monothéismes (juif, chrétien, musulman, par ordre d’apparition). Ils
ont
en commun un profond mépris de la femme et une haine de la sexualité.
Plus précisément, ils partent d’un double postulat : le désir serait
exclusivement masculin et, par ailleurs, il est -sauf exception-
coupable. Ils en concluent que, pour réprimer ce désir, il faut
réprimer
son objet : les femmes. Et pour cela, les occulter. Ainsi la charia
impose que les femmes, par une sorte d’apartheid, soient cantonnées
dans
l’intimité du foyer et, quand elles en sortent, dûment accompagnées par
un tuteur, qu’elles soient voilées.

Le ressentiment contre les femmes ne s’exprime pas uniquement ainsi. Il
consiste à nier aussi leur plaisir et leur désir. Cette négation, qui
s’exprime parfois physiquement par l’excision, signifie symboliquement
que les femmes ne peuvent être que l’objet, jamais le sujet du désir.
Leur inégalité est donc ainsi fondée. A l’inverse, prêter aux femmes un
quelconque désir, aurait dû amener, symétriquement à voiler les hommes.
Et, même sans aller jusque là, garantir une égalité minimale des sexes,
aurait dû conduire à enfermer plutôt les hommes aux besoins si
fougueux,
si incontrôlables …

Remarquons que la violence faite aux femmes se double d’une autre
violence, d’une moindre intensité, mais aux effets aussi pervers, qui
s’exerce sur les hommes. En effet, en voilant la femme, on la désigne
du
coup, de manière paradoxale, comme exclusivement et intégralement un
objet de désir. Objet interdit, donc encore plus désirable. Le voile
interdit/suscite l’envie des hommes ; interdit parce qu’il suscite,
suscite parce qu’il interdit.

La religion, comme les autres pouvoirs perfectionne ainsi, en
pompier-pyromane le contrôle social sur les individus.

En lisant ce qui précède, et vu le débat sur le voile, rendu
extrêmement
confus, certains soupçonneront une animosité spécifique contre l’Islam,
voire même du racisme. Les lignes qui suivent espèrent démontrer non
seulement que refuser le voile n’est aucunement raciste mais que le
tolérer l’est.

Etre raciste signifie reprocher à quelqu’un non ce qu’il fait (exemple
:
avoir une pratique religieuse donnée) mais ce qu’il est (être né arabe,
noir ou blanc). Or, être arabe n’équivaut pas à être musulman. La
religion, malgré toutes les pressions qui l’accompagnent, relève du
choix. On peut être arabe et chrétien, juif ou athée. Il existe dans
l’histoire arabe des penseurs et poètes, nés dans des familles
musulmanes, qui ont choisi d’être hérétiques et même blasphématoires à
l’instar d’Hallaj (858 – 922) qui affirmait : « Je suis Allah ».

De plus, si on généralisait cette confusion entre arabe et musulman,
nous
serions contraints de confondre aussi occidental et chrétien, ce qui
est,
on ne s’en étonnera pas, la position du Front National. Selon la
logique
de ce même parti, être pour l’IVG, est une position
anti-catholique et donc anti-française.

Subrepticement donc, hésiter à condamner le voile par peur d’être
raciste se retourne en une position raciste. En effet, cela présuppose
de
définir l’identité arabe en terme religieux, comme si une « race arabe »
existait et qu’elle était génétiquement déterminée à être
musulmane. De plus, cela mène à tolérer pour les femmes arabes ce qu’on
refuserait pour les femmes occidentales, tout comme si la liberté et
l’égalité étaient des valeurs exclusivement occidentales et ne
pouvaient
être conçues ou revendiquées par les autres civilisations. On rejoint
encore une fois les positions dites différentialistes du FN.

Cela dit, distinguer arabe et musulman n’est pas suffisant. En effet,
une
société n’est qu’un champ de lutte entre plusieurs groupes,
idéologies, courants, … et surtout classes sociales. La considérer
comme un bloc homogène serait la réduire au groupe dominant et à son
discours et donc, s’en rendre complice. Parler d’identité collective
(qu’elle soit arabe ou musulmane) sert à masquer la domination des
femmes
arabes par les hommes arabes, des ouvriers arabes par les patrons
arabes
et enfin des arabes agnostiques et athées par les arabes religieux.

Est-il vraiment nécessaire de rappeler que cette même logique
s’applique
aux autres « identités » (française, chrétienne, juive, occitane, …) ?
Pour nous, la seule identité valable est celle de l’individu. Ce qui
signifie que notre rejet de la religion se double d’un rejet de
l’État-nation.

NI MAITRE

De nombreuses consciences de « gauche » en accord avec ce qui précède ne
verront comme autre moyen de combattre le voile que d’approuver son
interdiction par l’État. Ce qui revient à remplacer un maître
réactionnaire par un nouveau maître « émancipateur ». Mais, une
libération
partielle n’est qu’une nouvelle servitude. Il nous reste donc à nous
libérer de nos libérateurs, et tout d’abord du mythe d’un pouvoir
émancipateur. Cette dernière expression est en effet une contradiction
dans les termes : le pouvoir ne peut chercher à émanciper ses sujets
sous
peine de disparaître. Mais il peut arriver qu’il paraisse
rechercher cette fin ; en réalité, il vise alors à se légitimer et se
conserver face à d’autres pouvoirs qui rivalisent avec lui. En
paraissant combattre l’oppression exercée par ses rivaux, il masque son
intention de les éliminer pour se substituer à eux.

Dans l’affaire qui nous occupe, il n’est pas difficile de voir comment
l’État, retors, ne cherche pas sincèrement à défendre les femmes ni
même
la laïcité.

Deux faits d’abord, d’une inégale importance, intervenus dans les mois
qui ont précédé le projet d’interdiction du voile à l’école. Tout
d’abord, une loi reconnaissant la personnalité juridique de l’embryon a
été sur le point d’être adoptée, ce qui aurait pu conduire à une
pénalisation de l’IVG. Le pouvoir interdit donc le voile d’une main, et
cherche à abolir le droit à l’avortement de l’autre. D’autre part, le
« Canard Enchaîné » a révélé, preuves à l’appui, comment Bernadette
Chirac
avait écrit à un préfet pour qu’il autorise une religieuse à poser
voilée
sur la photo de sa carte d’identité.

Autre preuve du mensonge étatique : la République ne « défend » les
femmes
musulmanes que quand elles sont voilées, pas quand elles sont
« simplement » victimes du racisme, de la pauvreté et de l’exploitation,
alors que ces dernières injustices expliquent la vogue du voile. En
effet, certaines femmes voilées (celles qui ne le sont pas de manière
forcée) choisissent le voile comme moyen de protester. C’est le choix
paradoxal et désespéré de la servitude comme moyen de libération. C’est
aussi un choix largement conditionné par l’Etat lui même, qui, s’il
voulait combattre sérieusement le voile et donc l’islamisme, aurait dû
plutôt que d’intervenir au niveau du symptôme par l’interdiction
légale,
en combattre la cause, c’est-à-dire l’exclusion sous toutes ses formes.

Seulement, l’État ne fait que feindre de s’opposer à l’intégrisme. En
mettant en scène cette opposition et en médiatisant l’islamisme, il le
prescrit paradoxalement aux banlieues comme « bon » moyen de révolte
(c’est-à-dire le moins dangereux pour lui-même), tout en le maintenant
dans certaines limites. Désigner l’islamisme comme une nouvelle
théologie de la libération pour les banlieues permet d’éloigner
celles-ci de la Révolution sociale qui comporte le désavantage pour les
dominants de viser la totalité du système et de rassembler au-delà des
différences « ethnique » et religieuse. L’Islam peut alors, comme l’a
fait
le Christianisme avant lui, servir de force de maintien de l’ordre dans
les quartiers pauvres.

De plus, en simulant le combat contre la théologie religieuse, l’État
affirme sournoisement son propre caractère théologique. Ainsi, l’école
est un « sanctuaire » et les Droits de l’Homme sont « sacrés ».
L’aliénation
demeure inchangée. Comme n’importe quel autre « opium du peuple », la
rhétorique étatique occulte, par ses formules incantatoires,
l’injustice
de ce monde. Par l’égalité des droits dans une sorte d’au-delà
constitutionnel, elle console de l’inégalité qui règne ici-bas.

Enfin, en limitant les pouvoirs de la religion, l’État cherche à
étendre
les siens : le rapport Stasi sur le voile préconise l’interdiction des
signes non seulement religieux mais également politiques. Les auteurs
du
rapport ont justifié cette disposition par le souci de ne pas paraître
offenser l’Islam. En réalité, il s’agit d’un lapsus révélateur de la
volonté de puissance étatique.

L’interdiction du voile, justifiée avec des motifs défendables (liberté
de la femme), constitue un précédent facilitant l’extension future de
cette mesure à d’autres modes d’expression d’opinions indésirables par
l’État.

Enfin, remarquons que, si la République se pose actuellement en
gardienne de la liberté face à l’obscurantisme religieux, cette
situation pourrait un jour s’inverser. En effet, il est déjà arrivé par
le passé que la religion s’autoproclame principale force de résistance
face à l’oppression étatique : ce fut par exemple le cas des partisans
de
Khomeyni pendant la tyrannie du Chah d’Iran et aussi celui de
l’église sous la dictature du parti communiste en Pologne et en Russie.

La méfiance face à tout pouvoir se proclamant défenseur de nos droits
devant donc être de mise. Une dernière précision : nous, communistes
libertaires, nous ne nous engageons pas à libérer les femmes voilées.
Nous n’avons pas plus l’intention de leur dicter leur conduite. Si nous
agissions ainsi, nous leur adresserions une injonction paradoxale : en
se
libérant, elles nous obéiraient. D’une certaine manière, elles
resteraient donc dominées. Leur seul moyen d’affirmer leur liberté,
face
à notre suggestion, serait alors de demeurer soumises !

En réalité, la libération des femmes musulmanes sera l’ouvre des femmes
musulmanes elles-mêmes ou ne sera pas. Par contre, si comme nous
l’espérons, cette ouvre d’auto-émancipation a lieu, notre solidarité
leur
est acquise sans limites. Non par générosité, mais parce que leur
affranchissement, loin de se limiter à elles-mêmes, s’étendrait aussi à
nous, pour qui il est très difficile de se sentir libre quand d’autres
sont asservis. Tout le monde le sait, la liberté individuelle reste
imparfaite si elle souffre ne serait-ce que d’une seule exception. « La
liberté d’autrui, loin de limiter la mienne, l’étend à l’infini » …

# Moustapha

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