Alors même que le 27 septembre 2002, devant les représentants des organisations syndicales, le ministre des affaires sociales proclamait son attachement au respect de l’indépendance de l’Inspection du Travail, indépendance garantie par les conventions internationales du travail et érigée en principe général du droit par le Conseil d’Etat, nous apprenons que, deux jours auparavant, il était déclaré au directeurs régionaux du travail qu’il n’y a rien de « régalien » dans nos services et que, dès lors, sur les matières à conserver dans le domaine de l’Etat, il faudra démontrer que nous sommes les plus efficaces. L’auteur de cette déclaration étant Monsieur Combrexelle, directeur des relations du travail, et à ce titre responsable au plus haut niveau de l’Inspection du Travail, il est évident que c’est cette institution qui est directement visée par cette déclaration. Nous voudrions croire à une information erronée si nos sources n’étaient sures et si cette information n’était corroborée par d’autres déclarations convergentes faites par certains hauts fonctionnaires de l’administration.

Ainsi apparaît-il clairement que, pour ces directeurs d’administration centrale, en droite ligne avec la « réforme de l’Etat » et l’idéologie qui la sous-tend, les inspecteurs et contrôleurs du travail doivent se soumettre à une logique « d’obligation de résultat ». Faut-il le dire ? Une telle contrainte est absolument contraire à l’essence même de leur métier dont le domaine est l’humain et le champ d’action, la pathologie de la relation de travail. Selon cette logique dans laquelle cette « réforme de l’Etat » tend à nous enfermer, subventionner des cabinets de consultants qui interviendraient au bénéfice des employeurs, financer des campagnes de publicité même, pourraient, à l’aune de résultats quantifiables et quitte à manipuler les chiffres, être estimés « plus efficaces » que l’action de l’Inspection du Travail. Ainsi donc, la fin justifiera-t-elle les moyens, au prix de la suppression de ce service public. Mais il est vrai que le terme de service public est aujourd’hui banni du langage de la haute administration qui désormais ne pense qu ‘en termes de « services rendus aux usagers ».

Or, faut-il le dire ?, l’Inspection du Travail n’est pas un organisme de prestation de services :
– Une décision administrative relative à une demande d’autorisation de licenciement de salarié protégé n’est pas une prestation de service, ni à l’égard des employeurs, ni a à l’égard des salariés dit « protégés ».
– Un procès-verbal dressé, n’est pas davantage une « prestation de service » au bénéfice des salariés concernés directement par l’infraction fut-ce dans le cadre du travail dissimulé ou d’un accident de travail.

Nous ne multiplierons pas les exemples : cela est inutile. Il suffit de dire et souligner que nous rendons un service à l’ensemble de la collectivité des travailleurs dans sa globalité, même lorsque nous intervenons à l’occasion d’un litige individuel (harcèlement moral, non-paiement au salaire minimum, etc.). Enoncer notre action comme « une prestation de service à l’usager » est donc une imposture et en même temps une manipulation de la réalité permettant seule de pervertir un service public où les moyens, humains et surtout matériels, doivent être accordés en fonctions des besoins des salariés du public au sens noble du terme afin de permettre une mise en concurrence et sa privatisation partielle ou même totale.

Or, dans une lecture ultra-libérale de la loi organique de finances, ce que le ministère veut mettre en œuvre, c’est l’attribution de moyens en fonction des résultats obtenus. Très clairement les services qui auront obtenu de « bons » résultats auront plus de moyens, les fonctionnaires qui « auront fait du chiffre » auront un avancement accéléré, une meilleure rémunération. Peu importe à cet égard que le choix de critères pour apprécier l’activité de l’Inspection du Travail soit non seulement absurde mais également contraire à l’intérêt général : chacun le sait, même ceux qui mettent en œuvre cette réforme, mais l’essentiel est, pour eux, de parodier le fonctionnement du secteur concurrentiel qui lui fonctionne selon effectivement un critère, celui du profit et plus exactement celui du profit immédiat, avec les résultats que l’on sait. De cette volonté dogmatique de quantifier de supposés résultats mais également par celle de reprendre en main l’Inspection du Travail traditionnellement rebelle à toute influence politique, découle la décision prise semble-t-il au plus haut niveau que son action de contrôle devra désormais s’inscrire dans le cadre d’une programmation thématique déterminée en fonction de considérations politiques, pour ne pas dire électoraliste.

De par la loi, l’Inspection du Travail, avait et a encore aujourd’hui pour mission de faire appliquer le Code du Travail dans sa totalité et dans chaque entreprise. La remise en cause de cette mission à l’évidence, est la négation même de cette volonté universelle : il s’agira, on le voit, de limiter son action à un type d’entreprise et à une fraction du droit selon des « plans d’action » déterminés par des « diagnostics locaux » et fixés au moins pour partie par les « partenaires sociaux » et sans doute même par les édiles locaux. Cette révolution, au sens de retour en arrière, est imposée au nom d’une nécessaire lisibilité de l’action de l’Etat et d’une supposée efficacité qui ne se trouverait que dans l’action collective et hiérarchiquement contrôlée. Vertu de l’action collective, impératif de lisibilité : nous ne l’ignorons pas, il ne s’agit pas là d’une problématique propre au Ministère du Travail mais d’une nouvelle axiomatique imposée à toute la fonction publique : ses effets pervers ne sont pas manifestes qu’au sein de notre seul ministère et ont été dénoncés ailleurs, notamment au sein du CNRS très récemment.

Et, conséquence de cette réorientation du travail de l’Inspection, le public ne sera plus désormais reçu par les agents de contrôle et sera réorienté vers les organisations syndicales qui n’en ont ni les moyens ni la vocation ou convié à utiliser les « nouvelles technologie de l’information » pour répondre à ses questions. Il s’agit là d’une conception technocratique de l’Inspection du Travail, bien étonnante pour un gouvernement qui se dit vouloir être à l’écoute de « la France d’en bas » afin de réduire la « fracture sociale ». Les salariés apprécieront, n’en doutons pas, à sa pleine valeur l’intérêt qui leur est ainsi témoigné. Enfin, le gouvernement aujourd’hui poursuit, au nom du rétablissement de la légalité républicaine, une politique de criminalisation des illégalismes des exclus du progrès économique. Nous ne voulons croire que, dans le même temps, il ait fait le choix de renoncer à faire respecter l’ordre public social au sein des entreprises et décidé de transférer l’ensemble du contentieux des relations de travail dans le seul domaine de la réparation civile, dans une logique strictement assurantielle, telle que prônée par le MEDEF.

Lettre de Sud-Travail au Ministre