Le juge des libertés et de la détention avait rendu une ordonnance de mise en liberté assortie d’un contrôle judiciaire mais le parquet a fait un référé détention pour bloquer sa sortie. Le président de la chambre de l’instruction a confirmé le référé. Mardi, l’appel du parquet sera jugé au fond. Il s’agit de la première demande de remise en liberté de Mahamadou. Il est donc important de se mobiliser et de montrer notre solidarité.

Rappel : A la suite de l’incendie du centre de rétention de Vincennes, huit personnes ont été arrêtées, inculpées et emprisonnées. Sur ces 8 personnes, plusieurs ont été libérées, même si elles restent inculpées. Aujourd’hui, deux sont toujours en prison, en détention « provisoire » depuis maintenant plus de 10 mois alors même qu’il n’y a toujours pas de date de procès. Une autre personne, qui était sous mandat d’arrêt, a été incarcérée samedi 6 juin.

Récemment, les avocats de plusieurs inculpés ont demandé des compléments d’enquête. La communication de ces pièces aussi fondamentales que l’expertise relative à la propagation rapide du feu, la communication des vidéos de surveillance, les rapports d’intervention des compagnies de pompiers intervenues, les échanges téléphoniques entre les pompiers et les policiers, la procédure d’enquête concernant la mort de M. Souli, la procédure concernant les violences subies par M. El Ouertani, le dossier d’enquête sur la plainte de plusieurs retenus à propos de violences au centre de rétention de Vincennes en février 2008, a été rejetée en bloc. Ce refus témoigne d’une volonté d’instruire à charge et d’évacuer toute responsabilité de l’état et des gestionnaires du centre. Mais, tout cela s’inscrit dans une volonté politique, claire dès le départ, de faire des exemples pour tenter d’enrayer les révoltes de celles et ceux que l’état enferme au prétexte qu’ils n’ont pas de papiers.

Les sans-papiers enfermés à Vincennes se sont révoltés.
Les inculpés ont maintenant besoin de notre solidarité !

Soyons nombreux mardi 16 juin 9h au TGI (escalier F) pour exiger la libération de Mahamadou Drame et des autres !

Arrêt des poursuites pour tous !

Mahamadou Drame a récemment écrit une lettre dans laquelle il raconte son parcours :
« Mon nom est Mamadou Dramé et je vais commencer par vous parler de ma vie au Mali.
Je suis né le 7 mars 1979 à Bamako au Mali. Je n’ai pas eu une enfance facile, je vivais avec mes frères, mes sœurs et ma mère. Avant ma naissance, mon père est allé en France et nous a laissés seuls afin de trouver un emploi car la vie est dure au Mali. Il revenait une fois par an, pendant deux mois, afin de mieux s’occuper de nous. J’ai pratiquement grandi sans sa présence ; étant jeune, je demandais souvent à ma mère où se trouvait mon père. Elle me disait qu’il était parti en France pour travailler et nous aider. J’ai vite compris qu’au Mali il était dur de trouver un emploi.
En 1999, mon père est revenu durant un an. Il nous parlait de la vie en France afin de nous préparer moi et mon frère à venir. Quelque temps après son retour en France il m’a appelé afin que je me prépare à venir. J’ai dû prendre le bateau du Maroc jusqu’en Espagne. Arrivé en Espagne, j’ai loué une chambre d’hôtel durant trois semaines, le temps que mon père règle tout pour que je puisse prendre le TGV clandestinement jusqu’en France, à Paris.
À mon arrivée, mon père m’a hébergé dans la chambre qu’il louait à Paris dans le XVIIIe arrondissement. C’était en juin 2001. Après que mon père m’ait expliqué comment trouver du travail, au bout de deux semaines, par chance, j’ai trouvé un emploi sur les Champs-Élysées : la société Renoma qui est une société de restauration. Malgré mes difficultés en français, grâce à mes faux papiers que je m’étais procurés, ils ont pu m’engager. J’ai travaillé chez eux durant deux ans en tant que cuisinier. Ensuite, la société a fermé. Après deux mois de recherche, j’ai retrouvé un emploi chez Euro Disney. J’y ai également travaillé deux années. En suite, je me suis fait interpellé et incarcéré à la prison de Longuenesse (Pas-de-Calais) durant trois mois à cause de mes faux papiers. À ma sortie de prison, les policiers m’attendaient afin de me mettre dans un centre de rétention à Calais. J’y ai été enfermé vingt jours, et
comme ils ne parvenaient pas à trouver mon pays d’origine ils ont dû me libérer. Je devais retourner sur Paris ; comme j’étais démuni, j’ai dû emprunter à une personne qui a été libérée en même temps que moi. À mon retour à Paris, je lui ai remboursé la somme qu’il m’avait avancée. Par chance, j’ai rapidement retrouvé du travail dans le XVe arrondissement en tant que cuisinier ; j’y ai pratiquement travaillé deux années, mais je me suis à nouveau fait incarcérer pour des faux papiers. J’ai passé un mois à Fleury-Mérogis. À ma sortie, j’ai eu une interdiction de territoire pour trois ans, mais je suis tout de même resté en France. Je ne pouvais pas rentrer au pays ; je devais rester en France pour travailler et pouvoir aider ma famille restée au mali. Malheureusement, quelques jours après, j’ai été interpellé et conduit au centre de rétention de Vincennes. Arrivé au centre, j’ai déclaré une fausse identité pour
éviter d’être expulsé. Après douze jours passés là-bas, ils ont dû me libérer en me donnant sept jours pour quitter le territoire, mais je suis resté. Encore une fois, je suis resté au foyer et je me suis mis à chercher du travail, entre-temps mon frère qui était au Congo m’a appelé pour me dire qu’il y avait la guerre et qu’il fallait que je l’aide à venir en France. Comme mon père était retourné au Mali en 2004 j’ai dû me débrouiller seul pour lui envoyer l’argent.
À son arrivée, je me démerdais en faisant des petits boulots et ça a duré quelques mois. Lorsque mon frère a trouvé un emploi, la vie nous était moins dure et nous pouvions envoyer de l’argent à la famille. Ensuite, j’ai réussi à trouver un emploi fixe au noir dans la restauration ; j’y ai travaillé un an. J’ai ensuite perdu mon emploi à cause de la crise. En 2008, je voulais me présenter à la préfecture afin d’être régularisé, mais je ne me suis pas présenté par crainte de me faire arrêter.
Je me suis donc retrouvé sans emploi et sans papiers, mais par la suite j’ai retrouvé un emploi en tant que cuisinier à la gare de Lyon. C’était un bon emploi. Un jour, au travail, il y a eu un contrôle de papiers ; comme j’étais sans papiers, ils m’ont arrêté ainsi que mon patron. Après l’interrogatoire, j’ai été placé en garde à vue et mon patron a été libéré.
Par la suite, j’ai été conduit au centre de rétention à Vincennes. Quinze jours après, j’ai été présenté à un juge qui a prolongé ma rétention de quinze jours. À mon retour au centre, il y avait des tensions entre les personnes retenues et les policiers. Ensuite, nous avons appris que Simad avait subi des maltraitances, au point que nous avons entamé une grève de la faim pour protester contre les conditions de rétention qui étaient pratiquement inhumaines.
Malgré tout ça, au bout de quelques jours, nous avons repris nos habitudes et la vie a repris son cours normal. Quelques jours plus tard, le 21 juin 2008, j’étais en train de dormir dans ma chambre, j’ai été réveillé par du bruit. Je me suis habillé pour savoir ce qu’il se passait. En sortant de ma chambre, j’ai vu qu’il y avait plein de gendarmes, habillés en tenue anti-émeute (cagoule, boucliers). J’ai alors demandé ce qu’il se passait et un détenu m’a dit qu’il y avait une deuxième personne qui était morte et que toutes les portes étaient verrouillées. Tout le monde voulait savoir ce qui se passait et nous nous sommes approchés d’eux et eux se sont avancés afin de nous empêcher d’avancer. Les esprits se sont échauffés et ils nous ont gazés avec des gaz lacrymogènes. Les personnes qui étaient présentes ont pratiquement toutes été gazées ; moi également [alors que] j’étais resté tranquillement à l’écart de cette
confrontation.
J’ai demandé qu’on me conduise à l’infirmerie, mais les policiers se sont mis à me maltraiter. Ils m’ont enfermé dans une salle d’isolement en m’attachant sur [le] lit des deux mains.
Je me sentais mal ; c’était la première fois que je me retrouvais dans une telle situation. Après une heure, ils m’ont libéré et j’ai pu rejoindre les autres. On a discuté sur ce qui s’était passé et, quelques minutes plus tard, les pompiers sont venus prendre la personne qui avait été maltraitée. Les pompiers nous ont dit que cette personne était dans le coma. Dans le centre, tout était calme ; on était tristes. Nous sommes rassemblés aux cuisines pour manger, mais personne n’avait d’appétit. Pendant le repas, nous avons appris que le maltraité était mort. Tout le monde est rentré dans sa chambre ; en deuil. Le lendemain, le 22 juin au matin, nous avons vu l’affiche disant la mort de cette personne : tout le monde était dégoûté. Après le repas de midi, vers 13 h, nous nous sommes tous rassemblés pour une prière pour le mort et nous avons fait une minute de silence en son hommage. Plus tard, nous avons aperçu des policiers
se diriger vers l’autre bâtiment qui fumait. C’était la panique je me suis demandé s’il y avait la guerre. Tout d’un coup, j’ai vu des gens sortir leur matelas et, deux minutes après, le feu avait pris dans notre bâtiment. […]
Les pompiers sont arrivés ; il restait encore des personnes à l’intérieur et tous ont pu sortir et les pompiers ont commencé à éteindre le feu. Les policiers nous ont regroupés dans la cour. Nous étions intoxiqués par la fumée. Après, ils nous ont mis dans le gymnase ; des gens étaient au sol en train de tousser à cause de la fumée. Les pompiers et les infirmiers sont intervenus au gymnase, mais peu de temps après, le gymnase était en feu. Les pompiers sont vite intervenus et nous ont mis dans une autre cour, avec les gendarmes qui nous encerclaient. Cela a duré une heure, puis le maire de l’immigration1 est venu au centre afin de calmer les choses ; il nous a déclaré qu’il allait s’entretenir pour savoir quoi faire de nous. Pendant deux heures, nous avons attendu cette décision. Ils ont décidé de ne pas nous relâcher, mais de nous disperser dans plusieurs centres de rétention. Ils nous ont appelé chacun à notre tour pour
nous mettre dans des convois pour nous envoyer à la gare de Lyon. En sortant, j’ai vu ceux du centre manifester [contre] cette décision.
Arrivés à la gare, nous avons pris le TGV en compagnie de gendarmes. Nous étions affamés et frigorifiés. Des idées noires me venaient à la tête. À notre arrivée, des voitures nous attendaient afin de nous conduire dans le centre de rétention de Nîmes. Nous sommes arrivés là-bas vers 9 h du matin. Au bout de deux semaines, j’ai été appelé pour être libéré. Mon billet de train m’a été offert par une association. Dès mon retour sur Paris, j’ai repris ma vie normale, toutefois sans oublier nos conditions de traitement et ce qui s’était passé dans le centre. Le 17 juillet, j’ai été interpellé grâce à la localisation de mon téléphone portable. J’ai été emmené au commissariat de Créteil et [on m’a] reproché d’avoir déclenché le feu du centre de Vincennes. Après cela, j’ai été emmené au dépôt de paris pour comparaître devant un juge qui m’a placé sous mandat de dépôt. Nous avons été trois à avoir été
incarcérés à Fleury-Mérogis. Je n’avais rien, ni argent ni vêtement. J’ai réussi à garder le moral grâce à l’association Kalimero qui me soutenait, car je ne pouvais pas travailler lorsque j’étais dehors. Je suis resté trois mois comme détenu sans travailler ; la vie était dure. Nous avions droit à une douche tous les trois jours. Les cellules étaient en très mauvais état et, l’été, certaines cellules sont envahies par les insectes (cafards, pucerons, ou même des guêpes) ; la vie était très dure.
Je savais qu’ils mettaient des médicaments dans la nourriture ; je ne voulais pas trop manger ce qu’ils donnaient, mais je n’avais pas le choix. Je n’avais pas d’argent pour acheter de quoi faire à manger. Au bout de trois mois, j’ai été appelé pour travailler aux ateliers. J’ai changé de cellule et d’étage afin d’être mis avec les travailleurs. J’étais content de travailler afin de gagner un peu d’argent, mais même les conditions de travail étaient mauvaises. Nous commençons à travailler à 7h 30 pour finir à 10h 30 le matin, et de 13h 30 à 15h 30. Nous travaillons cinq heures par jour du lundi au vendredi pour gagner entre 5 et 10 euros maximum par jour, pour les plus rapides. Par mois, nous gagnons dans les 100 euros. Nous sommes payés à la pièce ; par exemple 4 euros ou 10 euros les milles, tout dépend de la difficulté du travail. Ce n’est pas qu’une impression d’être exploités, nous le sommes vraiment. Les gens comme moi
n’ont pas le choix ; nous sommes obligés de travailler. Sans argent, nous n’avons pas de télé, ce qui nous coûte 8, 40 euros par semaine. Il y a la nourriture à acheter, les cigarettes ; avec tout ça, notre salaire ne suffit pas et encore, c’est le strict minimum. Nous travaillons pour de grandes entreprises comme l’Oréal, Orange, la Société générale. Il faut aussi savoir qu’il y a énormément de personnes qui sont sans papiers et qui travaillent et cotisent pour la vieillesse, CSG et RDS. Il faut aussi que je vous parle de certains cas. Il y a des personnes qui sont mis sous mandat de dépôt ; elles peuvent rester plusieurs mois en prison et [à l’issue de leur procès] : relaxe. La Justice fait n’importe quoi, [être inculpé] plusieurs mois et au final être innocenté peut briser sa vie ; [on] peut perdre sa femme, son emploi et son argent, tout ça à cause du caprice d’un juge. Il y a de plus en plus de jeunes juges
inexpérimentés qui jouent avec la vie des gens. Il y a des personnes incarcérées deux semaines pour avoir fumé une cigarette dans un lieu public ou bien avoir prié dans une gare. Regardez, moi qui n’ait rien fait, qui ai juste été présent lorsque le feu s’est déclenché, me voilà incarcéré depuis plus de six mois pour une chose que je n’ai pas commise. À cause de cette histoire, je risque de tout perdre. »