Lettre de prison aux étudiants grévistes

De vos grèves des bouffées d’air frais nous sont parvenues. Malgré le filtre médiatique, nous avons pu constater les formes nouvelles qu’elles ont prises. De ces tournures nouvelles certains aspects nous touchent plus particulièrement.
Premièrement, nous sentons, dans toutes ces grèves et ce qu’elles ont permis, les effluves de relations plus denses, plus fortement complices, que ce que nous disent habituellement les mots d’ordre syndicaux, les comptes rendus de manifs chiffrés. Nous entendons au loin les bruits de vos rencontres, de ce qu’elles inventent dans les facs occupées, et cela nous inspire quand à la manière dont nous devons renvoyer les organisations qui gèrent et contrôle les révoltes à leur maîtres et alliés objectifs.
Deuxièmement, nous demandant comment cette grève avait durée, comment elle avait réussie à être aussi inventive aussi vite, une chose nous a frappé : on sent bien que les expériences des luttes récentes vous ont servies. Vous avez voulu qu’il ne s’agisse pas d’un événement pris dans le flux des répétitions, vous avez voulu que cette grève ne soit pas la récréation générationnelle qu’on eut aimé qu’elle restât. Il y a, en somme, transmission d’expérience.
Troisièmement, nous avons su que vous ne vous êtes pas contentés de faire les clowns sur la piste de cirque. Les bris de quelques banques caillassées, des bureaux de Bouygues vandalisés à Rennes, les cris flippés des flics de Villejean ou de Saint Nazaire ont flatté nos oreilles. Nous constatons que là aussi, il y a la volonté de ne pas s’arrêter à l’évidente supériorité militaire du pouvoir, et de s’organiser pour s’imposer là où c’est possible, soit de faire surgir la peur dans leurs rangs.
Quatrièmement enfin, ce sont les bruits de chute des murs des universités qui nous attirent. Ces liaisons avec les mouvements de chômeurs et de sans papiers, ces organisations corporatistes criant à la radicalisation tous ces signes nous indiquent que vous avez au moins un peu voulu mettre à bas les artifices vous séparant du reste du supposé corps social, que vous avez pris acte de votre position dans votre époque.
Vos grèves, donc, nous inspirent. Aussi parce qu’elles nous concernent. On a beau vouloir circonscrire la prison, en faire un lieu exceptionnel, nous ne pouvons pas ne pas voir ici s’appliquer les dispositifs qui, à l’école ou dans les foyers, vous ont standardisés, normés, qui, à l’usine ou au chantier, ont voulu faire de nous des mécanismes et surtout ceux, au travail, dans l’espace public ou dans les organismes de gestion de la précarité, qui veulent nous individualiser pour mieux nous soumettre. La taule condense et resserre, optimise, tout ce qui dehors nous aliène, faisant de nous des objets manipulables et rentables, nous laissant avec l’attente, l’espoir, l’absence et la passivité. Non seulement la taule poursuit notre élevage institutionnel, mais elle le finalise. En tant qu’utopie d’une forme sociale sur le déclin, elle s’impose à chacun de nos actes, des votre, comme un conte pour enfant imprégnant trop longtemps un délire collectif. Or si votre grève diffère des luttes de prisonniers, c’est que vous réagissez contre le devenir imposé à l’université, tandis que nous ne pouvons que vouloir détruire tout ce qu’est déjà la prison. Mais c’est aussi le lien possible. Nous voyons bien que refusant la loi LRU, vous interrogez aussi un ordre, destiné à vous rendre rentable, un monde dans lequel votre savoir n’aura d’autre fin que de nous aider à nous vendre. Ce monde là, la taule en est un des principaux fabriquants, son usine à symbole en quelque sorte, et la condition de son étanchéité, comme une toiture solidement boulonnée tient par son poids sur des murs profondément craquelés.
Nous aimerions nous aussi, pouvoir vous inspirer par notre créativité, nos arguments, les moyens que nous vous donnons. Mais logiquement, ce lieu de la domination brutale, violente peut-être, est celui auquel on a dévolu le plus les moyens de sa pacification ; on a testé et rassemblé tous les outils les plus trivialement perfectionnés de la prévention situationnelle, les méthodes d’individuation coercitive, la délation devenue vertu, la pathologisation des « déviances ». Nous aussi, face à la beauté lisse et morbide de la taule aujourd’hui, nous avons besoin de renouveler ce qu’on appelle la « lutte anti-carcérale ». Nous ne pouvons plus nous permettre de demander des améliorations de nos conditions : celles-ci deviendraient automatiquement perfectionnement du contrôle ou des moyens de faire passer la pilule. Nous ne sommes plus capables non plus de protester symboliquement, en faisant mine d’être une force : blocages, grève des plateaux, pétitions, ont été si systématiquement réprimés et isolés que plus personne ne veut se risquer pour de bien minces résultats, d’autant plus que les dispositifs d’individualisation ont fait perdre tout carburant à ce type d’action.
En fait, nous ne pouvons nous passer de la marge de manœuvre que nous donne une solidarité active hors les murs. En somme ce texte est aussi un appel. Un appel à construire la jonction de résistances qui sont liées par le refus de la même triste norme, une incitation aussi à ce que vous osiez rejeter le sacré qui entoure la prison et donne sa démesure, son imprégnation dans nos actes dedans ou dehors. Dans chacun des quatre aspects par lesquels nos grève nous ont inspirés, sauf peut être le premier, rien ne peut se faire sans votre soutien. Ainsi autant bien des savoir-faire se transmettent en prison, autant ce n’est guère les perspectives apportées par les conflits plus ancien-là, nous avons besoin de nous rejoindre. Aussi, que vous preniez pour cible les bâtiments et outils de travail de l’administration pénitentiaire, des J.A.P., des D.R, des ERIS, lors de vos manifs, de vos actions, voilà qui nous créerait automatiquement un contre poids à même de nous apporter plus de force, d’impunité, de courage dans nos conflits ici. En somme, nous disons que déplacer les luttes de prisonniers et les grèves étudiantes au dessus des murailles, c’est déjà une victoire commune, ni de prisonniers, ni d’étudiants : une victoire sur ce qui les sépare et les soumet à leurs conditions.