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Je travaille à Leclerc, à Nantes à faire de la mise en rayon, mais officiellement je suis embauchée par 2 société différentes de Leclerc, pour une période de 2 mois comme d’autres avec moi. Ils font tous de la mise en rayon, il travaillent aussi officiellement pour d’autres boites en Cdd, mais pas des boites d’intérim, non, plutôt les boites des fournisseurs de Leclerc , genre Suchard ou coca cola, en fait pour la mise en rayon on est payés par la société dont on doit mettre les produits en rayon .

Il s’agit toujours de contrat en Cdd même si parfois ils sont renouvelés, et souvent à mi-temps mais des mi-temps cumulables…

Sous traitance et heures sups non payées

Ainsi les « meilleurs » employés travaillent parfois pour plusieurs fournisseurs, faisant parfois des journées très longues ( de plus de 8 heures, un de mes collègues me racontait une fois que le jour d’avant il avait fait 15 heures de taf) , mais travaillent de fait pour la même enseigne de supermarchés , même si leurs  » employeurs » officiels changent.

En théorie, c’est chacun « sa marque » mais dans les faits comme on doit aussi obéir au chef de rayon en plus du chef de notre boite « d’emploi », on se retrouve à s’occuper de tout le rayon , même si notre »marque » est la priorité à chacun d’entre nous. Bien évidement les différentes firmes s’arrangent pour les horaires entre elles quand un salarié travaille pour plusieurs d’entre eux. Ainsi, à Leclerc un salariés qui bosse 60 heures au magasin à faire la même chose chaque semaine, ses heures sups sont payées en heures normales, vu qu’il bosse sur 2 contrats mi-temps avec 2 employeurs différents.

Si l’un d’entre nous fait mal son taf , il est engueulé 2 fois bien sûr ( par le chef de rayon et le chef du fournisseur) mais en plus les autres employés en Cdd/ sous traitance sont engueulés pour les fautes des autres, le but evident étant de monter les salariés les uns contre les autres.Les horaires sont très bizarres, on ne commence jamais en même temps, on ne finit pas en même temps, on n’ a pas une minute pour parler , ( en fait on a juste le droit de parler de truc professionnels).Pour rencontrer mes collègues, je leur file mon mail pour qu’on se voie en dehors.

Chose étrange il semble que cette technique ne marche pas, là ou je bosse il y a quand même une bonne ambiance entre salariés.

Les horaires nous bouffent toute notre journée ainsi par exemple, certains bossent de 9 h à 12 puis de 16 à 20h , soit 7 heures de taf effectif mais impossible de faire quoique ce soit entre 12 et 16 pour ceux habitant à plus d’une heure du boulot par exemple, on a l’impression que c’est fait exprès pour détruire notre vie sociale, par ailleurs les horaires changent à la dernière minute, rendant impossible toute vie sociale car on ne sait jamais quelles tranches horaires seront libres la semaine prochaine, c’est encore plus le cas pour les vigiles qui sont encore plus précaires que les autres salariés ( mais moins conscient de se faire niquer).

En plus , on nous donne un travail pour lequel il faut par exemple 5 heures sauf qu’on nous dit :  » Fais le en 3 heures ».Si on met plus de temps, non seulement on nous engueule mais en plus on doit vraiment insister pour voir ses heures sup comptabilisées et donc payées, si on finit à temps il est impossible d’avoir fini la tache , et alors on se fait engueuler et menacer de licenciement.

Par exemple un des trucs pour nous licencier c’est assez simple :
c’est de nous accuser de vol , ou autres fautes lourdes ; comme y a pas vraiment de pointage , ( le seul truc c’est qu’on ecrit notre nom et heures d’arrivée et de sortie à l’entrée sur un cahier Leclerc qui donc appartient à Leclerc …) ils peuvent dire qu’on ne vient pas, ou par exemple pour le vol c’est simple, la ou je bosse si un paquet de chocolats se casse ( y en a toujours qui se cassent) alors je le mets à la poubelle mais si je prends un chocolat dedans je peut être accusée de vol.

Ainsi théoriquement si un vigile découvre un paquet de chocolat en réserve ou il manque ne serait qu’un chocolat , par exemple si c’est un paquet Suchard , alors ils peuvent accuser la personne travaillant pour Suchard de vol, bien sur il ne le font que si ils veulent se débarasser de quelqu’un avant la fin de son contrat.

Sexisme, racisme, diviser pour mieux régner

Du cout c’est un peu la précarité totale comme la plupart des boulots qu’on nous propose à nous les derniers arrivés sur le marché du travail, surtout si on est femme et/ou basané…

Le sexisme des « petits chefs de rayons » est de mise , par exemple une fille un peu « masculine  » se fera engueuler pour ne pas suivre les codes vestimentaires parce qu’elle s’habille en Jean large alors que les mecs qui s’habillent pareils ne se feront pas emmerder.

Une autres des techniques est d’embaucher uniquement des « blancs » pour certains emplois comme la mise en rayon , et que des Noirs ou rebeus pour les emplois de vigiles ( dont la tache est de surveiller les clients et aussi les autres salariéEs) , tout en sachant que les salarié-E-s surveillés ont toujours un ressenti négatif envers leurs « surveillants » : une pratique de Management idéal pour créer des tensions « ethniques » entre les salariés, et un moyen bon marché d’empêcher les vigiles de fermer les yeux , quand la mise en rayon est un secteur ou il est assez facile de voler sans même que la direction se rende compte que quelque chose manque, il est donc essentiel pour eux que les vigiles ( encore plus exploités que les autres) fassent du zèle.

Quelques réflexions sur le travail précaire

Vu la multiplication des petits contrats Cdd à mi temps ( certains devant parfois cumuler 2 ou 3 mi -temps pour survivre ) l’individualisation des salariés , le fait que pour avoir un Cdd il demandent des « réferences » , la plupart des salariés se soumettent .

Dans ces conditions ils devient difficile de lutter de façon « traditionnelle » toutefois , il faut inventer de nouvelle façons de lutter , plus liées seulement à telle ou telle entreprise, accepter que certains travailleurs fassent des luttes ponctuelles dans le temps.Par exemple, si je travaille 5 jours à Leclerc alors il faut que pendant ce temps je puisse aussi lutter avec les autres salariés même si je suis là pas longtemps, parce que du cout mes collègues en
Cdd/interim me disent  » Mais alors pourquoi lutter dans une entreprise si on est la que pour un mois ou 15 jours ? ? « 

Du cout parfois je crois qu’une des priorités vu l’impossiblité de lutter sur le long terme dans telle ou telle entreprise c’est de permettre l’ascension d’une nouvelle « conscience de classe » qui aille au delà des particularités corporatistes et géographiques ( vu que les précaires sont aussi très mobiles , sur le modèle des saisonniers , de plus en plus de gens vivent dans leurs voitures ou leurs camions…) ,

Pour pouvoir créer des micro luttes partout ou on va, ce serait peut-être des luttes qui auraient l’air très limitées dans le temps mais qui auront l’avantage d’être aussi très nombreuses,formant comme une grande lutte faite d’une multiplicité de petites batailles par ci par la , un peu comme certaines luttes syndicales en Amerique du sud ,

En tout cas vu que nous sommes des « expérimentations sociales » sur lesquels ils testent à quelle sauce ils vont ensuite manger les autres salariés, aujourd’hui semi-stables, demain précaires, c’est aussi aux travailleurs moins faibles socialement de pas nous laisser tomber.

Vu la difficulté de faire la grève ouvertement, je me souviens de certaines pratiques du 19 siècle ou les travailleurs « sabotaient  » clandestinement leurs usines, leurs machines… ou faisaient la grève du zèle collectivement  » à mauvais salaire mauvais travail « …. sans que le patron puisse savoir qui est vraiment responsable même si ça peut paraitre un peu nihiliste comme truc.

Sinon en anglais , il y a une expression qui dit « jeter la clé dans la chaine  » qui signifie en gros foutre la merde, ca vient d’une veille pratique ouvrière qui était de saboter la ligne d’usine, (je suppose en jetant une clé d’ajustement) afin de pouvoir se reposer en stoppant la machine, et surtout afin de faire chier les patrons sans qu’ils
sachent qui fait quoi, en plus c’était totalement gratuit (contrairement au vols de matos ou de tunes même si le vol de ceux qui nous exploitent aussi c’est bien) ce qui avait l’avantage de déstabiliser les chefs et avait l’avantage de remettre un peu de ludique non marchand dans l’existence ; de toute façon dejà certains salariés comme moi le font dejà sans même chercher à le faire exprès.

Le travail bien fait, ou l’auto-flicage

Les salariés semi-stable embauchés avant ces expérimentations sociales ou les rares salariés vraiment très dociles ( on pourrait même dire stupides) qui acceptent n’importe quoi, font encore plus d’heures sups non payées et qui donc ont accès à des emplois de chefs de rayon stables , ceux là ne sont pas sur la même longueur d’onde que nous.
Ils sont vraiment consciencieux, pour leur taf et celui des autres, on a l’impression que c’est une espèce de fidélité à l’employeur, ainsi il trouve que mal faire son taf, être en retard ou voler des marchandises du magasin, « c’est pas bien  » : et ils sont prêts à dénoncer ceux et celles qui le font, même si par ailleurs ils militent parfois dans des structures syndicales corpos type CFDT ou CFTC , et qu’ils se plaignent que les jeunes précaires n’ont aucune conscience syndicale…

Micro résistances

Un des trucs embêtants pour les patrons c’est que les salariésprécaires ont beaucoup moins de conscience professionelle que les autres, moins conscience du travail bien fait pour l’entreprise, sauf les vigiles, et encore ça change) il faudrait réussir à traduire cela en nouvelle solidarité de classe au delà du corporatisme (professionnel, ethnique ou autre) et de l’individualisme ambiant , qui sont tout deux les armes principales des patrons et états pour assurer leurs pouvoir en nous incitant à nous fliquer entre prolos.

Ainsi une des pratiques de micro résistance mise en place par les précaires est l’échange d’informations, en effet en travaillant même peu dans un supermarché comme Leclerc chaque employé apprend sur les techniques de surveillance , et après on en parle entre nous, on s’échange les infos et petit à petit on s’y connait plus sur les systèmes de surveillance de tels ou tels supermarchés que l’ingénieur qui les a créés, surtout que certaines d’entre nous étaient dejà habituées à l’expropriation de propriété privée des supermarchés avant même de travailler la.

Du cout, après et parfois pendant notre contrat on passe souvent dans des Leclerc et d’autres supermarchés pour nous payer nos heures sups « en nature » vus qu’ils ont oublié de nous les payer en espèces

Sinon j’ai pris contact avec la CGT commerce ( les autres syndicats genre SUD n’ont pas de section commerce alors j’avais le choix entre
ça et la CFDT..) ; voir ce qu’on peut faire même je finis le taf dans 15 jours

Mais au moins faire en sorte que les autres employés de grande distrib sachent ce qu’il se passe.

Si vous êtes aussi un mauvais travailleur et que vous habitez Nantes, contactez moi …

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