Dans le cadre de l’entreprise publicitaire antitechnologique des éditions L’échappée et en particulier en accompagnement du débat organisé ce jour au CICP (à Paris) contre la tyrannie industrielle, le texte suivant a été diffusé et collé.

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Pour en finir avec la bête immonde déguisée en Ipod…

Au 18éme siècle, 100% des jeunes avaient un vrai métier et travaillaient 16 heures par jour.
Aujourd’hui, la majorité des prisonniers organisent leurs évasions au moyen
de téléphones portables, hélicoptères et autres voitures. Il ne l’emporteront pas au paradis.
En 1870, bien loin de s’abrutir avec une playstation,
90% des enfants apprenaient la Bible et se faisaient lire des contes patriotiques
En 1911, la bande à Bonnot montait au braquage dans des automobiles ultramodernes,
leur impunité n’a pas fait long feu.
En 1890 il fallait des centaines de milliers d’employés pour avoir de gros bénéfices,
maintenant des gens font une entreprise dans un garage et ils font plein de thunes
sur internet, qui est réseau mondial, sans vraiment travailler.

Les clés USB, les téléphones portables, internet, Super Mario Bros et la péridurale vous déresponsabilisent. Or, la responsabilité individuelle, c’est très important, comme le dit notre copain Mathieu Amiech dans Le cauchemar de Don Quichotte. Si vous n’êtes pas responsables, vous n’êtes pas vraiment des êtres humains. Mais bon, nous savons que vous préférez regarder la télé comme des beaufs plutôt que de vous rendre compte que le grand complot technologique vise à détruire le monde pour mieux le contrôler, comme le montrent nos camarades de l’Encyclopédie des Nuisances. Vous devriez avoir honte…
Nous, nous avons honte, nous nous sentons coupables : le fait que ce tract soit écrit sur un ordinateur, tiré sur une imprimante puis sur une photocopieuse, tout ça à grand coup d’électricité nucléaire, participe du crime contre l’humanité qu’organise quotidiennement le cauchemar industriel et nous emplit d’effroi envers nous-mêmes. Au moins avons-nous pour nous la conscience de la faute et si nous ne nous flagellons pas en repentance et ne frottons pas du gros sel (bio, forcément bio) sur nos plaies, c’est parce que nous avons mieux à faire : prêcher contre ce monde où le sens du travail bien fait a disparu, où on ne prend plus la temps de rien (vous rendez-vous compte qu’on peut rejoindre le Sud de la France à partir de Paris en quelques heures, comme l’écrivit jadis en 2006 un de nos complices informels représentant la Sorbonne à une coordination étudiante).

Or, prêcher n’est pas facile. Outre les moutons électriques de la population soumise, il faut encore se taper les paléos-marxistes, obsédés par les cons de prolétaires (qui gâchent pourtant tout leur salaire dans des écrans plasmas et des lecteurs MP3). Nous savons de quoi nous parlons, nous avons dû les subir, eux et les mauvais rapports humains qui vont avec (les gens qui croient encore « basiquement » à l’exploitation sont tous tristes et méchants). Certains d’entre nous les ont rencontrés quand il s’est agit de se battre contre les horribles machine biométriques.
A l’idée saugrenue que la biométrie comme dispositif améliore les conditions du contrôle et de l’exploitation, nous avons su substituer l’idée qu’elle représente une incarnation claire du Mal, à partir du moment où elle utilise les machines qui nous transforment en salauds aliénés et irresponsables. Les luddites ne nous contrediront pas (d’ailleurs ils sont morts, c’est pratique). Sans se perdre dans une lutte d’un autre âge et qui ne les concernait pas, contre l’organisation capitalise du travail, l’intensification de l’exploitation, la baisse des salaires que suppose le capitalisme, ils ont su s’en prendre à la grande hérésie à cause de laquelle l’humanité allait perdre son âme : la machine. Seulement, ça, quand nous avons organisé des réunions publiques contre la biométrie, les marxistes abonnés à internet n’ont jamais voulu l’entendre. Nous avions pourtant tout prévu. Des copains avaient cassé une méchante machine, se sont faits arrêter et nous avons appelé à soutenir les inculpés. Malgré un médiateur et un président de séance pour distribuer les tours de parole comme au Sénat, malgré les discussions de couloir, les réunions préalables entre nous, le coaching alternatif et le brouillage discursif permanent, nous avons dû subir leur triste opposition. Pourtant, nous avons même essayé de les coopter en les invitant à boire des cafés en loucedé (la technique du café-magouille est un très bon moyen de recrutement dans ce monde horrible, elle permet de ne pas se prendre la tête à discuter publiquement avec tout le monde ni d’avoir à tenir nos vrais positions). Malheureusement, il a été impossible de maîtriser (la maîtrise c’est comme la responsabilité, très important) ces réunions : des gens très divers, ayant pris au sérieux le fait qu’il était possible de s’organiser pour agir et réfléchir ensemble, voulaient s’organiser entre eux, en dehors de notre contrôle, pour réfléchir autrement qu’en termes de Bien et Mal. Il était donc assez bienvenu d’empêcher que les contacts s’échangent (c’est facile, prenez en de la graine : les listes internet, c’est mal, donc il ne faut pas en faire, donc nous gardons les mails privés des gens pour nous, hop).
Dans la perspective de l’action contre l’exposition biométrie de La Villette qui se préparait, n’ayant pu (et c’est pas faute d’avoir essayé) écrire tous seuls le tract d’appel, nous avons tout de même réussi le jour venu à vider l’action de son sens. On a fait en sorte qu’il n’y ait pas de banderole, (cela aurait été trop visible et on n’aurait pas pu décider du slogan), on a imposé que les gens s’éparpillent pour pouvoir avoir des bons rapports humains interpersonnels et conscientiser les visiteurs du lieu un par un (c’est mieux pour culpabiliser les mères de familles qui traînent leurs gamins dans cette « cathédrale » des technosciences), ce qui ne nous a pas empêcher ensuite de bêler, une fois en haut pour se moquer d’eux, et, dans un soucis de rapprochement et de rapport festif avec les gens, de hurler « allez tous vous faire connecter » ou « un chercheur une balle – un labo une bombe », ce qui ne manque pas de sel quand on sait que nous sommes tous plus ou moins chercheurs en sciences sociales.
Enfin une fois qu’on n’a plus eu besoin de présence au procès, on a inventé tous seuls dans notre cuisine la dissolution d’un collectif dont nous avons ensuite dit qu’il n’avait jamais existé et la création d’une assemblée. Nous avons enfin apporté un texte pour qu’il se discute, en annonçant que de toutes façons il serait publié tel quel.
Ben oui, pourquoi s’emmerder avec les processus collectifs, notre idéal c’est la communauté d’individus responsables, maîtres d’eux mêmes, avec un vrai métier et des vrais valeurs humaines. Alors on fait ce qu’on veut, en toute responsabilité, comme nos copains qui ont signé pendant le mouvement du printemps 2006, un digne et magnifique tract se réclamant de l’EHESS occupée la nuit d’après l’assemblée générale ayant décidée qu’aucun groupe ou individu ne pouvait faire ce genre de chose (texte qui circule encore sous le nom « appel de Raspail »).

Mais comment discuter de toutes façons avec des ignorants qui ne savent pas le bonheur du temps béni d’avant, le bonheur parfait du travail d’il y a seulement deux siècles, quand, avant les diaboliques machines, les libres ouvriers s’entassaient dans des entrepôts pour y exercer leur métier librement. C’étaient encore des individus responsables, maîtrisant leur vie, n’imposant pas à leurs enfants leurs divorces, durs au labeur, liés à leur terre. Après la mort, ils sont allés aux paradis, eux (surtout dans le Doubs). Car le travail n’était pas encore une odieuse marchandise et son essence n’était pas pervertie par la machine : les patrons savaient prendre soin de leurs ouvriers. On pouvait vendre ses bras avec le sourire, l’organisation du travail était plus sympa et on était content d’aller au turbin pour y accomplir son savoir-faire. Les demi-dimanches étaient bien occupés et les loisirs n’étaient pas aliénés par le diktat high tech. Maintenant les jardins ouvriers ont disparu.
La sociabilité villageoise, c’était bien aussi. Elle avait cet avantage de produire un contrôle de proximité, à échelle humaine, dont chacun-e dans son individualité pouvait être un acteur autonome. Aujourd’hui le lien social est pollué par les gadgets du technologisme triomphant: les contremaîtres ont subi les foudres de l’automation et ont perdu leur emploi, on ne peut plus débattre avec les policiers remplacés par des bornes biométriques, les caméras ont jeté aux oubliettes les bon vieux panoptiques. A quand des cyborgs dans les tribunaux en lieu et place de l’humanité certes désobligeante et un peu guindée mais chaleureuse des magistrats ?

Il importe à présent, mais pas trop vite en tant que la vitesse est un avatar du fer de lance nécrotechonologique, de recycler ces diverses magouilles et de s’appuyer sur les sciences sociales pour affronter l’horreur des sciences dures (dures comme le fascisme en habits de couleurs). Un scientifique, une balle, un labo, une bombe : il est temps de récupérer leur budget pour promouvoir les sciences de l’homme qui seules nous permettent de connaître ses vrais besoins.
Qu’on se le dise, seules les sciences humaine sont pures. Elles n’ont rien à voir avec le contrôle et l’exploitation, elles ne sont pas nées dans les prisons et les hôpitaux, elles produisent un savoir critique qui n’a jamais servi à assujettir personne. Non, mes frères et mes sœurs, en vérité, nous vous le disons, c’est contre le Mal qu’il faut lutter et ce Mal à un nom, la Machine (qui a la même initiale, ce n’est pas un hasard). Et la seule solution c’est la vieille solution alternative : écrivons des livres pour dénoncer le monde, bien planqués dans nos communautés, laissons cet horrible monde réel à ceux que ça intéresse. Laissons le travail aux cons de prolos, la prison aux méchants délinquants, la pilule aux salopes irresponsables. C’est soit ça, soit voter Le Pen qui, comme l’écrit notre ami Amiech dans l’ouvrage cité plus haut, est « le seul politicien à s’opposer vraiment à la mondialisation » : et oui, au dix-huitième siècle, à Saint Denys, il y’avait peu de noirs et pas de voleurs technophiles dépouilleurs de téléphones portables.

Pour l’instant on rigole… mais on attend
une livraison de sabre laser par Obiwan Kenobi