«… L’HOMME N’EST PAS UNE MARCHANDISE COMME LES AUTRES » Nicolas SARKOZY

Etrange affirmation du ministre-candidat à la présidence de la République lors d’une réunion publique à Saint Etienne en novembre 2006.

Après une longue tirade où il fait confession, sans rire, d’ « humanisme »… où, celui qui n’hésite pas à organiser rafles et expulsions d’êtres humains, souligne que « la morale ça compte », « la spiritualité ça existe », et que « l’homme a une destinée », « je suis libéral au sens où je suis pour la liberté »,… il en conclut que « l’on ne peut pas faire n’importe quoi avec l’homme qui n’est pas une marchandise comme les autres ».

Les grand médias se sont bien gardé de reprendre la formule qui, à ma connaissance, n’est passée qu’une fois à la télévision… ce fut ensuite le silence audio et visuel. Même le site officiel de l’UMP a fait impasse sur cette brillante profession de foi ( ?). Le patron aurait il fait une gaffe ?.

Mais que peut bien signifier cette soudaine pudibonderie médiatique à l’égard d’une percée apparemment théorique, et elles sont rares, de la part d’un politicien ? Le terme « marchandise » serait-il devenu un « gros mot » ?

QU’A-T-IL BIEN PU VOULOIR DIRE ?

Il a voulu montrer l’opposition qu’il y avait, d’une certaine manière selon lui, et du moins verbalement; entre « humanisme », « morale », « spiritualité », « destinée », d’une part et « marchandise » d’autre part.

Pourquoi ? Parce que tout le monde sent bien que l’être humain, dans notre système économique et social, est considéré comme une « chose » que l’on utilise quand on en a besoin et que l’on jette quand on n’en a plus besoin…. Et ça un candidat à la présidence de la République ne peut pas le reconnaître… il prend donc les devants. Et en voulant nier l’évidence se « prend les pieds dans le tapis ».

Mais pourquoi faire référence à la marchandise précisément ?

Cela montre que ce monsieur n’a rien compris à ce qu’est la marchandise. S’il avait su de quoi il parlait, il aurait évité de proférer une énormité.

Dire que, dans le système marchand, l’homme est une marchandise est absurde, en effet le salarié est un homme « libre », en principe libre de se louer à qui bon lui semble et ce qu’il loue, c’est sa force de travail. C’est cette « capacité de travail » qu’il monnaye sur le marché dit « du travail ». Ce n’est que dans le cas de l’esclavage que l’homme est marchandise car c’est sa personne physique qui est vendue ou louée par un tiers, son propriétaire.

Ce qui est marchandise ce n’est pas l’individu mais sa capacité de travail… et la rémunération qu’il reçoit, le salaire lui permettant de reproduire cette capacité.

Economiquement et socialement l’individu n’a d’intérêt que si cette capacité correspond à un besoin économique et seulement dans ce cas… d’où les licenciements, le chômage et l’exclusion. Ne conseille-t-on pas officiellement aux jeunes qui cherchent un emploi « d’apprendre à se vendre » ?

Mais jouons le jeu. Suivons son raisonnement, imaginons que l’homme soit une marchandise : concrètement, économiquement, socialement et politiquement ça veut dire quoi ? Se peut-il que l’on soit à la fois marchandise et citoyen, c’est-à-dire un individu libre ? Bien sûr que non… c’est impossible.

Ce monsieur dit donc n’importe quoi.

BEVUE OU AFFIRMATION VOLONTAIRE ?

Probablement les deux. Il a voulu marquer un grand coup (raté) en faisant une profession de foi d’humanisme… mais comme il voulait expliquer une chose qui est parfaitement contradictoire : l’humanisme et la situation faite à l’individu dans le système marchand… il a été amené à dire une absurdité.

Il est une chose évidente cependant, c’est que pour lui, l’homme est une marchandise, peut-être pas comme les autres mais marchandise tout de même,…c’est-à-dire quelque chose dont on peut disposer et rejeter quand on en a plus besoin. Il n’exprime, maladroitement, que ce qu’est la philosophie du système dont il est le défenseur… l’instrumentalisation de l’être humain.

Il aurait été intéressant qu’il nous explique en quoi l’ « homme était une marchandise »… ce qu’il est bien évidemment incapable de faire… et encore moins capable d’expliquer pourquoi « elle n’est pas comme les autres ».

Dans ce discours il a, à la fois, un désir de refoulement, en public – effet de tribune – d’une réalité gênante, c’est l’aspect restrictif (« pas comme les autres ») de l’affirmation, mais aussi la reconnaissance – inconsciente – de ce qu’il perçoit comme la réalité (« l’homme est une marchandise »). Ajouter à cela une méconnaissance du contenu du concept de marchandise et l’on a une affirmation qui ne peut que jeter le trouble dans l’esprit de celles et ceux qui en saisissent le sens.

La plupart des fidèles présents ont applaudi sans aucune hésitation, croyant probablement que leur homme providentiel venait d’émettre une pensée historique … Ce qui montre, s’il en était besoin, le sens des réunions publiques politiques,… et pas seulement à l’UMP.

Ce que peux penser le ministre candidat n’a finalement que peu d’intérêt, il est le représentant d’un système qu’il n’a aucunement l’intention de changer… à ce titre il ne nous intéresse pas. Son discours, comme tout discours dominant est essentiellement mystificateur.

L’intérêt de celui-ci,dans ce cas, vient du fait qu’il est à la fois à la limite de la mystification et de l’aveu et qu’il révèle le mécanisme de la mystification dans la maladresse d’expression et la non maîtrise des concepts utilisés.

La maladresse a été probablement repérée par son entourage et par les « journalistes de Cour » qui se sont bien gardé d’insister dans la rediffusion…

Est-il le seul à penser une telle chose ?

Certainement pas. Toutes celles et ceux qui s’apprêtent à gérer le système marchand – libéraux ou interventionnistes, droite, gauche, centriste et écolos auraient pu faire la même gaffe. D’ailleurs les adversaires politiques du ministre-candidat se sont bien gardés de donner une suite… gêne ou accord ?

Patrick MIGNARD

Pour plus de précision, voir aussi les articles :

« LE FAUX HUMANISME DE LA MARCHANDISE »

« MARCHANDISE : LE RETOUR AUX FONDAMENTAUX »

« LE TRAVAIL EN QUESTION (1) (2) (3) (4) »