LA DUNIA DES BANLIEUES

Dunia est une jeune étudiante qui rêve de devenir danseuse comme l’était sa mère. A travers le chant et la danse soufis, Dunia se lance alors dans une quête d’elle-même et de son corps « refroidi ». Car en Egypte 97% des femmes sont excisées.

A travers la mutilation sexuelle de l’excision, la réalisatrice Jocelyne Saab nous parle de l’excision psychologique dont est victime la société égyptienne et le monde arabe en général. Un étouffement politico-religieux qui n’est pas étranger à nos banlieues où le discours religieux traditionnel prend peu à peu racine dans le désarroi et la misère sociale des jeunes en particulier. La ressemblance est en effet frappante entre la quête artistique et initiatique de Dunia et la quête d’identité et de liberté de milliers de jeunes « beurettes ».

Lorsqu’il suffit parfois de porter une jupe ou de fréquenter un garçon pour se faire insulter et traiter de fille facile, on réalise mieux à quel point l’archaïsme des sociétés arabes s’est invité dans les banlieues les plus pauvres à travers le discours fallacieux de barbus fraîchement arrivés du bled ou les égarements d’étudiants en herbe dans une littérature sacrée – ou dans ses interprétations – dont ils ne comprennent pas le sens.

Mais le cliché selon lequel les hommes seraient les seuls détenteurs du privilège d’opprimer et de faire régresser la société est balayé dans le film car les exciseurs sont toujours des exciseuses. Les témoins critiques des visites du petit ami de Dunia sont aussi les femmes au foyer, jalouses de cette liberté jamais connue, sinon perdue après leur mariage.

Dans les cités, les filles s’observent et se jugent selon des critères d’un autre âge : laquelle d’entre elles n’est plus vierge ? Quelle est celle qui couche ou celle qui aguiche ? Elles se toisent et se comparent dans le souci constant de ne surtout pas se distinguer. Car le langage du vêtement et du corps plaident plus fortement encore que les mots pour une singularité qu’elles se refusent d’assumer.

Un regard aussi inquisiteur que réducteur qui les prive d’une partie d’elles-mêmes et les contraint souvent à choisir un camp : musulmane ou libérée, pratiquante ou laïque, etc. Si les critiques et l’oppression masculine sont biens connues, l’oppression des femmes par elles-mêmes, leur auto-dévalorisation et leur rejet même d’un libre arbitre est à la fois plus surprenant, plus sournois et terriblement plus ravageur.

Abou Nouas, Ibn Hamza, Ibn Arabi et d’autres encore sont les poètes arabes – tous des hommes – auxquels se réfère Béchir, le professeur de Dunia, pour lui parler de liberté et la guider dans sa quête de soi. On comprend par là que c’est par la culture et la connaissance qu’elle parviendra à s’affranchir du poids de la société sans passion, « excisée » de sa liberté dans laquelle elle vit.

L’ignorance de la culture de leurs parents, celle dont elles se revendiquent est à l’origine de l’égarement des jeunes filles issues de l’immigration dans les plis et replis de leurs voiles. Elles en ont une connaissance biaisée au travers soit d’interprétations archaïques, soit de traditions perpétrées dans le cercle familial. Ce sont les repères auxquelles elles s’attachent d’autant plus qu’elles se sentent évoluer en marge de la société et que les tient le désir de s’affirmer et de se différencier. Ces traditions ne sont pourtant bien souvent ni musulmanes ni arabes ; elle puisent leur source dans le substrat d’ignorance culturelle dans lequel le monde arabo-musulman s’essouffle aujourd’hui.

Dunia a 23 ans, un âge plein de rêves où tout semble encore possible. Si la quête de soi passe par la connaissance de sa propre culture, elle passe aussi par l’affranchissement du modèle parental pour nous exprimer selon notre personnalité. Dunia s’affranchit des chorégraphies de sa mère pour se révéler à elle-même. Il est aussi toujours plus confortable pour une jeune fille évoluant dans un monde de préjugés et de critiques de se réfugier dans les extrêmes. Pourtant le courage et la force de Dunia, évoluant dans une société autrement plus archaïque et étouffante que le nôtre, est un message d’espoir pour les jeunes filles dont le rêve n’est pas d’imiter sans comprendre. Même dans les banlieues les plus pauvres elles ont donc le choix, à elles de trouver la volonté de saisir leur chance.

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