Compañeras et compañeros

Nous remercions la Coordination indigène péninsulaire et le Congrès national indigène qui nous ont donné une place dans cette rencontre.

Nous remercions aussi nos amis de Candelaria, Campeche, pour être le siège où nos paroles et nos pensées se rencontrent et poursuivent leur chemin.

Ce sont nos paroles comme indigènes zapatistes que nous sommes. Nous saluons non seulement la racine maya qui nous unit aux peuples indiens qui confèrent la dignité aux sols et aux cieux du Quintano Roo, du Yucatán et
du Campeche.

Mais également la grande racine qui nous fait un avec tous les indigènes de notre pays.

Si auparavant, dans le Congrès national indigène, nous avons rencontré la dignité indigène avec ses différentes langues, cultures et coutumes luttant pour nos droits, maintenant dans l’Autre Campagne nous avons
encore rencontré des peuples indiens et d’autres compañeras et compañeros qui sont ceux d’en bas à gauche.

Notre cause comme peuples indiens est vivante et présente grâce, entre
autres, à nos amis du Congrès national indigène, notamment les peuples
indiens de la région Centre-Pacifique.

Avec eux nous sommes entrés dans cette nouvelle étape qui cherche à construire une nouvelle manière de faire de la politique anticapitaliste et de gauche pour dresser un programme national de lutte et une nouvelle
Constitution et que nous appelons l’Autre Campagne.

Au sein de ce mouvement, nous apprenons à appeler compañeras et compañeros l’ouvrière et l’ouvrier, le paysan, l’étudiant, l’instituteur, la femmes adulte, adolescente et enfant, l’ancien, l’employé, l’artiste, l’intellectuel, le religieux engagé, la personne différente pour sa préférence sexuelle, le jeune, de nombreuses personnes qui sont démunies, exploitées, méprisées et réprimées par un système qui a fait de l’argent sa loi et de la simulation sa doctrine.

Aussi différents que nous soyons, nous avons rencontré une égalité en cherchant et découvrant le responsable de nos douleurs : le système capitaliste.

Nos luttes individuelles ne se sont pas perdues mais ont grandi, non seulement parce qu’elles unifièrent leur colère à d’autres mais aussi parce qu’elles établirent qui était l’ennemi et décidèrent de l’affronter.

Notre lutte pour la liberté, la justice et la démocratie sait qu’elles ne
sont pas possibles dans le système qui s’est imposé à feu et à sang dans
notre pays.

La liberté qui a été arrachée à nos compañeras et compañeros d’Atenco en
prison, aux centaines de prisonniers politiques, de disparus et de
persécutés dans notre pays.

La justice que l’on refuse maintenant au peuple d’Oaxaca qui exige au sein
de l’Assemblée populaire d’Oaxaca la sortie du mauvais gouverneur Ulises
Ruiz.

La démocratie qui s’est convertie en fraude et en farce éhontée lors des
dernières élections présidentielles et qui est sur le point de se
convertir en tombeau de la vie électorale.

Nous qui sommes dans l’Autre Campagne nous cherchons à construire une
autre liberté, une autre justice et une autre démocratie.

Nous savons que pour ça nous devons détruire le système capitaliste et
chercher, ensemble, un autre pays.

Dans ce parcours, nous devons aussi construire notre espace comme des gens
différents, défendant notre identité et notre histoire.

En tant que peuples indiens que nous sommes, cette construction ne peut
pas être laissée de côté ou subordonnée.

Elle a son propre rythme, sa propre logique, son propre destin.

C’est ainsi que nous l’avons vu dans ce grand mouvement où certaines
personnes continuent à ignorer notre différence ainsi que celle d’autres
hommes et femmes en voulant imposer leur vision et leur décision.

C’est pourquoi, loin des moyens de communication et des affaires
« importantes » là-bas en haut, au sein de l’Autre Campagne, nous continuons
d’avancer en tant que peuples indiens, nous nous réunissons, nous nous
rencontrons, nous passons nos accords et nous travaillons à construire une
identité, la nôtre, au sein de l’Autre Campagne et à l’intérieur de notre
pays.

Également, comme zapatistes, nous continuons à ouvrir notre cœur et à
prêter l’oreille à la pensée de ceux qui luttent à nos côtés.

Sans faire de raffut, notre oreille recueille les paroles des différentes
terres et réalités, mais toutes d’en bas et de gauche.

Par cette pensée comme compañeros, nous préparons nos prochains pas.

Cette rencontre de peuples indiens, maintenant sur les terres de la
péninsule, est part de ce processus que nous traversons.

Voici notre parole.

Tandis qu’en haut le bruit et l’agitation des puissants essaient d’imposer
encore une fois un mauvais gouverneur en l’intronisant avec le mensonge et
le mépris.

Tandis qu’il se dit et se répète que seul comptent le regard et la voix
qui se dirigent vers le haut.

Tandis que se diffuse entre cœurs bons et nobles que rien n’est grave si
on ne suit pas le mouvement qui aspire à être en haut.

Tandis que partout s’achète et se consume le mensonge qui empêche le
regard critique et l’analyse profonde.

Alors que l’on oublie à nouveau que notre couleur est la couleur de la
terre, même de la part de ceux qui disent chercher « le bien de tous ».

Alors qu’en haut ils se regardent entre eux et parmi eux personne ne
s’écoute.

En ces temps de bruit et de confusion, la parole que nous sommes revient à
la rencontre de nous-mêmes parmi ceux qui sont comme nous.

Nous, hommes et femmes zapatistes de l’EZLN, nous savons comme vous que le
lendemain se trouve dans la nuit, dans le silence, dans l’ombre.

Nous savons que la grande porteuse du monde, la mère, la Ceiba, a ses
racines dans ce qui est en bas, en profondeur, dans ce qui ne se voit pas
et que de là surgissent et se soutiennent le monde et les cieux qui se
voient et s’admirent.

Et ainsi est notre pensée.

La pensée que nous sommes passe et chemine longtemps dans notre cœur avant
de se faire parole et chemin qui invite à un destin ceux qui sont en bas
avec nous.

Et cette façon à nous exaspère beaucoup ceux qui se pressent et bougent
avec le bruit d’en haut.

Si nous ne marchons pas à la vitesse et sur les traces de ceux qui sont en
haut, on dit que nous n’existons pas, que nous sommes abattus, que nous
sommes morts, que c’est fini, que nous nous sommes trompés, que nous
n’avons pas profité de l’occasion, que nous avons perdu.

Mais nous, hommes et femmes, savons que chaque fois que nous avons marché
au rythme d’en haut et cherché un endroit pour notre parole parmi ceux qui
sont le Pouvoir ou y aspire par le chemin que le Pouvoir établit, nous
perdons.

Nous savons déjà que ce n’est pas en haut, ni dans le temps ni dans
l’espace, que nous trouverons ce que nous cherchons, ce dont nous avons
besoin, ce que nous méritons.

Nous avons appris. Nous savons maintenant.

C’est avec ceux qui sont comme nous parce qu’ils sont différents.

Là-bas en haut, ils nous offrent un chemin plein de lumières, de prestige,
de gloire, d’applaudissements, de salutations de ceux dont le travail est
la pensée et la parole.

Mais ce chemin ne conduit pas où nous voulons aller.

S’il débouche ailleurs, pourquoi devrions nous joindre nos pas à ceux des
autres, même s’ils sont nombreux les autres, dans ce chemin qu’ils tracent
en haut ?

Nous avons appris. Maintenant nous savons.

L’endroit où nos pas trouveront la liberté, la justice et la démocratie
n’existe pas.

Nous devons le créer.

Et nous devons le faire ensemble avec d’autres qui sont différents dans
leur douleur et leur histoire mais sont pareils pour celui qui nous vole
et nous opprime, celui qui nous méprise et nous exploite.

Et à cet endroit doit être la couleur de la terre que nous sommes, avec
notre propre pas, à notre manière.

Compañeras, compañeros,

Ici, dans ces terres mayas, rappelons-nous de la Ceiba madre, et de
l’histoire de la pensée qui s’embrasse en son corps. Et nous la racontons
avec les paroles de qui fut notre chef et qui portait en son sang la
dignité des indigènes mayas. Voici…

L’histoire de la pensée

Les plus anciens de nos ancêtres, les anciens sages de nos peuples,
racontaient que les plus grands dieux, ceux qui donnèrent naissance au
monde et le firent marcher pour qu’ensuite ce soit nous qui le
parcourions, avaient tout laissé inachevé.

Et ils ne le firent pas par paresse ou parce qu’ils étaient partis faire
la fête et avait complètement oublié.

C’était de toute façon leur dessein parce que les mondes complets et
terminés sont ceux qu’imposent ceux d’en haut, qui ont fait de l’argent un
dieu et de la stupidité humaine une prêtresse qui, de temps en temps,
comme maintenant, par le mensonge se fait gouvernement.

Ainsi il y eut beaucoup de choses qui restèrent en plan dans le premier
monde que firent ces tout premiers dieux qui donnèrent naissance au
chemin.

On dit, par exemple, que la pensée ne naquit pas des dieux.

C’est-à-dire que la pensée ne naquit pas comme nous la connaissons
maintenant mais qu’elle était juste une graine qui restait là afin que la
prenne quiconque la ferait naître et lui prêterait forme et style et
chemin et destin.

Et depuis lors nombreuses furent les pensées qui naquirent. Et pas
seulement une ou quelques-unes sinon autant que les couleurs qui peignent
le monde où nous étions et sommes encore.

Et c’est ainsi, par exemple, de la pensée qui dit que seul importe un
homme ou une femme, que le collectif ne vaut rien, ne compte pas, qu’il
faut chercher le bien-être individuel même si c’est au prix du mal
collectif.

Et c’est la pensée qui domine maintenant et c’est le gouvernement et la
vérité imposés sur nos terres indiennes.

Et c’est la pensée qui cherche à nous exterminer pour ce que nous sommes
et essaie de convertir notre histoire, notre culture, notre terre, notre
dignité en marchandises.

Mais cette pensée se revêt de maints déguisements qui trompent et cachent
sa vraie nature.

Et quelques fois elle se revêt des habits de la liberté, et elle ment.

Et parfois d’une robe de justice, et elle ment.

Et parfois d’un manteau de démocratie, et elle ment.

« Égalité » dit celui qui est en haut car de notre douleur il s’enrichit.

Et la liberté qu’il promet est celle qu’il recherche pour faire commerce
de notre sang.

Et la justice qu’il défend est celle qui le laisse sans châtiment et
persécute celui qui en bas ne se rend pas.

Et la démocratie qu’il proclame est celle de la résignation en face des
différents visages du même Pouvoir qui nous vole, nous exploite, nous
méprise et nous persécute.

Mais il y eut et il y a une autre pensée.

La pensée qui sait que celui qui vit de notre sang, en haut et celui, en
bas, qui fait tourner le monde avec son travail ne sont pas égaux.

La pensée qui connaît l’histoire du combat qui en bas fait mal.

La pensée qui cherche à construire autre chose et un autre monde.

La pensée qui ne se conforme pas avec ce que les yeux voient et les
oreilles entendent mais qui commence à regarder et à écouter ce qui
n’apparaît pas ni n’a de son.

La pensée qui remonte le moral de nos compañeros et nos compañeras
d’Atenco en prison et qui résistent avec elle à l’injustice et à l’oubli.

La pensée qu’arborent nos amis d’Oaxaca qui luttent pour se libérer du
mauvais gouvernement qui les opprime.

La pensée qui fait son chemin dans ceux qui ont fait leur une nouvelle
façon de faire de la politique qui ne regarde, ni n’aspire, ni ne soupire
vers ceux d’en haut, qui nous méprisent.

La pensée pour laquelle comme peuples indiens et zapatistes de l’EZLN nous
luttons.

Compañeras et compañeros,

La légende indigène maya qui raconte que la Ceiba madre, arbre-mère,
porteuse du monde, plonge ses racines dans l’inframonde et de cette force
soulève et soutient les cieux, vise non seulement l’histoire que nous
fûmes mais aussi révèle ce que nous sommes et serons ce lendemain qui
contient notre chemin et celui des autres.

Comme zapatistes que nous sommes, comme peuples indiens de racine maya,
comme compagnons de combat, nous saluons les paroles et les histoires qui
se disent et se trouvent ici.

Et voici ce que nous disons :

La lendemain de liberté, de justice et de démocratie que nous nécessitons
et méritons aura notre couleur, la couleur de la terre, ou ne sera pas.

Recevez compañeros et compañeras, notre salut, la plus petite chose au
monde qui n’est aujourd’hui que pensée et pas dans l’ombre mais qui
s’approche déjà d’une aube nouvelle, celle qui dépouillera le matin de la
peur et de la honte.

Avec les peuples indiens !
Liberté pour les prisonniers et prisonnières d’Atenco !
Justice pour les gens d’Oaxaca !
Démocratie pour le Mexique d’en bas !

Pour le Comité clandestin révolutionnaire indigène –
Commandement général de l’Armée zapatiste de libération nationale
Pour la Commission Sexta de l’EZLN
Sous-commandant insurgé Marcos
Mexico, août 2006

Traduction Claudine Madelon.
Source : Narco News