Nahel Merzouk est mort le 27 juin dernier entre les mains de la police. Son meurtre a provoqué « une révolte face à laquelle s’est déchaînée une succession de violences politiques, médiatiques et symboliques, preuves du racisme systémique en France ». Un ensemble de militant·es antiracistes et allié·es, entrant en lutte et invitant toutes les personnes qui le souhaitent à les rejoindre, pour « construire un véritable mouvement social antiraciste en coordination avec les autres initiatives existantes ».

Il aura fallu plusieurs jours pour sortir de la sidération, de l’effroi puis de la rage dans laquelle nous a plongé·es l’exécution de Nahel. Au moment même où la révolte nous rappelle notre capacité à réagir, le meurtre de Mohamed B., tué par un tir de LBD à Marseille, celui de Carl Tarade en marge des affrontements en Guyane et le coma d’Aymen, qui fait suite à un tir n pleine tête du RAID, nous renvoient à nouveau au même effroi.

Ces morts font éclater au grand jour que la vie d’un Arabe, d’un Noir, d’un jeune de quartier, peut lui être retirée à tout moment, par l’Etat ou des forces racistes qui le suppléent. Ça aurait pu être n’importe quel·le jeune de banlieue, Arabe, Noir·e, Rom, Juif·ve, Asiatique, métisse ou identifé·e comme tel. Ce furent Monzomba, Alhoussein, Zineb, Cédric, Ibo, Adama, Souheil, Ali, Babacar, Angelo, Shaoyao, Lamine et tant d’autres.

Plutôt que de le reconnaître, l’Etat s’est organisé pour faire taire toute contestation, quitte à bafouer les principes élémentaires de la justice. Alors que deux des principaux syndicats de police appellent à la sédition, nous affirmons ici notre soutien aux révolté·es et demandons immédiatement leur amnistie au vu du caractère politique, disproportionné et expéditif de la justice qui a été rendue ces dernières semaines.

Que nous soyons ou non directement concerné·es, nous proposons aujourd’hui de nous rassembler en vue de créer un cadre d’écoute et de complicité active. Nous voulons contribuer à penser un antiracisme intransigeant sur ses principes pour protéger chacun·e d’entre nous ; qui rassemble autour de lui en construisant une culture antiraciste partagée ; qui soit visionnaire car capable d’entraîner la société avec lui. Nous proposons ici certains actes fondateurs, en vue de nous réunir et de construire ce nouvel espoir.

Nous appelons à refuser d’obtempérer

Nous disons aux révolté·es « on vous entend et on vous croit ». Nous n’avons aucune leçon à donner, vous êtes les survivant·es d’une violence inouïe qui a blessé et mutilé tant les corps que les esprits et souvent brisé des avenirs. Certain·es d’entre nous subissent ce même racisme sous d’autres formes, d’autres en sont témoin·es et le combattent.

Nous sommes lucides : la réponse ne viendra pas des politiques actuellement en position de pouvoir, ces dernier·es font soit partie du problème, soit n’ont pas les outils ou la volonté de le prendre à la racine. Nous appelons à refuser d’obtempérer face à la violence des injonctions au “calme” et à l’unité nationale contre les jeunes “des quartiers”.

Nous entrons, avec nos propres modes d’action, en solidarité et en lutte active. Nous appelons celles et ceux qui refusent ce système discriminatoire sans en subir toute la violence à utiliser leur pouvoir dans tous les espaces où il s’exerce pour y mettre fin.

Tandis que le Président célèbre la mémoire de Pétain, nous préférons ainsi nous rappeler l’histoire des Justes qui ont protégé les juif·ves, tziganes, communistes et autres victimes de la terreur qui s’installait dès les années trente.

Nous appelons l’ensemble des citoyen·nes et résident·es étranger·es en France à basculer vers un antiracisme politique, forgé sur l’expérience d’une génération qui a grandi après 2005, puisant dans notre longue histoire, celle des combats des banlieues, des quartiers populaires et de l’immigration, des luttes contre l’antisémitisme et contre toutes formes de racismes et de discriminations. Nous appelons à construire un large mouvement social antiraciste où l’”après” mort de Nahel se mue en “plus jamais ça”.

Reconnaître le racisme pour ce qu’il est

On ne peut comprendre pleinement ce qui se joue aujourd’hui sans reconnaître le racisme pour ce qu’il est : une oppression historique, institutionnelle et systémique, qui s’inscrit dans la continuité d’une histoire coloniale, sous-tend, organise et alimente le fonctionnement de notre société.

Ce racisme, qui permet la mise à mort d’individus par la police, permet également de mener une politique d’Apartheid social et économique dans les banlieues, les quartiers populaires et les départements et territoires dits “d’outre-mer” en organisant la casse des services publics.

Ce racisme touche aujourd’hui de manière flagrante les parents des révolté·es, notamment les mères qui, en plus de subir de la précarité, des lois et règles discriminantes, sont criminalisées, déshumanisées et stigmatisées. Il s’applique aux migrant·es qu’on laisse mourir à nos frontières ou qu’on trie selon des critères utilitaristes et capitalistes, mais aussi “culturels” et “ethniques”. Cette logique s’inscrit dans la stricte continuité de la colonisation mais aussi de l’esclavage et de la traite négrière qui déniaient “l’âme” de celles et ceux dont les terres et les corps étaient spoliés.

Ce racisme alimente l’implantation croissante de l’extrême droite dans notre pays et s’exprime au sein des partis et gouvernements de droite et de gauche. Il a justifié et justifie la mise en place de stratégies répressives envers les quartiers populaires et les populations racisées, stratégies qui se sont ensuite étendues dans d’autres espaces sociaux, comme en témoignent la férocité de la répression policière des mouvements sociaux, la dissolution d’associations musulmanes puis antiracistes puis écologistes, la stigmatisation et l’amalgame au « terrorisme » etc. Cette ambiance fascisante que nous voyons s’installer prépare à un basculement majeur et met l’extrême-droite aux portes du pouvoir.

La suite sera notre fait collectif

La charge raciale qui repose sur les personnes discriminées, souvent doublée d’une charge sociale, est indéniable. On ne peut pas leur demander de renverser seules tout un système vicié alors qu’elles en subissent les violences.

Nous appelons à de nouvelles alliances, qui respectent la parole, l’initiative, les choix, les traumatismes comme les erreurs des personnes concernées, sans lesquelles aucune solution ne peut se dessiner.

Nous exigeons l’abrogation immédiate des lois suivantes et de tant d’autres : la loi de 2017 sur le refus d’obtempérer, délivrant à la police un permis de tuer hors légitime défense, qu’il faut abroger de toute urgence avant un quelconque nouveau drame ; la loi dite « séparatisme » (« loi confortant le respect des principes de la République ») et la loi sécurité globale ; ou encore celle dite « asile et immigration » en préparation.

Nous exigeons réparation pour le traumatisme colonial qui se réactive constamment, à l’instar des répressions des révoltes de 2005 et de 2023. Nous nous organiserons pour créer les conditions d’une reconnaissance, d’abord par nous-mêmes et nos allié·es, tant que l’Etat ne le fera pas.

Notre engagement ne s’arrêtera pas à quelques lignes. Nous souhaitons nous rencontrer, de nous connaitre, nous écouter, nous former, formuler une parole commune ; nous organiser pour contribuer à la construction d’un véritable mouvement social antiraciste en coordination avec les autres initiatives existantes ; dans un cadre collectif transparent, respectueux de chacune des paroles, sécurisant pour les personnes concernées par le racisme et toute autre discrimination ; accueillant avec espoir le soutien des allié·es qui souhaiteraient participer.

Le nouvel universel qui reste à construire sera fondé sur nos expériences, nos colères et nos espoirs. La suite sera notre fait collectif, suivant des chemins sur lesquels – pour reprendre la formule de la sociologue Maaï Youssef – nous marcherons côte à côte.

Vous pouvez soutenir dès maintenant cet appel en le signant et en le diffusant autour de vous, notamment via la page Instagram « Nous refusons d’obtempérer ». Les nouvelles signatures ne seront pas rendues publiques. L’équipe d’animation vous re-contactera pour organiser des initiatives dès la rentrée.

Pour signer, c’est ici. Pour toute autre demande, vous pouvez écrire à : nousrefusonsdobtemperer@gmail.com 

Voir la liste des premiers signataires :

https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/190723/face-au-systeme-raciste-nous-refusons-dobtemperer

https://ujfp.org/face-au-systeme-raciste-nousrefusonsdobtemperer/