Natacha, 18 ans, parle de son parcours militant, intellectuel et personnel. Comment en est-elle venue à s’impliquer dans les luttes sociales et dans la lutte révolutionnaire ?

D’origine marinière, marginale, réfractaire à l’école (et à l’idée même d’éducation en général (voir son article sur le lycée autogéré de Paris dans Le monde libertaire), réfractaire au travail, réfractaire à la mode et à tous les conformismes, passionnée de lutherie, d’art, de lecture, elle dit avoir toujours eu du mal à trouver sa place, jusqu’à sa rencontre avec les anarchistes.

Quelques extraits :

Aussi loin que je me rappelle, l’autorité c’est un truc que je ne supportais pas. J’ai pas été éduquée avec autorité, je ne vivais pas dans un climat autoritaire. Dès l’école, quand je voyais la condescendance des profs, que mes camarades de classe se faisaient taper dessus par leurs parents, je ne comprenais pas. Je disais : mais ils sont fous vos parents ! Donc, par rapport à ces réalités là, à mon éducation qui était complètement marginale, je me définissais comme “en dehors”. J’essayais de chercher des mots qui collent à la manière dont je me définissais : “pas pareille”…

Ma première manif, c’était un premier mai, j’avais quatorze ans. En sortant du métro, j’étais comme une folle en voyant toute cette foule, parce que j’avais toujours eu de la sympathie pour les manifestations, même si je n’en avais jamais fait. D’abord je vois la foule, des gens qui avaient l’air de se marrer, et ça me plaisait bien. Puis, je vois les ballons syndicaux, les banderoles, les symboles de partis, etc. Je suis allée demander pour chaque organisation qui elle était, ce qu’elle faisait. Jusqu’au moment où je tombe sur un cortège (ça devait être C.N.T. / F.A.), ils avaient des drapeaux rouge et noir. J’ai demandé à mon père qui ils étaient : “C’est les anarchistes…” Ça me parlait pas beaucoup, ce mot là. “…Ceux qui n’ont pas de chef.” Je me suis dit oh bah ça colle !

Je viens d’une famille de bateliers. Cet environnement familial m’a pas mal influencée. Mon grand-père était accordéoniste pour les bals musette le dimanche. Sinon, il passait sa journée sur une péniche tractée avec des ânes à regarder la nature, à siffloter. C’est la première source de l’image d’un “en dehors”. Et puis l’endroit où je vivais, c’est pas très commun non plus : c’est un chantier de fabrication de bateaux amateur. Ce milieu, ça faisait une coupure nette avec la réalité des personnes autour de moi : le joyeux bordel, c’était ma première vision de l’anarchie et je crois que ça l’est encore.

L’anarchisme englobe tous les moindres détails de ta vie. Je suis dans une vision artistique, poétique, de l’anarchisme. Évidemment, l’axe des luttes sociales est quelque chose que je partage complètement ; mais pas pour conserver, pour mettre en exergue la classe ouvrière, mais pour faire sauter l’idée même de classe sociale. Je trouve que c’est quelque chose d’horrible de te mettre dans une case et de te prédestiner à quoi que ce soit et surtout de te mettre dans la case de l’exploitation. Bien sûr, je me rends bien compte qu’elles existent, ces classes, et je veux me tourner vers l’idée de disparition des classes. Contrairement aux jeunes dans le film dont on a parlé la semaine dernière, Passe ton bac d’abord, j’ai jamais pensé que j’étais prédestinée à aller travailler.

Pour moi, la lutherie c’est pas un travail : c’est une passion, qui va quand même mettre du beurre dans les épinards, parce que la réalité à laquelle je ne peux pas échapper, c’est le système monétaire ! Dès la maternelle, mes premiers souvenirs de l’école, par rapport aux autres enfants (on pourrait les comparer à des collègues de bureau…) je voyais que je n’avais pas de centres d’intérêt en commun avec eux, dès le début, c’était inexpliquable… Je ne sais pas si c’était de la révolte, mais c’était quelque chose de physique de ne pas vouloir aller avec les autres. Plus tard, contre les profs, qui s’arrogent le droit de te donner des punitions. Au collège, je les faisais pas, mes devoirs. Les profs, c’est un rapport d’autorité permanent, pareil qu’avec un contremaître ou un patron.

Ce qui fait que je suis anarchiste, c’est la dimension sociale (— Natacha est de toutes les manifestations contre la réforme des retraites…) mais aussi une rage contre les modes et le suivisme. C’est pas de dire vous êtes une bande de cons et c’est inchangeable, mais que tu veux faire en sorte qu’on ne soit pas dans une société figée comme actuellement. Si on crée des moules à êtres humains, que dès la naissance tu es conditionnée, qu’on fabrique des ouvriers en les faisant passer par l’école ou par l’université pour faire perdurer tout ce système-là, c’est pas une société qui crée des individus. Je repense au film The wall

On ne peut pas faire une “fabrique de libertés”, on ne peut pas reprendre le système et faire une école plus libre mais une école quand même, faire un travail plus libre mais un travail quand même. Je pense qu’il faut mettre à plat tout ça, parce que ça ne permet pas à n’importe qui qui naît de devenir un individu qui sera vraiment d’un bout à l’autre une construction originale. J’en reviens à cette dimension un peu poétique du mouvement libertaire : c’est se dire que le but est de créer quelque chose qui donne à chaque individu la possibilité de s’exprimer, de prendre en main tous les aspects de sa vie et de créer réellement la sienne.

https://paris-luttes.info/itineraire-d-une-jeune-militante-16748