Communiqué de Tiphaine Lagarde co-fondatrice du collectif et sanctuaire 269 L.A.
Catégorie : Global
Thèmes : AntipatriarcatLibération animale
Lieux : France
Communiqué de Tiphaine Lagarde co-fondatrice du collectif et sanctuaire 269 L.A.
À Poupou, Lydia, Amal et Nour.
Ni oubli, ni pardon.
« Quand on est à l’intérieur d’une histoire d’amour, c’est exactement ça : le cocon, ce truc épais qui se crée en quelques minutes, collant, doux, soyeux mais opaque. De l’intérieur, on ne voit rien : on ressent, on est collé à la chair des histoires, on y végète, la plante de nos vies a beau être dévorée, dévastée – on se nourrit du désastre, on n’en sort pas. »
(Virginie Despentes)
[PROLOGUE : Ce communiqué est l’arme que j’ai choisie pour rendre les coups après des mois de souffrance, de traumatisme et d’une déchirante injustice qui me plonge en état perpétuel de sidération. Il est publié en défense face à la situation de domination que nous subissons, mes camarades et moi, victimes d’une prise de pouvoir autoritaire et violente de Ceylan Cirik. Mon ex-compagnon et complice de lutte, avec lequel j’ai fondé le collectif et sanctuaire “269 Libération Animale”, risqué tant de fois la prison et organisé quarante-deux actions directes à travers toute l’Europe, est aujourd’hui devenu un ennemi qui cherche à m’anéantir (qu’il s’agisse de ma personne, de mon travail, de mes idées, comme de tout ce que nous avons accompli ensemble). Durant les sept années qui viennent de s’écouler, j’ai éprouvé avec brutalité la difficulté d’une lutte engagée contre des ennemis féroces et tout-puissants, mais il est encore plus douloureux et traumatisant d’avoir aujourd’hui à combattre celui qui fut mon meilleur allié.
Depuis novembre dernier, ce dernier s’est illégalement approprié les personnes animales qui y survivent et la jouissance exclusive du site de l’association Sanctuaire Libération Animale dont nous sommes lui et moi co-président.e.s. Depuis sa création en 2016, j’ai œuvré chaque jour pour notre sanctuaire, à la fois concrètement en prenant part aux tâches quotidiennes (nourrissage, nettoyage, gestion administrative, soins vétérinaires) mais aussi de manière plus invisible en me battant pour que les animaux soient en sécurité face à la D.D.P.P. et toutes les autorités qui les menacent, pour qu’il puisse rayonner comme un vrai lieu de lutte porté par une théorie politique puissante et soutenu par l’accueil régulier de camarades partageant cette même vision d’un antispécisme de l’ici et maintenant, pour qu’il puisse évoluer et accueillir de nouveaux.elles évadé.e.s grâce à divers projets financés par des cagnottes et des événements solidaires. Ce lieu a toujours reposé sur une complémentarité et complicité entre Ceylan Cirik et moi-même, aidé.e.s dans ce combat quotidien par des ami.e.s qui, depuis de longues années, s’investissent à nos côtés.
Mais trahissant tous ces efforts et précieux liens, il a fini par transformer nos idéaux en décombres et nos rêves en ruines. Mué par une haine irrationnelle, il m’a fait disparaître dans son ombre masculiniste et cherche à réécrire l’histoire de notre lutte en reniant et effaçant tout ce que j’ai construit avec 269 Libération Animale, de même que tout ce qui a été rendu possible grâce à ce collectif. Car sans la puissance politique de ce dernier, sans sa capacité à fédérer et engendrer la solidarité comme la camaraderie, jamais un tel sanctuaire avec tant d’individu.e.s accueilli.e.s et de menaces à combattre n’aurait pu voir le jour.
Il n’y a toutefois pas d’histoire muette, on a beau la brûler, la briser, la tromper, elle refuse d’être bâillonnée et il est temps de raconter ce qui arrive. Avant son retour en force mi-novembre 2022, Ceylan Cirik a abandonné sans préavis le sanctuaire durant presque trois mois, me laissant, du jour au lendemain, seule avec les animaux sans daigner fournir la moindre explication après sept années de vie et lutte commune. Ses récents agissements, qui révèlent toute la perversité du procédé utilisé, me poussent à sortir du silence car la situation est grave : il vient en effet de créer une nouvelle association domiciliée en Belgique (dénommée « Terre de roses ») avec l’aide de deux soutiens. Et ensemble, par le truchement de cette organisation colonisatrice et oppressive, iels occupent le terrain loué par l’association Sanctuaire Libération Animale au mépris des termes du contrat de bail rural qui nous fût accordé – ce qui met gravement en danger les animaux -, et iels m’éliminent avec brutalité et cruauté de l’histoire de ce lieu, ainsi que tou.te.s les ancien.ne.s camarades, en affichant un récit totalement mensonger et surréaliste sur les réseaux sociaux (on peut par exemple lire que l’un.e des associé.e.s de cette organisation parasite aurait « créé » ou « repris un refuge »… C’est une abomination frauduleuse alors que tout le monde sait que le sanctuaire existe depuis 2019 !). Ceylan Cirik et ses allié.e.s ont mis les animaux qui y vivent au centre d’un infâme enjeu de domination et de pouvoir, iels ont détérioré le matériel de l’association et effacé tous les souvenirs collectifs et intimes. Iels s’attribuent le résultat de l’immense travail fourni pour parvenir à faire survivre cette terre d’accueil durant tant d’années et ont progressivement installé un tel climat de terreur et de violence sur le site que ni moi, ni les ancien.ne.s camarades agressé.e.s par Ceylan Cirik depuis novembre, ne pouvons plus y accéder sans craindre pour nos vies. J’ai pourtant organisé et mené avec lui la libération de la majorité des animaux accueillis au sanctuaire, pris soin d’eux quotidiennement, nous formions une famille et avons traversé de multiples épreuves ensemble ; et aujourd’hui je suis privée de tous mes droits et me retrouve dans l’incapacité d’assumer mes responsabilités envers eux.
Poussant encore plus loin l’horreur, Ceylan Cirik a annoncé se désolidariser du collectif “269 Libération Animale” qu’il a pourtant co-créé, porté et défendu avec moi durant sept années, et ce après tout ce que lui et moi avons organisé comme actions directes, construit et risqué sous ce nom… Et le pire c’est qu’il cherche à légitimer sa trahison et son œuvre de destruction en usant de propos diffamatoires et mensongers à l’encontre du collectif (car depuis 2019 et sur mon initiative, le collectif qui revendique les actions directes est scindé de l’association qui gère le sanctuaire, afin de protéger les animaux en cas d’interpellation et de condamnation, et pour éviter que lui et moi soyons systématiquement reconnu.e.s comme responsables-organisateurs aux yeux de la Justice) : il accuse en effet “269 Libération Animale” d’être « sioniste » ! Une accusation totalement surréaliste qui fait sans doute référence aux origines israéliennes du mouvement “269 Life” bien que celui-ci, même s’il est problématique à bien des égards, n’ait néanmoins jamais affiché défendre le sionisme. Un raccourci gravissime donc, une manœuvre hypocrite et lâche alors que toute notre évolution depuis les premiers happenings de rue en 2015 s’est précisément construite sur une scission avec le sous-bassement idéologique et les pratiques de lutte du mouvement “269 Life” et nous avons d’ailleurs tous les deux publié et signé un communiqué de presse pour l’expliquer le 3 février 2020. Notre collectif s’est précisément distingué par la promotion d’un antispécisme politique de gauche incarné dans des actions visant les structures capitalistes, un discours intersectionnel défendu dans de multiples conférences et textes, et nous n’avons jamais caché notre sympathie et solidarité avec les luttes décoloniales qui sont, en outre, des sources d’inspiration constantes pour la théorie antispéciste portée par 269 Libération Animale. Alors Ceylan Cirik est-il atteint d’amnésie subite pour proférer de telles inepties ou fait-il juste preuve d’une mauvaise foi qui frôle le ridicule ? Comment ne pas hurler face à un tel mépris envers tou.te.s les activistes qui depuis sept années prennent des risques à nos côtés, nous font confiance et croient en la stratégie portée ? Il s’évertue à renier et dénigrer tout le cheminement qui, des actions de rue, devant les sièges sociaux jusqu’aux blocages et libérations, a fait l’histoire de “269 Libération Animale” : 42 actions directes menées, 1560 animaux libérés et des complicités forgées à travers toute l’Europe.
Ce long communiqué, préparé depuis des semaines, a pour objectif d’informer en détail de cette situation (et il m’était impossible de le faire en quelques phrases), je veux lever le voile sur le comportement de Ceylan Cirik après des années de silence et surtout aborder l’avenir du collectif et du sanctuaire.]
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I- SIDÉRATION.
Je pourrais commencer ce texte par un fracassant « Cher connard », aussi direct et efficace qu’un titre de Virginie Despentes, parce qu’après tout, il n’y aurait pas de mal à donner un bon coup de couteau dans le mythe du héros viril et dire crument la vérité aussi laide et décevante soit-elle ; mais ce n’est peut-être pas une forme suffisamment sérieuse, convenable, pour raconter et dénoncer une terrible histoire de domination qui met aujourd’hui en danger l’avenir du collectif “269 Libération Animale“ et de son sanctuaire. Une histoire qui se terminera, je l’espère, par celle d’une libération, la mienne mais aussi celle de mes camarades animaux et humain.e.s, parce que malgré l’infinie douleur et l’injustice subie, je me battrai de toutes mes forces avec elleux pour que tout ce qui a été construit et accompli, au prix de tant d’efforts et de condamnations, se poursuive ; pour que les animaux libérés puissent survivre dans un vrai lieu de lutte entourés de leurs proches ; pour que cette alliance si puissante d’une théorie et pratique radicale qui a fait “269 Libération Animale” continue pour longtemps de propager le goût de l’action directe, d’inspirer un antispécisme politique et révolutionnaire, de fédérer des complices par-delà les frontières et de donner des coups de pied-de-biche dans les portes des abattoirs.
Dans ma gorge, les mots sont âpres, ils m’écorchent et sortent rauques d’une tristesse qui, elle, ne se dit pas. Ce collectif et son sanctuaire, réunis sous ce nom “269 Libération Animale”, ont depuis 2016, donné à tant de camarades la force de se surpasser, les ont inspiré.e.s et bouleversé.e.s dans leurs certitudes. Les mots hurlés au mégaphone ou diffusés via nos outils de publication ont fait lever des centaines de personnes qui, pour la première fois, ont utilisé leur corps pour se battre aux côtés des animaux. Ce feu qu’ils ont allumé est précieux, c’est un espoir qui s’est encore manifesté lors des dernières actions qu’il s’agisse du blocage de l’abattoir de Bocholt ou de l’opération Rose qui a permis la libération de cinq cochons. Il est impardonnable de chercher à anéantir tout cela, à salir ce parcours, tout en s’appropriant la notoriété héritée de ce nom. Ce que nous subissons est une épreuve que mes camarades et moi devons traverser pour reconstruire bien plus qu’un sanctuaire. Les liens tissés entre nous au cours de ce cauchemar, comme ceux qui perdurent avec les animaux, constituent le ciment de tout ce qui se construira après. Bien sûr c’est dur, cruel et révoltant, mais nous voulons regarder devant nous. Un grand destin nous attend et il bouleversera tou.te.s celleux qui croiseront notre route car la blessure est si profonde que la colère qui en sortira pourrait bien faire trembler les murs des abattoirs. Chaque douleur, chaque blessure qu’il nous inflige, nous en ferons une arme pour la suite.
Alors par où commencer le récit de ce qui m’arrive et arrive à mes camarades ? Le constat est aussi glaçant que les mots inscrits sur mon dernier certificat médical : « quatre jours d’ITT ». Oui j’ai passé le premier jour de cette nouvelle année dans une gendarmerie, puis aux urgences de l’hôpital, et malheureusement pas pour une action directe sur laquelle nous aurions été interpellé.e.s, mais pour un énième épisode de violence subi au sein même du lieu censé la combattre. Le dimanche premier janvier 2023, Ceylan Cirik m’a frappée au visage, menacée de mort, il a brisé mon téléphone, avant de nous jeter au sol ma sœur et moi alors que nous étions venues donner du foin aux animaux du sanctuaire, en silence, presque sur la pointe des pieds. En effet, je ne peux plus me rendre librement dans mon propre sanctuaire et surtout pas seule ayant été harcelée, humiliée, agressée physiquement et verbalement, menacée de mort à chacune de mes venues. Chassée par la force de ce lieu que j’ai imaginé et construit avec lui, je me retrouve clandestine malgré moi alors que je suis co-titulaire du bail rural.
Trois mois désormais que je n’entends plus les sabots des chers bébés moutons claquer comme un galop de revanche lorsqu’ils cavalent à pousser les nuages au bout des chemins. Et pourtant ce petit bruit de rien du tout m’est vital, c’est le rappel permanent que les risques pris n’ont pas été vains, que les liens et complicités si singulières forgés dans l’activisme résistent, et qu’il y a urgence à poursuivre la lutte. Le manque ressenti m’empêche parfois même de respirer. Je me réveille chaque jour dans ce cauchemar avec la sensation que cette vie patiemment bâtie s’est défaite comme à mon insu. Rien ne fait plus souffrir que d’être séparée des sien.ne.s. Le silence qui envahit mon quotidien génère une angoisse qui se loge dans ma poitrine comme une main qui se referme autour de mon cœur.
Je l’expliquerai en détails plus loin dans le texte mais les camarades et moi avons géré le lieu collectivement durant l’absence (qui devait être définitive) de Ceylan Cirik ; et progressivement, dans la douleur et l’urgence d’abord, puis avec enthousiasme, nous avions expérimenté une mise en commun des réflexions et compétences. Nous avons ouvert le champ des possibles pour transformer “269 Libération Animale” en une vraie aventure collective. Malheureusement l’histoire de notre joyeuse reconstruction s’est brutalement interrompue il y a trois mois avec son retour. Depuis, Ceylan Cirik me vole ma vie, mon énergie, ma force, ma santé, ma capacité à agir, à imaginer et écrire ; il s’approprie, en même temps qu’il les anéantit, tous les efforts et le travail fourni pour créer ce sanctuaire et fédérer autour de lui tout un groupe de camarades.
Il pousse l’horreur de la trahison intime et politique jusqu’à utiliser sans honte le nom « Terre de roses » (auquel il a pris soin d’ajouter un s bien sûr) comme dénomination de sa nouvelle association. Un joli nom que nous avions choisi ensemble en été 2021 en référence à l’appellation poétique du Kurdistan et à notre camarade disparue Rose, pour l’association créée avec deux proches camarades italien.ne.s ayant financé un nouveau terrain pour les animaux. Un immense projet, préparé depuis début 2021, qu’il a ruiné en deux secondes pour une blessure d’ego, un énième caprice autoritaire, incapable de remise en question jusqu’à l’absurde ; laissant ces généreux.ses camarades italien.ne.s avec un terrain sur les bras puisque le roi n’en voulait plus. Oui il est depuis longtemps ce dominant qui organise les lois du jeu pour lui permettre d’exercer son pouvoir sans restriction, que sa volonté s’exerce sans entraves et qu’il jouisse de sa brutalité, sans que la partie adverse puisse manifester de résistance. Dans un perpétuel désir de m’effacer, il a transformé notre relation en une guerre civile, détruit tous les souvenirs et traces de moi qui se trouvaient au sanctuaire et il fait aujourd’hui recouvrir ces murs écorchés d’inscriptions tracées par des personnes n’ayant jamais participé à l’histoire de ce lieu, comme un ultime affront. Je ne suis même pas prévenue du décès des animaux comme si tout notre passé commun ne signifiait plus rien, comme si les animaux du sanctuaire étaient devenus des objets de vengeance et les instruments d’une haine irrationnelle. C’est ainsi par les réseaux sociaux que j’ai tristement appris le décès de mon camarade bien-aimé Poupou. Poupou est, était, un coq. Une petite personne très spéciale qui a énormément compté pour moi. J’ai organisé avec Ceylan Cirik sa libération et celle de 304 autres oiseaux il y a cinq ans dans un abattoir de Bertrix, ce qui m’a valu une condamnation de six mois de prison ferme en Belgique. Depuis toutes ces années, j’ai soigné Poupou en essayant de l’aider à se battre contre les séquelles de l’exploitation, j’ai pris soin de lui en l’emmenant à de multiples reprises chez un vétérinaire spécialisé, j’ai mis en place un parrainage pour lui, veillé sur lui quand il était malade. Et malgré ce lien si fort, Ceylan Cirik m’a empêchée de le voir. Il y a un mois et demi, quand j’ai voulu le soigner et le prendre pour l’emmener chez le vétérinaire alors que je constatais son état alarmant lors d’une venue au sanctuaire, il m’a violentée et jetée au sol devant une camarade terrorisée. Poupou est mort entouré de traîtres à sa lutte. Il n’y aura ni oubli, ni pardon !
Pourtant l’histoire d’amour si puissante que nous avons vécue Ceylan Cirik et moi, tout ce que nous avons accompli ensemble et les épreuves affrontées main dans la main, devraient engendrer un lien indestructible et instaurer un respect mutuel et éternel entre nous. Mais ce respect il devrait aussi l’avoir pour ses camarades de lutte, celleux qui ont pris les fourches, les marteaux et les pioches au sanctuaire, celleux qui nous ont aidé.e.s à arracher les animaux de leurs prisons, celleux qui se sont enchaîné.e.s dans les abattoirs, etc. Sans leur solidarité, jamais “269 Libération Animale” n’aurait pu mener des actions si efficaces et le sanctuaire n’aurait jamais pu survivre. Aujourd’hui il agresse et violente également ces ami.e.s et camarades qui ont courageusement continué de venir au refuge ces derniers mois pour m’y accompagner, et c’est impardonnable.
L’instinct de propriété est chevillé au corps du mâle dominant qui possède sa femme bien sûr, mais également sa maison et sa famille dont il peut nous priver à sa guise. Puisqu’aujourd’hui je ne suis plus sa reine, il kidnappe les personnes animales que j’ai libérées d’abattoirs et d’élevages avec lui au cours d’actions directes que nous menions à deux ou avec notre groupe de proches camarades ; ces individu.e.s qui sont mes proches et dont je m’occupe depuis sept ans. Cet homme est finalement un imposteur pour qui personne ne compte réellement, nous sommes interchangeables au gré de ses humeurs et envies. Tel un roi tyrannique en son royaume de la domination, qui oublie vite ses grandes déclarations d’amour et d’amitié, y compris médiatiques (il faut l’écouter dans le documentaire réalisé par Brut en 2021 !), considère désormais que je ne fus que le joli accessoire de son combat, que nos camarades était une cour éphémère, et qu’il a le droit de nous effacer aujourd’hui.
J’espère que ce texte permettra de faire comprendre à toutes et tous que la situation dans laquelle je me trouve est celle d’une domination. Que contrairement à ce que mon ex-compagnon et partenaire de lutte cherche à faire croire, il ne s’agit pas d’un banal conflit privé mais d’une véritable prise de pouvoir autoritaire et violente d’un lieu – le sanctuaire – dans le cadre d’un rapport de domination sexiste. Pour le dire autrement : il s’est approprié, à son seul profit, l’association Sanctuaire Libération Animale, les animaux, le matériel financé par des camarades proches et ma famille qui s’est énormément investie dans la création du lieu. Et c’est une appropriation qui se fait en recourant à des comportements violents physiquement et moralement.
« L’intime est politique » et on change le monde avec des histoires, c’est la seule façon de faire. Alors je veux raconter cette histoire. Spontanément c’est le fracas d’une langue charriant colère et dérision, voire grossièreté, qui me vient ; une langue de l’excès, insurgée, celle utilisée par les humilié.e.s et les offensé.e.s, comme la seule façon de répondre au mépris et à la violence. Je m’efforcerai malgré tout de chercher une manière de traduire, sans pouvoir transmettre toute la réalité que la vérité impose, ce qui se passe car la trahison fait partie du politique comme de l’intime et que la honte de la trahison n’enlève pas la gloire de la résistance.
Parce que l’écriture contribue à briser la solitude des choses subies.
N’ayant jamais scindé vie et lutte, je m’exprime ici comme co-fondatrice du collectif 269 Libération Animale, co-présidente de l’association par le biais de laquelle s’organise la gestion du sanctuaire et enfin comme simple camarade femme. Je m’exprime aussi comme l’obligée de celles et ceux qui n’ont pas eu le droit à une suite, ces milliers d’animaux laissés derrière nous dans les abattoirs. Ces vies inachevées se sont mises en travers des nôtres pour toujours et nous vivons quotidiennement avec ces innombrables morts. Le sanctuaire n’est pas un terrain de loisirs ou un parc animalier ; c’est un projet, une communauté de survie et de lutte formée de camarades qui s’aiment et s’entraident, et il est aussi fait de ces fantômes qui sont notre appel permanent à ne pas oublier le combat. Tout s’y mélange, quand je regarde Serhildan, je vois celleux qui étaient dans le box de cet abattoir espagnol avec lui et qui ont fini par descendre dans le caisson à gaz. Nous ne devons pas les oublier. Nous faisons corps avec ces disparu.e.s ; nous sommes double, triple. Quand je dis moi, je dis nous. C’est notre héritage. Leur mort exige qu’on y réponde.
Le drame vécu depuis mi-novembre dernier vole un temps précieux et des complices courageux.ses à la lutte et il a anéanti des possibilités d’actions directes qui étaient programmées depuis plusieurs mois. C’est impardonnable et je le dis ici clairement : ce texte est avant tout un appel à réinventer 269 Libération Animale ! Pour que ce puissant collectif surmonte cette épreuve, qu’il évolue et apprenne à se reconstruire tout en conservant sa radicalité. C’est un appel à le transformer en une aventure collective, à rebondir après ce terrible drame, à continuer de se battre et j’en appelle à votre solidarité, camarades, car une fois les animaux mis en sécurité et extirpés de cette situation, nous avons un lieu à imaginer et un combat à poursuivre.
II- LE BEAU ET LE LAID.
Parmi les pensées agitées qui m’ont longtemps empêchée de publier ce texte, la peur du ridicule tient évidemment sa part. Exposer publiquement une intimité humiliante gardée fermement secrète pendant des années est un exercice casse-gueule. Je ne veux pas être une victime. Je ne veux pas qu’on m’accable, qu’on fasse croire que j’y étais pour quelque chose même si mon silence a participé à élever le mur de sa toute-puissance. Savoir de soi qu’on est capable de cette soumission-là est une douleur persistante. Et si un camarade avait eu l’inconscience de prendre ma défense, il aurait été pulvérisé.e aussi. J’étais amoureuse de cet homme, je n’imaginais pas que “269 Libération Animale” puisse continuer sans lui et moi ensemble. Alors j’ai fait un choix. Me taire.
Peut-être serait-il plus juste de raconter depuis le début. Il faut trouver la phrase, la seule, celle qui exige de planter sa plume dans les plaies encore béantes et de creuser dans son ventre jusqu’à y dénicher un trésor de courage pour passer outre la peur et la honte. Mais cette phrase je n’ai pas besoin de la chercher loin. Elle surgit. Dans toute sa netteté. Lapidaire et douloureuse. Elle a été écrite il y a sept ans dans l’un de mes premiers textes : « c’est par la peau que la lutte est entrée dans ma vie ». Oui la lutte s’est immiscée dans mon existence de manière déraisonnable et soudaine, par l’amour, un amour politique et passionné que nous partagions Ceylan Cirik et moi ; et j’ai scellé avec elle un pacte à vie. J’avais trente-trois ans et j’étais encore notaire, doctorante et enseignante de faculté de droit promise à une brillante carrière universitaire. Ce qui m’est arrivé ? Je suis tombée amoureuse d’un combat et d’un homme en même temps sans jamais pouvoir les délier, j’ai tout quitté sans me retourner pour mettre nos corps et cœurs au milieu du chemin. Se lancer avec lui dans cette lutte signifiait faire des choix radicaux et sans retours. Alors j’ai chassé de ma tête tous les avertissements reçus, arraché tout lien avec mon passé, et réduit en miettes la sécurité d’une vie confortable. Je ne regrette rien.
269 Libération Animale est né de notre rencontre. Un vrai coup de foudre comme au cinéma. Faisant fi de toutes les barrières sociales, c’était l’éblouissante complicité de deux personnalités mettant en commun leurs rêves et savoir-faires, une histoire « trop belle pour être vraie » disait-on. Cinq années d’un amour extraordinaire capable de mettre l’univers sur pause, flamboyant et destructeur, bâtisseur et chaotique, qui aura profondément changé la vie de chacun de nous deux, de la lutte, et des animaux libérés avec lesquels nous avons construit une véritable famille. Nous avons commencé avec peu de moyens, juste un mégaphone et la rage au ventre pour dénoncer l’injustice dans les supermarchés, les fast-foods, les centres-villes. La lutte nous a cousus ensemble avec des petits points bien serrés, pour le meilleur et le pire car il y a eu beaucoup d’épreuves difficiles affrontées main dans la main et de choix douloureux. Nous nous sommes révolté.e.s et réchauffé.e.s à la flamme de ce qui brulait entre nous. Nous nous sommes aimé.e.s dans tous les interstices du mal absolu que nous combattions chaque nuit, nous nous sommes juré.e.s de lutter ensemble toute notre vie sur des toits d’abattoir, dans des bouveries, des cavales. Tant d’actions menées, tant de camarades réuni.e.s et puis même un sanctuaire que nous avons déménagé en 2019 sur un terrain choisi ensemble. L’intime et le politique se sont liés au point de devenir inséparables. Nous deux face au monde entier, nos esprits toujours en ébullition à chercher la meilleure stratégie, à enchaîner action après action à un rythme effréné. Nous étions poussé.e.s vers notre ennemi, franchissant les clôtures d’enceinte des abattoirs nuit après nuit, tous deux mué.e.s par une sorte d’instinct que ça se jouerait là. Et pourtant il nous aura fallu franchir tant de préjugés attachés à notre classe sociale d’origine, au racisme aussi, dépasser le cliché de « La Belle et du Bad boy », de la blanche bourgeoise universitaire et du délinquant racisé de cité dans lequel on nous a mille fois piégé.e.s. Durant ces cinq premières années magnifiques, j’ai mis dans mon ventre l’immense réserve de notre histoire, nos mains qui se trouvent dans la nuit, nos larmes à l’abattoir de La Talaudière, nos arrêts nocturnes chez Colette, les bombes de peinture rose, nos dîners au brasero à Manonville quand nous n’avions pas de « toit », la petite Zana avec nous dans la voiture après que nous l’ayons arrachée à son destin lors d’un repérage, les « trois petits » qu’on allait chercher à la gare de Saint-Chamond et nos mots tout faits car tout amour est une peuplade indigène avec ses rites, sa grammaire, ses ennemis, ses sacrifices et les semailles qui referont le printemps.
Ensemble, nous avons construit progressivement une famille, une communauté de survie, faite de Rambo que nous sommes allé.e.s chercher ensemble, de Noisette, de Fantomas veillé jusqu’à son dernier soupir, de Nounours, d’Errico et Caserio, de Poupou, de Sankara, de Bella, de Michonne libérée au cours de la si belle « Opération Tata » et tou.te.s les autres. Nous avons creusé des dizaines de tombes aussi, mis en terre notre bien-aimé Ocho, Fifille, Shams, Elvis, Forest, Kiwi, etc. Nous sommes allé.e.s dix fois, vingt fois, cent fois la nuit par les champs, les zones industrielles et toutes ces périphéries sordides, faisant de chaque abattoir et de chaque prison appelée « élevage » l’objet d’une conquête. Il y avait pourtant les procès et des condamnations qui continuaient chaque mois de nous précariser, les tracas perpétuels d’un quotidien de débrouille, le chagrin qu’imprimait sur nos êtres les visions abominables des abattoirs, les blessures hideuses de nos camarades libérés devenus compagnons et compagnes de vie. Mais justement ça, que nous prenions en brassées quotidiennes et que nous décidions de transformer en autant de pierres, d’allumettes, de pieds de biche, de cris de joie, autant d’armes choisies pour fendre l’adversaire sur lequel nous osions enfin lever le coupe-boulon ; et quelle que soit l’issue de nos gestes rien n’effaçait l’allégement du poids pesant sur nos épaules à l’instant où, tremblants mais rigoureux, nous nous étions défendus.
Ensemble nous inventions une politique de la chair, incarnée, vivante.
Au fil des années, l’histoire de la lutte, qui a permis des rencontres déterminantes et des actions magnifiques, est devenue plus grande que l’histoire d’amour originelle. De notre complicité sont nés de multiples autres liens puissants forgeant tout un mouvement.
Malheureusement depuis notre emménagement dans l’est de la France fin 2019, notre relation intime s’est progressivement dégradée avec de multiples épisodes de rupture/réconciliation, de rejet total et de violence de sa part. J’ai dégringolé de la place de « déesse » dont il était fou amoureux et pour laquelle il se montrait sous son meilleur jour, à la « pauvre fille » qui devait chaque jour subir ses changements d’humeur et caprices. Même s’il y avait encore de l’amour sincère et beaucoup de complicité entre nous ces deux dernières années, notamment dans les moments les plus difficiles ; j’avoue que je ne reconnaissais déjà plus l’homme que j’avais face à moi. Quand on a vécu une telle histoire d’amour, on se dit toujours que c’est « une mauvaise passe » et qu’on finira par retrouver cette relation si exceptionnelle qui nous liait. Il était capable de passer des pires insultes aux compliments en quelques minutes, de m’embrasser au cours d’une interview devant la caméra de Brut puis le soir même de me dire qu’il ne m’aimait pas, d’organiser mon anniversaire en juillet dernier parlant à nos proches de « l’extraordinaire Titi, la femme la plus belle et intelligente sans qui rien n’aurait été possible, bla-bla-bla » puis de m’humilier atrocement devant tout le monde parce que j’avais osé exprimer mon désaccord au sujet d’un film qu’il critiquait. Les épisodes de violence (morale et physique) se sont malheureusement intensifiés et aggravés à partir de janvier 2022 : plusieurs gifles, bousculades, gestes d’étranglement ont eu lieu lors de disputes, et Ceylan Cirik se comportait d’une manière de plus en plus méprisante avec moi en public.
Je n’épiloguerai pas davantage sur les raisons de cet éloignement, je ne publierai pas les captures d’écran de nos échanges, cela appartient à ma vie privée et surtout ce n’est pas le sujet ; car comme je l’ai dit à tant de reprises, même si lui et moi ne formions plus « un couple » ces derniers mois, tout ce qui a été partagé, risqué et construit ensemble, notre famille, le collectif, devraient engendrer un lien indestructible, un respect éternel, et c’est d’ailleurs ce qu’il reconnaissait jusqu’à début août me jurant que jamais il ne pourrait m’évincer du sanctuaire après tout ce que j’avais accompli…
Le 22 août 2022, Ceylan Cirik abandonne le sanctuaire sans préavis. Déjà deux semaines avant cette date, je ne pouvais plus venir sur le site car il avait commencé à faire intervenir la gendarmerie contre moi. Qualifiée de « pauvre folle hystérique », menacée avec une machette parce que je hurlais mon désespoir et exigeais des explications sur les reproches qu’il continuait de m’adresser, j’étais sommée de quitter les lieux au risque que « Monsieur ne fasse usage de violence à mon égard » (illustration de cette immonde solidarité masculine qui donne toujours priorité à l’agresseur). Oui il voulait être seul au sanctuaire et refusait toute discussion sur l’énième épisode de rupture-humiliation qu’il m’avait fait vivre quelques jours auparavant. Cette fois, il avait pleuré à l’évocation de nos souvenirs, me déclarant que j’incarnais les moments les plus heureux de sa vie et qu’il hésitait à rompre, puis m’avait congédiée avec pléthore de détails intimes humiliants quelques jours plus tard devant son public. Je me remémore aujourd’hui, avec douleur, l’état d’insécurité dans lequel me plongeait son comportement ces deux dernières années, comment il réussissait à me persuader que tout était de ma faute, et comment à force de « souffler le chaud et le froid » il parvenait à créer un système d’emprise totale. J’ai passé deux ans à subir ses crises à répétition durant lesquelles le même schéma se répétait systématiquement : il exigeait d’être seul sur le site de notre association commune, voulait rompre, vociférait ne plus m’aimer, se montrait violent physiquement et verbalement avec moi ; puis, après plusieurs jours d’isolement, il demandait finalement à être pardonné parce qu’il avait « un problème dans sa tête » et à poursuivre ensemble sans être vraiment ensemble d’une manière assez ambiguë. Ce jeu pervers du « je t’aime moi non plus » a fabriqué un sentiment d’insécurité tel chez moi que j’étais totalement à sa merci, et mon seul tort est d’avoir cru qu’il s’agissait à nouveau de l’une de ses crises, d’avoir ainsi continué naïvement de penser que les choses iraient mieux…
Le 22 août donc, son abandon du sanctuaire fut définitif puisque, quelques jours après son départ, il a fait savoir à l’occasion d’une dispute avec des camarades italien.ne.s très investi.e.s dans l’avenir du sanctuaire (pour lequel iels avaient financé un nouveau terrain), qu’il laissait les animaux à moi et aux camarades les plus proches. Ce sont ses mots : « Je vous laisse les animaux. Tiphaine a du foin et de l’eau pour 4 jours. Bonne continuation. ». Ce fut un choc terrible, un traumatisme, et je remercie infiniment les trois ami.e.s qui ont tout quitté pour me rejoindre à ce moment-là au sanctuaire. Ma volonté de communication avec Ceylan Cirik s’est heurtée à un mur de silence qui durera presque 8 semaines. Après sept ans de vie et de lutte commune, une famille fondée ensemble, 24 procès affrontés, je n’avais même pas eu le droit d’obtenir des explications sur son comportement. Je n’ai jamais cessé de tenter de discuter de nous et de l’avenir du sanctuaire avec lui ainsi que la Raison le recommandait mais il a systématiquement refusé et n’a jamais cessé de m’imposer ses décisions par le biais d’intermédiaires choisis. C’était à moi de m’écarter, mais aussi de subir le silence parce que lui ne sait ni communiquer ni gérer sa propre violence. La seule réponse que j’ai obtenue fut un ultimatum monstrueux adressé à moi et aux camarades les plus proches début septembre : soit moi et les militants gardions le sanctuaire et Ceylan Cirik ne revenait plus jamais, soit moi et les militants quittions le sanctuaire et lui revenait seul exigeant que je consente à ne plus jamais voir les animaux. J’étais sidérée… La cruauté et la perversité à cette hauteur-là ne sont pas envisageables pour une personne sincère. C’est effroyable. Ça laisse sans voix et sans forces. J’ai désespérément tenté de lui expliquer la monstruosité et l’absurdité d’un tel choix, je lui ai écrit de nombreux messages et l’ai supplié de se souvenir du passé et de ne pas tout détruire, mais je n’ai reçu en retour qu’un compte à rebours grotesque me sommant de répondre avant telle date.
Ceylan Cirik profère dorénavant partout que lui, le pauvre type qui se sacrifie, accueille des animaux depuis 2012, il sous-entend qu’il est donc l’unique fondateur du sanctuaire et que cette antériorité lui donnerait le droit suprême de virer les personnes venues après lui. C’est un énorme mensonge alors que les trois quarts des animaux accueillis sont issus de libérations et de sauvetages organisés par lui et moi, et que lorsque je l’ai rencontré il n’y avait absolument rien de mis en place pour le financement, l’aide, le rayonnement médiatique et politique du lieu, la venue de camarades aidant.e.s, etc. Le personnage calibré d’homme à la dignité blessée qu’il surjoue me glace. Le berceau de l’angoisse se niche dans la béance entre ce qui est donné à voir et ce que je sais, entre l’image sociale, le discours public et le réel de l’expérience vécue. Son image qu’il réactive depuis son retour sur les réseaux est celle du pauvre Ceylan Cirik qui lui agit et ne parle pas, qui finalement aurait tout fait seul. La fausseté de l’image n’échappe à personne. Je me revois soumise à ses caprices, quand j’écrivais la plaidoirie de son procès contre le maire du village où nous sommes installé.e.s alors qu’aujourd’hui il collabore avec les gendarmes, quand je passais des nuits entières à réparer les disputes et blessures qu’il causait aux camarades qui avaient osé lui déplaire. Lui il hurlait, m’humiliait de préférence en public.
Il faut en outre bien comprendre que l’activité au sanctuaire ne consiste pas juste à mettre du foin et de l’eau aux animaux. La pérennité de ce lieu repose aussi et surtout sur un travail invisible que je réalise depuis sept ans, un travail qui est bien moins reconnu et mis en lumière y compris au sein du milieu animaliste qui continue d’avoir des réflexes sexistes. Depuis 2016, j’assure le financement du sanctuaire par la mise en place d’un système de campagnes de dons et de parrainages, de cagnottes, d’organisation d’événements de soutien ; je me charge depuis toujours des soins vétérinaires spécifiques (chercher les vétérinaires spécialisés, mettre en place des traitements, etc.), je gère le gros passif judiciaire de l’association et les procès (en effet beaucoup d’actions de désobéissance civile ont généré des condamnations et par conséquent des risques de saisie), je fédère et m’occupe du groupe des camarades/bénévoles qui viennent nous aider, etc. Bien sûr le travail du care, ou du soin, est totalement méprisé dans un système de valeur sexiste. Or, le soin est au fondement de la société, et c’est d’autant plus vrai pour celle du sanctuaire. Pourtant qu’est ce qui compte le plus pour l’avenir des animaux sans papiers soumis en permanence au danger : savoir soulever une dalle en béton « comme un bonhomme » ou faire des recherches pour trouver un traitement contre la maladie de CAEV qui touche toutes les chèvres du refuge ? Savoir conduire un tracteur ou mettre en place un système de financement pour du matériel plus adapté ? Savoir mettre en route une tronçonneuse ou négocier avec la DDPP un sursis à l’arrêté d’abattage prononcé contre un animal sans papiers ? Et ces tâches (foin, bricolage, etc.) vues comme masculines, j’y participe depuis le début et les camarades qui avaient l’habitude de gérer le lieu en notre absence également. Il faut cesser de croire au discours du pauvre Ceylan Cirik, héros viril et martyr du sanctuaire.
Comme toujours, il y a un travail phénoménal accompli par une femme tandis que l’homme en tire tous les honneurs. Mais à se regarder jouir de son image et impunité, le mâle dominant du sanctuaire n’a pas vu surgir l’obsolescence de ses propres attributs et fonctions symboliques. Vigueur, courage, maîtrise : les canons occidentaux antiques sont en cours de fossilisation pour lui. La fiction viriliste qu’il raconte ne prend plus. Il a fini par oublier la guerrière dont il était tombé amoureux et qu’il admirait tant, il va maintenant s’en souvenir malgré lui et voir que je n’ai rien perdu de ma combativité !
En abordant avec les camarades une nouvelle gestion du lieu durant son absence, j’ai commencé à comprendre que l’horizontalité comme le partage des responsabilités et réflexions, représentait un système dans lequel je me sentais bien mieux et dans lequel surtout davantage de perspectives s’ouvraient pour le sanctuaire et la lutte. Mes camarades et moi avons donc progressivement pu expérimenter une gestion plus collective du lieu et réaliser de nombreux travaux d’amélioration pour les camarades animaux et humains. D’ailleurs je racontais tout cela avec enthousiasme à Ceylan Cirik à qui je continuais naïvement d’écrire durant son absence, voulant désespérément le pousser à la remise en question et lui donner l’envie de retrouver son quotidien ici, sa famille et le combat avec nous. C’est une attitude tellement normale quand on aime une personne et qu’on a fondé sa vie avec, et d’autant plus quand l’emprise est si forte. Je pensais désespérément qu’il s’agissait d’un épisode difficile et que cet homme qui m’avait demandé en mariage il y a deux ans et avec lequel j’avais risqué tant de fois la prison ne pouvait pas m’effacer ainsi. J’étais surtout persuadée que sans lui, je n’arriverai pas à faire vivre “269 Libération Animale” et à poursuivre l’activisme, et pourtant depuis deux ans, j’étais plus motivée que lui pour organiser des actions directes. Je n’ai jamais lâché, j’ai construit des réseaux de placement, des solidarités pour le financement, j’ai essayé d’enthousiasmer un maximum de personnes et je n’ai toujours vécu que pour ça. Mais j’étais prisonnière de l’image du couple mythique. Il avait promis que nous continuerions tout ensemble et il m’abandonnait. Ce n’est pas quelque chose d’acceptable pour une personne normale, personne ne peut supporter ça. Alors je me disais perpétuellement qu’il finirait par revenir si j’arrivais à le toucher avec des beaux messages.
A cette époque nous avions régulièrement organisé des réunions nous laissant un souvenir bien amer tant certains participant.e.s ont brillé par leur lâcheté et trahison. Face aux retraits que Ceylan Cirik continuait d’opérer sur le compte bancaire associatif alors qu’il nous avait abandonné.e.s, il avait été décidé collectivement de lui supprimer l’accès au compte bancaire. C’est aujourd’hui un argument dont il se sert pour légitimer le détournement de fonds opéré par son association colonisatrice. Il a un tel talent pour inverser la réalité : il jure de ne jamais revenir, il revient, nous violente et m’empêche de poursuivre mon quotidien au sanctuaire puis vient pleurnicher qu’il n’a pas accès au compte bancaire !
Aujourd’hui c’est l’association Sanctuaire Libération Animale qui continue de financer la location du terrain occupé illégalement par une autre association, les soins vétérinaires (courants et spécifiques puisque la dernière facture de 1.700 euros pour le traitement de Serhildan a été réglée), les assurances des voitures que Ceylan Cirik s’est approprié y compris les véhicules et remorques financés par mes parents, l’assurance du terrain, les impôts et les apports périodiques de nourriture que nous pouvons encore faire de temps en temps. Nous sommes empêché.e.s de financer le reste, et pas démissionnaires contrairement à ce qu’il veut faire croire. Ce qu’il fait aujourd’hui est un manque de respect total vis-à-vis des parrains et marraines qui depuis plusieurs années pour certain.e.s nous aident chaque mois. Il n’a d’ailleurs pas hésité à violenter les marraines de Çano et Zia venues m’accompagner au sanctuaire.
Malheureusement alors que nous mettions en place une gestion collective en son absence, le silence de Ceylan Cirik se changea début novembre en une menace de retour soudain et un flux continu d’attaques personnelles, de malveillance irrationnelle et de harcèlement envers moi. Une menace qu’il met à exécution le 12 novembre 2022 après avoir menti sur les conditions de son retour à plusieurs camarades qu’il a manipulé.e.s avec de fausses promesses. Il s’impose donc par la force et la brutalité et ne se cache pas de vouloir évincer quiconque sur le terrain. Il m’insulte violemment en me demandant ce que je fais là. Situation hallucinante. Il m’ordonne de partir sous la menace de me faire expulser par les gendarmes si je ne m’exécute pas… La première chose qu’il a faite lors de son retour, c’est d’aller directement à la gendarmerie demandant à ses nouveaux alliés de se tenir prêts à intervenir pour appuyer sa tentative d’expulsion. Quand il est arrivé, il a dégagé nos affaires sans avoir un regard ou un geste pour les animaux qu’il n’avait pas vus depuis 3 mois. Nous en sommes tou.te.s témoins. Les camarades présent.e.s sont extrêmement choqué.e.s, je suis en état de sidération. Ma famille qui, durant deux ans, a œuvré et financé du matériel est sur place à ce moment-là en train de poser des dalles devant « la popote ». Je propose à nouveau une discussion afin d’envisager un aménagement de la présence au sanctuaire puisque Ceylan Cirik refuse désormais de me côtoyer. Ce qu’il refuse, préférant appeler les gendarmes qui viennent pour me dégager alors que je suis chez moi. Dans les jours qui suivent, il fait systématiquement appel à la gendarmerie pour dégager quiconque n’obéit pas ou semble trop ami.e avec moi. Un militant sera même plaqué au sol par un gendarme, sous le regard réjoui de Ceylan Cirik qui fanfaronne d’être tout-puissant.
Depuis le 12 novembre dernier, je fais face à une personne que je ne reconnais plus et il s’agit de dénoncer un comportement totalement irrespectueux de l’histoire et des habitant.e.s du sanctuaire, à l’opposé de toutes les idées politiques défendues par “269 Libération Animale” : la destruction et la négation d’un passé commun de lutte, un virage politique nauséabond pris par le co-fondateur agissant avec un cruel manque de raison, de respect et de sensibilité. Ce choc m’a aidée à comprendre qui il était vraiment, quel imposteur il était devenu, comprendre mes erreurs aussi car en donnant priorité à mon couple pour sauver “269 Libération Animale”, j’ai causé beaucoup de mal auprès de mes camarades qui n’avaient pu trouver en moi, avant ce drame, une alliée pour questionner l’autoritarisme et la violence de Ceylan Cirik. J’ai enfin compris que nous courrions au désastre depuis longtemps et que le collectif, comme moi, aurions gagné à remettre en cause plus tôt l’organisation et à enfin parler de la violence subie dans l’intimité. Nous pouvons encore changer beaucoup de choses pour tous les animaux qui nous attendent dans les abattoirs, mais lui, nous ne le changerons pas !
Dès les premiers jours de son retour, Ceylan Cirik commence à procéder à la destruction méthodique de tout ce que j’ai réalisé au sanctuaire afin de se faire passer pour un héros indispensable venant remettre de l’ordre : il a saccagé toutes les structures du sanctuaire pour effacer chaque trace du passé, chaque souvenir ou inscription de moi ou mentionnant mon prénom ; il s’est évertué à meuler chaque lettre, chaque coup de pinceau, même les décorations sur la cabane des bébés moutons. Il a effacé tous les noms des animaux disparus que j’avais inscrits dans la « popote », détruit les aménagements réalisés par les camarades et moi en son absence, fait disparaître les cahiers de soins et mis tout sens dessus dessous afin de faire croire que je ne sais pas tenir le lieu. Il fait régner un climat de terreur et de violence pour quiconque oserait s’opposer à lui et procède à des changements totalement déraisonnables dans la gestion des soins des animaux dont beaucoup ont une santé fragile.
Aujourd’hui la liste des violences subies par les camarades est longue, des camarades qui depuis plusieurs années nous aident, des personnes courageuses qui par amitié avec les animaux et par inquiétude pour moi ont continué de m’accompagner au sanctuaire. Ceylan Cirik a essayé d’étrangler l’un.e d’elleux qui refusait à juste titre de me laisser seule et de quitter le site, il a menacé de mort un autre, il a bousculé et jeté dehors avec violence des camarades, il a insulté toutes ces personnes et arraché des téléphones. Comment peut-il traiter ainsi des camarades qui ont tant fait pour nous ? Il y a un mois ce sont deux activistes de longue date, bénévoles extrêmement engagé.e.s dans la vie du sanctuaire, qui ont subi sa violence et ont été agressé.e.s sous un torrent d’insultes abominables, homophobes et validistes.
A chacune de mes venues, car j’essaie de résister depuis novembre dernier et de continuer à aller voir les animaux, Ceylan Cirik use à mon encontre d’un odieux procédé de dénigrement et dévalorisation en essayant de faire croire, après avoir vanté mon travail durant des années y compris de manière publique, que seul LUI aurait été à l’origine du sanctuaire, ce que personne ne peut raisonnablement croire. Il cherche à me montrer que je ne vaux rien, et n’a de cesse de répéter que je ne suis pas capable. Ici encore, on a tout un panel de stratégies de domination déployés par cet homme : mettre en doute ma santé mentale (“mais, tu perds la tête, t’es complètement hystérique/folle, tu délires“) ; dénigrer mes capacités intellectuelles et physiques (se moquer de mes points de vue, de mes opinions, se moquer du travail théorique que j’ai réalisé jusqu’ici). C’est aussi m’accuser devant les camarades d’avoir eu des comportements inappropriés avec des hommes par le passé afin de m’humilier, me rabaisser jusqu’à ce que je me sente tellement misérable que j’ai envie de disparaître, me ridiculiser, m’enlever toute dignité. Il a même essayé de semer la discorde entre les militant.e.s et moi afin de m’isoler.
Depuis son retour, Ceylan Cirik dénigre tout le travail de réflexion théorique que j’ai fourni depuis le début du collectif, toutes les idées portées et vocifère sa haine des intellectuel.le.s : l’alliance avec les forces de l’ordre et le dénigrement de celleux qu’on range sous l’étiquette “intellectuel.le.s” est souvent le premier pas du fascisme… Il s’est aussi amusé à écrire aux journalistes qui nous contactaient via les réseaux sociaux de “269 Libération Animale”, pour dire que j’étais une « folle manipulatrice », je lui ai donc supprimé l’accès à la page Facebook comme administrateur. Il faut réaliser aussi les conséquences de son comportement quand il s’allie à la police et qu’il déballe des infamies sur les réseaux sociaux : alors que l’anonymat est l’un de nos fondements de protection, il nous rend vulnérables en nous exposant ainsi et en recourant à la police qui subitement voit là une porte d’entrée au sanctuaire et dans toute l’intimité du collectif. C’est un danger auquel il nous expose détruisant des années de discrétion et de confidentialité.
Je vois mes camarades humain.e.s de lutte auxquel.le.s je suis liée, des camarades qui ont pris soin des animaux avec moi pendant l’absence de Ceylan Cirik, se faire violenter et exclure avec autoritarisme ; je vois la police devenir une alliée de circonstance dans la conquête qu’il mène. Faut-il rappeler que notre collectif s’est construit sur le socle d’une pensée résolument anarchiste et qu’il a toujours revendiqué l’opposition frontale avec l’État et ses représentants ? Cette collaboration franche et assumée avec les forces de l’ordre dans l’accomplissement de son projet d’appropriation du sanctuaire est la négation de toute l’âme de “269 Libération Animale”. La confiance est à jamais rompue. Comment ne pas ressentir du dégoût lorsqu’un collectif attaché à la radicalité, à l’anonymat, à une pensée stratégique de confrontation et des actions directes si importantes, se retrouve aujourd’hui exposé et réduit à un enjeu de pouvoir et de domination ? Comment Ceylan Cirik peut-il mobiliser les gendarmes contre nous, ses camarades de lutte, après toutes les gardes à vues, perquisitions et procès que nous avons dû affronter ? C’est un virage politique impardonnable que prend le co-fondateur de “269 Libération Animale” dont les actes et les propos se rapprochent de plus en plus d’une logique de droite et incarnent un déni de toutes les idées politiques qui ont cimenté le lieu.
Et depuis son retour, le discours comme le comportement de Ceylan Cirik est révélateur d’un animalisme totalement dépolitisé qui se fiche de qui prend part au combat (l’intersectionnalité n’existe plus), sous les allures d’un militantisme faussement choc et héroïsant. Un animalisme avec lequel nous avions rompu depuis de longues années justement. Culpabiliser les gens d’être insconscient.e.s et ignorant.e.s sans nommer et dénoncer les structures et les mécanismes de domination n’a aucun sens. Un mouvement social sans théorie est voué à être inoffensif, quand bien même il se donne un nom et des fantasmes de pouvoir. Tout comme cette espèce de réhabilitation de la pureté du monde animal (construit sur l’opposition entre les animaux qui seraient tous « des êtres gentils et innocents » tandis que les humain.e.s seraient bien évidemment « tous pourris ») est dangereuse car idéologiquement la contemplation de la perfection de la nature n’est jamais loin du fascisme. Ce moralisme droitard de l’antispécisme n’a plus rien à voir avec la pensée de “269 Libération Animale”. En effet le collectif a défendu tout l’inverse, ne pas hiérarchiser les causes mais les lier ensemble, de concert, en sachant qu’elles servent toutes le même objectif final : foudroyer la classe dominante. Le spécisme n’est pas déconnecté des autres formes de domination et d’oppression. Nous ne voulions ni le radicalisme chic des beaux quartiers qui abandonne la majorité à son triste sort ; ni l’orthodoxie d’un animalisme creux qui foule aux pieds les combats qu’elle juge périphériques. Depuis plusieurs années nous nous sommes attaché.e.s à mener une réflexion et des pratiques contre toutes les formes d’oppression, qu’elles touchent les humain·es ou les autres animaux, pour une libération totale. Et aujourd’hui nous sommes déterminé.e.s à poursuivre dans cette voie et continuer d’intégrer l’antispécisme à la lutte des classes.
Chaque jour, celui qui se présente désormais comme le « gérant » exclusif du sanctuaire privatise un peu plus ce lieu en verrouillant chaque accès et structure par des cadenas, je ne peux aujourd’hui plus accéder au mobile-home siège administratif et espace privé du sanctuaire que nous utilisions, ni à la caravane faisant office d’infirmerie. D’une manière totalement grotesque et malhonnête, il s’est approprié le mérite des visites vétérinaires que j’ai encore réussi à organiser jusqu’à début janvier, par exemple pour Serhildan. Devant ce vétérinaire spécialisé qui vient de loin pour soigner ce cochon qui souffre d’ostéochondrose, il a appelé les gendarmes pour me faire dégager en proférant des insultes à mon sujet, il m’a bousculée devant le vétérinaire choqué de cette situation. Ensuite Ceylan Cirik a osé se mettre en scène de manière pathétique sur les réseaux sociaux s’auto-glorifiant d’avoir « offert » à Serhlidan une séance de soins alors qu’il n’a même pas écouté le diagnostic et encore moins essayé de trouver une solution pour le financement de ces soins.
Ceylan Cirik m’empêche désormais l’accès au sanctuaire et entrave de fait, toutes mes possibilités de gérer le lieu et de prodiguer certains soins vétérinaires aux animaux puisqu’il m’est impossible de m’y rendre seule en toute sécurité, ma vie ayant été clairement menacée par lui à de nombreuses reprises par paroles et gestes. Je ne reviendrai même pas sur ses pitoyables et honteuses justifications. Il use des trois puissants stéréotypes qui disqualifient les femmes qui dénoncent les violences dont elles sont victimes : « elle exagère », « elle est animée par le dépit amoureux », « elle veut lui nuire ». C’est grotesque.
Afin que je puisse continuer de m’enquérir de l’état de santé des animaux, pour que nous puissions simplement les voir aussi car ils nous manquent cruellement, de courageux.ses camarades et ami.e.s ont continué de m’y accompagner. Je ne les remercierai jamais assez de leur soutien et nous continuons de former une famille les animaux et nous, et de partager une histoire commune. A chacune de nos venues, c’est une situation d’oppression que nous avons vécue. Ceylan Cirik scrute chacune de mes initiatives et les dénigre ostensiblement. Il tient un récit incohérent qui vise à me diffamer et fait allusion à la plainte pour violences conjugales et menaces de mort que j’ai déposée contre lui en ces termes : « arrête de faire ta victime », « t’es pas crédible », « si tu viens c’est que t’as pas peur de moi ». Il me poursuit tout le long de mon parcours en me filmant et m’humiliant dans le sanctuaire avec des « Tiphaine Lagarde tu vas me le payer ! ». L’oppression est verbale mais elle est vite devenue physique avec des empoignades, des bousculades, des croche-pieds, parfois encore plus violemment ce sont de véritables coups qui me sont portés notamment lorsque je souhaite accéder aux structures du sanctuaire. Il se montre ostentatoirement autoritaire et également irrespectueux avec les camarades du refuge, les qualifiant d’idiot.e.s parce qu’iels « prennent le parti de Tiphaine ». Son discours confirme qu’il est dans une posture de « camps », considérant que la présence des camarades du sanctuaire à mes côtés est imputable à une amitié préférentielle qu’iels me porteraient, alors que le socle commun de motivation des bénévoles est l’inquiétude au sujet de la mauvaise gestion du sanctuaire qui met en danger la bonne santé des animaux présent.e.s, et la déconnexion complète de Ceylan Cirik avec les valeurs et idées portées par le groupe que nous formions autrefois.
Je suis très inquiète pour ma sécurité et celle des animaux dont je ne peux plus prendre soin dans de telles conditions, alors même que j’en ai le droit et la responsabilité. Ceylan Cirik vole et détruit aujourd’hui des années de travail (et par conséquent tout ce que j’ai fourni comme efforts pour créer le sanctuaire avec lui, car les démarches furent longues et difficiles en 2019 lorsque nous avons déménagé dans l’est de la France : j’ai organisé toute la campagne de financement ainsi que les démarches juridiques nécessaires), il s’accapare les camarades animaux comme des objets de pouvoir et de vengeance me privant d’une vie partagée avec eux. Il faut se rendre compte que depuis sept ans, j’étais chaque jour au sanctuaire avec les animaux et que depuis mi-novembre j’ai pu y aller seulement huit fois puisqu’à chaque fois j’ai été harcelée, humiliée et violentée. Ce lieu magnifique qu’était le sanctuaire, est devenu aujourd’hui un lieu oppressif où règne la terreur, la domination et la collaboration avec la police. Ses soutiens et lui ont anéanti toute l’âme politique du sanctuaire qui n’est aujourd’hui plus qu’un banal refuge privatisé, privé de son histoire et de ses complices, détenu entre les mains de personnes dénuées de toute conscience politique qui le gèrent de manière désastreuse comme « leur lieu ».
III- RECONSTRUIRE.
Ces dernières années, pour tenir coûte que coûte et continuer de croire à la lutte alors que nous étions plongé.e.s dans la boue, enseveli.e.s sous les actes de saisie-vente et dévasté.e.s par le bruit de la pelle qui creusait la terre trop souvent pour enterrer ces animaux que nous voyions mourir à petit feu, j’encaissais les coups comme un mur, un mur de briques qui ne s’écroule jamais, ne doute jamais de rien, ne vacille ni ne recule jamais. Parce que reculer ou douter cela aurait voulu dire remettre en question les efforts et les sacrifices qu’impose la lutte… Et que malgré la difficulté, chaque camarade sorti d’un abattoir était une vie arrachée de la violence du système spéciste et du destin qui l’attendait. C’est long d’abandonner une armure comme celle-là lorsqu’on voudrait tant que l’histoire ne s’arrête pas, mais je suis saisie aujourd’hui par cette urgence à raconter ce qui se passe, à sauver ce que Ceylan Cirik s’évertue à détruire chaque jour, à hurler ce qui m’arrache les tripes et m’ouvre le cœur en deux, alors malgré moi je me prête à cette impudique « mise à nu » parce que je n’ai plus le choix pour faire entendre l’injustice qui s’est installée au sanctuaire.
Il me faudrait tout raconter évidemment, raconter comment la violence s’est immiscée ces deux dernières années dans un couple qui affrontait déjà la guerre au dehors, raconter comment j’ai tout fait pour le cacher afin de préserver ce que je crois toujours être le collectif le plus prometteur pour une lutte radicale, raconter comment la précarité et la douleur nous ont déchiré.e.s en deux et retiré cette partie de nous qui méritait le plus d’être conservée.
Mais je ne plongerai pas dans la litanie des « si » qui feraient de mon existence une réalité au conditionnel passé.
J’ai tellement temporisé durant ces dernières années, caché la vérité d’un comportement devenu depuis longtemps intolérable dans l’intimité, pour protéger le collectif et les actions. Parce que jusqu’au bout, les actions que nous étions capables d’organiser ensemble avec beaucoup de complicité étaient si belles et puissantes (des parenthèses extraordinaires de lutte radicale). Elles le resteront. J’ai longtemps cru pouvoir sauver tout ça. Il ne s’agit pas de salir le beau, qui restera beau, mais de dire aujourd’hui le vrai. C’est sans doute le plus douloureux à accepter : j’ai connu à la fois les plus beaux et les plus atroces moments de ma vie avec la même personne. Partir de notre lien pour construire une lutte a constitué une manière originale et puissante de faire de la politique, mais lorsque la relation se détériore et que la domination sexiste a commencé à s’immiscer dans le quotidien, cette façon de faire devient aussitôt un piège parce que tout avait été construit sur le couple que nous formions. Le problème n’est pas l’intime ou l’amour, ou encore d’avoir tout basé sur le lien mais bien la violence de cette relation inscrite dans les codes de l’hétérosexisme. Lorsque le patriarcat, l’emprise et le sexisme se sont immiscés dans mon couple, j’ai tenté de les y contenir pour sauver le tout. Pendant longtemps avant, je n’ai pas questionné cette violence. Je n’ai pas appris à dire non, j’ai appris à survivre en évitant de dire non. J’étais dominée, accablée de culpabilité, bloquée dans une impasse de la pensée. J’ai cherché à sublimer l’histoire d’amour pour excuser la violence.
« Certains amours ressemblent à la drogue dure. Tu ne laisses pas tomber, même quand c’est devenu une démolition. Tu es convaincue qu’en étant loyale, courageuse et capable d’obstination, les choses redeviendront comme elles étaient au début. Quand elles étaient extraordinaires. Ton intelligence sait que c’est foutu mais des tripes commandent, qui disent tu dois rester dans cet amour. » (Virginie Despentes)
En mai 2022 lorsqu’il a banni l’un des piliers du groupe, le camarade P., sans même prendre le temps de dialoguer avec lui, j’ai compris que plus rien ne serait comme avant. Peu importe qu’il y ait désaccord ou dispute, on peut être en colère contre un ami qui nous blesse mais on ne l’exclut pas d’un foyer révolutionnaire auquel il a participé sans lui laisser la moindre chance de s’expliquer ! J’aurais évidemment dû réagir, m’opposer avec courage, soutenir le camarade P., mais en vérité je ne questionnais même plus l’autoritarisme qui était devenu le mode de fonctionnement du groupe et j’ai ma part de responsabilité dans ce bannissement ignoble. Les sentiments que je lui portais encore, cette sale croyance que “le couple” passait avant tout et la peur de subir des représailles si j’osais m’opposer à lui, m’ont empêchée de réagir. J’ai fini par me réfugier dans un système encore plus vertical au détriment de mes camarades, en pensant que “269 Libération Animale” allait mourir si je faisais exploser le lien qui nous unissait lui et moi.
Nous n’avions pas de gestion collective des conflits et encore moins des violences. C’était presque un impensé dans notre groupe parce que nous ne voulions jamais perdre de temps, tous les efforts étaient constamment dirigés vers la préparation des actions directes. Je refusais qu’on s’arrête, et j’ai poussé ces dernières années pour tenir un rythme soutenu. C’est évidemment un chantier qui s’ouvre pour l’avenir que celui de réfléchir à une « justice transformative ou communautaire ». La justice transformatrice ne cherche pas seulement à transformer le comportement d’une personne qui cause du mal. Elle cherche aussi à transformer la manière dont les communautés parlent de mal et de guérison, à dissoudre la souffrance comme expérience individuelle isolée et à penser la guérison au niveau collectif et structurel. Cette dénonciation publique n’est pas un lynchage collectif, il ne faut jamais oublier que c’est une défense face à l’ignominie bien réelle. Des efforts ont été faits pour que Ceylan Cirik puisse d’abord se rendre compte de manière privée. Mais il s’est débrouillé pour ne pas avoir à rendre de comptes et il a choisi de continuer à générer de la souffrance.
Une certitude nous habite pour l’avenir : nous ne détruirons pas la domination par la domination.
Ce qui arrive est aussi l’occasion pour moi d’une sincère remise en question de cette verticalité, devenue progressivement toxique et oppressive. Je n’esquive pas ma responsabilité sur ce point, car Ceylan Cirik ne doit pas être désigné comme seul porteur et défenseur de ce système. J’ai longtemps défendu ce type d’organisation hiérarchique qui, durant tant d’années, avait fonctionné à la perfection. De nombreux.ses camarades aussi y ont longtemps trouvé leur compte ou, du moins, s’en accommodaient sans difficultés. J’établis une nette différence entre « la verticalité » et « l’oppression », de même que jamais je ne défendrai l’autoritarisme ! Avant tout, il faut rappeler que cette verticalité n’a pas toujours été choisie chez “269 Libération Animale”, elle fut presque nécessaire lors des premiers blocages d’abattoir pour garantir l’impunité à nos camarades et complices. Nous expérimentions là une tactique de lutte dont on ne maîtrisait pas encore les conséquences judiciaires et il faut bien le dire, puisque c’est la vérité, les camarades qui participaient à ces actions conditionnaient leur implication à l’absence de répression. Parce que nous étions les deux seuls organisateurs de ces actions (et que personne d’autre ne voulait supporter une telle responsabilité pénale !), nous avons assumé tous les deux l’intégralité des condamnations durant quatre ans et avons ainsi pu mettre en place une multitude d’actions directes en France grâce à ce procédé.
La verticalité s’est aussi imposée parce que notre engagement était de nature et d’intensité différente de celui des camarades qui nous entouraient. La lutte était notre quotidien, c’était notre choix de vie que nous ne souhaitions imposer à personne. Nous avions les initiatives et en pratique nous prenions en charge la gestion du sanctuaire, les repérages et la gestion des actions directes, l’élaboration de la stratégie et théorie politique, et bien sûr c’était aussi une question de « savoir-faire » puisqu’il était entre nos mains. Nous avons formé et éduqué de nombreux camarades avec beaucoup de respect et de bienveillance et il serait faux de dire que “269 Libération Animale” a toujours été une organisation autoritaire. Non, elle a longtemps reposé sur la verticalité dans sa pratique d’action directe certes, mais il y avait aussi des moments d’horizontalité, des tâches partagées et des décisions communes parfois sur des aspects qui le permettaient.
Surtout je crois qu’il ne faut pas oublier que cette verticalité nous garantissait une efficacité magistrale sur le terrain. La verticalité qui s’impose naturellement et prend forme lors de la tenue des actions les plus compliquées techniquement (et de leur préparation), n’est évidemment pas un mal. Elle n’est pas incompatible avec une pensée anarchiste et une aspiration réaliste vers l’horizontalité. Ce n’est pas cette verticalité là que je critique aujourd’hui. Car oui au regard des cibles que nous visions, de la difficulté à faire entrer tant de monde dans un abattoir, du nombre d’animaux que nous voulions arracher à leur destin funeste, des sursis qui nous faisaient risquer la prison à la moindre erreur, ce sont évidemment celles et ceux qui ont l’expérience et le savoir-faire qui prenaient les rênes, guidaient les autres et assumaient les repérages. Tout le groupe le comprenait et ce n’est pas sur ce point aujourd’hui que l’organisation de “269 Libération Animale” est remise en question. Nous n’oublions pas à ce sujet tout ce que Ceylan Cirik a pris comme risques pour nous apprendre tant de choses et réaliser ces actions. C’était une verticalité nécessaire mais aussi protectrice, bienveillante permettant au groupe d’agir avec un maximum de sécurité et d’efficacité.
Tou.te.s celleux qui ont participé à l’opération Bonnot, l’une des plus belles actions menées, pourraient expliquer combien cette forme d’organisation a pu être belle. La préparation s’était faite collectivement, chacun.e avait pu donner son sentiment sur le choix des cibles ; puis le moment venu ce sont les camarades les plus expérimenté.e.s qui, naturellement, échafaudaient le plan et guidaient les autres tout en s’appuyant sur une grande solidarité collective où chacun.e avait sa place. Quand on dispose de 10 minutes pour sortir 30 moutons d’un lieu complexe, il va de soi que les plus expérimenté.e.s prennent les commandes de l’opération. C’est du bon sens et pas de la verticalité revendiquée. Nous apprenions ensemble. Cette nuit-là il y avait une telle complicité entre nous tou.te.s, tant d’animaux libérés dans un lieu pourtant presque infaisable. Ensemble, nous étions capables de l’impossible, nous avions tant d’audace, c’était quelque chose de si exceptionnel que je ne voulais pas que ça puisse s’arrêter. Ces opérations de libération ont été pour beaucoup d’entre nous les plus beaux moments de notre vie. Ces deux dernières années, les actions étaient devenues les vestiges, les derniers sursauts du groupe qui continuait d’accomplir tant de puissantes et belles choses, mais qui souffrait en interne et il aurait fini par imploser.
Sortie de son emprise, je vois aussi aujourd’hui plus clairement le mur dans lequel nous nous dirigions avec cette verticalité qui, en dehors des parenthèses enchantées que représentaient les actions, s’était transformée en un autoritarisme violent. Je serais incapable de dater le passage d’une verticalité non pensée mais plutôt imposée par le contexte, à une verticalité devenue système d’organisation laissant place à l’autoritarisme… Ce qui est certain c’est que ce changement a eu des conséquences terribles. Le groupe ne tenait que parce que je passais mon temps à jouer le filtre entre Ceylan Cirik et les camarades : réparer ses mots violents, expliquer ses crises, légitimer ses décisions. Ce rôle que j’avais au sein du groupe fait partie du « travail du care » majoritairement accompli par les femmes, parce que méprisé. Cet autoritarisme avait fini par grignoter chaque pan du collectif. L’intime comme l’activisme. Et j’ai malgré moi renforcé son pouvoir en cachant la vérité et en habituant le groupe à supporter cette violence, parce que je voulais que les actions ne s’arrêtent jamais. Pourtant peut-être que nous en avons aussi fait moins, en nous privant de certaines personnes, d’une mise en commun des réflexions et compétences…
Il y a aujourd’hui une réelle volonté chez moi de reconstruire avec mes camarades une base organisationnelle beaucoup plus collective et cohérente avec notre discours politique et vision d’un antispécisme de gauche intégré à la lutte des classes. Je dois bien reconnaître que parfois j’ai du mal à ne pas voir l’horizontalité totale et dogmatique comme un paralysant pour les groupes d’action politique. Cette barbarie, immédiateté de l’activisme que nous partagions lui et moi et qui nous conduisaient à prendre tous les risques a été la marque de fabrique de “269 Libération Animale”. Il nous faudra pour l’avenir réussir à trouver un nouvel équilibre et fonctionnement collectif, tout en maintenant cette formidable capacité à agir. Il faudra composer avec des niveaux d’engagement très divers et complémentaires aussi. Il y a une chose que le groupe révolutionnaire exige : la générosité de ses membres. Alors évidemment quand un.e ou des camarades se distinguent par l’intensité de leur engagement, c’est toujours la source d’un risque de retour à la verticalité et d’inquiétudes. Nous devrons affronter ce nouveau défi pour reconstruire plus sainement. Nous avons compris qu’il était primordial de produire une culture ou une manière d’être dans le groupe qui soit généreuse et tolérante. Il ne s’agit pas de faire des réunions pour chaque détail, ni de nous perdre dans des théories de fonctionnement. Nous apprendrons sur le terrain à trouver l’horizontalité qui nous convient.
Une certitude nous habite : nous ne voulons plus perdre de temps avec des trahisons, des drames et des intrigues endogènes qui sans doute n’auraient jamais pu avoir lieu si une forme d’éducation politique avait garanti le partage d’un socle idéologique commun ; si au lieu d’être dominé par une espérance messianique, le groupe avait reposé sur un partage des savoir-faires comme des réflexions. On le sait la verticalité imposée conduit à d’inévitables scissions internes. Nous ne voulons plus faire souffrir, plus perdre de vue nos objectifs et en dépit du sentiment engendré par la grandeur de nos aspirations, nous savons que ce que nous pourrons créer ne sera pas parfait mais pourrait s’avérer assez bon.
L’auto-dissolution des “avant-gardes” semble être une fatalité dans laquelle nous sommes tombé.e.s. La lutte nous a consumé.e.s avec certitude, conscient.e.s de l’utopisme de l’antispécisme et faisant l’expérience de l’échec avec tous ceux laissés derrière nous et « il n’est peut-être pas exagéré de dire que les groupes radicaux sont régulièrement enclins à des formes de folie » (Mélancolie des groupes, Endnotes, 2022). Beaucoup d’activistes préfèrent peut-être pour cette raison éviter ce monde des “groupes politiques formalisés” pour exister librement de manière autonome et s’engager dans des projets plus modestes. Mais aujourd’hui mes camarades et moi continuons de croire que “269 Libération Animale” peut nous porter bien plus loin. Nous ne voulons pas renoncer au travail effectué depuis toutes ces années, au niveau d’efficacité atteint en matière de pratiques de lutte ; ce collectif a posé les fondations d’une pratique audacieuse et populaire de l’action directe, un terreau qui nous a permis de mettre à l’arrêt des abattoirs, de réaliser des libérations énormes, de surpasser ce qui nous aurait été accessible par une pratique autonome car “269 Libération Animale” ce sont des années de liens tissés et d’expérience, un lieu qui a radicalisé, et nous savons que ce groupe peut aujourd’hui trouver une nouvelle forme d’organisation pour poursuive son projet et frapper encore plus fort. Et quand nous parlons de l’avenir de “269 Libération Animale”, nous y englobons évidemment le sanctuaire. Nous voulons retrouver au plus vite les animaux car au-delà de l’affection qui nous lie et du souci constant de leur apporter les meilleurs soins, iels sont nos camarades dans cette lutte, nous partageons une histoire et nous n’avancerons pas sans elleux. Il y a un nouveau lieu, un nouveau sanctuaire à rêver, à construire, ensemble.
IV- CONCLUSION.
« Je sens l’écriture comme un couteau » disait Annie Ernaux, peut-être est-ce aujourd’hui le seul moyen de défense qu’il me reste, car l’écriture et l’action directe ont toujours été les seules armes à ma disposition contre la domination. Alors oui c’est un texte qui fait mal mais que j’ai cru nécessaire d’écrire au regard de la situation qui nous traverse, les camarades du collectif et moi, et du combat qui s’annonce car nous ne laisserons pas nos amis animaux et le sanctuaire aux mains de personnes qui le salissent, l’ont volé à la lutte radicale, des personnes dénuées de respect, de valeurs et de principes. Un « texte-bombe » pour mes ami.e.s animaux et humain.e.s, victimes collatérales d’un processus de destruction qui nous a percuté.e.s jusqu’à nous faire tomber avec une violence inouïe.
Mes mots sont des pansements autant que des tisons… Parce que j’ai l’impression de « trahir ma race » en les dévoilant, d’anéantir à jamais le symbole de ce qui fut le groupe le plus avant-gardiste en matière de pratique et de théorie radicale antispéciste. Mais l’écriture, et j’en reviens toujours à Genet, est mon « dernier recours » face à l’ignominie, la calomnie et la violence. Parce que ce trop-plein de douleur déborde, et que pour avancer il faut que ça parte dans un texte, c’est pour ça qu’on écrit, toujours…
J’ai longtemps reculé pour ne pas le publier par crainte des représailles qui seront certainement terribles, blessantes et rendront mes venues au sanctuaire encore plus éprouvantes et dangereuses, mais quand j’ai vu qu’il avait saccagé notre « Popote », cette grosse boîte à souvenirs, faisant disparaitre ainsi un symbole majeur de notre mémoire collective, un vrai foyer du sanctuaire où nous avions partagé tant de repas avec les amis et camarades à la lueur du feu du poêle, où tant de plans d’actions se sont scellés, alors j’ai compris que ne rien dire c’était le laisser nous anéantir et qu’il devenait nécessaire de prendre les armes plutôt que de tenter d’être l’éternelle conciliatrice qui sauve les apparences. Il a tout effacé des murs de cette cabane jusqu’aux noms des animaux décédés auxquels j’avais pris l’habitude de rendre hommage, jeté les dessins, les photos et dédicaces de nos camarades. Ce sont Ocho, Fantomas, Forest, et tous les autres dont la mémoire se retrouve piétinée, et ça, je ne peux le pardonner. « Partir de là où on est » avait toujours été notre façon de lutter qu’il s’agisse de notre popote, de la boue, du béton de la bouverie des abattoirs. Nous étions le « nous-sanctuaire », cet endroit du monde où nous étions connecté.e.s à tout et défini.e.s par chacun de nos liens plutôt que de façon absolue.
Bien sûr on peut me reprocher d’avoir ouvert les yeux tardivement. La victime de maltraitance est toujours celle qui est coupable d’avoir laissé faire, permis de faire, mais surtout celle qui n’as pas su inventer une autre façon, qui a manqué l’occasion de permettre à l’autre de cesser d’être le bourreau. La victime est toujours celle qui croit qu’elle a raté quelque chose. La victime est censée provoquer la compassion, mais elle inspire plus souvent un mouvement de mise à distance. On s’éloigne. On ne veut pas s’identifier à son sort malheureux. Je répondrai que lorsqu’on aime et partage la vie de celui qui adopte un comportement dominant et autoritaire, on a tendance à vouloir minimiser ce comportement et ses conséquences pour préserver les seuls équilibres constitués qui me font tenir et font tenir le collectif. C’est tout un ensemble de relations, de sociabilité et d’enjeux de différentes natures qui de fait est remis en cause. Cela nous touche profondément, aussi bien au niveau collectif qu’individuel. L’image que j’avais de moi-même était très dégradée.
Aujourd’hui je promets de tout faire pour que cette terrible situation ne signifie pas la fin ni de l’existence ni des aspirations et actions de “269 Libération animale” qui ne sera jamais utilisé pour faire valoir la violence, l’absence de camaraderie, de la séduction de flics, l’autoritarisme et surtout de “l’animalisme aveugle” qui se fiche de qui se trouve dans ses rangs. Une fois que le sanctuaire sera en sécurité, nous ferons tout pour pouvoir au plus vite consacrer à nouveau nos efforts à la lutte, avec toujours la même force, avec nos complices d’hier et de demain, qui partagent nos valeurs d’émancipation et notre refus de toute forme d’oppression et de collaboration avec des forces conservatrices et réactionnaires.
Je me battrai de toutes mes forces pour que les 45 actions directes menées depuis 2016 en inspirent d’autres. Je me battrai pour que les efforts qui avaient conduit à la création d’un réseau de placements pour les animaux libérés et d’un groupe de camarades qui se faisaient confiance et avaient l’audace de mener de si belles et risquées actions, ne soient pas vains. Des camarades capables de déployer ensemble tant de beauté, de force et de puissance politique, de technicité créative, ne peuvent avoir été à ce point éloigné.e.s par la haine d’un seul homme. Je ne laisserai pas une si belle histoire être souillée par des idiots réactionnaires qui n’ont rien compris à la lutte et se sont emparés du sanctuaire. Je ne laisserai pas ma famille entre les mains des traîtres.
Cette idée que l’intime et le politique étaient liés : j’y crois encore beaucoup mais sous la forme d’autres complicités, qu’elles soient entre camarades humain.e.s ou avec les animaux. Nous sommes dans cette situation d’échec avec un intime « dysfonctionnel », oppresseur, parce que tout était construit sur ce lien mais aujourd’hui s’ouvre un nouveau champ des possibles et c’est sur de nouvelles intimités plus saines que nous inventerons et que se renforcera notre lutte. La crise traversée pousse à interroger d’autres modes de prise de décision. Les idées, l’inventivité, doit aussi venir des rencontres, des propositions spontanément faites de chacun.e, du débat, du conflit aussi mais dans le respect de chacun.e. On essaie de tirer les enseignements de ce drame pour éviter d’avoir à le revivre. Il faut remettre le collectif au centre, moins de personnalisation, plus de discussions et de débats.
Je suis d’autant plus dévastée que la lutte n’a jamais été aussi urgente et nécessaire… Mais “269 Libération Animale” a traversé bien des épreuves depuis 2015, il a toujours su se réinventer pour garder cette pratique et théorie radicale, sortir plus fort, évolué rapidement pour s’adapter à l’ennemi, se remettre en question et je suis aujourd’hui persuadée qu’avec nos camarades nous allons réussir à transformer ce drame en une force vive pour l’avenir. Après avoir affronté une telle domination et trahison, qui pourrait encore nous faire peur et barrer notre route ? Lorsqu’en 2018, les condamnations avec sursis ont failli stopper le collectif, nous avions rebondi développant d’autres stratégies de lutte plus efficaces encore. Nous avons arraché des animaux aux abattoirs quand tout le monde nous disait que c’était impossible. Aujourd’hui l’ennemi est à l’intérieur mais nous le combattrons avec le même courage.
“269 Libération Animale” a réussi à faire de l’action directe une stratégie respectée et inspirante, il a fédéré par-delà les frontières ; c’est une boîte à outils extraordinaire, un catalyseur qui a allumé l’étincelle et mis le feu aux poudres : il est hors de question de l’abandonner. Ce collectif restera le meilleur espoir d’une lutte antispéciste radicale et nous ne poursuivrons pas la lutte sans nos camarades animaux à nos côtés.
Nous voulons mettre fin le plus rapidement possible à cette crise pour que le collectif puisse retrouver sa raison d’être et ses luttes, redessiner “269 Libération Animale” sur une nouvelle forme d’organisation. L’action directe, mais aussi l’éducation populaire, le care et des gestes solidaires sont les plus puissantes modalités d’action en tant que complices puisque les résistances se multiplient contre les structures de l’oppression tout en tissant des communautés d’affects de toutes espèces. Débarrassons-nous des idéologies dominantes qui incarnent tout ce contre quoi nous luttons pour penser, agir et ressentir ensemble l’action révolutionnaire qui se déploie dans nos mots, nos expériences, nos corps, nos relations, nos modes d’habiter et nos gestes.
Camarades animaux du sanctuaire, nous ne vous oublions pas et nous nous battrons pour vous retrouver !
Tiphaine.
Soutien à la victime.
Mais pas soutien à ce que parfois elle écrit qui est à la fois autoritaire et à la fois mystique. Dommage.
Soutien à la victime.