Bonjour, le collectif STop Micro ! Pouvez-vous nous raconter ce qui s’est passé mercredi 14 décembre devant la Régie des Eaux de Grenoble ?

Bonjour ! Nous avions appelé ce jour-là à un rassemblement devant la Régie des eaux de Grenoble pour dénoncer les nuisances que les industries locales de microélectronique, en particulier ST Microelectronics et Soitec, génèrent avec la bénédiction des institutions publiques. Avec notre cri d’appel : « De l’eau, pas des puces ! », c’est surtout contre la dilapidation de quantités monstrueuses d’eau potable que nous avons voulu alerter.

La consommation en eau potable cumulée de ST Microelectronics et Soitec à l’horizon 2023-2024 : 336 litres par seconde.

Le 14 décembre devant la Régie des eaux (fermée pour l’occasion), se tenait fièrement une montagne de bouteilles d’eau qui symbolisait la consommation en eau potable cumulée de ST Microelectronics et Soitec à l’horizon 2023-2024 : 336 litres par seconde. Ce qui représente aussi 700 000 douches par jour. Et tout autour sur la place, nous avions préparé des banderoles, des jeux explicatifs et des brochures pour éveiller les consciences sur ce sujet, de plus en plus crucial à mesure des annonces des sécheresses à venir. Une soixantaine de personnes ont bravé la neige et le froid pour venir se renseigner, partager, discuter, et parler aux passant·es.Cet événement était un simple rassemblement citoyen d’échange d’informations, très convivial. Mais il faut préciser que la police a cru bon d’y envoyer deux fourgons afin d’égayer l’ambiance et de nous filmer. Les policiers paraissaient s’ennuyer sur leurs smartphones, et se sont amusés à coller par voie postale une amende de 135€ pour débarras encombrant à la seule personne dont ils connaissaient le nom. Ces tentatives d’intimidation nous ont convaincu de la nécessité d’amplifier le combat.

Les entreprises contre lesquelles vous vous mobilisez utilisent de l’eau potable pour fabriquer des puces électroniques, c’est ça ?

Exactement. L’entreprise ST Microelectronics est spécialisée dans la production de puces électroniques, composant de base de tout système électronique, et donc numérique. Implanté depuis 1992 à Crolles, ce mastodonte emploie 5000 personnes, ce qui en fait l’une des plus grosses entreprises de la région. Les dégâts écologiques provoqués par STMicroelectronics et ses voisins crollois de la micro-électronique comme Soitec ne datent pas d’hier. Mais l’urgence a pris une autre dimension lorsque le gouvernement a annoncé cet été, en pleine sécheresse, soutenir à grand renfort d’argent public l’extension du site industriel, qui s’accompagnera d’une expansion de sa consommation et de ses nuisances. Si les sécheresses se reproduisent, ce qui est probable, irons-nous jusqu’à la situation de Taïwan cet été, qui coupait le robinet deux jours par semaine à sa population pour assurer le fonctionnement de TSMC, le leader mondial des semi-conducteurs, approvisionné à coup de camion citernes ?

Oui, ça laisse songeur… Mais est-ce que ce que les nuisances de ST Microelectronics et Soitec se limitent à la surconsommation d’eau ?

Bien sûr que non ! La dilapidation de toute cette eau s’accompagnera d’une gigantesque consommation d’électricité : quasiment l’équivalent de la population grenobloise : la consommation de 139 000 personnes ! À l’heure ou le maire de Grenoble envoie à tous ses habitant·es une lettre pour les inciter à réduire leur utilisation d’électricité, celle de l’usine de ST Microelectronics augmente chaque année. Devant les restrictions énergétiques attendues, les industries bénéficieront-elles du même traitement privilégié que pour leur eau ?

Le fonctionnement de l’usine dépend aussi d’une vaste flopée de produits toxiques, dont une partie est rejetée dans l’air, une autre déversée dans le réseau communal.

Le fonctionnement de l’usine dépend aussi d’une vaste flopée de produits toxiques, dont une partie est rejetée dans l’air, une autre déversée dans le réseau communal. Ce sont plus de 20 000 tonnes de produits chimiques consommées par an, parmi lesquels certains extrêmement dangereux : ammoniac, chlore, hexafluorure. Toutes ces cochonneries ont permis à ST Microelectronics d’être classé site Seveso seuil haut. Outre le danger sanitaire permanent que cela représente, on se doute bien que les rejets de ces super-pollueurs ne font pas du bien au Grésivaudan. C’est à cause de tous ces produits chimiques que la super eau potable nécessaire à la production de puces, au sortir de l’usine… n’est plus potable. Cette toxicité se retrouve aussi dans les milliers de tonnes de déchets que génère l’usine chaque année. Parmi les déchets « non dangereux » (boues de traitement, métaux), des centaines de tonnes sont enfouies, et parmi les déchets dangereux (acide, solvants), quelques centaines de tonnes sont incinérées. Le reste est recyclé : à quel coût, énergétique, chimique ?Mais ce serait réducteur de s’arrêter là, car on retrouve des nuisances à tous les bouts de la chaîne des puces électroniques. D’abord, leur fabrication nécessite une extraction de minéraux, tel que le silicium, qui dévaste l’environnement et les travailleur·ses à l’autre bout de la planète. Pour finir, les déchets électroniques sont abandonnés dans des décharges à ciel ouvert qui polluent encore d’autres environnements lointains.Et puis, en allant plus loin on pourrait aussi parler des transformations sociales qu’induisent l’implantation de ces usines. La vallée du Grésivaudan était autrefois une vallée particulièrement fertile, et bonne pour le maraîchage. Aujourd’hui, la ville de Crolles n’est plus que la cité-travail de milliers de salarié.es qui viennent pour bosser dans les usines de ST, créant un trafic routier monstrueux et faisant de la ville un village fantôme dès le week-end. Et puis il y a tout ce qui est fait en amont et en aval pour venir supporter ou s’adapter à l’activité des industriels. La Régie des eaux de Grenoble par exemple, qui réalise des travaux de 50 millions d’euros pour venir renforcer les réseaux d’adduction afin faire face à l’augmentation de la consommation en eau des usines. Niveau conditions de travail, ça ne fait pas rêver non plus… Objectifs inatteignables, intensification de la production, environnement de travail ultra-confiné des salles blanches… Des emplois certes, mais lesquels ?

Le slogan de ST Microelectronics est « life.augmented ». Il nous semble que vous vous posez en opposition à cette « vie augmentée »…

Le monde que les puces de ST Microelectronics approvisionnent, c’est principalement celui des voitures automatiques, des capteurs connectés et des usines robotisées. Voilà l’augmentation mentionnée dans le slogan : celle de la digitalisation agressive de nos vies. Qui permet de réduire l’enseignement à des vidéos en ligne, une part de l’activité médicale à la collecte de données numériques, notre perception du monde à des tableaux Excel et des graphiques quantifiés, les guichets humains à des automates de vente. Et aussi, un accroissement de la puissance de surveillance numérique, comme le ciblage publicitaire et la reconnaissance faciale. Et enfin, la conversion d’activités autonomes à des processus formels et automatiques. Pour nous, ces perspectives vont de pair avec la réduction de nos liens sensibles au réel, ce qui vit, et avec une dépossession de nos capacités propres à agir avec lui. C’est la promesse d’une vie réduite à un fonctionnement machinal.Opposé·es ou non, les concerné·es n’ont aucun pouvoir de décision sur l’expansion du numérique ou les nuisances de ses usines. Ce pouvoir n’appartient qu’aux principaux concentrateurs de capitaux que sont l’État et les grandes entreprises. Ces derniers temps, l’État décide de déverser des sommes astronomiques dans le secteur des microélectroniques, par exemple via les « plans nano » qui engraissent annuellement la recherche et le développement des nanotechnologies d’un bon milliard d’euros d’argent public. En outre, le projet d’extension de l’usine de ST Microelectronics a reçu cette année une aide supplémentaire de l’État de 2,3 milliards d’euros, les 3 milliards restants provenant d’investissements privés

Le débat ne se réduit pas à ces deux usines, mais à tout l’écosystème technologique grenoblois, un modèle historique pour allier en symbiose la recherche et l’industrie. Les recherches publiques en nanotechnologies, parfois en lien direct avec les entreprises, sont menées par un bataillon d’instituts et de laboratoires grenoblois. Il y a le CEA, l’Inria, l’UGA, Minatec (le premier pôle européen d’innovation en nanotechnologies).En bref, nous posons la question : est-ce la vie que nous souhaitons ? Cette gestion opaque de nos ressources en eau est-elle sensée ? Les investissements devraient-ils être guidés dans ces emplois-là ? Nous aimerions un réel pouvoir démocratique sur ces questions.Cependant, nous ne sommes pas dupes : la production de semi-conducteurs est considéré comme un atout stratégique par le gouvernement, et prioritaire pour son « économie de guerre ». De plus, il s’aligne sur les directives européennes qui projettent d’atteindre les 20 % de production (loin des 8 % actuels) du marché mondial de ce secteur en pleine croissance. Freiner cette expansion intrusive des technologies numériques et de leurs nuisances, est une initiative qui va clairement à l’encontre de la puissance nationale et des intérêts des industries qui en profitent. Une longue résistance sera nécessaire pour en venir à bout.

A l’occasion de la Journée Mondiale de l’eau, nous organisons un rassemblement à Crolles le 1er avril prochain.

Quelle est la prochaine étape de la mobilisation ?

A l’occasion de la Journée Mondiale de l’eau, nous organisons un rassemblement à Crolles le 1er avril prochain. Ce sera un rassemblement festif qu’on espère le plus massif possible : notez la date dès maintenant !D’ici là, nous allons informer un maximum sur ces entreprises mortifères. Nous prévoyons de distribuer des tracts et d’organiser plusieurs réunions publiques dans le Grésivaudan et à Crolles, pour sensibiliser à ce sujet, discuter et appeler au rassemblement. Nous espérons compter sur la créativité et la motivation de tout le monde pour rejoindre le mouvement ! Si vous avez envie de venir tracter avec nous, si vous avez des idées à proposer pour le 1er avril ou tout autre sujet, n’hésitez pas à nous contacter à l’adresse mail stopmicro@riseup.net. Nous encourageons toutes les personnes qui veulent se battre contre le réchauffement climatique, toutes celles qui pensent que canicules et sécheresses ne sont pas une fatalité, toutes celles qui sont opposées à l’accaparement des biens publics par de grandes entreprises à nous rejoindre !

Propos recueillis en janvier 2023.

Pour aller plus loin, consultez le blog du collectif Stop Micro https://stopmicro38.noblogs.org, qui relaye les textes du collectif, les articles de presse sur la mobilisation, ainsi que des enquêtes sur les nuisances des industries de semi-conducteurs.

Article publié dans La nouvelle vague numéro 8, janvier 2023.
https://collectifruptures.wordpress.com
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