Vers la grève humaine
Catégorie : Global
Thèmes : Archives
Lieux : NantesRennes
petit texte pas si contextuel mais au cas où quand même si c’est pas mal :
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nous appelons à commencer une grève, non une
grève étudiante, mais une grève humaine, à l’université de Grenoble.
Nous appelons les petits groupes de réflexion et d’action qui se sont déjà
constitués à se fédérer au sein d’une assemblée de grévistes, assemblée
décisionnelle de ceux qui refusent de travailler au rétablissement de
l’ordre universitaire, de ceux qui veulent se donner les moyens de mener
une lutte victorieuse.
A considérer aujourd’hui le cadavre encore tiède du mouvement étudiant,
tout en appelant de ses voeux un renversement radical de perspective qui
permettrait d’en dégager un peu de colère réellement vécue, on pourrait se
dire que le problème des grévistes a été de se prendre un peu trop au
sérieux, plutôt que de prendre au sérieux leurs propres problèmes, et les
problèmes plus vastes qu’ils se félicitaient de poser.
Personne ou presque, par exemple, n’a entrepris dans ce mouvement
d’universitaires une quelconque critique de l’université ; au contraire,
nous avons pu assister à une valorisation unilatérale de ce qui est là, ou
supposé être là, l’université « libre », « gratuite », « égalitaire », de
« transmission des savoirs ». Comme si les réformes LMD-Autonomie, au
contraire de signifier un plan de rationalisation technocratique de la
collaboration entre l’université et l’entreprise -collaboration qui n’est
autre que la complémentarité qui les porte à façonner ensemble la
modernité du même monde, le monde du travail- étaient un coup des
méchantes entreprises contre la gentille université. On s’étonne ensuite
que la Présidence diffuse des tracts malhonnêtes, ferme la fac, fasse sa
vieille avare en rationnant les photocopies, menace d’un référendum ; ce
qui n’est encore rien quand à Caen, Perpignan, Nantes ou Paris V, ces
fossiles, moins fins tacticiens, envoient la police ou nettoient en douce
les barrages pour briser ceux qui n’ont pas peur d’eux, les reconnaissent
pour ce qu’ils sont, des professeurs-entrepreneurs, des capitalistes de la
pensée.
Nous ne pouvons certes faire moins qu’envoyer aux poubelles de la petite
histoire économiste les décrets LMD-ECTS et autonomie des universités,
sans croire un instant à leur « aménagement » : il ne s’agirait au mieux
que d’un repli stratégique, pour mieux reprendre au moment opportun ce qui
aura été cédé, au pire qu’un pur et simple effet d’annonce. Ferry lui-même
ne salue t-il pas superbement le mouvement étudiant en reflux : « Je n’ai
pas cédé. »
Mais il y a plus grave. Personne ou presque ne s’est demandé ce
qu’impliquait une grève. Une grève est une interruption de la production,
et, corrélativement, de la vie quotidienne de ceux qui la font. On peut
s’en féliciter, critiquant d’un même mouvement le morne labeur des salles
de classe et l’absence de rencontre plus criante encore à l’université
qu’à l’usine, qui forment la consistance, ou l’absence de consistance, de
cette vie quotidienne. On peut aussi considérer que, pour quelqu’un qui
séjourne à la fac, et qui fait grève, la critique de l’université et la
critique de la vie quotidienne ne font qu’un. Mais l’étudiant, cet être
abstrait qui n’existe qu’à travers les mobilisations étudiantes (qui lutte
au nom de cette identité d’étudiant, pour un véritable statut de
l’étudiant, alors que l’être réel travaille pour financer ses études,
quand étudier signifie travailler à sa propre employabilité) ne critique
jamais rien, par essence. L’étudiant, ce travailleur pour qui la lutte
signifie production de fausse conscience, voit dans la grève une forme
d’engagement politique. Pas de chance, il croit que la politique est
affaire d’opinion, pour ou contre la LMD, le libéralisme, le cadrage
national des diplômes, malgré l’évidence du fait qu’avoir une opinion ne
change rien à l’incapacité d’agir sur sa vie et n’engage à rien. Il croit
au nombre, à la masse, à la démocratie, au bulletin de vote. Il veut une
mobilisation massive de tous autour de lui, de sa cause juste. Pour cela,
il lui faut les medias, il lui faut jeter au vent des centaines de
milliers de tracts qui ne parlent jamais que de lui, tracts qu’on
repoussera comme des prospectus, peu importe. La masse des gens n’est pas
assez conscientisée, pensera t-il, ce con.
Le mouvement étudiant, ce mouvement de l’intellectualité massifiée, trouve
normal, aussi normal que de se salarier pour manger, qu’il y ait un temps
pour la réflexion, un temps pour l’action, un temps pour la communication.
Mais de la réflexion sérieuse, sur les textes sacrés de la Réforme. Mais
des actions sans danger d’aucune sorte, des actions – divertissements, des
actions spectaculaires (des simulacres d’action) dit-il si bien. Mais de
la communication modeste, sans désir de réponse, d’idées aseptisées. Comme
la « réflexion », pour lui, n’est pas une pratique de la théorie, une
tentative d’explication, une action d’éclaircissement sur le monde, pas de
critique sociale. Comme l’action est « au service de la réflexion »,
d’ailleurs inexistante, pas d’évaluation de ses forces, de celles de l
‘ennemi, des alliances possibles, pas de stratégie de lutte. Comme la
communication a pour but de massifier la mobilisation, qu’elle n’est ni
action ni réflexion, communiquons donc, main dans la main avec les médias,
la bonne parole consensuelle, sans que jamais ne soit posée la question de
la rencontre avec les raisons de se révolter d’un lycéen, chômeur,
précaire, ni même de la rencontre entre nous, sur nos raisons de nous
révolter. Mais, au juste, qui parle de se révolter ?
Pour l’étudiant, il est juste que certains fassent le café, le ménage,
nettoient les chiottes, tandis que d’autres écrivent des tracts, parlent
devant les caméras, président des comités. S’il nettoie les chiottes, il
se plaindra des intellos. S’il dirige des assemblées, il plaindra la
malheureuse base qu’il faudrait mieux « associer » aux décisions. Il ne
lui viendrait pas à l’idée que tous puissent participer à l’élaboration de
tous les aspects de la lutte, de la vie, comme le font sans plus y penser
ceux pour qui partager (la nourriture, les savoirs pratiques, les
expériences et désirs) a un sens immédiatement présent, loin d’un « autre
monde possible » de masses conscientisées.
Il est temps de questionner l’évidence qu’un mouvement social se doit de
fonctionner, comme fonctionnent une administration, un réseau de
transports en commun, une entreprise. Ces systèmes fonctionnent en tant
qu’ils impliquent leur propre reproduction, autonome de ceux qui les font
fonctionner. Un mouvement qui cherche à interrompre le fonctionnement
normal d’un système ne peut se constituer lui-même en système autonome de
ceux qui l’animent. Tel a pourtant été le cas à Rennes 2, où ont été
multipliées les fonctions : activistes, communiquants, intellectuels,
piquets de grève, cuisiniers, animateurs culturels, diplomates… Les
capitalismes privé ou d’Etat ont toujours répété qu’il fallait certes que
des besoins humains soient satisfaits, mais que le problème de « comment
faire ? » n’était pas un problème. Planification ou flux tendus
constituent deux théories rivales et alliées du fonctionnement, ce système
de fonctionnalisation (d’autres diront « marchandisation ») de l’humain.
Le fonctionnement est l’ennemi de tout accroissement de puissance, qui
implique la réappropriation critique de ce que l’autre fait sans moi.
Accroître notre puissance, cela signifie passer du « je » séparé de
lui-même par sa fonction sociale au « nous » qui réalise les possibilités,
encore imaginaires, d’un jeu collectif, d’une politique. Un mouvement de
grève qui choisit d’ignorer cette question ne pourrait d’ailleurs
fonctionner que si les grévistes étaient salariés par un administrateur
général de la grève. (Soit dit en passant, les permanents syndicaux qui
impressionnent tant l’étudiant dans les interpro, sont payés pour militer,
faire et défaire les grèves : ce sont des fonctionnalistes conscients.)
Nous n’en sommes pas encore là : le mouvement ne fonctionne donc pas, il
s’affaiblit.
Un mot pour la démocratie directe. Quand des Assemblées Générales sont
constituées d’un ou de deux tiers d’anti-grévistes qui parasitent tout
débat et votent sur des questions qui ne regardent que les grévistes
(écrire un tract, décider d’une action, de l’occupation d’un lieu, de la
réquisition de matériel, de l’envoi d’une délégation…), il ne s’agit pas
de démocratie directe, mais d’irresponsabilité assumée, de soumission à
une foule qui malgré son verdict ne s’engage à rien. Il n’y a d’autre
avenir pour ceux qui y croient que l’opportunisme politicien ou le fier
malheur du tribun incompris. Merde aux masses. La grève appartient à ceux
qui la font. Nous appelons à commencer une grève, non une grève étudiante,
mais une grève humaine, à l’université de Grenoble. Nous appelons les
petits groupes de réflexion et d’action qui se sont déjà constitués à se
fédérer au sein d’une assemblée de grévistes, assemblée décisionnelle de
ceux qui refusent de travailler au rétablissement de l’ordre
universitaire, de ceux qui veulent se donner les moyens de mener une lutte
victorieuse.
La loi Ferry, tout comme l’esclavage salarié, la dépossession de nos vies
et la misère sous toutes ses formes ne sont que des conséquences de
l’autonomisation de l’économie et de la domination qui s’exerce à travers
elle. Nous pouvons passer nos existences à tenter de combattre ce qui ne
sont que des conséquences logiques, à être réduits à un fonctionnalisme
dépecé de toute humanité, à se lever chaque jour pour voir les plus belles
années de nos vies glisser entre nos doigts à peine bons à saisir un
comprimé de prozac. Ou alors nous pouvons décider de prendre le mal à sa
racine, de briser nos illusions, d’agir, d’aiguiser notre compréhension du
monde, d’avoir le courage d’exiger ici et maintenant ce que notre
conditionnement a toujours prétendu impossible. Le rôle de la faculté est
de nous intégrer à notre rôle de travailleur/consommateur/spectateur
formaté et servile. Nous ne voulons pas nous limiter à critiquer les
conditions dans lesquels nous allons intégrer notre simulacre de vie, nous
voulons révolutionner l’emploi même de la vie. Nous ne voulons pas
discuter démocratiquement les détails de notre aliénation, nous voulons
détruire cette aliénation. La loi Ferry n’est qu’une broutille qui à
travers sa pseudo-contestation nous écarte encore un peu plus d’une réelle
conscience. Nous n’aspirons pas à la sympathie d’une telle époque, nous ne
voulons pas être applaudis ou élus, nous voulons être la fausse note de ce
requiem, la pègre lorsque l’honnêteté est soumission. Radicalisons la
conscience qui fera naître nos actions. Devenons une menace pour l’empire
de la survie. Nous n’avons que l’ennui et la misère à perdre.
Des étudiant-e-s ou non
texte pompé sans remords, issu de l’annexe documentaire d’un texte très très bien
« de la grève étudiante à la grève humaine – retour sur le mouvement étudiant à rennes 2 – hiver 03 » dispo ici :
http://infokiosques.net/spip.php?article=123
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