Un “mercenaire-historien” récompensé par le sénat français
Catégorie : Global
Thèmes : ArchivesRacisme
Lieux : BordeauxNantes
Appel aux descendants des esclaves français et à leurs amis
Un historien récompensé par le Sénat français
Les descendants d’esclaves africains et tous ceux qui se disent sensibles à la mémoire de l’esclavage feraient bien de se préoccuper sérieusement de la montée de l’histoire révisionniste, dont Olivier Pétré-Grenouilleau, récompensé le 11 juin 2005 par le prix du livre d’Histoire du Sénat, est le plus beau fleuron français.
A-t-on bien lu le livre de cet universitaire de second choix qui, à point nommé, sort de sa basse Bretagne pour falsifier les chiffres, relativiser la traite atlantique et oser comparer l’esclavage en Orient du VIIe siècle au crime raciste organisé des Lumières ? Rien de bien nouveau dans cette apologie caractérisée de la traite négrière. Elle ne fait qu’illustrer l’argument de Voltaire pour justifier l’esclavage des Africains : « Un peuple qui se donne des maîtres était né pour en avoir ».
Aveuglé par son racisme, monsieur Pétré-Grenouilleau, qui n’est ni orientaliste ni africaniste, s’appuie essentiellement sur quelques archives privées des familles négrières qu’il défend et sur des travaux anglo-saxons, notamment ceux de Patrick Manning qui, du reste, les a reniés depuis.
Tout le monde sait que l’esclavage en Afrique ne saurait être mis en parallèle avec la traite transatlantique. Tout le monde convient que la traite orientale qui a duré treize siècles n’a jamais été numériquement supérieure ni même comparable à la traite transatlantique qui, elle, s’est concentrée sur deux cents ans d’horreur absolue et d’extermination. Les conditions de l’esclavage oriental n’ont jamais été semblables aux plantations des Amériques. Il n’y a jamais eu d’esclavage sans révolte et les esclaves africains n’auraient pas enduré pendant mille ans en Orient ce qu’ils n’ont pas souffert plus de cent cinquante en Haïti. La meilleure preuve : lorsque l’esclavage devient insupportable, dans le sud de la Mésopotamie au IXe siècle, éclate l’une des plus grandes révoltes d’esclaves noirs de l’histoire, celle des Zendj. Du reste, pas de racisme en Orient puisque l’Orient est nègre.
C’est pourtant le contraire qu’affirme Pétré-Grenouilleau, sans être jamais contredit. Et ce qui est nouveau, c’est que le voilà couvert d’éloges. Il est même des béni-oui-oui mélanodermes pour l’approuver. Il est vrai qu’il y eut toujours quelques vendus parmi les Africains et les Antillais, de même qu’il y eut, certes, des complices pour capturer ou fouetter leurs congénères.
Aujourd’hui, donc, monsieur Pétré-Grenouilleau ment, bidonne, falsifie et insulte les Africains et les Antillais sous un tonnerre d’applaudissements hexagonaux. Personne n’a lu son livre, mais tout le monde le cite comme une référence. Il est invité partout à parler de l’esclavage. Jusqu’où cela ira-t-il ? A-t-on bien lu l’interview qu’il publie impunément dans le Journal du Dimanche du 12 juin 2005 ?
Sans aucune gêne, l’historien révisionniste déclare tout de go que « descendant d’esclaves est une expression à manier avec prudence ». Il va jusqu’à ironiser en laissant entendre que les descendants d’esclaves antillais ne sont peut-être que des descendants de négriers africains. Bien entendu, il remet en cause la loi Taubira qui selon lui prose « problème » en ce qu’elle suppose « une comparaison avec la Shoah » et il déclare tout net que « les traites négrières ne sont pas des génocides ».
Ne nous laissons pas impressionner par le chorus médiatique qui accompagne le livre de monsieur Pétré-Grenouilleau. Certes, la chose est bien enveloppée sous son étiquette NRF, mais souvenons-nous, pour paraphraser Chamfort, qu’il y a des crimes bien habillés comme il y a des criminels très bien vêtus. Et ne soyons pas naïfs : l’harmonie apparente de ces louanges doit être mise au crédit du travail laborieux et chèrement rémunéré de certains laboratoires spécialisés en communication d’influence qui se sont beaucoup démenés, depuis Durban, pour recruter des mercenaires.
Alors, dans l’urgence, simplifions : le livre de monsieur Pétré-Grenouilleau relève purement et simplement des tribunaux sous le chef de racisme et d’apologie de crime contre l’humanité.
Claude Ribbe
L’heure est grave. Alors que M. Jacques Chirac, président de la République française, après avoir déclaré publiquement à Pointe-à-Pitre qu’ « Haïti n’a jamais été, à proprement parler une colonie française » avait signé un décret visant à mettre les cendres d’Alexandre Dumas au Panthéon, sans faire aucune mention des origines haïtiennes, donc africaines du père de l’écrivain, né esclave à Jérémie (République d’Haïti), M. Christian Poncelet, président du Sénat, en mémoire de son prédécesseur, le Guyanais Gaston Monnerville, descendant d’esclaves, m’avait donné, le 30 novembre 2002, l’opportunité de rappeler solennellement, au cours d’une allocution, les origines antillaises des Dumas et de raviver la mémoire bafouée de l’esclavage et de la traite négrière. À l’époque – où l’application de la loi Taubira était suspendue- les grands médias nationaux, et tout particulièrement France 2, avaient délibérément cherché à occulter cet aspect des cérémonies, préférant mettre l’accent su r l’intervention de M. Decaux, auteur d’un spectacle à la gloire de Napoléon qui ne mentionnait ni le rôle éminent du général Dumas dans l’histoire de France, ni le rétablissement de l’esclavage en 1802. C’était aussi le temps où France Télévisions glorifiait Napoléon à travers l’adaptation d’un livre de M. Max Gallo dans lequel les crimes du dictateur- notamment vis-à-vis des Antillais- étaient soigneusement effacés.
Au moment où M. Chirac refusait, malgré mes demandes répétées, de décerner au général Dumas, nègre et sauveur de la République, la Légion d’Honneur à titre posthume qui lui était due plus qu’à quiconque, j’avais été particulièrement touché par le courage de M. Poncelet, qui avait su obtenir une modification de la cérémonie initialement prévue pour qu’à travers l’écrivain Dumas, on rendît aussi hommage à son père et à tous les descendants d’esclaves. De même Monsieur Philippe Seguin, aujourd’hui Premier président de la Cour des Comptes, s’était-il associé à la démarche de Monsieur Bertrand Delanoë, maire de Paris, pour faire remettre à sa place la statue du général Dumas, déboulonnée par les nazis en 1942, après la tristement célèbre visite à Paris d’Adolf Hitler, venu s’incliner aux Invalides devant le tombeau de son prédécesseur dans l’art du génocide, Napoléon Bonaparte, tortionnaire et assassin de Toussaint Louverture, de Louis Delgrès et de centaines de milliers de résist antes et de résistants antillais.
Ma surprise est donc immense, moins de trois ans après, d’apprendre que le Sénat décerne le prix du livre d’Histoire à un universitaire dont la seule gloire est de mener, aux frais de la République, des recherches révisionnistes.
Aujourd’hui, monsieur Pétré-Grenouilleau, grâce à la tribune permanente que lui offre France-Télévisions ainsi qu’une certaine presse écrite, peut à son aise insulter publiquement les descendants d’esclaves. Qu’aurait pensé Gaston Monnerville en apprenant que le Sénat récompenserait un jour un homme capable de déclarer dans Le Journal du Dimanche : « descendant d’esclaves est une expression à manier avec prudence » ?
Il me paraît, en conséquence, important que M. Christian Poncelet, président du Sénat et second personnage de l’État, fasse savoir clairement aux descendants d’esclaves s’il cautionne ou non les propos et les thèses de M. Pétré-Grenouilleau. S’il ne les cautionne pas, il lui suffit de revenir immédiatement sur l’attribution de ce prix qui, non seulement est insultante pour des millions de Français, mais qui entache aussi l’honneur d’une des plus hautes institutions de la République et porte atteinte à la mémoire de M. Gaston Monnerville. Au cas où l’attribution du prix à M. Pétré-Grenouilleau serait explicitement ou implicitement confirmée, il appartiendrait non seulement à tous les descendants d’esclaves, mais à tous ceux qui refusent le révisionnisme et demandent la reconnaissance de tous les génocides sans exception, d’en tirer les conséquences dans les plus brefs délais.
Par ailleurs, la loi du 10 mai 2001 s’attachant à protéger la mémoire des esclaves et l’honneur de leurs descendants, il importe que le ministre de l’Éducation nationale prenne immédiatement des dispositions visant à suspendre de leurs fonctions les enseignants révisionnistes au nombre desquels M. Pétré-Grenouilleau occupe une place de choix. Il est en effet inadmissible que des individus prônant de telles doctrines puissent continuer à enseigner dans l’Université française et à diriger des thèses. Au cas où le ministre de l’Éducation se refuserait à prendre les sanctions qui s’imposent, là encore, il appartiendrait à tous les descendants d’esclaves et à tous ceux qui s’insurgent contre la négation des génocides coloniaux et contre le révisionnisme d’en prendre acte.
Par ailleurs, la Justice doit immédiatement être saisie tant des propos révoltants tenus par M. Pétré-Grenouilleau dans le Journal du Dimanche que des thèses ignobles développées dans son ouvrage.
J’en appelle donc -au nom des millions d’hommes, de femmes et d’enfants originaires d’Afrique et déportés par la France dans ses colonies d’Amérique – à tous les descendants d’esclaves français des Antilles pour qu’ils demandent, tous unis dans l’honneur et la dignité : à M. Christian Poncelet, président du Sénat de la République Française, de rapporter immédiatement la décision d’octroyer le prix du livre d’Histoire du Sénat à l’ouvrage de M. Pétré-Grenouilleau, à M. Gilles de Robien, ministre de l’Éducation, de le suspendre immédiatement de ses fonctions universitaires et à la Justice française d’appliquer à l’encontre de ce révisionniste la loi républicaine dans toute sa sévérité.
Paris le 13 juin 2005
(*) Écrivain et historien, descendant d’esclaves français de la Guadeloupe, ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de philosophie.
À Monsieur Jacques Chirac,
Président de la République française,
Grand maître de l’ordre national de la Légion d’honneur.
Palais de l’Elysée
55-57 rue du Faubourg-Saint-Honoré
75008 Paris
Monsieur le Président de la République,
Thomas-alexandre Davy de La Pailleterie, né esclave en 1762 dans la colonie française de Saint-Domingue (aujourd’hui République d’Haïti) fils d’une Africaine déportée et d’un Normand, est amené en France par son père à l’âge de quatorze ans. Il s’engage en 1786 dans le régiment des dragons de la Reine sous le pseudonyme d’Alexandre Dumas. C’est en servant sous cet uniforme et sous ce nom qu’il rencontre, trois ans plus tard, Marie Labouret, une jeune fille de Villers-Cotterêts. De leur union, célébrée en 1792, alors que Dumas était lieutenant-colonel de la Légion franche des Américains et du Midi, composée d’hommes « de couleur » et commandée par Joseph de Bologne, dit chevalier de Saint-George (1745-1799) devait naître un autre Alexandre Dumas, l’un des plus grands écrivains français.
Général dès l’été 1793, le courageux et intègre Alexandre Dumas se distingue sur tous les champs de bataille de la Révolution et s’y conduit avec honneur et humanité. Après dix ans de rudes combats pour la Nation, il doit subir en Italie une captivité particulièrement humiliante et éprouvante avant de pouvoir retrouver enfin sa famille.
Le général Alexandre Dumas, mort en 1806 des suites de ses campagnes, dans la gêne et l’oubli, est sans doute le plus valeureux soldat de notre République. Il mériterait à coup sûr de continuer à reposer auprès de son fils, même au Panthéon. « Le plus grand des Dumas, disait Anatole France, c’est le fils de la négresse, c’est le général Alexandre Dumas de La Pailleterie, le vainqueur du Saint-Bernard et du Mont-Cenis, le héros de Brixen. Il offrit soixante fois sa vie à la France, fut admiré de Bonaparte et mourut pauvre. Une pareille existence est un chef-d’oeuvre auquel il n’y a rien à comparer ».
Pourtant, au moment où l’ordre de la Légion d’honneur fut créé, le 19 mai 1802, Napoléon Bonaparte ne jugea pas utile de décorer Alexandre Dumas. Il fut ainsi l’un des rares officiers généraux de l’époque à être privé de cette distinction à laquelle des services exceptionnels lui donnaient pourtant un droit incontestable. C’est sans doute à cause d’une brouille survenue durant la campagne d’Egypte. Dumas s’était élevé contre les méthodes -trop brutales à son goût- utilisées par l’armée française contre les Turcs. On dit aussi que Bonaparte n’aurait pas pardonné au héros d’avoir refusé de prendre la tête de l’expédition répressive envoyée contre la colonie révoltée de Saint-Domingue au début de l’année 1802.
Quoi qu’il en soit, on sait que l’ordre de la Légion d’honneur fut créé la veille du rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises et quelques semaines avant la fermeture des frontières aux hommes et aux femmes « de couleur » (2 juillet 1802). Ce contexte nauséabond -que Bonaparte lui-même aurait regretté plus tard- n’était sans doute guère favorable à un Afro-Antillais né esclave dans une colonie qui se trouvait alors en pleine insurrection.
Vous avez accepté, Monsieur le Président de la République, de transférer les cendres de l’écrivain Alexandre Dumas au Panthéon. Il me semble que cela pourrait être l’occasion de rendre également hommage à son père, le général Dumas, en l’élevant à la plus haute dignité dans l’ordre de la Légion d’honneur.
Ce serait une décision particulièrement opportune et symbolique au moment où, tandis que beaucoup prônent le devoir de mémoire, nous sommes si peu à oser évoquer le triste anniversaire du rétablissement de l’esclavage, qui ne saurait pourtant passer inaperçu, en particulier pour des centaines de milliers de Français d’Outre-mer. Elle signifierait, aux yeux de tous, que, même si le temps a passé, la République française n’oublie pas ceux qui l’ont défendue ; qu’elle condamne avec la plus grande fermeté toutes les formes de discrimination et d’exclusion, tous les crimes contre l’humanité.
Ce serait également une manière de compléter l’hommage rendu à l’écrivain Alexandre Dumas, blessé à jamais par le sort particulièrement injuste réservé à un père dont il tenait tant à honorer le nom et le souvenir. Ce père aurait pu être le héros d’un de ses romans mais, comme le disait un biographe, « pour ne pas être taxé d’invraisemblance, il confia aux mousquetaires la besogne que le général avait accomplie seul ». Ce serait enfin l’occasion de saluer l’exemple de Villers-Cotterêts, une commune où François 1er, le 10 août 1539, signait une ordonnance imposant l’usage de la langue française -l’acte fondateur de la Francophonie en quelque sorte- et qui, le 15 août 1789, deux cent cinquante ans plus tard, presque jour pour jour, accueillait un jeune homme de mérite et de cour sans se préoccuper outre mesure de son apparence ni de ses origines et sans imaginer, bien sûr, que le fils de cet homme serait l’une des plus grandes et des plus attachantes figures de la littérature française.
J’ignore si la réglementation actuelle permet ou non d’attribuer la Légion d’honneur à titre posthume mais je suis convaincu que les textes doivent pouvoir s’adapter aux situations et aux gens qui en valent la peine.
C’est pourquoi je prends la liberté, Monsieur le Président de la République, de vous suggérer d’accepter, après avis des autorités et des associations concernées, feu Thomas-Alexandre Davy de La Pailleterie, dit Alexandre Dumas, général de division de l’armée française, dans l’ordre de la Légion d’honneur et de l’élever à la dignité de grand-croix.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très respectueuse considération.
Claude Ribbe.
Que dirait notre Alexandre Dumas de ces fastes républicains brusquement déployés autour de sa dépouille ? Nul ne le sait. Mais ce qui est sûr, c’est que s’il tenait la plume aujourd’hui, on ne se contenterait pas de dire qu’il est un écrivain. On jugerait utile, pour mieux le qualifier, d’ajouter qu’il est un écrivain «de couleur ». Ce serait un romancier « noir », un auteur « antillais ». On parlerait de sa « créolité », de son « africanité », de sa « négritude », de son « sang noir ». Bref, il aurait quelque chose de différent, de particulier, que sa couleur de peau désignerait et dont il n’aurait jamais la liberté de se défaire. En cette France du XXIe siècle, y aurait-il donc encore des gens pour croire à la « race », à la « pureté du sang » ? Faut-il attendre de tomber en poussière pour ne plus subir le regard des autres ? Faut-il attendre les honneurs posthumes pour ne plus être insulté ? Insulté, Dumas le fut, de la naissance à la mort. Il essuya, avec la dignité pro pre aux gens hommes d’esprit et de cour, les plus sottes offenses. Et la plus douloureuse de ces offenses fut sans doute l’injustice faite à son père, le général républicain Alexandre Dumas, premier du nom. Dès lors, l’hommage éclatant de ce soir doit-il être aussi l’occasion de saluer solennellement la mémoire de ce très grand Français.
Car les Alexandre Dumas sont trois et le premier d’entre eux, père de l’écrivain, n’était en naissant qu’un esclave dans la partie française de l’île de Saint-Domingue, aujourd’hui république d’Haïti. Il ne s’appelait pas encore Alexandre Dumas. Il n’avait qu’un prénom -Thomas-Alexandre- et pas de nom de famille car les esclaves n’avaient pas le droit d’en porter. Un esclave : deux cent quarante ans après, avons-nous bien idée de ce que cela veut dire ? Une civilisation bafouée, un continent décimé, la déportation, la cale de ces bateaux bien français qu’on armait dans les ports et pas seulement de Nantes ni de Bordeaux. Le fouet, le viol, l’humiliation, la torture, les mutilations, la mort. Et après la mort, l’oubli.
Le roi Louis XIV, en instaurant en 1685 le Code noir, avait juridiquement assimilé les esclaves africains déportés dans les colonies françaises à des biens meubles. Et ce Code noir, ne l’oublions pas, excluait aussi les Juifs et les Protestants de ces mêmes colonies françaises. Dans l’article 13, le roi voulait que «si le père est libre et la mère esclave, les enfants soient esclaves pareillement». Le père de Thomas-Alexandre était Européen -donc libre- mais la mère était esclave africaine et le Code Noir s’appliquait à cet enfant comme à des centaines de milliers d’autres jeunes captifs. En 1775, son père, pour payer un billet de retour dans le bateau qui le ramènerait en Normandie, le mit d’ailleurs en gage, comme on dépose un objet au mont-de-piété. Un an plus tard, le jeune esclave passait en France à son tour mais lorsque son pied toucha le quai du Havre, il n’en fut pas affranchi pour autant. Un principe admirable affirmait pourtant que la terre de France ne porte point d’esclave. Mais il y avait été dérogé par plusieurs textes, qui, tout au long du XVIIIe siècle, avaient rendu de plus en plus difficile la venue et le séjour en France des esclaves antillais et, plus généralement, des hommes et des femmes de couleur. Ainsi, dissimulé sous une fausse identité, le père d’Alexandre Dumas, n’était qu’un «sans-papiers».
Bravant ces difficultés, en s’engageant pour huit ans, en qualité de simple cavalier, dans le régiment des Dragons de la reine, il prit un nom de guerre : Alexandre Dumas. On a souvent dit que c’était celui de sa mère. Mais, étant esclave, elle n’avait pas de patronyme et les actes qui la désignent ne parlent d’ailleurs que de son prénom : Césette. Il pourrait bien s’agir alors de son nom africain et ce serait bien honorable pour ce jeune homme d’avoir ainsi rendu hommage à sa mère restée là-bas en servitude.
Aux Dragons de la reine, Alexandre Dumas rencontra trois camarades. L’un d’entre eux venait de Gascogne. Les quatre cavaliers restèrent liés par une amitié fidèle et combattirent ensemble pendant les guerres de la Révolution.
En 1789, la Déclaration des Droits de l’Homme, contrairement à ce que l’on croit souvent, n’était pas encore universelle. Elle ne concernait que les Européens. Il fallut attendre trois ans pour que des droits soient reconnus aux hommes de couleur libres. Cinq ans pour que l’esclavage soit aboli, en principe, et encore sous la pression d’une révolte qu’on ne pouvait contenir.
Alexandre Dumas, après s’être battu avec rage, dès le printemps de 1792, contre l’envahisseur, participa avec son ami Joseph de Bologne (dit chevalier de Saint-George) également né esclave, à la création d’un corps composé d’hommes de couleur : la Légion des Américains. Eux aussi furent des soldats de l’An II. Alexandre Dumas, en moins d’un an, fut le premier homme de couleur à devenir général de division de l’armée française. Accompagné des trois amis qu’il avait rencontrés aux Dragons de la reine, il prit bientôt le commandement de l’armée des Alpes et, bravant la peur, la neige et le froid, emporta les postes inexpugnables du Petit-Saint-Bernard et du Mont-Cenis. Lorsqu’éclata l’insurrection royaliste de 1795, c’est Dumas qu’on appela pour sauver la République. Mais l’essieu de la voiture du général cassa deux fois. On attendait Dumas : ce fut Bonaparte. Celui-là n’était rien encore. Il passait juste par là et il mitrailla les factieux. Dumas le rejoignit et combattit à se s côtés. Ils sauvèrent la République. Mais pour combien de temps ? Ils chevauchèrent jusqu’en Italie. Ils galopèrent jusqu’en Autriche. Sur le pont de Brixen, seul sur sa monture, Dumas pouvait arrêter une armée entière. Jusqu’à Alexandrie, jusqu’aux Pyramides, il se battit encore pour la France.
Mais le général Dumas a d’autres titres de gloire : il protesta contre la Terreur, il protégea les prisonniers de guerre, il refusa de participer aux massacres, aux pillages, aux viols et aux tortures perpétrés contre les civils de Vendée, il finit par quitter l’armée d’Egypte, pensant que la République française n’avait pas besoin de ce genre de conquête.
Sur le chemin du retour, le général Dumas fut capturé et passa deux ans dans les geôles du roi de Naples où il subit des sévices qui lui laissèrent dans le corps et dans l’âme des séquelles ineffaçables.
A son retour en France, c’est un fils que lui donna son épouse. Il l’avait connue à Villers-Cotterêts, en 1789. Leur histoire d’amour commença dans la cour du château où, deux cent cinquante ans plus tôt, un grand roi, d’un coup de plume, avait donné son essor à cette belle langue que l’écrivain Alexandre Dumas honorerait mieux que quiconque.
Lorsque l’enfant de 1802 parut, le général était là. D’habitude, Marie-Louise Dumas accouchait seule. La République ne leur avait pas laissé beaucoup de temps pour vivre ensemble. Leur fils était libre, malgré sa couleur de peau. Cette année 1802, qui le vit naître, ne fait pas honneur à la France. Le 20 mai, Napoléon Bonaparte rétablissait l’esclavage. Nos livres d’histoire et nos spectacles n’en parlent pas volontiers. Il est un peu facile de dire qu’une femme-Joséphine-devrait seule porter la responsabilité de cette décision ignoble qui, aujourd’hui, aux termes d’une loi votée naguère en ces murs, constitue un crime contre l’Humanité. Le 28 mai 1802, à la Guadeloupe, le commandant Louis Delgrès et ses compagnons, pensant avec raison qu’on ne les laisserait pas vivre libres préférèrent mourir. Le lendemain, 29 mai 1802, Napoléon Bonaparte excluait de l’armée française les officiers de couleur, comme en d’autres temps on s’en prendrait aux officiers juifs. Cette mesure d’épu ration raciale fut appliquée jusqu’aux élèves de l’Ecole polytechnique. Elle frappa douze généraux dont Toussaint Louverture et Alexandre Dumas. Le 2 juillet 1802, les frontières se fermèrent aux hommes et aux femmes de couleur, même libres. L’année suivante, le 8 janvier 1803, quelques semaines avant que le général Toussaint Louverture n’expire, privé de soins, dans la citadelle la plus glaciale de France, les mariages furent proscrits entre fiancés dont la couleur de peau était différente. C’est sur ce terreau que purent s’épanouir les théories françaises des Vacher de Lapouge et autres Gobineau qui furent, au siècle suivant, les inspirateurs de la barbarie nazie.
Bonaparte s’acharna, allant jusqu’à refuser de payer au général Dumas un arriéré de solde qu’il lui devait pourtant. Le héros, trop sensible, mourut de chagrin en 1806. Sa veuve, sans ressources, qualifiée de «femme de couleur» pour avoir épousé un ancien esclave, n’eut droit à aucune pension. Le jeune orphelin n’alla pas au lycée. Le général Dumas ne fut jamais décoré, même à titre posthume. Les généraux de couleur n’avaient pas droit à la Légion d’honneur.
Aujourd’hui, d’aucuns ont du mal à accepter que l’histoire d’un brave à la peau plus sombre que la leur ait pu inspirer l’écrivain français le plus lu dans le monde. Leurs préjugés les empêchent tout-à-fait d’imaginer un d’Artagnan noir.
Alors faut-il s’étonner si la statue du général Dumas, abattue par les nazis en 1943, n’est toujours pas remise à sa place ? Faut-il s’étonner si notre langue magnifique est souillée encore par ces mots qu’inventèrent les négriers ? Le mot de mulâtre par exemple, qui désigne à l’origine le mulet, une bête de somme hybride et stérile. Sans doute pour dire que les enfants de ceux dont la couleur de peau n’est pas identique font offense à la nature.
Mais à présent, n’est- ce pas le moment d’un coup de théâtre ? L’heure n’est-elle pas venue de jeter bas les masques ? L’heure de dire la vérité à qui voudra bien l’entendre. Quelle vérité ? Eh bien que les Dumas étaient des hommes de couleur originaires d’Afrique et que la France en est fière.
Mais si nous disons cela, chaque fois qu’un étranger frappera à notre porte, ne faudra-t-il pas se demander quand même, avant de la lui claquer au nez, si ce n’est pas le héros que la République appellera peut-être bientôt à son secours, s’il ne sera pas un jour le père d’un génie de l’Humanité ? L’Humanité : une, indivisible et fraternelle comme cette République que le général Alexandre Dumas aimait tant.
COMITE DU DEUX-DECEMBRE
Paris, le 2 décembre 2004.
Madame la Ministre,
Nous avons l’honneur de vous rappeler, pour les besoins de cette requête, des faits que vous n’ignorez pas.
Le 20 mai 1802, Napoléon Bonaparte a rétabli l’esclavage dans les colonies françaises ainsi que la traite négrière.
Le 2 juillet 1802, il a interdit le territoire français aux « nègres » et aux « gens de couleur ».
Le 3 janvier 1803, il a interdit les mariages « mixtes » en France.
Dès l’automne 1802, le gazage et les noyades ont été utilisés pour détruire la population d’Haïti qui résistait, comme celle de a Guadeloupe, au rétablissement de l’esclavage et de la traite négrière.
En mai 2001, le Parlement français adoptait une loi déclarant l’esclavage et la traite négrière « crimes contre l’humanité ».
C’est pourquoi, Napoléon Bonaparte, empereur des Français, tombant moralement sous le coup de cette loi, nous vous demandons, Madame la Ministre, afin de respecter la mémoire des esclaves et de leurs descendants, de bien vouloir faire apposer, sur le tombeau de l’Empereur, aux Invalides, une plaque précisant :
« Ci-gît l’homme glorieux qui a rétabli l’esclavage et la traite négrière en France ».
Ainsi la loi et la vérité triompheront de l’hypocrisie du moment.
Nous vous prions de croire, Madame la Ministre, à nos sentiments respectueux.
Pour le COMITE DU DEUX-DECEMBRE
Les soussignés,
Professeur CHORON
Gilbert COLLARD
Raphaël CONFIANT
Claude RIBBE
Louis SALA-MOLIN
Nombre de signataires : 7
Dernière mise à jour 18 juin 2005 à 02h47
Patrice BARDET, 59 Cysoing – France
Karine DUMONT, Invalide, Liège – Belgique
Je croise les doigts pour que vos voeux soit exaucés. Je suis de tout coeur avec vous.
Claude FEIX, Animateur de la transculturalité
La tolérance doit s’arrêter à l’intolérable. L’intolérable est représenté par ce livre de conception raciale et révisionniste. A l’heure où les populations ont besoin d’ouverture, de créativité mais aussi de devoir de l’Histoire afin de créer de nouvelles perspectives pour le futur, quelques uns s’attachent à engendrer la démagogie, l’amalgame “Goerinien”, la haine, le mensonge…
A quoi servent-ils ? A alimenter des politiques rétrogrades… ?
Je suis de tout coeur avec vous et pouvez compter sur moi pour mon soutien et agir avec vous pour des actions contre les ignominies du révisionnisme et de l’apologie des crimes contre l’Humanité.
Cédric FLAGEL, Cuisinier, Chalette s/loing – France
Michel MAHLER, Webmaster, 57400 Sarrebourg – France
Paul FREMIOT, Ecrivain (2 romans anti racistes, Lisieux – France
Je suis de tout coeur avec vous !
Khady SAKHO, Paris – France
Bonjour, je m’associe de tout coeur à toutes les luttes contre les discriminations. Comme Breton, je considère néanmoins que Claude Ribbe flirte dangereusement avec le racisme quand il dénonce Pétré-Grenouilleau [qui n’est pas un “universitaire de second choix” (Ribbe est philosophe, moraliste, mais que connaît-il de la carrière de Pétré-Grenouilleau et de quinze ans de travaux remarquables qu’il n’est pas à même de commenter ?) “sorti de sa Basse-Bretagne ?”. Est-ce que la Bretagne, haute ou basse, vaudrait moins que l’Ile-de-France ? C’est en Bretagne, de Quimper (Le Douget) à Nantes (Daget, Anneaux de la mémoire) en passant par Lorient que la connaissance ET la dénonciation des traites négrières a le plus progressé depuis vingt ans… Enfin, vous permettrez à l’ancien étudiant en histoire de ne reconnaître aucune valeur historique à l’incantatoire “Tout le monde sait”, “tout le monde convient”… mais là on n’est plus en histoire mais dans l’acte de foi… Salut et fraternité. JLP
L’appel à la dignité historique et contre l’apologie du révisionnisme et des crimes contre l’humanité est à signer à l’adresse ci-dessous