Ce récit a été rédigé à partir des témoignages de 9 manifestantes et manifestants, pour certain·es membres de la CGT ou de Solidaires, venu·es de toute la région parisienne et ayant vécu ces événements.

Chaque année, début décembre, les organisations des privé·es d’emploi et précaires (CGT-Chômeurs rebelles, Agir contre le chômage, Apeis, MNCP) et plusieurs syndicats de salarié·es (dont ceux de la CGT, de Solidaires et de la FSU) organisent à Paris une manifestation contre le chômage et la précarité. Celle du samedi 5 décembre 2020 s’inscrivait dans le cadre d’une convergences des luttes à la fois contre la nouvelle « réforme » de l’assurance chômage et contre la Loi de sécurité globale. Cette manifestation était également soutenue par diverses organisations politiques, dont l’Union communiste libertaire. Ses militantes et ses militants étaient présents, aux côtés de leurs camarades de travail, au sein des cortèges syndicaux ou au sein du cortège de l’UCL.

Un rassemblement au Trocadéro et une manifestation unitaire contre cette loi et contre les violences policières avaient déjà rassemblé des milliers de manifestantes et de manifestants les deux samedis précédents. Cette réussite populaire, véritable camouflet pour le pouvoir, n’a pas été du goût du préfet Lallement, qui a tenté de faire interdire la manifestation du 5 décembre. Mais les organisations syndicales ont maintenu leur appel à manifester, même au cas où la manifestation serait interdite. Nouveau camouflet pour le pouvoir, dont la frustration se traduira par une rage répressive d’une rare brutalité.

Préparatifs policiers et syndicaux

Le jour dit, le rendez-vous était donc fixé à la porte des Lilas, pour un départ prévu à 14 heures direction place de la République, selon un parcours imposé par la préfecture de police.

Le dispositif policier est impressionnant : les rues, exiguës, sont cernées de flics en armure, lourdement armés, de camions et de grilles anti-émeutes. Les flics surveillent jusqu’à l’arrivée des manifestants par les transports en commun, comme ceux cantonnés sur les quais du tramway, au milieu des habitants du quartier, dévisageant chaque personne qui descend d’un train.

Dès 13 heures, dans un froid sec et mordant, les syndicalistes se mettent en place le long de l’avenue Gambetta pour préparer et organiser le cortège : montage des sonos, agencement des camionnettes, déploiement des banderoles, ballons et calicots pour l’expression des revendications et la visibilité du cortège.

Un service d’ordre unitaire CGT-Solidaires est alors constitué. Quel est son rôle ? Il est temps de tordre le cou à certains fantasmes.

Évolution de la conception du SO syndical ces dernières années

Un certain nombre de personnes ont gardé du SO de la CGT une image peu tendre de « gros bras » sectaires datant des années 1970-1980. En réalité, ces dernières années, une mutation s’est engagée, comme en témoigne un militant libertaire : « Il y a désormais du pluralisme ; on voit des femmes prendre des responsabilités de coordination ; il y a coopération avec le SO de Solidaires, comme il y en a eu avec le SO du Comité Adama le 28 novembre. Autant de raisons qui m’ont poussé à accepter d’en être quand mon syndicat me l’a demandé. »

Les membres du SO francilien de la CGT, comme ceux de Solidaires, sont en effet délégué·es par leur syndicat pour assurer cette tâche. Le 5 décembre, on y trouvait des intermittents du spectacle, des salarié·es de l’AP-HP, des ouvriers d’imprimerie, des salarié·es de l’éducation et de la recherche, et des militant·es des structures interpro locales.

Le mandat du SO n’est pas de « faire la police de la manif », mais de veiller à la sécurité des manifestantes et des manifestants, en prévenant les risques d’accident (mouvements de foule, véhicules…). Il s’assure que le cortège progresse de manière continue : en effet, un cortège n’est jamais plus exposé que lorsqu’il est à l’arrêt. Le SO aide ainsi à l’autoprotection face aux provocations policières et aux éventuelles attaques de groupes hostiles, comme ceux d’extrême droite.

Comment la préfecture s’efforce d’utiliser le “cortège de tête”

Peu avant l’heure de départ prévue, première manipulation policière, désormais habituelle, depuis 2016 : les flics qui stationnent en rang à proximité du cortège syndical, à l’angle de la rue des Tourelles, reculent et disparaissent, laissant un vide à l’avant du cortège. Cet espace permettra la constitution du cortège informel dit « de tête ». Pour celles et ceux des manifestants qui le rejoignent, il s’agit d’occuper un espace libéré des contraintes qu’implique l’action collective et coordonnée des organisations et des collectifs structurés. Espace festif pour les uns, espace offensif pour d’autres, mais aussi, pour certains, espace pour s’accaparer la « direction » de la manifestation.

Depuis 2016, la préfecture a appris comment elle pouvait utiliser le “cortège de tête” pour servir ses objectifs. Sur le plan politique : reléguer symboliquement au second plan les organisatrices et organisateurs de la manifestation, pour mieux invisibiliser leurs revendications et ainsi saper la mobilisation militante des jours précédents sur les lieux de travail et dans les quartiers, mobilisation essentielle pour amener du monde dans la rue. Sur le plan répressif, l’intérêt est de positionner les affrontements entre flics et insurrectionnistes non plus à l’arrière, comme avant 2016, mais à l’avant de la manifestation, pour justifier le blocage des rues et justifier les charges violentes contre l’ensemble du cortège, y compris contre les secteurs ayant fait le choix de l’action non violente.

Un parcours dans des rues étroites

Le cortège finit par s’ébranler peu avant 15 heures. Les manifestants et manifestantes s’élancent dans l’avenue Gambetta, en direction de la place de la République. Les sonos syndicales donnent de la voix. Le carré de tête est en place avec sa banderole unitaire, et les membres du service d’ordre sont prêts à s’interposer face au flics pour empêcher les charges. La foule est très dense, nombreuse, la manifestation progresse très lentement dans l’avenue étroite. Du point de vue de l’affluence, c’est une réussite. Arrivé au niveau de la rue Haxo, près du métro Saint-Fargeau, le service d’ordre unitaire CGT-Solidaires aide un collectif de teufeurs à insérer son gigantesque camion dans la foule, pour constituer un pôle festif au milieu du cortège des organisations. Des jeunes manifestantes et manifestants dansent au son de la techno dans un moment joyeux et bienvenu.

En queue de cortège, les organisations politiques, dont l’UCL, attendent le démarrage.

Les syndicalistes estiment que les violences policières pourraient survenir à proximité du commissariat du 20e ou bien à l’arrivée sur la place de la République. Mais le coup fourré de Lallement adviendra bien plus vite, 600 mètres à peine après le départ du cortège.

Un incendie est allumé devant l’EHPAD

Le parcours imposé par la préfecture amène le cortège à longer un EHPAD, au 161 de l’avenue Gambetta. Il est plus de 16 heures quand l’avant du cortège syndical commence à arriver à sa hauteur, précédé par le cortège « de tête ». Les soignants, mais aussi les résidentes et les résidents, nous saluent aux fenêtres. Le bâtiment contigu, au numéro 159, est couvert d’échafaudages. Alors que le quartier est quadrillé par les flics, le chantier n’est pourtant pas sécurisé. Tout y est librement disponible : barrières métalliques, matériaux de construction, matériels divers et panneaux d’isolants : très légers, très gros, transportables à bouts de bras, et très combustibles…

Le piège est tendu. La ficelle est bien grosse, mais des manifestants du cortège de tête se font avoir. Le chantier est pillé. Un incendie est allumé sur la voie, entravant la manifestation, devant l’EHPAD… Pour décider où la manifestation s’arrêtera et décider, eux, où auront lieu les affrontements, les flics n’ont plus qu’à sortir et exhiber un groupe isolé de BRAVM jusque-là planqué dans les rues attenantes.

L’attaque des flics

Les premières charges policières sont violentes, visant d’abord le cortège de tête. Aux coups de matraque s’ajoutent les tirs de grenades lacrymogènes, rendant la rue irrespirable. « Ça brûlait à proximité et, avec les nuages de gaz, les soignants de l’EHPAD étaient affolés. Ils se sont précipités pour fermer les fenêtres et faire reculer les résidents dans les chambres », raconte un syndicaliste CGT du 93. Quelques manifestants répondent par des tirs de fusées et des pétards. Puis le cortège de tête se disperse face aux assauts policiers, qui atteignent bientôt les premières positions syndicalistes. Plusieurs jeunes militants de la CGT, qui ne constituent pourtant aucune « menace », hormis le fait qu’ils tiennent la ligne et refusent de reculer, sont violemment agressés et matraqués par les flics.

La majeure partie des manifestant·es du cortège de tête ne réussiront pas à dépasser le point de blocage situé au niveau de l’immeuble en chantier. Ils et elles se mettent alors à refluer vers le cortège syndical unitaire, dans une cohue aggravée par l’air saturé de gaz et l’exiguïté de la rue.

La situation est dangereuse : avec le reflux désordonné du cortège de tête, avec la panique provoquée par les attaques des flics, et avec la poussée inexorable, derrière, des milliers de manifestants du cortège syndical qui avancent avec leurs véhicules, les risques de piétinement sont grands. Le SO se resserre alors au milieu de la voie, pour dégager les espaces sur les côtés, invitant les manifestants à les contourner. Un militant CGT, en première ligne du cortège syndical, raconte : « Ils venaient vers nous en courant. Certains avaient du mal à respirer à cause du gaz et toussaient. Les flics étaient derrière eux. On leur criait de nous contourner et de passer par les côtés, pour aller se mettre derrière nous. »

L’objectif est de permettre aux manifestants du cortège de tête de venir s’abriter dans le cortège syndical, derrière le service d’ordre qui se prépare alors à faire bloc face aux flics.

Confusion, incompréhension et agressions verbales

Faute de connaître les stratégies de rue des syndicalistes, la manœuvre n’est pas comprise par toutes et tous les manifestants qui fuient la police. Sous le coup du stress, certains exigent à tue-tête que le SO recule, ce qui est techniquement impossible.

A ce moment-là, les dérapages commencent. Aux injonctions inquiètes, mais compréhensibles, viennent s’ajouter des insultes en destination des syndicalistes, à la charge politique bien plus lourde : « pédés », « collabos », « putes »… « Il y a un gars qui nous a traités de “bouffeurs de merguez” aussi. C’est un classique cette insulte-là. Moi elle me fait rire, je suis végétarien », s’amuse un syndicaliste CGT. Homophobie, sectarisme, misogynie et mépris de classe, tout y est. Comme un écho à des insultes lancées le samedi précédent, auxquelles s’étaient ajoutées des insultes racistes : des camarades du SO unitaire s’étant alors fait traiter de « sales négros » par certains manifestants…

Alors que l’ensemble du cortège de tête a reflué ou s’est dispersé, les forces anti-émeutes atteignent enfin le cortège syndical. « On a d’abord reçu 4 ou 5 grenades lacrymo, raconte un militant. On ne voyait plus rien tellement il y avait de gaz. Un groupe de BRAVM est monté face à nous. Mais on a tenu bon. On a fait bloc, on a tenu la ligne, et ils ont dû reculer. »

Tenir la ligne et ne jamais reculer, malgré l’air saturé de gaz et la violence des charges : stratégie payante pour tenir la rue. Le cortège reprend alors sa progression à mesure que les flics reculent. A ce moment-là, l’avant du cortège syndical a dépassé le point de blocage situé au niveau de l’immeuble en chantier et de l’EHPAD, et se dirige en direction de la station de métro Pelleport. Les syndicalistes positionnés à l’avant du cortège s’apprêtent à emmener l’ensemble de la manifestation vers la place de la République. Une série de prises de paroles y est prévue.

Premier coup de poignard dans le dos

C’est alors qu’un premier coup de poignard sera planté dans le dos des manifestants par un petit groupe, coup de poignard qui scellera le sort de cette manifestation-là, mais aussi de la suivante.

Après s’être abrités dans le cortège syndical pendant que le service d’ordre unitaire faisait bloc face à la police, un groupe de manifestants entreprend d’attiser l’incendie au niveau de l’immeuble en chantier et de construire une barricade avec le matériel disponible. L’effet est désastreux : le cortège syndical est à présent coupé en deux. L’avant, avec le camion plateau pour les prises de paroles, le carré de tête et le service d’ordre unitaire, se retrouve coupé de la majeure partie du cortège syndical, restée coincée en arrière, bloquée par la barricade, sans aucune possibilité d’avancer. « Le cortège s’est arrêté un peu avant que nous arrivions au métro Saint-Fargeau. Nous sommes restés immobilisés au moins quarante-cinq minutes, peut-être plus, raconte une syndicaliste CGT du Val-de-Marne. En avançant un peu, j’ai vu plus loin de la fumée. Le carré de tête avait pu avancer mais le cortège, lui, est resté coincé par une barricade et un incendie. »

Une barricade – censée séparer les manifestants et le pouvoir – a donc été montée par un petit groupe à l’intérieur même du cortège syndical ! Une incroyable inconséquence qui, d’un symbole de résistance, a fait un symbole de division du mouvement social.

Tir de fusée et de pétards sur la banderole syndicale

Un groupe (le même ?) va également viser, non pas les flics, mais l’avant du cortège syndical « Ils ont tiré une petite fusée et lancé des pétards en visant le carré de tête. C’est tombé près de la banderole unitaire », raconte une camarade de SUD-Éducation. Les militantes et les militants de Solidaires, qui sécurisent ce secteur du carré de tête, se trouvent à proximité des tirs. Personne ne sera blessé et l’incident restera sans conséquences. Mais, là encore, le symbole est très lourd.

Il est environ 17 heures, la nuit tombe et la situation va se tendre, cette fois à l’arrière du défilé. Plusieurs organisations politiques, qui piétinent depuis des heures à quelques dizaines de mètres du point de départ, à l’instar de l’UCL, décident de dissoudre leurs cortèges quand il devient clair que la manifestation ne pourra pas atteindre son but initial. Le cortège syndical, bloqué par la barricade, commence également à se disperser. Malgré cela, la violence des flics va se déchaîner.

Nouvel assaut des flics

Les flics sont positionnés dans la rue des Tourelles, dans la rue Henri-Dubouillon, dans la rue Haxo et dans la rue Saint-Fargeau. Lallement tient sa revanche. De nouvelles charges, assorties de tirs de lacrymo et de grenades de désencerclement, sont alors lancées dans l’avenue Gambetta contre le cortège syndical bloqué par la barricade. Nouveaux mouvements de foule et nouveaux reflux. Les cortèges de la FSU et de Solidaires réussissent à évacuer les lieux, malgré le chaos. Le cortège de la CGT se trouve ce jour-là positionné plus en avant. Il y a là, à l’arrêt, la camionnette de l’union départementale du 93, celle de la CGT-Intérim, une de l’union locale picarde de Santerre et enfin une camionnette de l’union régionale Île-de-France. Autrement dit, les camionnettes des organisations CGT du département le plus pauvre d’Île-de-France, des travailleuses et travailleurs parmi les plus précaires, d’une union locale d’une petite ville descendue à la manif francilienne et de la structure chargée d’organiser la solidarité interpro à l’échelle régionale.

Autour, restent une trentaine de militantes et de militants CGT, initialement chargé·es de l’animation du cortège : « Nous avons essuyé de nombreux tirs de lacrymo, sans aucun équipement de protection. C’était chaotique. Il semblait évident qu’on ne pourrait pas poursuivre la manif comme prévu. La plupart des manifestant·es remontaient vers la porte des Lilas. Comme les charges, les tirs de lacrymo et les grenades de désencerclement se poursuivaient, nous avons dû faire reculer les camionnettes, puis nous avons tenté de leur faire faire demi-tour. »

Deuxième coup de poignard dans le dos

Le second coup de poignard dans le dos sera porté à ce moment-là par un groupe de manifestants (les mêmes ?) qui déferlent sur ce qui reste du cortège CGT et s’en prend physiquement aux syndicalistes, alors même que les flics se déchaînent à coups de matraque. La trentaine de syndicalistes sont littéralement nassé·es (!) par ce groupe. Les insultes pleuvent : « Ils et elles nous ont crié que nous étions des traîtres, des flics, raconte l’une des syndiquées nassées, que la CGT c’était pire que la préfecture de police, qu’on s’était mis d’accord avec elle pour faire foirer la manif. » Les syndiqués sont bousculés, certaines et certains sont frappés et giflés. Un groupe parmi les agresseurs entreprend de bloquer les camions, pour les empêcher de fuir les flics et les contraindre à rester au milieu des affrontements. Ils entreprennent également de faire exploser leurs vitres à coups de marteau. Les camionnettes de l’UL de Santerre et de l’UD 93 réussissent à traverser, non sans dégâts. Restent celles de l’URIF et de la CGT-Intérim, coincées dans une double nasse, concentrique : celle des agresseurs cagoulés, et celle des flics qui entre-temps s’est étendue tout autour.

De nouvelles charges policières sont lancées. Les syndicalistes restants et les deux dernières camionnettes réussissent à se dégager et se réfugier dans une cité HLM voisine, au numéro 211 de l’avenue Gambetta « Nous avons finalement réussi à entrer dans un parking en plein air, au pied de bâtiments d’habitation. Nous avons garé les véhicules le plus loin possible, puis nous avons attendu que le SO de tête nous rejoigne pour pouvoir évacuer. » Abri de fortune dans la tempête de violences.

Les flics finissent le travail

Le SO syndical unitaire réussit finalement à rejoindre les manifestants restés coincés dans la nasse des flics, en se frayant un chemin par les rues voisines. Quand les militants du SO arrivent, ils assistent à une scène chaotique, une vision d’effondrement et de monde totalitaire : dans une lumière crépusculaire, des rangs de flics en armure, bloquant toutes les rues, tabassent les manifestant·es qui cherchent à fuir les lieux, alors même que certains mettent les mains en l’air, au milieu des incendies et des nuages de gaz lacrymo. Les syndicalistes CGT s’apprêtent à sortir du parking où ils se sont réfugiés, mais accompagnés cette fois du SO. Au milieu du chaos, le collectif inter-orga Front social continue de donner de la voix dans la sono pour marteler ses mots d’ordre, donnant un exemple réconfortant de combativité et de solidarité.

Près de la rue des Tourelles, au moment de franchir le cordon des flics, la brutalité se déchaîne, encore : les syndicalistes et le SO traversent une « haie d’honneur » formée par les flics en armure sur une trentaine de mètres, où ils sont copieusement frappés, à coups de boucliers et à coups de matraque. Les syndicalistes et le SO unitaire CGT-Solidaires atteignent enfin la porte des Lilas. Il est environ 18h30. La place est calme. L’air respirable. On s’occupe des blessés. Au chaos qui ravage les rues à seulement quelques centaines de mètres succède la vie tranquille et ordinaire du quartier. On commence à souffler. On croit en avoir enfin fini. Mais le répit ne dure que quelques minutes, la haine policière n’est pas encore tarie : des tirs nourris de grenades en direction des camionnettes syndicales noient en quelques instants la porte des Lilas dans un épais brouillard de gaz lacrymogène. Ils ne cesseront de nous poursuivre qu’au-delà du périph’.

Conséquences et interrogations en suspens

Première conséquence de cette journée délirante : les organisations syndicales ont renoncé à participer à la manif du samedi suivant, le 12 décembre. Impossible de garantir la sécurité des syndiqué·es dans un tel contexte, avec à la fois les flics et des agresseurs non identifiés sur nos arrières, dans une configuration (la place du Châtelet) encore plus dangereuse.

De cette expérience, les militantes et militants peuvent tirer des enseignements sur les stratégies policières, sur la porosité des cortèges informels et sur les conséquences de pratiques autoritaires qui dévoient le principe de la « diversité des tactiques ». Mais de nombreuses questions restent en suspens. Et notamment trois : à quel camp appartiennent les groupes qui ont aidé les flics, indirectement et directement, à réprimer la manifestation ? De quel camp se revendiquent les groupes militants qui s’en sont ultérieurement réjoui dans des publications sur le web ? Et au service de quel camp certains groupes encouragent-ils à s’en prendre aux cortèges syndicaux lors des prochaines manifestations ?