Le 17 janvier 2018, piteux, le premier ministre Édouard Philippe annonce que malgré les déclarations va-t-en guerre de son gouvernement depuis deux ans, le projet d’aéroport à NDDL va être abandonné. Ce sont 40 années de lutte qui se concluent. Parmi les opposant.es la joie éclate, la victoire du mouvement composite, formée contre cette infrastructure inutile, est sans appel. Beaucoup savent cependant que le plus dur reste à venir, que la décision élaborée collectivement : permettre à toutes et tous de rester vivre sur place, conserver une gestion collective des terres via une assemblée des Usages et des Communes, sera difficile à tenir.

De fait, l’unité entre opposant.es, qui avait été l’un de leur bien les plus précieux, a rapidement volée en éclats. Bien que la perspective de la victoire ait été préparée depuis des années, elle laisse une déchirure béante, fait éclater l’unité de façade entre composantes et surtout, en interne, des différentes composantes. Pourtant, dès 2014, ils et elles pensaient ensemble ce que pourrait devenir un futur sans aéroport, et s’étaient fait la promesse de rester soudé.

Mais devant l’injonction du gouvernement à rentrer dans le rang les réactions vont être très diverses : quelques figures historiques de l’ACIPA, principale association anti aéroport, font le choix de quitter la lutte en sabordant le navire. La dissolution prononcée à l’été, à grand renfort de procurations de personnes éloignées de la réalité du terrain, laisse un goût amère à celles et ceux qui entendent continuer à défendre la zad. Il leur faudra batailler pour remonter un réseau de soutien logistique autour d’une nouvelle association, « NDDL Poursuivre Ensemble ».

La plupart des paysan.nes et des membres des comités de soutien ne comprennent pas les difficultés que font les occupant.es à rouvrir les routes barricadées de longue date et beaucoup s’éloignent de la lutte.

Dans le mouvement d’occupation, c’est encore pire. Certain.es n’arrivent pas à vivre l’abandon du projet comme une victoire, et en parti se sent trahi par la rapidité a laquelle d’autres occupants se plient aux injonctions du gouvernement. D’autres au contraire essaient d’imaginer ce que la zad pourrait garder de beau et de désirable à conserver. Il est dur de l’extérieur d’imaginer le niveau de violence, verbale, parfois physique, les déchirements entre anciens camarades, qui ponctuent ce mois de printemps 2018. Beaucoup vont partir après l’échec de la tentative de résistance sur le terrain à l’opération d’expulsion d’avril.

La grande majorité de celles et ceux qui restent décident d’affronter ensemble le processus de légalisation. Ils et elles se battent alors sur tous les fronts. Un fonds de dotation est crée, « la Terre en commun »2 qui doit permettre de réunir l’argent nécessaire à l’achat des terres. Une commission habitat rédige un projet permettant d’inscrire ce qui se vit dans ce territoire en lutte dans le cadre étroit du Plan Local d’Urbanisme Intercommunal en cours de rédaction. D’autres s’engagent dans des parcours professionnels qui leur permettent de couvrir, par des fiches individuelles, près de 350 hectares de terre agricoles pour essayer de permettre à l’ensemble des occupant.es de continuer à y déployer leurs projets.

L’épuisement guette alors souvent face à cette nouvelle forme de lutte où ils et elles se sentent souvent peu à l’aise, tandis qu’il faut maintenir sur place la diversité des activités agricoles, culturelles, politiques, qui font depuis longtemps la richesse de la zone. Mais une conviction les tient : que le maintien des dynamiques collectives, que la puissance logistique accumulée et partagée, continuent à faire de ce territoire une zone à défendre face au marasme politique environnant.

En effet dès l’abandon les charognards se sont réveillé. Il s’agit donc de défendre ce bocage, à la biodiversité préservée, face au rêve morbide de concentration des terres portée par la FNSEA, face au retour de l’agriculture industrielle tandis que les occupant.es portent des projets extrêmement résilients, promeuvent une agriculture paysanne qui ne peut être pensée comme déconnectée du territoire qu’elle habite. Défendre ces terres aussi, pour la possibilité qu’elles donnent d’y construire des usages communs, un rapport au monde en rupture avec le capitalisme.

Où en est on aujourd’hui ?

Environ 200 personnes vivent encore sur zone. De nombreuses activités agricoles continuent de s’y déployer : élevage, céréales et maraîchage, plantes médicinales, brasserie, fromage, abeilles et vergers. La boulangerie aux Fosses Noires continue à faire du pain distribué à prix libre deux fois par semaine. La vie artisanale y est également riche, autour du travail du cuir, d’une forge, d’un atelier de sérigraphie. La filière bois est particulièrement riche grâce au groupe abracadabois qui a repris en main l’entretien des forêts, l’abattage raisonnée, puis le sciage autour du hangar de l’Avenir à Bellevue. Toutes ces activités sont souvent étroitement imbriquées : la boulange utilise le bois recueilli par le groupe qui prend la charge l’entretien des haies, le forgeron répare les outils agricoles abîmés de la CURCUMA (le Collectif D’Usure, Réparation et éventuellement Usage de Matériel Agricole) et de nombreuses activités reposent sur des chantiers collectifs , hebdomadaires ou saisonniers.

La vie culturelle n’est pas en reste : la bibliothèque du Taslu organise avec régularité des rencontres, des projections. L’Ambazada invite et accueille des représentant.es de lutte d’ailleurs. Il y a des concerts et une salle de sport à la Wardine, un studio d’enregistrement aux rosiers, de grandes fêtes un peu partout. L’auberge du Liminbout organise un banquet tous les 15 jours qui est devenu un espace de sociabilité prisé.

Se créent ainsi peu à peu des us et des coutumes, qui peuvent passer aussi bien par des rituels partagés pour les solstices que par l’assemblée des Usages. Des enfants naissent et grandissent.

De fait la zad reste un espace circulant et les dortoirs des lieux qui font de l’accueil ne désemplissent pas, curieux attirés par la découverte de cette expérience de mise en commun, citadins cherchant à apprendre les moyens de leur autonomie alimentaire, militant.es venu.es constater de leurs yeux la vitalité de ce qui se vit là. Des journées portes ouvertes permettent aux voisin.es, aux curieu.ses de passer.

C’est aussi un espace solidaire, qui accueille des personnes exilées sur le temps long, qui redistribue une partie de sa production à des cantines de lutte, à d’autres espaces occupés (par exemple la maison du peuple à Donges où la zad du Carnet).

Les rencontres organisées sur place rassemblent chaque été plus de monde : on s’y retrouve pour confronter ses points de vue, pour apprendre d’autres luttes, pour s’organiser afin de continuer à construire un projet radical de transformation révolutionnaire. On y accueille aussi des camarades qui peuvent profiter de la logistique partagée pour venir y faire leurs rencontres, qu’ils et elles soient membres de réseaux de luttes contre les frontières, syndicalistes enseignants, Gilets Jaunes ou activistes d’Extinction Rebellion. On y conspire, on y fomente, on construit ensemble un mouvement anticapitaliste basé sur des expériences pratiques plus que sur de vieux livres poussiéreux.

On aurait tort cependant d’idéaliser trop la zad : elle n’est plus et ne souhaite plus guère être un espace de focalisation des espoirs de transformation radicale du monde. On s’y engueule comme partout ailleurs, et sans doute même un peu plus tant les blessures des dernières expulsions peinent à se refermer. On s’y organise par collectifs de vie distincts mais aussi par groupes aux objectifs différents. Certain.es se sont regroupé.es au sein d’une coopérative, la Bocagère, d’autres continuent à faire vivre le projet mise en commun de Sème Ta Zad, d’autres encore ont fait le choix de s’organiser individuellement. Quelques occupant.es refusent toujours de rentrer dans le processus de légalisation et s’inquiètent de se voir expulser un jour. Il est devenu très difficile de construire des cabanes sans risquer de voir quelques centaines de gendarmes débarquer pour les démolir.

Ce qui est sur, cependant, c’est que la zone est encore rebelle, que les négociations avec la Préfecture continuent mais s’appuient sur un rapport de force qui se construit par des mobilisations régulières en ville. Que les occupant.es squattent toujours leurs habitats… et ne s’en portent pas plus mal. En tout cas, enraciné.es dans ce territoire riche, précieux, vivace, ils et elles entendent bien participer à l’ampleur de leur force à un projet plus vaste de transformation sociale.

Sources :

 le livre Habiter en lutte (cf note)

Des brochures disponibles sur le site zad.nadir.org
 Considérations sur la victoire (et ses conséquences) depuis la zad de NDDL, printemps-été 2019
 un an après les expulsions qu’est ce qu’on fait encore sur la zad ? Juillet 2019
 Prise de terre(s), NDDL, été 2019