De l’école, sa ressemblance avec la prison, l’usine….
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L’école prison et sa destruction créatrice
éditorial de Désinstruction
Dans les écoles, il n’y a aucune liberté. L’école est l’endroit où l’on apprend à se conformer aux normes de la société. On y apprend à être un rouage bien graissé de l’engrenage. L’enseignement, qu’il soit primaire,secondaire, collégiale ou universitaire, est une prison; une prison aux murs si larges qu’on y parle abondamment de liberté.
Lorsque nous l’affirmons publiquement et sans fioriture, on nous rétorque toujours les mêmes discours complaisants sur l’importance de la culture,de l’élévation de l’esprit et du choix citoyen. Mais ces personnes n’y
pensent pas sérieusement : elles sont sous l’emprise d’une illusion; elles ont gobé le discours de la classe dominante à qui appartient l’école. Ces personnes veulent gérer une institution emmurée – au propre comme au
figuré – lorsque l’heure est à sa destruction définitive.
Nous dépendons d’institutions qui, historiquement, nous oppriment. On reçoit de l’argent de l’État, on travaille durement l’été, etc. Avec autant de contraintes venant des institutions les plus autoritaires, comment est-il possible de se prétendre libre? Comme tout le monde et peut-être davantage, les étudiantEs doivent se vendre d’une manière ou d’une autre.
Les limites de cette prétendue liberté dans l’école sont certainement celles de la société capitaliste dans son ensemble, car pour ceux et celles qui auraient refoulé cette information fondamentale, c’est l’école du capitalisme dont il s’agit. Il y a la sécurité (police), l’administration bureaucratique (l’État), les employéEs de l’entretien et de la cafétéria (maman), les professeurEs (papa) et les enfants privés de parole (les producteurs), c’est-à-dire nous les étudiantEs. Tous les éléments d’autorité traditionnels sont présents et les comportements sont prescrits systématiquement. Outre ces rôles sociaux caricaturés, l’étudiantE est essentiellement unE élève, unE disciple du maître. On lui demande une soumission aveugle.
L’industrie culturelle manipule davantage l’individu que l’institution scolaire. Le spectacle télévisuel, par exemple, empreigne l’esprit des enfants et les conditionne définitivement. En fait, l’école fait partie intégrante de cette industrie culturelle infernale qui détermine la vie humaine.
L’école n’est qu’une étape fondamentale dans le processus de soumission des individus aux réalités
économiques et culturelles. Elle forme l’élite de demain dont la tâche est de gérer le monde dans les
limites fixées par les chefFEs. L’école, on y va d’abord pour ne pas vivre d’un salaire de misère toute
sa vie, pour des intérêts carriéristes, individualistes, parce qu’on en a eu la chance grâce à nos origines sociales et que, dans le fond, on croit que c’est mieux qu’une jobine de merde ou la roulette russe.
Au gré de notre cheminement individuel, l’école nous contrôle, nous oblige, nous sépare des autres, nous
filtre, nous force à dire ce qui semble être une banalité de notoriété publique. Les fausses certitudes qu’elle professe enrayent quotidiennement notre imagination et calibrent efficacement nos champs d’évasion. Repousser les limites devient alors une affaire de professionnelLEs, de spécialistes.
L’école nous forge d’une manière telle que la contestation de la totalité du système sociale est
reléguée au rang des légendes d’une jeunesse révoltée, une phase d’adolescentEs malades qui se prolonge.
C’est, malgré nos vains reniements, ce que nous sommes. Il s’agit – dès lors que nous l’admettons
sereinement – de donner un sens à cette révolte de la jeunesse, de la répandre, de la promouvoir à un niveau
irrécupérable et d’en faire un détonateur révolutionnaire. Il n’y a aucun mal à se déclarer malade soi-même lorsque la société, dans son ensemble, est malade et refuse obstinément d’y croire.
L’existence des associations étudiantes, aujourd’hui reconnue par l’État, était d’abord très contestataire.
C’était l’époque où la discipline religieuse en place prescrivait les pires atrocités, allant du racisme au
sexisme. Lorsque les premières associations étudiantes ont vu le jour, c’est cette réalité qu’elles ont
attaqué de front; la jeunesse docile prenait conscience de sa situation et, influencée les combats
syndicaux, la jeunesse a voulu, elle aussi, jouer un rôle dans la gestion de ce monde administré.
Les partis de gauche ont pris la trajectoire du compromis; ils ont proposé des adaptations pour que le
système soit moins difficile. Leur volonté d’améliorer la misère s’est résolue en misère de l’amélioration,
partielle et insignifiante.
Le mouvement étudiant est créé par le système d’éducation. Tout comme l’école en général, les
structures des associations étudiantes sont hiérarchisées. Elles favorisent la création de petitEs
politicienNEs qui prennent plaisir à gérer la misère étudiante. Leurs luttes, si l’on peut parler ainsi,
tentent d’améliorer un peu notre calvaire. Les directeurs, l’administration et le gouvernement
deviennent des gens avec qui «on pourra sûrement s’entendre», avec qui on se doit de négocier, quitte à
faire des ententes qui nous désavantagent. Les associations étudiantes sont davantage des réseaux
élitistes de carriéristes amateurs qui font de la politique spectacle que des centres de lutte.
Un principe mérite toutefois la peine d’être défendu : la souveraineté totale des assemblées générales. Si
nous participons activement aux assemblées générales, c’est que nous croyons que tous les libertaires
doivent absolument s’impliquer dans toute démocratie directe afin d’en élargir le contenu. En tant que
membres actionnaires des associations étudiantes, laisser cet espace aux petitEs chefFEs bureaucrates
leur offre une force financière et morale déterminante qui se transforme en pouvoir politique autoritaire.
Pour nous, les associations étudiantes sont des vaches à lait qui permettent d’obtenir ce que nous impose la
réalisation de projets révolutionnaires dans la société marchande. (1)
Il est clair que cette vision des assos est loin d’être révolutionnaire en soi : tous les comités issus
des associations étudiantes, qu’ils soient de gauche ou de droite, partagent cette vision sombre mais
réaliste de la corporation. C’est lorsque ce constat est fait et pleinement assumé qu’il est possible
d’utiliser les associations étudiantes de façon cohérente dans une perspective révolutionnaire.
Nous n’attendons rien du système d’éducation qui mine nos vies, nous domine et nous oppresse, nous asservit
à la reproduction servile des systèmes dominants (patriarcal, capitaliste, étatique, écocidaire,
etc.).Nous le détruirons par la lutte de classe que nous menons et mènerons, par l’autogestion de nos vies
et la réalisation d’une éducation volontaire généralisée à toutes les dimensions de nos êtres
(économique, sociale, affective, culturelle, éthique…) et à tous les lieux. Ainsi, notre combat
et notre existence ont entre autres objectifs la liberté la plus entière, la solidarité la plus commune
et la créativité continue. C’est à cela que vous convie le Collectif Désinstruction!
(1) Cependant, dans l’état actuel des choses, nous sommes conscientEs que certains moyens, tel que la
grève, sont facilités par les associations en raison de leur légitimité légale illusoire dont nous ne
pouvons pas faire abstraction.
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DE LA DESTRUCTION DE L’ECOLE
Dans un débat sur l’école laïque publié par La Guerre sociale en 1909, l’ anarchiste individualiste André Lorulot déclarait : ” N’est-ce pas de l’ école laïque que sont sortis les pioupious qui, à Narbonne et à Dravail-Vigneux, ont assassinés leurs frères de travail ? (.) L’école cléricale abrutit au nom de la religion, au nom de Dieu. Mais l’école laïque est également remplie de préjugés. On y impose la Patrie, le Capital, la Propriété, l’Autorité, l’Obéissance. La Laïque est un abrutissoir, une fabrique d’abrutis et d’esclaves au même titre que l’école où l’on donne l’ enseignement religieux ” (1). Critiques impitoyables de la vulgate démocratique et du marxisme frelaté diffusée par les socialistes (2), les individualistes ne se faisaient guère d’illusions sur les possibilités d’ utiliser l’école, les parlements, les syndicats dans un sens révolutionnaire (3).
Au-delà de l’autonomie ouvrière, ils voyaient comment le rapport social capitaliste réduisait l’individu au rôle de travailleur, de simple vendeur de force de travail, et concevaient donc – implicitement – la révolution comme autonégation du prolétariat, d’une manière beaucoup plus claire que les socialistes. La notion d’En-dehors exprimait a contrario le mieux possible la limite du cycle de luttes qui allait amener la classe ouvrière à
être politiquement et socialement ce qu’elle était économiquement, à s’affirmer comme le pôle travail du capital (4).
Au delà de la définition brutale de Lorulot, il est possible de montrer que l’Ecole n’est pas seulement une question idéologique, mais qu’elle est directement liée à la formation de la valeur. Rappelons simplement que
celle-ci est liée au ” temps socialement nécessaire à la production des marchandises est celui qu’exige tout travail, exécuté avec le degré moyen d’ habileté et d’intensité et dans des conditions qui, par rapport au milieu
social donné, sont normales ” (5). Autrement dit, la formation de la valeur est directement liée à la formation reçue (degré moyen d’habileté) et à la discipline (degré moyen d’intensité) par les travailleurs dans des
conditions sociales données. Plus précisément, ” en tant que valeur, la force de travail représente le quantum de travail social réalisé en elle “
(6). Ce quantum de travail social peut représenter bon nombre choses, depuis l’apprentissage de la discipline de base par la soit-disant ” socialisation “, jusqu’à l’apprentissage des techniques les plus complexes, en passant par
le niveau commun d’éducation requis dans un pays donné. Toutes ces variables ont quelque chose de commun, celle d’être elles-mêmes issues d’un temps de travail consacré à ” l’éducation “. Ce temps ” réalisé ” dans la force de travail agit directement sur la valeur de celle-ci, sur ce qu’elle va transmettre à la marchandise dans la production. Ainsi, ” le temps est tout, l’homme n’est rien ; il est tout au plus la carcasse du temps ” (7).
Dans sa définition, d’ailleurs très brève, de la valeur de la force de travail, Marx ne détaille guère la place qu’y tient l’école, même s’il signale que ” les frais d’éducation, très minimes d’ailleurs pour la force de travail simple, rentrent dans le total des marchandises nécessaires à la production ” (8). Peu importe qu’il s’agisse d’un apprentissage direct ou d’une formation scolaire, d’une école publique ou privée, religieuse ou laïque
: l’éducation est subordonnée à la production, intégrée dans la reproduction du capital.
On peut aller un peu plus loin dans l’analyse de la mise en place d’système éducatif en Europe occidentale dans le cadre du capital, sur la simple base des définitions précédentes. Dans l’ancien système des métiers, l’ouvrier apprenait auprès d’un maître, qui lui transmettait son savoir-faire. Ce maître consacrait une partie de son temps à la formation de l’apprenti ,durant lequel il ne participait pas directement à la production, mais bien à la reproduction du système. Ce temps était financé à la fois par les parents de l’apprenti et par leur participation à la production. Mais un même maître avait rarement plus de quelques apprentis en même temps, et ne pouvait y consacrer tout son temps. Cette impossibilité trouvait sa stabilité dans la limitation imposée par les organisations professionnelles au nombre de maîtres en exercice dans une ville. Autrement dit, c’est un système qui se reproduit, mais qui ne s’élargit pas.
Avec un prolétariat nombreux, mais un travail simple, l’éducation nécessaire pour élargir le système est limitée : l’expropriation des ruraux suffit à provoquer l’expansion numérique du prolétariat, tandis que la formation des
ouvriers peut encore être assurée par les plus expérimentés d’entre eux ou par le maître, lorsqu’il est encore directement impliqué dans le métier. “
Tout ouvrier n’ayant jamais travaillé aux jacquards, quoique tisserand, sera tenu de faire pièces sans pouvoir quitter ; sinon, il devra payer 10 F d’apprentissage ” indique un règlement d’atelier en 1841 : on voit comment la
formation est intégrée à la production, alors même que l’instruction primaire est rare parmi ces ouvriers tisserands du Nord (9). Cette expansion numérique du prolétariat accentue le mouvement de déqualification déjà
existant sous l’Ancien régime : dans le Paris des années 1860, à peine un ouvrier sur six est passé par l’apprentissage (10). Plus que la qualification des ouvriers, en dehors des métiers les plus spécialisés, c’
est l’obsession des capitalistes, pour augmenter la valeur produite, est principalement d’instaurer la discipline dans les ateliers : le mot et la figure du contremaître apparaissent vers 1840 en France (11).
Puisque l’augmentation de la valeur du travail est lié au fameux ” quantum de travail social réalisé en elle “, il existe une relation directe entre le temps consacré par l’enseignant à la formation, le temps durant lequel l’
élève reçoit celle-ci et la valeur du travail de l’élève un fois formé. Plus le nombre d’heures d’enseignement est important, plus cette valeur sera élevée (12). De plus, un enseignant transmet son savoir à plus d’élèves que
ne le faisait un maître avec ses apprentis, ce qui démultiplie la création de valeur, pour un coût optimisé. Dans le cadre de la division sociale du travail, l’école est donc liée à l’augmentation de la valeur globale. Elle ne crée pas directement cette valeur, mais constitue son point de départ.
Dans le système de formation par les ouvriers les plus expérimentés, le capitaliste n’intervient pas dans la formation des travailleurs, dans la production de la force de travail. De manière plus générale, le travail est
organisé selon les méthodes et le savoir-faire des ouvriers, sous le contrôle du capitaliste. Lorsque les patrons tentent d’augmenter la productivité du travail, ils font progressivement – et non sans résistance –
passer l’organisation du travail lui-même sous leur contrôle, notamment par le développement de la technologie. Le travail est alors réellement ” subordonné au capital ” (13). L’école, parce qu’elle dépossède la communauté
de travail de sa propre reproduction pour la soumettre au capital, est l’un des éléments dynamiques de cette subordination. Or, les grands patrons tels que Schneider ou l’imprimeur Chaix, ou encore les Frères des Ecoles
Chrétiennes, ont joué un rôle important dans cette contestation de ” l’ endotechnie “, de la formation des jeunes ouvriers par les plus expérimentés, et à former des écoles patronales fondées selon leurs propres normes. Savoir lire un dessin technique, ou des normes de production, c’est déjà – littéralement – mettre en application le ” plan du capital “.
Par sa place même dans la reproduction de la force de travail et dans la subordination du travail au capital, elle est l’une des pièces essentielles du rapports d’exploitation. L’école capitaliste est tout, sauf un lieu d’ épanouissement de la personnalité. ” Quoi d’étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui ressemblent tous aux prisons ? ” (14).
Cette vision carcérale de l’école dans une société transformée en usine se heurte généralement à l’idée, couramment admise, d’une revendication ouvrière du droit à l’instruction. Si on adopte un point de vue
objectiviste, tout va bien : les capitalistes développent le système scolaire parce que cela leur permet d’augmenter leurs profits, et si les ouvriers réclament le droit à l’instruction, c’est, au choix, parce qu’ils sont dupés par le capital, ou parce que celui-ci est ” progressiste ” tant qu’il peut se le permettre. Dans les deux cas, la lutte des classes n’est pas le ” moteur de l’histoire “, mais son théâtre apparent, tandis que la belle machinerie du capitalisme constitue la seule dynamique réelle. Dès que l’on observe ces questions sous l’angle subjectiviste, c’est-à-dire de sujets agissant dans l’histoire, les classes sociales, la question devient
naturellement plus complexe. Après tout, si quelques patrons lucides ont soutenu la création d’écoles, ce n’est pas le cas de la classe capitaliste dans son ensemble. Ce sont plutôt les classes moyennes, et notamment les professions libérales, qui ont contribué le plus à l’émergence d’un système scolaire. Il faut, pour bien le comprendre, voir comment l’éducation est perçue par la classe ouvrière.
Dans le travail salarié, le salaire est une variable déterminée par les rapports sociaux, et, en fin de compte, par les luttes sociales. Ces luttes présentent un caractère double, puisque le salaire est à la fois une marchandise dont le prix est négocié entre vendeur et acheteur – même si cette négociation peut rendre des formes très violentes de part et d’autre – et qu’en tant que tel, il est conforme au fonctionnement général du système ; mais d’un autre côté, puisque le salaire est le prix de la force de travail et que le travail est la seule marchandise qui se trouve présente
dans toutes les productions, il acquiert un caractère central dans la réalité capitaliste, et par là même, dans l’esprit des salariés. Or, a partir du moment où l’éducation est l’un des éléments de cette négociation, c’est-à-dire où le salaire est au moins en partie fondé sur la qualification, la lutte pour l’instruction fait partie des luttes pour le
salaire (au sens large de prix du travail).
Les ouvriéristes italiens avaient développé l’idée d’autovalorisation des travailleurs dans la lutte pour les salaires, même s’ils en ont tardivement perçu les limites (15). Cette idée est correcte, à condition de la replacer
dans le cycle de l’affirmation du prolétariat à l’intérieur du capital, donc de son ” intégration ” au capital et de sa volonté d’en prendre le contrôle: ” le prolétariat cherche à libérer contre le capital sa puissance sociale existante dans la capital. Ce qui lui confère sa capacité à promouvoir cette large affirmation devient sa limite ” (16). Dans le mot d’ordre du ” droit à l’instruction “, se trouvent combinées la revendication de salaires élevés,
d’une reconnaissance professionnelle et l’affirmation de la pleine citoyenneté – droit à l’instruction et suffrage universel sont fréquemment liées. Comme l’adresse un ouvrier russe à la rédaction de l’Iskra, ce qu’il
aime dans ce journal c’est qu’il ” considère l’ouvrier comme un citoyen “(17).
Cet engouement ouvrier pour l’éducation s’affirme essentiellement dans son auto-organisation (la pratique des bibliothèques ouvrières, des cours du soir, de l’autodidaxie,.). Il existe une certaine méfiance ouvrière envers l
‘école, renforcée par l’obligation de mettre les enfants au travail le plus tôt possible. Si la revendication du droit à l’instruction publique apparaît dans tous les programmes ouvriers, les luttes réelles (grèves générales,
pétitions massives, etc.) sont rares, contrairement à al question du suffrage universel. Ainsi, en 1841, la première loi française sur le travail des enfants et leur scolarisation a été fort débattue entre médecins, inspecteurs du travail et patrons, sans susciter d’intérêt particulier côté ouvrier : le célèbre journal L’Atelier ne lui consacre pas une ligne (18).
Il ne faut donc pas confondre le désir d’instruction et revendication d’une instruction publique encadrée par l’Etat.
Or, malgré des initiatives patronales isolées, seul l’Etat est en mesure de réaliser concrètement la demande. Le capitaliste individuel peut envisager la formation de ses salariés pour des tâches spécifiques, mais son intérêt
consiste à trouver sur le marché du travail un travailleur déjà formé. Seuls quelques très grandes entreprises peuvent réellement se permettre d’intégrer de véritables écoles. Il existe bien sûr des écoles privées “, mais le plus souvent, elles ont d’abord existé comme lieu de reproduction des classes moyennes, de la petite-bourgeoisie plus que du prolétariat – encore que l’ église catholique se soit parfois, pour maintenir sa position idéologique,
investie sur ce terrain.
L’Etat, par contre, a un intérêt plus général à ce que les capitalistes trouvent le plus facilement possible ces travailleurs déjà formés, qui vont permettre d’accroître les profits réalisés sur son territoire. En retour, cela l’oblige à ponctionner sur cette masse de profits les moyens de réaliser cette tâche. L’éducation, consommatrice de valeur en vue de produire une valeur plus grande ultérieurement, ne peut être assumée que par un capitaliste qui possède une masse importante de capitaux et un temps de circulation particulièrement long.
Ainsi, même si l’initiative du ” droit à l’instruction ” est issue de l’ auto-valorisation ouvrière, de l’affirmation du prolétariat comme classe (donc dans le capital), c’est dans la rencontre – conflictuelle – avec l’Etat qu’elle trouve la possibilité de se concrétiser. Cette rencontre est facilitée par l’existence d’une classe qui trouve dans l’éducation la possibilité de s’affirmer et de se développer, les ” intellectuels “, dont l’existence même est fondée sur la détention d’un savoir (19). Dans le cycle d’affirmation du prolétariat, il existe une certaine forme de
complémentarité entre les intellectuels et les ouvriers. Mais, si les deux classes prétendent gérer le capital à leur manière, seuls les intellectuels ont la possibilité de le faire réellement, parce que leur imbrication dans le système disciplinaire et dans la planification du capital leur permet de se substituer à la bourgeoisie, alors que la prétention du prolétariat à gérer le capital est un non-sens pratique. Georges Sorel, dans l’Avenir socialiste des syndicats, montre bien comment Kautsky introduit en fraude les intellectuels dans le prolétariat pour justifier leur domination politique sur celui-ci, et pourquoi ils ont tout à perdre à la victoire de la classe ouvrière (20).
Toutes les mystifications éducationnistes de la ” gauche “, qui ne voient pas la conscience politique du prolétariat dans l’expérience immédiate de l’exploitation, mais dans les révélations apportées par l’éducation, masquent
la réalité sordide de l’école capitaliste. Celle-ci est pourtant la seule école de masse qui ait jamais existé historiquement, qui ne soit pas liée uniquement à la reproduction de la classe dirigeante, mais bien à celle du
prolétariat. Dans les périodes de montées des luttes ouvrières, le discours éducationnistes est contraint de changer, de s’adapter, d’imaginer des ” alternatives pédagogiques “, ne serait-ce que parce que les intellectuels ne
peuvent plus s’affirmer que contre l’Etat et retourner contre lui son idéologie – ou en faire la conquête. Mais même dans ces périodes, la place de l’école dans le rapport de production, non pas idéologique mais
matérielle, directement liée à la production de la valeur, ne peut leur apparaître que lorsqu’ils dépassent la contradiction qui oppose leur position sociale de détenteurs de savoir à leur condition de salariés.
Alors, ils découvrent avec horreur leur absence d’avenir, ils comprennent que pour eux, ” la socialisation des moyens de production se traduirait par un lock-out gigantesque ” (21).
Nico, novembre 2002
www.geocities.com/demainlemonde/
1) Raoul Vilette (1999), La Guerre sociale, un journal ” contre. La période héroïque : 1906-1911. Les nuits rouges, pp. 351-352.
2) Maurice Dommanget (1969), L’introduction du marxisme en France.Rencontre.
3) ” Les élections font durer l’autorité ; les syndicats font durer le patronat ; les coopératives font durer le commerce “, déclarait GeorgesParaf-Javal dans Le libertaire.
4) Roland Simon (2001), Théorie du communisme, vol. 1. Fondements critiques d’une théorie de la révolution. Au-delà de l’affirmation du prolétariat.Sénonevero.
5) Karl Marx (1976), Le Capital. Critique de l’économie politique. Livre premier. Le développement de la production capitaliste. Editions sociales, p. 44.
6) Idem, p. 131.
7) Karl Marx, Misère de la Philosophie. http://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/06/km18470615e.htm
8) Karl Marx (1976), Le Capital, livre premier, p. 132.
9) Paul Delsalle (1985), La brouette et la navette, Tisserands, paysans et fabricants dans la région de Roubaix et Tourcoing (Ferrain, Mélantois, Pévèle), 1800-1848. Westhoek / éd. Des Beffrois.
10) Antoine Prost (1968), Histoire de l’enseignement en France, Armand Colin.
11) Denis Woronoff (1994), Histoire de l’industrie en France du XVIe siècle à nos jours. Le Seuil, pp. 290-296.
12) C’est sur la base de cette notion que Baudelot, Establet et Malemort ont étudié la formation des techniciens et ingénieurs. Hélas, comme ils confondent valeur du travail et prix du travail, ils arrivent à un non-sens, qui rejette ces salariés en dehors du prolétariat sur la base de leurs salaire élevés, plutôt que de s’interroger leur place dans les rapports de production. Christian Baudelot, Roger Establet et Jacques Malemort, La petite bourgeoisie en France. Maspero, Cahiers libres 270-271, pp. 223-235.
13) Karl Marx (1971), Un chapitre inédit du Capital, 10/18, pp. 191-223.
14) Michel Foucault (1975), Surveiller et punir, naissance de la prison. Gallimard, p. 264.
15) Steve Wright (2002), Storming Heaven. Class composition and struggle in Italian Autonomist Marxism. Pluto press.
16) Théorie Communiste n° 14, ” Fondements de la critique des Gauches “, pp. 45-46.
17) Trotsky (1970), Nos tâches politiques. Pierre Belfond, p. 77.
18) Pierre Pierrard (1987), Enfants et jeunes ouvriers en France, (XIXe -XXe siècle). Editions ouvrières, p. 56.
19) Anton Pannekoek (1982), Les conseils ouvriers, tome I. Spartacus, pp. 75-80
20) Georges Sorel (1981), Matériaux d’une théorie du prolétariat, Slatkine, pp. 93-99.
21) Idem, p. 97.
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Site mondialiste libertaire
Que l’Université fasse naufrage !
De la contestation universitaire au mouvement révolutionnaire : commentaire d’un ex-étudiant universitaire
1ère partie
par Christian Labrecque
L’Université est le lieu par excellence de reproduction du savoir hégémonique, hiérarchique, bourgeois et élitiste depuis le début de son existence en tant qu’institution. Elle est un instrument de reproduction des élites d’État et des élites capitalistes. Elle est une arme aux mains de ceux qui possèdent et administrent le Capital social (culturel, économique, technologique, technique…). Elle produit les patrons, les cadres, les fonctionnaires, les politiciens, les intellectuels, etc. (au féminin comme au masculin de plus en plus) qui reproduisent la domination capitaliste et qui en jouissent. Elle permet la restructuration de la société de classes et de strates, de la société qui produit une minorité de maîtres et une majorité d’asserviEs. Se battre pour le maintien de cette institution hiérarchique, c’est se battre ni plus ni moins pour la reproduction de la domination bourgeoise (quelle qu’en soit la forme). Que vous soyez de jeunes capitalistes, technocrates, intellectuels en devenir qui jouissez de vos
futures positions ou que vous soyez de ceux qui pleurent “le naufrage de l’université” comme institution soi-disant universaliste, vous appartenez à une des deux faces de la médaille bourgeoise qui tire profit de la
soumission des non-universitaires, prolétaires et sous-prolétaires (simples travailleurs et individus dépourvus de travail) que vous dirigerez bientôt.
La continuité même de la lutte pour le maintien et l’amélioration de la condition universitaire n’est qu’un combat d’élite. Pour ceux et celles d’entre vous qui viseraient, à travers cette lutte, des fins honnêtement et authentiquement révolutionnaires, il serait grand temps de vous en apercevoir avant que vous soyez à votre tour intégrés dans les rouages de cette institution ou dans ceux des autres institutions bourgeoises.
La prise de partie pour la constitution du mouvement révolutionnaire ne peut se faire pour nous, universitaires ou anciens universitaires, que par l’abandon de nos privilèges et de notre position d’élite. Nous pouvons que
nous lier aux autres éléments révolutionnaires de cette société ainsi qu’à ceux et à celles pour qui la révolution serait être la rupture avec leur position de dominéEs (prolétaires et sous-prolétaires ou autrement dit simples travailleurs et individus dépourvus de travail), car même l’autogestion de l’université comme institution de domination ne peut mener qu’à l’autogestion des conditions de la domination. La seule fin révolutionnaire qui peut être envisagée par rapport à l’université comme institution particulière est sa destruction dans le mouvement de destruction de l’ensemble des institutions bourgeoises et des phénomènes autres de reproduction des inégalités(États, capitalisme, hétéronomie, patriarcat, racisme, xénophobie, hétérosexisme, etc.). Elle doit disparaître comme tout phénomène inégalitaire et bourgeois détruite par le mouvement communiste révolutionnaire-libertaire, par l’autonomie destructrice-créative des masses. Ainsi à un certain Freitag qui déplorait “le naufrage de l’université”, nous ne pouvons que répondre : que meure cette saloperie.
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