Dans le val de suse, l’État et la honte
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Category: Global
Themes: Répression
Places: Italie
Le texte suivant a été écrit à chaud quelques heures après la descente policière. C’est un appel aux habitants de Bussoleno à une marche aux flambeaux qui a illuminé les rues du village le soir même pour demander la libération de Dana et Stefano. Ce dernier a été placé sous surveillance judiciaire le même jour que Dana, à grand renfort de communiqués de presse mettant en avant son passé de militant du groupé armé Prima linea. Dans les considérants du jugement de Dana, la justice explique qu’elle devra passer les deux années à venir en prison car elle n’a pas pris ses distances de la lutte No Tav et a continué d’habiter au Val de Suse. En somme, si défendre un territoire est un crime, y vivre semble être une circonstance aggravante.
Ils sont venus à la faveur de la nuit et ils sont venus en grand nombre. Avec la peur de ceux qui savent avoir tort.
Ce matin à 5 heures, avec une descente de véhicules blindés et de flics dans les règles de l’art, les forces de l’ordre ont appliqué l’arrêt paradoxal émis par le Tribunal de l’application des peines (Tribunal di Sorveglianza), en la personne de Mme la juge Elena Bonu, contre Dana. Le peuple No Tav était au rendez-vous, décidé à soutenir Dana et à lever la voix contre cet abus honteux à l’égard d’une femme, d’une militante et de tout un territoire.
Un quartier de Bussoleno a été entièrement militarisé pendant des heures, sans que les habitants du village puissent y accéder pour témoigner symboliquement leur solidarité à Dana. Malgré le dispositif déployé, les No Tav ont tout de même réussi à rejoindre la maison de Dana et à crier haut et fort leur indignation face à cette injustice. Une marche de la honte pour les agents venus la prélever, qui ont réagi en bousculant aussi bien les jeunes que les vieux et en proférant des menaces et des insultes. Une fois de plus, la Digos de Turin s’est fait remarquer pour la force répressive dont elle fait preuve contre ceux et celles qui luttent pour défendre la vallée.
La peur et la honte se lisaient sur les visages de ces bandits en uniforme lorsque Dana saluait la foule solidaire la tête haute, avant d’être introduite dans la voiture de la police.
Pour couronner le tout, pendant que cet énorme dispositif d’hommes et de moyens était mis en place pour transférer Dana en prison, trois voitures des carabinieri notifiaient à Stefano, militant No Tav, 5 mois d’assignation à résidence.
La voiture qui emmenait Dana était déjà loin de chez elle quand la police a chargé froidement un groupe d’habitants de Bussoleno, blessant à la tête un jeune militant No Tav. Leur seule faute était d’avoir voulu rendre hommage à une concitoyenne tombée dans les mains de l’injustice.
Cette matinée prouve que le Val de Suse se situe en dehors de l’État de droit, qu’elle est un territoire occupé, comme nous le disons depuis des années, où les forces de l’ordre font les caïds au service des puissants, avec le silence complice des sphères institutionnelles. Un lieu où Telt, la société promotrice de l’infrastructure, administre personnellement la justice en se servant des tribunaux et de la police comme d’une milice privée. Un lieu où la dangerosité sociale, une initiative de dix minutes, la lecture d’un tract au haut-parleur, peut coûter deux ans de prison.
Et que dire de ce gouvernement asservi à la toute-puissance des lobbies du BTP ? Que dire de cette partie de la majorité qui s’est déclarée No Tav des années durant ? Ceux et celles qui se disaient proches des exigences des citoyens aujourd’hui se taisent face à l’état d’exception qui s’applique avec une violence extrême dans le Val de Suse.
Combien nous a-t-il coûté cet abus de pouvoir mis en scène ce matin ? Combien nous coûtent-elles les équipes de magistrats et les dizaines d’agents de la Digos qui s’occupent quasi exclusivement des militants No Tav ?
Les priorités poursuivies sont claires, malgré cette pandémie qui bouleverse la planète en toile de fond : continuer de financer le système des grands travaux inutiles et persécuter, arrêter, punir ceux et celles qui s’y opposent.
La vallée, elle, continue de résister depuis trente ans, avec détermination et courage. Dans cette vallée nous avons appris à prendre soin du territoire et de notre prochain, à ne perdre personne en route ; nous avons appris que la vraie idée de justice ne coïncide quasiment jamais avec la violence de la loi. Nous avons appris que vivre est juste seulement dans la rébellion, et nous continuerons de nous rebeller parce que nous savons que cette infrastructure est mortifère, nous savons que nous ne voulons pas d’un avenir de dévastation, de pollution, de cancer et de désolation sociale pour le territoire que nous habitons. Alors nous ne laisserons pas Dana seule, nous ne laisserons pas Stefano seul et nous continuerons leur lutte, notre lutte, le portable allumé sur la table de nuit et les chaussures de montagne au pied du lit, comme toujours.
Pour cette raison, nous nous retrouverons ce soir [17 septembre 2020] à 20h30 à la Piazza Cavour de Bussoleno pour une marche aux flambeaux, pour exprimer notre solidarité à Dana et Stefano et crier notre indignation et notre détermination. Nous résisterons un mètre, un jour, une heure plus qu’eux !
La version originale est disponible en italien sur le site de la lutte No Tav
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