Faut r’connaître, c’est du brutal. J’disperse, j’ventile façon pelleteuse

Un bâtiment municipal détruit fissa, sans souci de l’amiante fracassée qui en a mis plein la gueule aux migrants expulsés, aux militants présents s’époumonant pour arrêter les dégâts, aux flics respirant l’intelligence, aux ouvriers de l’entreprise de démolition et aux voisins venus en curieux. Prévenue dans la journée du 30 juillet mais trop tard, l’inspection du travail a fait cesser le chantier de désamiantage à l’arrache sans la moindre précaution. La justice saisie, une enquête pénale est en cours pour mise en danger d’autrui. En mairie, c’est silence radio. Radio des poumons, sans doute.

Massacre à la pelleteuse. Amiante sauvage : le gisement nantais

Expulsion d’un squat de sans papiers dans la poussière d’amiante. Une destruction équitable : flics, militants, riverains, tout le monde en a mangé.

C’était l’été. Le temps des insouciances et du sable dans les tongs. Johanna Rolland goûtait sa première pause estivale depuis son élection comme bourgmestresse de la bonne ville de Nantes. Elle villégiaturait pas loin en famille, au bord de la mer, coconstruisait des châteaux de sable avec ses deux fistons, entrecoupant ces chantiers éphémères de quelques allers et retours jusqu’à son bureau en mairie. Entre mi-juillet et mi-août, elle était donc éloignée des agitations de la ville. Et des sales poussières des démolitions, comme celles du 30 juillet, quand une pelleteuse a méchamment foutu par terre les bâtiments occupés depuis mai par des migrants et demandeurs d’asile, rue des Stocks, près du boulevard Dalby. La police est là, en force. On ne laisse même pas le temps aux occupants de récupérer le peu d’effets personnels, papiers d’identité, documents administratifs qu’ils détiennent et le peu de souvenirs qu’ils emportent dans leur migration. Tout est vite enseveli sous les décombres. Les militants tentant de s’opposer sur place à l’expulsion ont eu beau beugler « Amiante ! Amiante ! », on ne les croit pas. Policiers, sans papiers, militants, ouvriers de l’entreprise de démolition, badauds, riverains, tout le monde a droit à sa dose de fibres d’amiante lors de la casse. L’expulsion « sur ordonnance » a permis de ne pas prévenir les occupants : la procédure prétexte n’avoir pu identifier les occupants. Plus besoin de procès contradictoire, les argousins fichent tout le monde dehors avec pertes et gravats. Accessoirement, aucune solution alternative de relogement n’a été proposée. Tant qu’à la jouer brutal, autant y aller franco.

Amiante plein la gueule

Les bâtiments appartiennent alors à la mairie, qui est bien placée pour être au courant de la présence d’amiante dans les ardoises en fibrociment, dalles au sol et tuyaux. Le permis de construire signé le 28 décembre 2012 par l’adjoint à l’urbanisme Alain Robert indique noir sur blanc au promoteur les obligations de recours à des entreprises spécialisées pour la « déconstruction de l’amiante ». De l’amiante dit « inerte » si on n’y touche pas, mais matériau dangereux dès qu’il est brisé, qui libère ses fibres invisibles dans l’air dès qu’on le casse sans précaution. La seule solution, confiner les lieux, et faire intervenir une entreprise hautement spécialisée avec des ouvriers en combinaison intégrale enlevant les gravats dans des enveloppes fermées.

L’inspection du travail débarque dans l’après midi, fait cesser aussitôt le chantier, mais les dégâts sont faits, l’expulsion a débuté à 7 h 30, les parties amiantées sont déjà parties en fumées et décombres. Les ouvriers n’ont apparemment pas été avertis. On les a envoyés bouffer de l’amiante sur un chantier délibérément lancé dans l’illégalité.

Déconstruction en règle

La délibération du conseil municipal du 29 juin 2012 autorise la vente au promoteur immobilier Sogimmo de Vertou, «la démolition étant laissée à la charge du promoteur». En fait, les actes notariés de la vente ne sont signés que le 31 juillet, le lendemain de la démolition sauvage. Dès le 29  juin, Patrice Lemaitre, directeur du service municipal de l’Immobilier a pourtant écrit au promoteur : «Objet : autorisation démolition» ; «Dans le prolongement de notre conversation de ce jour, je vous confirme que la Ville vous donne l’autorisation de démolir les immeubles communaux 9 et 11 rue des Stocks, à compter du 30 juillet». Le promoteur, qui n’en espérait pas tant, met illico les pelletées doubles. Il n’est pas encore propriétaire, mais puisque la mairie, vendeur et gardien des règles d’urbanisme, lui dit de foncer, il fonce. Pas question de laisser ces squatteurs, une centaine de précaires et sans logis, retarder son retour sur investissement. Ratiboiser les locaux lui assure qu’aucune réoccupation ne soit possible. On a donc exposé à une intoxication à l’amiante, et en pleine connaissance de cause, tant les deux ouvriers de l’entreprise Monnier que les policiers, les expulsés, et tous les curieux à portée de poussière. L’inspection du travail a fait un signalement au procureur quant à cette «mise en danger d’autrui» passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Désamiantage sauvage

Une fois le fibrociment détruit au tracto pelle, il a fallu déblayer dans les règles les déchets toxiques de ce «désamiantage sauvage». Une réquisition d’urgence du préfet, le 1er août, a dû trouver une entreprise spécialisée amiante pour finir le chantier dans le cadre légal, mouillant les décombres pour éviter toute poussière, bâchant les débris et montants des clôtures en tôle opaque du chantier. Une autre boîte a été chargée d’enlever les miettes de démolition polluées d’amiante. Au parquet de Nantes, le vice-procureur Jean-Philippe Reverseau indique que la justice a «ordonné une enquête pénale» confiée à la police. Contacté par Lulu, ni le promoteur Philippe Nevoux, ni l’entreprise Monnier, ni l’adjoint à l’urbanisme n’ont voulu répondre. Présent sur le chantier ce jour-là, Franck Hervé, salarié du promoteur Sogimmo, affirme qu’il n’avait pas connaissance de la présence d’amiante, mais savait qu’au moment de la démolition, sa société n’était pas encore propriétaire des bâtiments : «Celui que les associations de défense des sans papiers, qui ont très bien manœuvré, ont présenté comme le “méchant promoteur” s’est mis lui-même en danger. On se sent victime…»

Johanna Rolland, qui a confié avant les municipales avoir connu sa première expérience militante avec des sans papiers, quand elle était étudiante à Sciences Po Lille, a donc pu passer de bonnes vacances iodées, loin de ces saletés. Toutes nos pensées vont à la famille du tracto-pelle.

Gildas Bestos