•               « Des cités rurales et des villages urbains. »

Certes, en aucune manière, les dirigeants révolutionnaires maoïstes ne se préoccupèrent d’écologie et d’environnement. Et au contraire, les premières années de la République Populaire de Chine auront donné lieu dans le secteur de l’agriculture à des expérimentations suivies d’insensés programmes parfaitement catastrophiques pour l’environnement et le Peuple chinois ; la Chine maoïste n’échappa pas au modèle d’un productivisme exacerbé, même restreint et limité, et Mao Zedong et ses partisans ont adopté le modèle stalinien, d’une nature devant être soumise et transformée aux impératifs productifs. Nous y reviendrons.

Mais au-delà, Mao, plus qu’aucun autre dirigeant planétaire de l’ère moderne se sera fait l’apôtre du désurbanisme, et à sa mort en 1976, la Chine présentait toutes les caractéristiques, dans les domaines de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, d’un pays ayant réussi un développement équilibré du territoire  ; « équilibré » ? Un sociologue comprendra sans doute qui assure à tous les ménages des niveaux de vie semblables ; pour les géographes, il s’agit plutôt d’une répartition de la population et des activités aussi également que possible sur tout le territoire. En Chine maoïste, cette définition se réfère explicitement à la pensée – plus que théorie – de Marx et Engels concernant l’opposition ville-campagne ; et Mao Zedong bâtira ses programmes politiques selon une doctrine anti-urbaine ruralophile oscillant selon les événements et les époques entre idéologie et utopie, entre incitation, invitation et despotisme.

Dans le Manifeste du Parti Communiste, l’une (la neuvième) des dix séries de mesures devant contribuer au renversement du mode de production capitaliste visait à lier le travail agricole et le travail industriel et « à faire graduellement disparaître la distinction entre la ville et la campagne ». Quelque vingt ans plus tard, dans Le Capital, Marx y revint à plusieurs reprises. Mais c’est sans doute Engels, qui, en 1878, dans Anti-During, y revint avec le plus d’insistance :

« La suppression de l’opposition de la ville et de la campagne n’est donc pas seulement possible. Elle est devenue une nécessité directe de la production industrielle elle-même, comme elle est également devenue une nécessité de la production agricole …» 

« La suppression de la séparation de la ville et de la campagne n’est donc pas une utopie, même en tant qu’elle a pour condition la répartition la plus égale possible de la grande industrie à travers tout le pays. Certes, la civilisation nous a laissé, avec les grandes villes, un héritage qu’il faudra beaucoup de temps et de peine pour éliminer. Mais il faudra les éliminer et elles le seront, même si c’est un processus de longue durée. Quelles que soient les destinées réservées à l’Empire allemand de nation prussienne, Bismarck peut descendre au cercueil avec la fière conscience que son souhait le plus cher sera sûrement exaucé : le déclin des grandes villes. »

Mais, dans un premier temps, la grande ville, lieu de formation du Parti Communiste chinois en 1921, est célébrée après la victoire en tant que pilier du développement et placée au centre de la modernisation du pays, aussi bien qu’en tant qu’instrument de culture révolutionnaire ; puis, la grande ville deviendra après la campagne des Cent Fleurs en 1957, l’objet des premières critiques. A partir de cette époque, Mao Zedong, critiquant le renoncement de toutes les utopies du développement équilibré et de la décentralisation des pouvoirs du modèle de planification soviétique, radicalisera l’idéologie ville-campagne. Pour Mao, il convient d’envisager « des cités rurales et des villages urbains ». La grande ville doit être contrainte à se dissoudre dans son hinterland rural, les populations invitées – puis forcées – à apprécier les qualités – révolutionnaires – de la ruralité et l’esprit communautaire des Communes populaires. L’idéologie maoïste de la ” ville socialiste ” ne peut plus vanter l’anonymat du mécanisme décadent de la modernisation, mais bien la réintégration de l’homme – socialiste – dans la collectivité. Pour Mao, d’origine paysanne et ayant théorisé et pratiqué la guérilla rurale, les grandes villes sont synonymes de gaspillage : elles exploitent les campagnes et selon ses propres termes, il convient plutôt d’envisager une industrialisation sans urbanisation démesurée. Maria Antonietta Macciocchi, en visite en Chine notait :

” La Révolution culturelle ne laisse pas la campagne dans un rôle subordonné. Elle n’opère pas de prélèvements sur l’agriculture et elle ne fait pas des paysans une nouvelle ” glèbe ” ni une ” réserve réactionnaire “. aux mégapoles, aux centres industriels géants, sièges du triomphe de la technologie et de l’ “intelligence “, ce choix oppose à la décentralisation constante des villes afin de ne pas laisser en arrière cet univers terrien qu’est la Chine et qui, jusqu’il y a quelques décennies, était plongé dans le féodalisme. La révolution culturelle réunit les villes et les campagnes par la mécanisation de ces dernières, par les petites et moyennes industries qui s’appuient sur les grandes, par la nouvelle sélection dans les écoles des fils de paysan, par les enseignants paysans, par la restructuration de l’Université et la décentralisation de la médecine. ” (De la Chine, 1974).

Grossièrement, cet équilibre territorial, se concrétisa par :

  •   La limitation de croissance des grandes villes, et l’édification de vastes ceintures vertes inconstructibles, dédiées aux loisirs et à l’agriculture ; et selon les termes qui reviennent dans les déclarations officielles, la modernisation des villes doit préserver l’échelle humaine, offrir un cadre de vie agréable, verdoyant et propice aux relations humaines ; et de loger dans des conditions décentes chaque habitant du pays ; dans ce cadre de grands travaux d’assainissement sont lancés ; en 1958, il est demandé aux grandes villes de se suffire en ce qui concerne leurs besoins alimentaires fondamentaux. Aussi le périmètre urbain est-il élargi, une ceinture verte protège et préserve leur espace agricole de l’urbanisation ; ici, les coopératives agricoles regroupent les agriculteurs, leur fournissant logi, services et équipement de première nécessité.
  • La construction de villes satellites à l’orée des grandes villes existantes, destinées à la relocalisation et/ou construction de complexes industriels et à désengorger les mégapoles ; éloignées des villes, elles disposaient de tous les services et équipements publics leur assurant un maximum d’autonomie ;
  • La construction ex nihilo de villes nouvelles dans les régions sous-développées, et celles minières, officiellement limitée à 100 000 habitants regroupant les infrastructures nécessaires à la population d’une région ;
  • La construction ou la transformation de villages industrialo-agricoles – le rêve de Kropotkine – disséminés sur l’ensemble du territoire ; l’autonomie locale demande des petites ou moyennes industries répondant essentiellement aux besoins de l’agriculture. Le paysan sera en même temps un ouvrier – et un soldat – et la centralisation est limitée au minimum : électricité, transports, défense. L’un des préceptes de l’idéologie de Mao Zedong est tout aussi fondamental : Ne comptez que sur vos propres forces, qui sera conjugué au pays (c’est-à-dire, un minimum d’aide extérieure et de produits d’importation du commerce international) comme à l’ensemble des villes du territoire. Dans ce cadre, l’objectif de la décentralisation industrielle et le programme de construction d’entreprises de petites et moyennes dimensions, négligées par le modèle centralisé, dans les villes de province devaient assurer leur autonomie, une meilleure utilisation des ressources locales et à stabiliser la main-d’œuvre rurale, dans l’objectif de ré-équilibrer les populations sur l’ensemble du territoire. Le point important, ici, est que le programme des « petits hauts fourneaux », ces petites industries sont à vocation locale quant à leurs ressources : main-d’œuvre, équipement, matières premières ; quant à leur production, qui doit satisfaire des besoins locaux, qu’il s’agisse de production finale, ou de biens d’équipement pour l’agriculture environnante, ou encore de biens intermédiaires pour une grande entreprise avoisinante. Après un début laborieux, ce programme a été déterminant pour l’économie locale. Des observateurs étrangers voyaient dans ces petites entreprises rurales une industrie « à dimension humaine » telle que la rêvent les néo-rousseauistes proudhoniens fervents d’écologie comme le révélait l’économiste Edouard Poulain (1976).
  • La construction de réseaux routier, ferroviaire, portuaire et fluvial, reliant l’ensemble des villes du territoire. Et préférence aux transports publics qui s’exprimait par le faible nombre de véhicules particuliers contrebalancé par l’excellence des transports publics et la production massive de vélos, le moyen de transport privilégié des camarades chinois.

Pour parvenir à cet équilibre territorial, et maîtriser la croissance des villes, à l’opposé des mégapoles capitalistes, les programmes politiques maoïstes ont été à la mesure des enjeux ; retenons :

  • L’abolition de la propriété privée et du marché est considéré, selon Engels, comme un premier pas vers la suppression de toute forme de division entre ville et campagne.
  • La limitation des naissances, considérée comme essentielle dans un pays sous-modernisé ne pouvant pas subvenir aux besoins vitaux de l’ensemble de la population et pouvant contrarier le développement industriel. La première campagne incitative et non obligatoire de limitation des naissances a été lancée dès 1956. Mais il s’agit aussi de briser les traditions ancestrales de mariages d’enfants arrangés par les familles, d’encourager les jeunes à poursuivre leurs études avant de se marier, et de réduire le nombre d’années de fécondité « utilisables ». En 1973, le régime affiche explicitement les objectifs concrets et chiffrés du contrôle des naissances. Bien après le décès de Mao, en 1982, limiter les naissances est devenu un devoir constitutionnel : « l’État encourage le planning familial afin d’assurer l’harmonie entre la croissance démographique et les plans de développement économique et social. »
  • La limitation de la mobilité résidentielle visant notamment à mettre fin aux migrations massives des paysans vers les villes, apparues dès après 1949. A partir de 1956, un passeport (Hukou) accompagne la vie d’un camarade chinois où est stipulé son lieu de résidence – ville ou campagne – l’assignant, si l’on peut dire, à résidence : il est ainsi interdit à un ouvrier agricole, par exemple, de venir s’établir dans une ville, sans autorisation au préalable motivée d’une bonne raison. En premier lieu, comme dans tant d’autres pays du monde, l’afflux massif de paysans vers les villes constituait une menace réelle dans le cadre de l’idéologie anti-urbaine, et du programme de décentralisation de l’industrie. De fait, limitée, bridée, l’industrie des grandes villes ne pouvait pas absorber le nombre de jeunes arrivant à l’âge du travail. En 1964, le ministre Tan Chen-lin annonçait que le plan 1962-1966 ne permettrait la création que de 5 millions d’emplois industriels. Or, à cette époque, 2 200 000 de jeunes urbains arrivaient chaque année. Non seulement il était indispensable de bloquer les migrations rurales, de renvoyer la partie excédentaire de ces jeunes à la campagne, mais aussi de limiter les naissances. Dans une certaine mesure, ces dispositifs ont permis d’éviter l’apparition des bidonvilles à l’ombre des grandes villes (malgré des réserves et des critiques, la Chine sera considéré par les professionnels de l’urbain, les grandes organisations mondiales, comme un modèle d’urbanisation « sociale » et nombre de délégations de pays en voie de développement [d’Inde, de Cuba, d’Afrique,etc.], et notamment ceux confrontés au développement exponentiel des bidonvilles, viendront visiter, dans les années 1960/70 les villes modèles chinoises, et considéreront les expériences de planification et d’urbanisme avec grand intérêt).

L’enjeu était également d’éradiquer les évidentes inégalités entre villes et campagnes ; en 1955, alors que la population urbaine ne représentait que 13 % de la population totale, 75 % des étudiants étaient des citadins ; selon les statistiques de 1961, 30 % d’entre eux venaient-ils des anciennes classes sociales jadis aisées, et le rapport urbains-ruraux était sensiblement identique. Ainsi, dans le domaine de l’éducation, les citadins étaient privilégiés par rapport aux ruraux, non seulement par leur nombre, mais aussi par l’environnement culturel, même dans les classes urbaines moins aisées. D’une manière moins rationnelle, plus intuitive, Mao Zedong remarquait également la fâcheuse tendance de la bureaucratie à se constituer en tant que classe urbaine privilégiée – sur le modèle soviétique -, le plus souvent issus de l’université ; qui explique la réticence de Mao de laisser se développer un secteur tertiaire, notamment administratif. L’on comprend mieux les deux objectifs assignés par Mao : le premier consiste à refaire idéologiquement l’unité entre ruraux et urbains; le second à utiliser économiquement le potentiel de jeunes scolarisés dans les entreprises, villes et communes rurales, plutôt que de laisser se constituer une masse de chômeurs ou un fardeau de sous-employés dans les villes, qui sait, potentiellement contre-révolutionnaires). L’idéologie ruralophile et anti-urbaine de Mao est ainsi pensée en réaction contre l’élitisme urbain et l’accroissement des inégalités qui étaient à la fois géographiques (les villes contre les campagnes) et sociales (transmission « héréditaire » des privilèges acquis). Contre cela, la stratégie maoïste vise à l’élimination des trois grandes différences : urbain-rural, ouvrier-paysan, travailleur manuel-intellectuel, et prend appui sur les masses les moins aisées du monde rural, et, peut-on ajouter, l’armée, dans sa masse, essentiellement constituée de jeunes ruraux. Programme liberticide qui sera véritablement en vigueur après la révolution culturelle de 1966.

  • La limitation démographique des villes par le transfert volontaire, incitatif ou forcé dans les campagnes de jeunes instruits, de cadres et d’ingénieurs, et de travailleurs d’origine rurale. Transfert – ou déportation – concernant plusieurs millions de citadins. Ainsi, dans le cadre de la continuation de la « révolution », Mao Ze-dong lance en décembre 1968 le mot d’ordre : « II faut aller à la campagne se faire rééduquer par les paysans pauvres et moyens-pauvres ». Mao Zedong dans sa vision d’abolir réellement et durablement l’opposition ville-campagne, s’attaquera à un front autrement plus difficile à maîtriser, celui de la construction de l’Homme nouveau s’accordant à son idéologie anti-urbaine ruralophile : des ponts doivent surplomber le dangereux gouffre, les antagonismes historiques séparant mondes rural et urbain. Il associait étroitement l’édification de l’Etat et d’une société socialistes à la transformation morale et spirituelle de l’individu. Dès les premières années, le régime encourageait les jeunes ruraux munis du diplôme de fin d’études primaires à retourner – volontairement – dans leur village d’origine, devant constituer la nouvelle élite locale, chargée d’éduquer les jeunes paysans. Et vice et versa, les paysans devant inculquer aux jeunes urbains les préceptes d’une vie simple, non soumise aux débauches physique et intellectuelle des grandes villes. Dans un autre objectif, ce transfert fut assigné aux cadres et aux ingénieurs, aux médecins, etc. chargés dans les villes et bourgades d’apporter leurs compétences. Cette idéologie constante d’une voie chinoise du communisme agraire resplendira en utopie dégénérée lorsqu’après la révolution culturelle (1966), des millions de jeunes instruits ont été forcé de migrer vers les campagnes, vécue pour beaucoup comme une déportation.  Apparue dès les premiers textes, l’utopie anti-urbaine ruralophile de Mao Zedong connut alors son plus complet développement.

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Croissance Zéro ou Frugalité. Mao Zedong refuse dans la construction du socialisme en Chine, d’adopter le modèle occidental qui implique, entre autres, le rejet des valeurs de la « société de consommation », et donc, le renoncement à une industrialisation massive (et une importation) consacrée, de fait, à la production d’objets considérés comme inutiles pour les besoins de l’homme (Nouveau) ; produits ainsi catégorisés comme étant :

= essentiels (vente à perte, dont le pain, riz, espace habitable, médecine et médicaments, habits, etc.),

= de nécessité quotidienne (vente au prix de production ou légèrement supérieur, dont le charbon, les ustensiles ménagers, vélo, etc.)

= en biens secondaires ou produits de luxe (le prix est très supérieur au coût de production, dont les montres, appareils photos, radio, téléviseurs, etc.).

 

 

Ce que nommaient les marxistes d’alors la stimulation matérielle de la population active était ajustée à son strict minimum (nourriture, logement, habillement). Dans une société dont la course au profit a été éliminée, sont vécus comme les plus fondamentaux : l’éducation, la santé, l’équilibre psychologique, l’activité créatrice, la solidarité, la participation à l’effort collectif. Selon l’économiste Charles Bettelheim, en Chine,

« cela conduit à un style de vie sobre et égalitaire, mais non pas austère, car cela n’implique en aucune façon, le refus d’une diversification croissante des productions, dans la mesure même où cette diversification aide à l’épanouissement de besoins sociaux, désormais de plus en plus vécus comme fondamentaux. Ainsi, l’on cherche à mettre complètement fin à la domination sur les hommes des produits de leur travail, ceci non seulement au sens de la suppression de la domination du marché sur les hommes, mais au sens de cette aliénation que représentent la quête incessante d’objets nouveaux et la course indéfinie derrière des besoins dont les hommes ont cessé d’être les maîtres.»

Marie-Claire Bergère analysait ainsi l’utopie de Mao Zedong :

« Mao a choisi, selon la formule de R. Lowenthal, “l’utopie contre le développement”, en privilégiant l’idéal de justice sociale, qui avait inspiré la lutte révolutionnaire, au détriment des impératifs de la modernisation économique, auxquels la révolution triomphante avait été immédiatement confrontée. (Les incertitudes de l’ère post-maoïste. In: Politique étrangère n°2 – 1979).

La frugalité et la consommation à bon escient des populations, aujourd’hui l’une des mesures qu’appellent certains courants de l’écologie.

Soulignons ici brièvement, les problèmes titanesques auxquels le nouveau régime est confronté en 1949, après des années de guerre ; le journaliste Robert Guillain évoquait ainsi les situations des villes :

« De ces problèmes, le plus voyant est celui du ravitaillement de ces masses et particulièrement de ces villes, nouvellement conquises, qu’ils ont trouvées dans un état lamentable. Villes parasites, coupées des campagnes qui les entouraient ; villes pourries, où les cent trafics de l’inflation remplaçaient le commerce ; villes mendiantes, qui ne vivaient plus que de la charité internationale généreusement fournie par les Américains. Pour compliquer le problème, la Chine a subi de terribles inondations cet été, qui sans doute auraient ému le monde, comme le firent celles de 1930. » (Problèmes de la Chine communiste. In: Politique étrangère n°1 – 1950).

Ainsi, la Chine maoïste anti-urbaine et ruralophile a été un modèle du genre en matière d’écologie, de développement durable pourrait-on dire, tout aussi bien qu’un formidable contre-exemple. Ces réformes et programmes n’étaient en aucune manière destinées à formuler une vocation écologique, mais nous savons qu’elles y participent et sont même au coeur des revendications et motivations des écologues et écologistes : consommation restreinte et responsable, limitation des emprises des villes et protection de leurs espaces agricoles les alimentant en circuits courts, décentralisation industrielle et déconcentration urbaine afin d’équilibrer le territoire, production et gouvernance locales, transport individuel limité et prédominance des transports en commun, etc., etc., etc., sans même évoquer le contrôle des naissances, exigé par certains courants écologistes : tout ceci est du domaine de l’écologie.

Les contre-performances maoïstes sont nombreuses, avec, entre autres, la modification de nombreux bassins hydrauliques, l’assèchement de lacs et de marais et le terrassement des montagnes afin d’augmenter les surfaces cultivables. Ainsi, l’on proposa même de transplanter des villages entiers des plaines agricoles sur des flancs de colline pour qu’ils s’étendent sur de moins bonnes terres ou difficiles d’accès. La construction de centaines de barrages hydrauliques eut pour conséquence le déplacement de population importante et une modification des éco-systèmes, de même que la mise en oeuvre d’un programme d’aménagement foncier sans précédent, au printemps 1958, concerna l’édification d’un réseau d’irrigation de 23 millions d’hectares. L’on cite très volontiers la « Campagne des quatre nuisibles », lancée en 1958 avec un impact catastrophique sur l’agriculture, qui incitait les camarades à s’attaquer aux fléaux traditionnels, à savoir les rats, les mouches, les moustiques et les moineaux qui se nourrissaient des graines des champs cultivés. L’extermination des rats contribua à éradiquer certaines maladies, mais l’extermination massive des moineaux entraîna un bouleversement écologique qui favorisa la prolifération d’insectes nuisibles s’attaquant aux récoltes. Le programme d’industrialisation locale, des petits hauts fourneaux, pourrait être responsable de la disparition d’un dixième des forêts du pays, et la déforestation massive est directement responsable de l’accélération du phénomène de désertification et de l’érosion du terrain le long des cours d’eaux, et ce, même si des campagnes de reboisement étaient effectuées. Dans un autre registre, les purges de l’Etat contre les opposants au régime, ou plus simplement à certain programme, ont signifié la disparition d’experts en environnement, ingénieurs agronomes ou en hydraulique, etc., ou provoqué un silence prudent ou complaisant.

Mais, dans le domaine de l’agriculture, l’on trouve trace d’experts étrangers, admirer le modèle maoïste ; en considérant que en 1949, seulement 11% des terres du pays étaient alors arables, et que des régions entières étaient soumises, régulièrement, à des inondations dévastatrices, d’autres à de longues périodes de sécheresse, sans compter les ravages des séismes fréquents en Chine ; parmi eux, René Dumont, 1er candidat écolo à la présidentielle de France en 1974, plutôt admiratif et ardent défenseur du modèle agricole chinois ; l’écologiste intransigeant, et bien d’autres ingénieurs agronomes de réputation mondiale, pro, neutre ou anti Mao, louaient les bienfaits de la révolution agraire de la Chine maoïste, et le contrôle des naissances, et la consommation restreinte ; malgré et après la première période d’erreurs magistrales,  ils considéraient la politique agraire comme une belle réussite, ayant permis une augmentation des rendements et la fin des grandes famines ; dans son livre témoin intitulé Révolution dans les campagnes chinoises, rédigé  en 1965 après une visite officielle en Chine, René Dumont voit dans les coopératives de production chinoises une forme d’organisation « souple et intelligente » et « relativement libre de la tutelle d’État dans sa gestion ». Dans ce cadre, « le paysan, étant moins subordonné aux si dangereux technocrates, a pu déployer toutes ses qualités de mesure, sa finesse de compréhension réaliste ». Et concernant l’emploi des engrais chimiques, sources de pollution, il écrit ce passage fameux, adressé aux partisans de Pierre Rabhi :

« D’autre part, certains puristes de l’agriculture biologique s’insurgent sans nuances contre les engrais chimiques, etc. de la “révolution verte”, sans comprendre qu’elle permet de nourrir en Asie des dizaines de millions d’habitants en plus ! La meilleure solution est celle des Chinois, qui utilisent toujours, associés aux engrais – dont la consommation chez eux augmente rapidement – toutes les fumures organiques possibles.» (Un monde intolérable : le libéralisme en question. 1988).

Et, tout pareil que le Grand Timonier Mao, René Dumont s’attaque à son tour à la thématique incontournable, à l’époque, de l’Homme nouveau :

« il faudrait aussi changer les hommes », pour leur faire accepter les contraintes « qu’imposera un jour proche la nécessaire croissance zéro de leur consommation globale ».

Dumont évoquait la Chine « qui produit des hommes nouveaux trempés comme l’acier », et où l’on peut trouver « les bases d’une nouvelle foi dans l’homme » :

« Une autre politique de développement existe déjà, dans le pays le plus peuplé du monde, qui permet une croissance mesurée certes, mais sans aide extérieure, sans chômage, sans gaspillages, avec très peu de pollutions : celui de la Chine […] Saluons le dévouement des dirigeants chinois à l’intérêt national et à celui des travailleurs.»

La Chine Maoïste : un modèle pour une civilisation écologique dictatoriale – écototalitarisme -, ou bien une tyrannie bienveillante mais limitant, comme en Chine maoïste, les libertés individuelle et démocratique,  imposé – voire librement consenti – pour la préservation de la planète ?