Prises de décisions au sein d’une lutte
Published on , Edited on
Category: Local
Themes: CritiquesLuttesPouvoir
Ce n’est pas rare de se retrouver confronté.es à la critique après une prise de décision dans certaines luttes qui ont cours actuellement sur Nantes. Certain.e.s trouvent que telle ou telle décision est prise de façon autoritaire ou malveillante par telle ou telle fraction de la lutte. Si les prises de décisions arbitraires restent une réalité sans cesse à mettre en question, il arrive aussi que des décisions soient prises dans l’urgence, parfois avec (trop) peu de personnes mobilisées et présentes lors des derniers débats qui doivent trancher.
Des fois les bonnes idées sont énoncées après coup par des personnes qui ne les ont pas exprimées à temps pour x raisons… Après coups, il est facile de porter une critique virulente, et, ça arrive parfois, insultante. Les personnes qui critiquent ne sont pas toujours là au bon moment et leur critique n’est parfois pas du tout constructive, à peine pertinente, et même juste démotivante et déprimante…
Quand tu rames en sous effectifs pour atteindre un but qui est déjà bien difficile à atteindre en nombre suffisant, que tu donnes le meilleur de toi, quand bien même tu es archi crevé.e par manque de temps pour dormir et faire tout ce qu’il y a à faire, et qu’après coup, on te couvre de reproche et qu’on te critique pour avoir pris des décisions sans assez de concertations, sans même reconnaitre ta lutte et tes efforts face au manque de soutien passé, c’est juste complètement déplacé!
Les puristes aux mots faciles devraient bien réfléchir avant de parler de décisions mal prises (ou de s’emporter, scandalisé.es… avant de re-disparaitre dans la nature après avoir bien mis le bazar…). L’image qu’illes ont de leur intégrité et de leur engagement est sans doute un tant soit peu narcissique, suffisemment en tout cas pour ne parfois plus faire la part des choses…
Nos luttes ont largement plus besoin de solidarité, de soutien mutuels (et de conseils éclairés, arrivés à temps dans une oreille attentive…), de mobilisation, que de critique et de désunions. Si nos façons de lutter sont forcément diverses, allant du syndicalisme citoyenniste à l’anarchisme définitif, ou bien des plus novices (frai.che.s et plein.es d’énergie) aux militant.es endurci.es et expérimenté.es (ayant souvent appris de leurs erreurs…), nos seules chances de victoires se situeront au carrefour de nos accords… On dervrait toujours penser à ça avant d’apporter des critiques culpabilisantes et d’ajouter par ce biais de la démotivation à des luttes déjà dures à mener…
Le pouvoir contre lequel nous luttons se frotte les mains en nous observant nous désunir et ne pas nous soutenir les unes et les autres. Dés que quelques divergences d’idées (qui au final nous enrichissent dans un monde pluriel) émergent, c’est la cohus ou le déversage de fiel à la Foire d’Empoigne…
Toutes et tous avons à apprendre des autres, mais de façon constructives de part et d’autre. Faisons donc gaffe!
Soyons solidaire au max de nos possibilités afin de lutter pour des victoires, et non pas pour la 1re place au podium du je-sais-tout-mieux-que-tout-le-monde-t’es-trop-nulle…
La critique ! Ce reproche est une des choses les plus récurrentes que je connaisse : elle m’a beaucoup posé problème, parce que moi aussi j’ai pu vivre très mal des critiques, parce que j’essaye d’évoluer sur le sujet, et que cette possibilité de critiquer est un questionnement qui m’intéresse vraiment.
Objectivement, il me semble qu’il est impossible qu’il n’y ait pas critique lors de mouvement sociaux / militants, justement par la pluralité des composantes soulignée dans le texte, mais aussi parce que les personnes qui se mobilisent le font précisément parce qu’elles ont un esprit critique. Le problème vient surtout du mode de formulation des critiques et, à une échelle identique, de la façon dont elles sont reçues, et plus encore, de l’espace qui est proposé aux expression différentes.
J’ai pu apprendre plusieurs choses, directement ou par des récits, dans d’autres géographies : des endroits où la critique est posée très différemment. Deux exemples, que d’aucun.e.s qualifieront d’exotiques ou romantiques, mais qui viennent d’autres luttes faites depuis la base :
– au Chiapas: il est quasiment impossible de critiquer frontalement, tout simplement parce que ce n’est pas du tout dans les mœurs, c’est perçu comme quelque chose d’extrêmement mal poli, de honteux. Cependant, chaque personne peut exprimer son point de vue, le posant comme une idée parallèle, et le temps est pris pour écouter toutes les possibilités, toutes les visions. Les personnes s’expriment sans s’opposer mais en notion de complémentarité, pour ainsi dire, des idées mises côte à côte. A la fin, les personnes présentes ont donc la possibilité de faire de un choix éclairé de plusieurs visions. En cas d’urgence, la décision est prise par une autre “entité” que la communauté comme l’armée EZLN pour les zapatistes, qui voit le fonctionnement pyramidal comme un mal nécessaire qui ne doit être que très ponctuel, voire exceptionnel. La plupart du temps ils ne font que transmettre ce que les communautés ont fait remonter, redescendre, remonter, autant de temps qu’il le faut, jusqu’à ce qu’un consensus émerge. Bien des fois les communautés refusent les “urgences”, les “ultimatum”, les renvoyant à des calendriers de “mauvais gouvernement” qui ne les concernent pas et dont ils n’ont pas à tenir compte. Les seules urgences sont celles du danger avéré, vital, pour la sécurité des gens, et c’est là seulement que l’armée de défense zapatiste peut imposer une décision. Cela est possible parce que la notion de collectif, de communauté, n’est pas du tout la même que la nôtre, et c’est donc pas vraiment transposable tel quel. Mais ça existe, c’est un autre possible. Ce qui est le plus prégnant, pour une personne d’ici, c’est donc l’absence (visible) de confrontation et le refus de la précipitation, le temps donné auX paroleS, et la non-personnification. De ce fait, les enjeux sont rarement autour une personne, et si stratégie il y a, c’est plus généralement quand un.e représentant.e porte la parole d’un groupe, ce n’est donc pas toujours serein, mais cela ne se voit pas en assemblée. Cependant, lors de ces assemblées, les gens viennent en famille, en communauté, ainsi il n’est pas rare que des enfants ou autres minorités absentes de nos débats, puissent s’y exprimer. Cela permet de faire se côtoyer des réalités encore plus différentes que celles que nous avons déjà du mal à se faire côtoyer ici. Les personnes à validité réduites ne sont pas exclues des actions, les enfants ne sont pas exclus des décisions qui concernent leur avenir, etc. C’est assez paradoxal pour un fonctionnement qui semble atrophier la notion d’individualité au profit d’une notion de communauté. Mais la communauté ne peut exister que si chacun-e y est représenté.e.
– au Kurdistan, j’ai pu entendre de la part d’une personne revenue d’un engagement militaire là-bas pour se battre contre Daesh, qu’il y avait toutes les semaines une session de plusieurs heures consacrée exclusivement à la critique. Et que c’était le seul moment vraiment horizontal dans cette formation militaire. Chaque personne peut ainsi exprimer ce qu’elle a mal vécu, ce qu’elle n’a pas compris, et s’adresser même à une personne gradée pour remettre en question ce qui ne lui va pas (et réciproquement) Je n’ai pas beaucoup plus d’information, mais, si j’ai bien compris, l’accent est mis sur la notion de critique, de questionnement, et non d’accusation.
Il y a beaucoup d’autres exemples de groupes, lieux, qui utilisent la critique, présentée sous diverses appellation moins frontales, comme un moteur, et non comme un empêchement.
C’est ce qui me pose problème dans ce texte, une confusion possible entre critique, reproches, accusations, et sans doute d’autres trucs plus obscurs qui transpirent, comme des stratégies différentes dont l’une serait la bonne et les autres, absentes, forcément mauvaises… Ce qui me gène aussi, même si je connais et utilise souvent ces ressorts, c’est l’utilisation de la fatigue et de l’urgence comme justifications. Ce qui me gène particulièrement, c’est que cela donne la sensation qu’on ne peut qu’être d’accord ou refuser, et qu’il n’y a aucune place à la possibilité de dire, par exemple, d’accord pour le rêve mais gaffe à la spectacularisation…
Non ce n’est pas simple, oui c’est douloureux d’essayer d’avancer en lutte avec de multiples visions politiques différentes, mais, aussi, et je trouve dommage de ne pas l’évoquer car cela participe à la confusion possible, des rapports inter-personnels conflictuels qui se règlent à coup de désaccords politiques en utilisant parfois la lutte comme prétexte, ou comme refuge pour refuser la critique, justement.
Je vais donc utiliser un exemple concret. J’ai participé à un moment collectif d’une lutte la semaine passée. C’était chouette parce que c’était un “retour sur”, donc normalement, un moment où on peut exprimer ce qu’on a mal vécu, ce qu’on n’a pas compris, des doutes aussi. Et normalement un moment qui permet à celles et ceux qui n’ont pas pu s’exprimer dans une urgence (réelle) de prendre la parole.
J’ai donc voulu faire un retour sur la communication. Pas tant celle du groupe présent lors de cette journée d’expulsion que celle, très construite, habile, de la mairie et de la police, relayée par les mainstream. Dire en quoi nos moyens avaient eut du mal à se faire entendre et tenter de cerner pourquoi, selon ce que j’avais pu observer. Dire que les textos étaient vraiment le mode le plus efficace quand, par moments comme celui en question, les réseaux sociaux étaient moins efficaces car beaucoup de gens moins présents sur internet à cet instant précis. A aucun moment je ne visais qui que ce soit, ni groupe, ni individu, cela aurait été mal venu de ma part puisque ce j’ai pu observer provient aussi de MES manquements.
Cette prise de parole, qui se voulait un retour, certes pas folichon, certes encore moins joyeux vu la journée en question, a été retoqué de manière assez virulente. A tel point que certaines personnes m’en ont parlé ensuite, n’ayant pas compris ce qui s’était passé et pourquoi j’avais reçu une réponse aussi … disproportionnée. Il se trouve que je comprends les raisons de la personne qui s’est exprimée ainsi et que n’ayant pas envie de laisser une sensation devenir rancœur, j’ai été lui parler tout de suite après, et nous avons convenu qu’il n’y avait pas d’agression, ni de l’une ni de l’autre. Mais cela s’est fait hors de ce temps collectif. Cela laisse donc à penser à pas mal de personnes présentes qu’exprimer des doutes ou des constatations de difficultés, voire des critiques constructives, sont des paroles non recevables même sur un temps de debriefing. Et que donc beaucoup ressentis négatifs se font en catimini, deviennent rumeurs, enflent, pour qu’au final une personne ou une autre, ayant moins peur de se faire griller, verbalise ça publiquement et sans doute beaucoup moins tranquillement que cela aurait pu et dû se faire initialement. Je dis ça sans viser qui / quoi que ce soit étant loin de toutes les stratégies / rumeurs / bails depuis plusieurs jours.
Pourtant, sur la même rencontre, suite à l’intervention d’une autre personne qui questionnait sur les manquement peut-être observés côté soins, cela a permis l’émergence d’un témoignage dont personne n’avait entendu parler.
Pourtant, je n’ai pas été la seule à souligner la nécessité de nous taire un peu pour laisser émerger d’autres paroles issues d’autres rythmes, d’autres compréhensions, en particulier celle de la difficulté de la langue.
Pourtant, nombreuses sont les personnes qui se sentent gênées par une sensation diffuse : celle que la parole blanche est omniprésente et décisionnaire dans une lutte pour des personnes racisées, celle que certains propos à tendance “offensive” sont inquiétants pour des jeunes qui sont, pour la plupart, traumatisés ou en “convalescence”, celle que l’urgence et la peur ne donnent pas le temps aux jeunes pour s’exprimer posément publiquement, en dehors des moments intimes ou interpersonnels, celle que lorsqu’ils osent exprimer leurs doutes et leurs peurs publiquement, on ne leur renvoie (je m’inclue dans le on) que des paroles trop “maternantes”, voire des injonctions à ne pas avoir peur en se voulant rassurant.e.s !
Là, après avoir écrit ces quelques lignes, je me sens presque obligée de redire que je sais que personne n’est malveillant.e envers les jeunes, que je sais que toutes les personnes investies le font en pensant sincèrement faire au mieux. Ce sont des retours critiques. Oui. Mais pas des reproches.
J’ai fait le choix de ne plus “suivre” quiconque m’impose un autre rythme que le mien, de ne plus raisonner politiquement avec ce qui ne laisse pas de place au doute comme étant une richesse potentielle de réflexion. Personnellement, c’est l’impossibilité d’exprimer des différences qui m’a découragée. Heureusement pour moi, j’ai d’autres moyens pour m’exprimer, et donc de me recourager et de revenir, solidaire. Ce n’est pas le cas de tout le monde.