Festival nyansapo – feu nourri contre l’autonomie des luttes d’émancipation
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Catégorie : Global
Thèmes : Contrôle socialRacismeRépression
À l’origine de cette indignation, nous dit-on, le choix politique « anti-républicain » du festival d’organiser son travail en quatre espaces : un non-mixte femmes noires, un non-mixte personnes noires, un non-mixte femme racisées et un dernier ouvert à tous.
Cette prise de position n’est pas si surprenante de la part de celle qui avait promu avec autant d’ardeur Tel-Aviv sur Seine en Août 2015, et fait voter en février 2016 un vœu du conseil de Paris condamnant BDS. Preuve, si le besoin s’en faisait encore sentir, que sionisme et haine de l’antiracisme politique sont les deux revers de la même médaille – et ratissent large sur l’échiquier politique. On notera à ce propos que Wallerand de Saint-Just, président du groupe FN au Conseil régional d’Île-de-France et figure emblématique de la frange la moins « dédiabolisée » du parti, lui a d’ailleurs volé la politesse en se réservant la primeur des larmes de crocodiles indignées. Sinistre exemple d’une course à l’échalote entre gauche libérale et droite dure qui nous rappelle avec amertume que, dans ce pays, l’agenda politique du FN est en position de force.
Dans la croisade contre le racisme anti-blanc (sic), aujourd’hui cristallisée par le Festival Nyansapo après l’avoir été hier par le camp d’été décolonial, l’extrême-droite a trouvé dans la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) un autre allié objectif. Son inénarrable président, Alain Jakubowicz, a déploré que « que le combat antiraciste soit devenu l’alibi d’un repli identitaire » et a dénoncé un événement « terrifiant et désespérant » – rien que ça ! – où « des gens qui se sentent victimes du racisme ou de discrimination ne trouvent pas d’autre issue que l’entre-soi ». (Source à consulter)
L’autonomie des luttes d’émancipation, quelles qu’elles soient, a toujours inquiété et dérangé les privilégié-e-s – c’est à dire celles et ceux qui appartiennent au groupe majoritaire – qui ne pouvaient dès lors plus exercer la moindre forme de contrôle. La non-mixité est autant un espace politique qu’une stratégie en cela qu’elle permet à des populations victimes de discriminations spécifiques d’en discuter et de s’organiser pour y répondre, en toute sécurité et selon leurs propres termes. C’est le sens de la notion anglo-saxonne de « safe space » (espace sûr).
Alors que l’on cherche une fois encore à confisquer la parole des premier-e-s concerné-e-s en faisant le jeu de l’extrême droite, l’UJFP apporte sa solidarité pleine et entière aux organisatrices du festival, le collectif afroféministe Mwasi.
Le Bureau national de l’UJFP, le 30 mai 2017
http://www.ujfp.org/spip.php?article5664
La ségrégation, c’est-à-dire la séparation imposée, l’accès réservé à certaines places ou certains espaces sociaux, est une des principales formes que prend la domination – que ce soit la domination des riches sur les pauvres, celle des hommes sur les femmes ou celle des blancs sur les non-blancs. Mais ce n’est pas la seule : de nombreux mécanismes de domination perdurent au sein même des espaces sociaux mixtes, malgré la mixité, voire parfois grâce à elle. C’est ce que montre Christine Delphy dans le texte qui suit : la mixité n’est pas en elle-même un bien qu’il faudrait opposer sans discernement à une non-mixité forcément « enfermante » et « étouffante » ; la non-mixité n’est en fait oppressante que lorsqu’elle est subie, au même titre que peut être oppressante une mixité ou une proximité subie. Et si la mixité choisie (ou plus exactement : la possibilité de choisir – ou pas – la mixité) constitue un objectif pour les dominé-e-s, le chemin qui y mène passe nécessairement par des moments de non-mixité choisie.
Voir le texte :
http://lmsi.net/La-non-mixite-une-necessite
Les white tears
(Est-ce que quelqu’un voudrait penser aux blancs, s’il vous plaît ?)
Les white tears : monopoliser l’espace quand il s’agit d’aborder le racisme pour… pleurer sur sa condition de blanc. Un autre incontournable.
Exemple : Suite à plusieurs commentaires racistes : « Ça ne sert à rien, on a beau s’excuser, ça ne vous conviendra jamais ». Si on vous dit que ça ne convient pas, c’est que l’interlocuteur voit votre mauvaise foi. Ne nous prenez pas pour des idiot-e-s. Le racisme est un sujet important, ce n’est pas un sujet sur lequel vous avez le droit d’être léger, surtout pour s’excuser. Votre ego de blanc-he n’est pas le plus important, alors que nos ressentis face à vos propos racistes, vous n’en avez rien à faire. La réciprocité, voyez-vous.
Comment s’excuser ?
On présente ses excuses. Réellement. Et rapidement. Le faire de mauvaise grâce se verra. Et donc ne sera pas pris comme des excuses sincères.
On ne se dédouane pas derrière avec des justifications pour au final… ne pas s’excuser. -> À bannir « je m’excuse mais.. ».
On ne formule pas de manière à insinuer que c’est la faute de l’interlocuteur. Ce n’est pas s’excuser. -> À bannir « je m’excuse si… ».
On prend réellement en compte le ressenti de l’interlocuteur. Oui, c’est possible !
Autre exemple : Suite à une explication sur pourquoi le racisme anti-blanc n’existe pas, un long commentaire où une personne racisée détaille chaque acte discriminant qu’elle subit. La réponse de l’interlocutrice blanche ? « C’est raciste de parler de “babtou“ (qui désigne tout simplement les blancs), c’est faire le jeu du FN. » Une personne vient de vous décrire son quotidien, et celui-ci est difficile. Rangez votre égo, nous haïssons (et nous essayons de le changer) le système. Pas vous particulièrement, même s’il faut reconnaître la contribution individuelle de chacun dans celui-ci. De plus « c’est faire le jeu du FN », c’est du chantage. Big news : Ce n’est pas vous qui décider des modalités. Si « un allié » préfère se vexer à ce terme plutôt que de se remettre en question, on s’en passe allègrement.
Le chantage
Quelques exemples typiques pour mieux comprendre:
« Je suis cultivé-e, j’ai lu Frantz Fanon donc je comprends mais si vous refusez d’admettre avec d’autres que le racisme anti-blanc n’existe pas, yels iront voir le FN… »
(Soupir)
Chèr-es blanc-hes. Arrêtez de nous dire comment mener nos luttes. Nous ne sommes pas à votre service. Nous savons quoi faire, nous sommes grand-e-s. Vous est-il arrivé de penser que ce genre de remarque, on les a entendu, lu 100 00 000 fois ? Non ? Maintenant, vous le savez. Et vous arrêtez.
Phrase du troll typique :
« Je suis d’accord mais (pour dire en fait qu’yel n’est pas d’accord) ».
–> Si vous n’êtes pas d’accord dites-le directement. Nous n’avons pas de temps à perdre avec votre hypocrisie stylistique. Parce que ça ne tourne pas autour de vous, vous savez ?
Si ces personnes préfèrent aller voter FN que de se remettre en question ce n’est pas une grande perte, ce n’est que mon avis.
Edit : la petite touche de classisme “j’ai lu Fanon“ me fait doucement rire. Y’a pas que lui comme référence, le saviez-vous ? Les sœurs Nardal, qui ont créé l’intersectionnalité et ont participé au mouvement de la négritude, on les a oubliées, je me demande bien pourquoi…
« Soyez pédagogues ! Au lieu d’être agressives ! Vous verrez que plus de monde adhérera.»
La pédagogie, c’est quoi ? Une personne en position de domination par des connaissances théoriques qu’elle diffuse. Mais.. Nous ne sommes pas en position de domination. Il s’agit de nos vécus. Énorme différence. Prenez le temps d’écouter, ça peut être intéressant, la modestie, l’ouverture d’esprit et l’empathie.
Encore une fois : Vous n’avez pas à nous dire comment faire. Ça ne se fera pas à vos modalités. Puisque vous n’êtes pas concerné-es. C’est tout.
Puisqu’il s’agit de nos vécus, bien sûr que nous pouvons être sensibles. Nous avons autant le droit que vous d’être faillibles, d’être des êtres émotionnels. En disant ça vous nous niez ce droit, celui d’être humain. On est là pour changer les choses. Pas pour vous faire de la lèche. Le privilège de ne pas être atteint par cette discrimination, vous permet de rester calmes. Quand il s’agit de racisme, ce n’est pas notre cas. Nous avons chacun-e nos limites, nos caractères. Mais n’attendez pas de nous de tendre l’autre joue.
Nous ne sommes pas vos parents. Il y a pleins de ressources sur Internet grâce au travail de la part de concerné-es, recherche qui nous est essentielle et qui vous prémâche tout le boulot. Vous pouvez vous renseigner par vos propres moyens. Et en demandant correctement, pas quand on est énervé-e-s…
Nous ne sommes pas là « pour donner envie »…ce n’est pas du marketing, vous n’êtes pas en position de négocier, vous n’êtes pas touchés par le racisme.
« Vous restez en non-mixité ? Mais c’est communautariste ! Comment voulez-vous qu’on s’y intéresse ? »
Chèr-e-s blanch-e-s : les premiers communautaristes…c’est vous. Dans les médias français, combien de journalistes racisé-es par rapport au nombre total de journaliste ?
Combien de films avec des protagonistes racisé-e-s par rapport au nombre de protagonistes sur le nombre de films qui sortent tout court ?
Combien de mannequins racisé-e-s publiés par rapport au nombre de mannequins publié au total ? (et je peux continuer ainsi très longtemps)
Comment expliquer qu’étrangement plus la classe sociale est aisée, moins il y a de personnes racisé-e-s dans cette classe ?
Combien de fois le racisme est-il abordé comme thématique (toujours à notre désavantage, qui plus est) ?
Vous savez la réponse. Il y a une écrasante majorité de représentation pour les blancs. Les plus aisés sont les blancs, parce que privilégiés. (Je ne nie pas qu’on puisse être blanc et pauvre. Je précise qu’il y a plus de pauvres racisé-e-s que de pauvres blancs. Étrangement. Quelle coïncidence !)
Communautariste, dites-vous ? Je vous retourne le compliment.
Encore une fois : ne nous dites pas quoi faire.
« Dans chaque lutte, les allié-es sont nécessaires »
Ça peut-être un avantage, mais ce n’est pas nécessaire.
Ça induit une mécanique fallacieuse où l’on devrait accepter les plus médiocres, parce qu’yels sont “nécessaires“. Or, nous n’avons pas non plus envie de subir une énième fois des agressions dans un espace où yels s’estimaient relativement bien, parce que vous vous estimez essentiels alors que vous ne voulez pas vous remettre en question. On peut s’en passer aisément. […]
http://lechodessorcieres.net/la-decence-cher-e-s-blanc-he-s-1ere-partie/
Une fois de plus la non-mixité ramène les mêmes arguments foireux pour la combattre, ou l’on compare la non-mixité de faits des dominants à celle choisit par des personnes qui subissent la même domination de se créer des espaces pour être tranquille et échanger librement sans les relous de service, et sans avoir à se taper des heures de débats avec des personnes non concernées sous prétexte qu’il faudrait faire de la « pédagogie ». Y’a d’autres espaces pour ce genre d’échanges. Si le débat décolle pas un peu, on risque de passer les commentaires en modé à priori.
il y a une erreur dans l’illustration qui est arrivé acoller à ce texte alors qu’il exprime un texte antispéciste qui dénonce la manière dont les médias lancent des débats sur la cause animale en n’invitant que des gens vivant de la torture animale et en niant tous les cas de maltraitance aggravé qui sont la monnaie courante et que sur dix invité-e-s il n’y en a qu’un-e pour la cause animale avec un temps de parole réduit et des yeux et comportements agressifs du présentateur-trice, contrairement à la posture bienveillante pour les autres!
il y a de bonnes illustrations et commentaires dans :
https://petravolta.wordpress.com/racisme-tous-les-jours-amour/
Quelle autonomie ? Quelles luttes ? Quelle émancipation ?
Des questions stupides ne remplaceront jamais un minimum de réflexion. Apprenez donc à lire et vous aurez les réponses.
Je ne vois pas où est le problème avec l’illustration, qui ne concerne pas que l’antispécisme, mais toutes les luttes autonomes contre l’accaparation par les personnes NON CONCERNÉES et dominantes des luttes des autres. Cette illustration est donc parfaitement adaptée pour dénoncer à la fois le spécisme, le racisme, le sexisme et l’anti-féminisme. Pour plus d’explications, voir :
La question des premiers concernés
Il existe une confusion entretenue autour de la question des premiers concernés sur laquelle il va falloir revenir brièvement.
Que la formulation des revendications et la direction politique des mouvements d’émancipation soient le fait des groupes concernés par la forme de domination spécifique dont il est question c’est, en effet, un principe de base de l’autonomie politique pour des raisons qu’on pourrait évoquer mais qui ne sont pas le propos ici.
Qu’on reconnaisse que les dominés jouissent, en matière d’analyse critique de leur propre domination, d’un biais positif leur permettant, toute chose étant égale par ailleurs, de voir a priori un peu mieux le rapport de domination comme étant un rapport de domination : certes, c’est une considération épistémologique de base.
Mais le problème survient lorsqu’on confond le champ politique et le champ scientifique, et qu’on cherche à appliquer à ce dernier des considérations morales : lorsqu’il est question d’élaboration critique il ne s’agit pas d’être concernés ou pas, il s‘agit de rigueur méthodologique.
Des choses tout à fait pertinentes ont été analysées sur le racisme notamment par des blanches comme Colette Guillaumin, ou encore par Christine Delphy pour ne citer qu’elles.
Il ne s’agit pas de légitimité à donner son avis : la légitimité est une notion philosophico-morale, donc normative, elle n’est donc pas un critère critique. Il est question de la pertinence de cet avis, et celle- ci se juge à l’aune de la méthode.
Bref, les non-concernés n’ont pas vocation à donner une direction politique aux mouvements ne les concernant pas et ne peuvent qu’y jouer un rôle de soutiens politiques, certes. En revanche ils peuvent bel et bien avoir vocation à donner leur avis sur le plan théorique, et celui- ci peut même être tout à fait intéressant et pertinent, dès lors qu’ils font preuve du minimum de rigueur méthodologique, en sachant simplement qu’ils souffrent d’un biais méthodologique supplémentaire qui les fait partir d’un peu plus loin.
https://mignonchatonblog.wordpress.com/2016/07/23/la-question-des-premiers-concernes/
Voir aussi :
https://mignonchatonblog.wordpress.com/2016/07/23/vous-avez-dit-privilege/