Rapport d’une réunion organisée par des camarades internationalistes originaires du kurdistan
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Category: Global
Themes: GuerreKurdistanLibérations nationalesRacisme
Nous sommes un groupe de camarades, originaires de différentes parties du Kurdistan, qui se définissent comme internationalistes. La plupart d’entre nous ont été persécutés comme des déserteurs et/ou des subversifs, beaucoup ont été emprisonnés. Tous, sauf deux qui sont venus directement du Kurdistan pour cette réunion, nous vivons en exil en Europe. Nous nous sommes rencontrés dans la lutte contre le capital et nous sommes aujourd’hui une poignée d’internationalistes qui continuent de lutter. A contre-courant, nous dénonçons par tous les moyens possibles l’image spectaculaire et mensongère qui a été construite à l’échelle internationale sur « la révolution au Rojava » et qui, en fait, porte préjudice à la véritable lutte autonome du prolétariat dans cette région et dans le monde.
Face à l’énorme publicité internationale qu’on fait partout de l’autoproclamée « révolution du Rojava », la première chose que nous voulons propager au niveau international, c’est que le contraste est frappant par rapport à ce qui a été fait dans le passé face aux véritables luttes contre le capitalisme dans la région. Alors qu’auparavant, chaque fois qu’il y avait une lutte autonome et important de notre classe, en occident on cachait systématiquement tout ce qui se passait et nous n’avons eu aucune possibilité de faire connaître dans le monde, la lutte qui se déroulait dans la région du Kurdistan ; maintenant tout est rendu public. Ce n’est pas un hasard, auparavant la lutte était occultée parce qu’elle était révolutionnaire et prolétarienne, parce qu’elle contredisait ce que disait le capitalisme international sur ce qui se passait dans cette région. Il a ainsi évité la contagion internationale et il a pu isoler cette lutte et la liquider. Maintenant, on en fait la publicité parce que c’est un programme réformiste, bourgeois et impérialiste qui s’impose, et on nous fait croire qu’il s’agit de la propagande de la « lutte révolutionnaire ». Tous les deux ne servent qu’à isoler la véritable lutte révolutionnaire et à liquider l’autonomie prolétarienne.
Cela contraste avec ce qui se passe aujourd’hui au Rojava où le soutien international au frontisme et au populisme de la « révolution » tombe du ciel ; dans le passé, les niveaux d’autonomie du prolétariat révolutionnaire étaient très importants.
Nous présentons ci-dessous quelques éléments du passé où il y eu une lutte révolutionnaire que l’occident, complice des autorités locales, a systématiquement dissimulé :
* En occident, on a toujours dissimulé (ou on en a diminué l’importance) le véritable soulèvement révolutionnaire en Iran, qui a renversé le Shah (1978-1979), et puis qui a éliminé les diverses tentatives de remplacement, que les puissances impérialistes occidentales essayaient d’imposer. A cette époque, le prolétariat de la région faisait clairement face à la bourgeoisie iranienne et combattait simultanément contre l’impérialisme américano-européen, ainsi que contre le russe. Bien sûr, il n’y eu aucun soutien, aucune information sur ce qui se passait : tout fut étouffé dans la « lutte pour la démocratie » typique de la culture dominante et du contrôle impérial de l’information.
* On a également occulté le défaitisme révolutionnaire pendant la guerre impérialiste Iran/Irak, où la fraternisation sur les fronts contre la guerre et la désertion généralisée affronta et contesta en même temps tous les pouvoirs militaires opérant dans la région. Rappelons que les pires bombardements de l’Etat de Saddam Hussein n’eurent pas lieu contre l’Iran ou contre les États-Unis, mais bien contre ses propres troupes, à savoir contre le prolétariat de toute la région. Des dizaines de milliers de déserteurs organisés de différents pays ont été persécutés, ce qui fut toujours dissimulé en occident. Ce qui inquiétait plus l’Etat mondial du capital, c’est précisément que le prolétariat de tous les pays fasse défection et déserte les fronts, qu’il abolisse les frontières et qu’il s’unifie contre la guerre impérialiste dans la région.
* La même chose se passa avec l’insurrection prolétarienne en Irak en 1991 (tant dans le sud qu’au nord) qui s’est généralisée à tout le pays, en détruisant les forces répressives de Saddam Hussein dans la moitié du pays, malgré le soutien de l’impérialisme à celles-ci. L’isolement international de cette lutte prolétarienne fut tel qu’il permit aux puissances impérialistes coalisées sous la houlette des Nations Unies, et en utilisant des armes de destruction massive, de réussir à liquider cette lutte. Toutes les missions de l’ONU sont évidemment répressives et quand elles donnent un peu de nourriture, elles exigent de rendre les armes et l’acceptation de la discipline nationale/impérialiste des camps de concentration de réfugiés.
Nous voulons faire savoir en Occident que, dans tous ces cas, les mouvements révolutionnaires du prolétariat ont ouvertement mis en question la propriété privée des moyens de production, ils ont proclamé la nécessité d’abolir le système du travail salarié et ils ont affronté l’État, la répression, l’impunité. Dans ces cas, des jugements ont été rendus dans les rues par la population elle-même contre les tortionnaires et des militaires ont été fusillés, de ceux qui depuis des décennies avaient organisé et dirigé la torture et le massacre d’êtres humains. Les organisations prolétariennes qui ont dirigé les insurrections et la lutte contre les guerres dépassèrent les consignes limitées et réformistes de la gauche bourgeoise et des nationalistes kurdes, et elles proclamèrent la nécessité de la révolution communiste et l’abolition de tous les États…Tout au long de ce processus, le contraste entre nationalisme et internationalisme prolétarien fut la clé de l’opposition de classe. Dans tout le Kurdistan, les forces nationalistes kurdes se sont alliées aux forces impérialistes contre la rébellion prolétarienne. La consolidation de l’ordre s’est toujours faite avec plus de guerres, plus de massacres et avec la puissance des différentes forces religieuses et nationalistes kurdes.
Ces luttes restèrent inconnues et/ou furent dénigrées comme des mouvements dépourvus de sens, causés par le désespoir, ou tout simplement elles furent discréditées et cataloguées « émeutes de la faim ». En occident, on a détourné le regard de toutes ces luttes et si on en parlait, c’était seulement pour fustiger « des gens qui se battaient entre eux pour se répartir l’aide internationale ». On peut compter sur les doigts les organisations internationales en Amérique et en Europe qui se sont solidarisées avec notre lutte. Il y avait un véritable blocage des matériaux de classe et révolutionnaires en provenance de la région : il fallait maintenir l’idée occidentale et judéo-chrétienne que ce n’est qu’en occident que peut apparaître un prolétariat de classe et révolutionnaire.
A cette époque, le prolétariat en Iran, en Irak, dans tout le Kurdistan… ne contestait pas seulement la dictature capitaliste dans sa région, mais il avait fortement remis en cause la guerre, le capital, la propriété privée, le nationalisme… imposés par les forces impériales occidentales et le modèle même du capitalisme triomphant en occident. En revanche, maintenant que prolifèrent partout les délégués féministes et libertaires qui sponsorisent la « révolution au Rojava », on ne parle plus de la lutte contre la propriété privée, et les mêmes puissances impérialistes qui nous ont toujours réprimés se montrent complaisantes (envers tant de propagande « révolutionnaire »).
Par conséquent, nous avons élaboré les points suivants pour faire connaître quelques faits incontestables :
* Jamais auparavant, on n’avait tant parlé d’une « RÉVOLUTION » dans la région ; et jamais, la « révolution » du prolétariat, la véritable révolution, celle qui s’attaque à la propriété privée et détruit le capital, n’avait été plus enterrée qu’aujourd’hui.
* La « révolution au Rojava » prend pour modèle la « guerre civile en Espagne » ; si ce n’est qu’elle ne se réfère pas à la lutte révolutionnaire du prolétariat durant ces années, dans ce pays, mais bien au contraire, elle adopte comme programme celui de la République espagnole. Nous devons nous rappeler qu’en Espagne, la République était tout le contraire de « la révolution » ; elle a été en fait l’encadrement contrerévolutionnaire du prolétariat et elle a été le plus grand obstacle à sa lutte : la République a toujours réprimé les luttes du prolétariat. A cette époque aussi, les léninistes-staliniens du monde entier se sont alliés à certaines franges « libertaires » et « féministes » qui s’intégrèrent au populisme, abandonnant toute référence de classe. En outre, durant ces années, ceux qui conclurent de telles alliances ont agi comme un front contre la révolution, canalisant la résistance du prolétariat envers la guerre impérialiste. Ce que fit la bourgeoisie républicaine et léniniste, c’est de châtrer cette lutte prolétarienne, afin de mener massivement les ouvriers doux comme des agneaux à l’abattoir de la guerre impérialiste pour des intérêts bourgeois. Au lieu de la lutte contre l’exploitation, de la chair à canon.
* Au lieu de la lutte internationaliste, l’étroitesse nationale. Alors que les mouvements historiques en Iran et en Irak (en particulier dans la région kurde !) se proclamaient internationalistes et luttaient pour la révolution mondiale, la ligne dominante au Rojava proclame aujourd’hui le « socialisme » dans « une seule région » (ou dans toutes les régions confédérées), faisant un clin d’œil au nationalisme et au stalinisme (« socialisme dans un seul pays ») qui sont les éléments clés des partis au pouvoir dans l’État du Rojava.
* Au lieu d’attaquer la propriété privée des moyens de production, toutes les revendications classiques de la bourgeoisie et de sa démocratie sont utilisées : l’anti-impérialisme, le féminisme, l’écologie, l’égalitarisme… ; c’est-à-dire l’idéologie dominante occidentale, celle-là même qui est à la mode dans le monde entier.
* Partout, et grâce à la propagande internationale, le féminisme a été promotionné avec l’appui du féminisme au Rojava et en particulier du militarisme du YPJ qui s’est constitué en une partie de l’État. Nous voulons établir clairement que ce féminisme n’a rien en commun avec la lutte des femmes et des hommes prolétaires contre le capital. Il s’agit au contraire du féminisme multi-classe, militariste et impérialiste qu’a toujours brandi le stalinisme, celui qui a servi aux Etats pour mobiliser des troupes et qui cherche à mobiliser les femmes à l’échelle nationale. Il s’agit du même féminisme qui rend de nombreux services dans l’armée américaine, où le recrutement des femmes a été impulsé par les organisations féministes, grâce à qui nous avons des femmes générales, des femmes tortionnaires.
Nous faisons référence spécifiquement au collaborationnisme du féminisme avec les armées, ou plutôt à la manipulation de l’État appelée « guerre des sexes » pour promouvoir « l’égalité » des droits, ce qui a conduit des millions de femmes à rejoindre les forces armées. Par exemple, le déficit historique de l’armée des USA après le Vietnam (plus d’un million de recrues, en ce qui concerne ses besoins) fut comblé par l’armée en intégrant massivement des femmes, des noirs et des latinos à partir de l’époque Clinton. La massivité de ce recrutement a été rendue possible par l’utilisation de la politique des droits démocratiques égaux et la cooptation des organisations antiracistes, féministes, « hispaniques » qui fonctionnèrent comme des agences de publicité de recrutement… Le cas particulier du féminisme multi-classe fut emblématique (ainsi que le soi-disant antiracisme) : sauf exceptions, les organisations féministes américaines participèrent au processus étatiste et impérialiste. Ces organisations étaient tellement vendues qu’elles n’ont même pas dénoncé les violations commises sur des femmes soldats par leurs collègues (hommes). Pendant des décennies, le féminisme impérial leur a conseillé de se taire !
* Au lieu de lutter contre l’argent, contre la marchandise, contre le travail… tout questionnement de la propriété privée est interdit.
* Dans cette « révolution », telle qu’elle est encadrée par les partis dominants au Rojava, il n’y a pas une lutte contre l’Etat, mais la défense d’un État alternatif (confédéral) ou parallèle qui développe le capitalisme. Que cet Etat se présente comme étant confédéral, ne change rien à la question !
* Tout en jouant avec la terminologie, en surfant sur la « lutte héroïque du prolétariat et/ou du peuple » dans la région (la population n’avait pas d’autre choix que de combattre la guerre et cette résistance fut exemplaire !), ils ont réorganisé l’Etat bourgeois et le présentent comme s’il n’était pas un Etat. Qu’ils nous expliquent donc la différence pratique ! En ce qui concerne les « anarchistes », nous préférons leur rappeler que d’autres libertaires, encore plus célèbres, comme Souchy, nous avaient déjà présenté le même mensonge historique : selon ces « anarchistes », Israël serait en fait un NON-Etat, voire même le dépassement de tous les Etats ! Et nous pouvons voir aujourd’hui de quoi il retourne !
* La situation que vit le prolétariat est une situation de survie et d’urgence totale, semblable à celle que nous avons vécue dans le passé en Iran et en Irak, mais alors que dans ces luttes historiques la pratique de classe du prolétariat dominait, au Rojava s’est imposée une alternative clairement bourgeoise.
* La situation du prolétariat est terrible, on le suppose gagnant mais on exige de lui de nombreux sacrifices. Il s’agit d’imposer un système brutal d’austérité. Au nom de la révolution, ils vous font travaillent plus dur et vous demandent des contributions « volontaires ». C’est pour cela qu’on se sert du modèle des pays staliniens.
* La propriété privée est la clé de tout le système. Parler de « révolution » ne sert qu’à augmenter le taux d’exploitation, alors qu’on réprime plus que jamais toute remise en cause de la propriété privée (et tout mouvement de protestation ou de grève) au nom de cette supposée « révolution ».
* L’armée est formée par des officiers russes et de plus en plus par des Américains et des Européens, ce qui conduit inévitablement l’Etat confédéral à s’aligner sur les contradictions géo-impérialistes mondiales.
* L’Etat américain considère sans aucun doute cette « révolution » comme un bon « bassin de retenue » dans la région, et les relations entre le Pentagone et la « Révolution » sont toujours meilleures. Au moment où nous nous réunissons, les puissances impériales disposent d’un organisme permanent et de nombreux organismes de diplomatie parallèle. On se dirige vers l’officialisation d’une ou de plusieurs ambassades occidentales.
* Au Rojava, le parti dominant est le PYD, un parti qui est vraiment le petit frère du PKK, le parti stalinien du Kurdistan turc. Ce parti et son idéologie ont rendu possible la reconstitution de l’État, avec toutes les lettres du mot, même si cela signifie qu’il faille utiliser un discours libertaire.
En ce qui concerne le PKK, nous voulons souligner que le fait que son leader historique, Ocalan, emprisonné en Turquie, soit devenu un ami des idées « libertaires » de Bookchin ne change en rien le caractère réactionnaire de ce parti, mais ne fait qu’indiquer que la crise du stalinisme est si grande qu’il est obligé de se présenter partout sous un aspect de plus en plus libéral… ; mais de la même façon que « le singe a beau porter de la soie… » ! Le PKK stalinien « a beau s’habiller en libertaire… », il reste stalinien: la centralité du stalinisme n’est pas la forme de l’Etat (plus ou moins libertaire, plus ou moins fédéral ou confédéral), mais bien le système de travail forcé « volontaire », les camps de concentration, le développement forcé du travail… Cela a été dénoncé par des militants internationalistes kurdes de Turquie qui connaissent bien mieux le PKK.
* Du point de vue inter-impérialiste, c’est ce qui a aggravé les problèmes pour la population du Rojava, attaquée par l’enchevêtrement inextricable inter-impérialiste. D’une part, parce que l’importance du PKK au Rojava a été désapprouvée par l’État turc, pour qui ce parti est considéré comme le pire des groupes terroristes (au-delà du fait que cela conduise à une inévitable détérioration des relations entre les Etats-Unis et la Turquie), et d’autre part, parce que l’idéologie bourgeoise et stalinienne se concrétise dans la pratique consistant à imposer à toute la population de travailler plus pour un salaire moindre comme l’a toujours fait le stalinisme.
* L’Etat au Rojava et les forces armées sont organisés de manière si verticaliste, comme dans la Russie de Staline, mais avec un masque libertaire, qu’ils sont la copie exacte de l’idéologie développée par le PKK en Turquie.
* Imitant toutes les « révolutions » bourgeoises, ils proclament la liberté religieuse, mais en fait, les appareils de contrôle social sont complices de toutes les religions et des séparations ethnico-religieuses, et jouent un rôle néfaste de discorde, oppressif, moraliste, répressif.
* En somme, les structures militaires et politiques staliniennes et féministes promotionnent simultanément le nationalisme kurde, en s’appuyant sur des hymnes et des drapeaux dans les villes, les quartiers, les écoles… apparaissant aux yeux de la majorité de la population comme une ethnie dominante minoritaire et oppressive, ce qui finit par être terriblement destructeur de l’unité des intérêts du prolétariat.
* Pour revenir à ce qui est le plus global dans la supposée révolution au Rojava, il nous semble important de dire qu’elle constitue une alternative à la mode, qui convient très bien au capitalisme et à l’impérialisme mondial : elle est la seule « révolution » dans l’histoire qui s’exhibe triomphante, libertaire, alternative, féministe, écologique…, sans avoir à passer par la lutte de classe et la destruction violente conséquente des oppresseurs, de l’argent et en général des rapports sociaux capitalistes…
* C’est précisément pour cette raison qu’elle constitue une lettre d’espoir pour toute la société bourgeoise mondiale et pour tous les Etats impériaux.
Internationalistes du Kurdistan
Paris, France, mai 2016.
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