Le développement des forces « productives », conçu par le capitalisme comme la finalité de l’histoire, a engendré une nouvelle religion, celle de la croissance économique. Selon les promesses de l’idéologie libérale, le bonheur devrait se mesurer à l’aune du PNB.

Après un demi-siècle de « progrès », le vaste chantier des « modernistes » prend des allures de ruines. L’homme est atteint dans sa chair et dans sa dignité : aliénation par le travail, chômage, précarité, stress, solitude, mal-être, etc. les inégalités sociales, tant entre pays riches et pays pauvres qu’à l’intérieur de chaque nation, n’ont jamais été aussi fortes. Allumés et entretenus essentiellement pour des enjeux stratégiques, les conflits armés germent sur tous les continents.

Mais, surtout, parce qu’ils met gravement en péril les générations futures, le bilan lié à l’environnement s’avère proprement désastreux. L’empreinte écologique globale de l’humanité (c’est à dire le niveau d’épuisement des ressources et de perturbation des mécanismes régulateurs) dépasse d’ores et déjà de 20% les capacités biologiques de la Terre. A plus ou moins long terme, si l’on maintenait les tendances actuelles, il nous faudrait des ressources équivalant à plusieurs planètes. La croissance n’est plus possible.

Pour remédier à cette situation, le « développement durable » est désigné par les détenteurs du pouvoir (politique, économique, médiatique, etc.), ainsi que par la fraction altermondialiste qui rêve d’ « humaniser » le capitalisme, comme la panacée. Mais la supercherie ne résiste pas à une réflexion un peu sérieuse. L’ambiguïté même du terme en assure le succès : elle masque le problème en donnant l’impression de le résoudre. Pis, elle déplace le problème pour en créer un autre, plus épineux. Pour les bénéficiaires de la « mondialisation », il ne s’agit nullement de remettre en cause le principe d’économie libérale, mais de faire accepter les règles de l’Organisation mondiale du commerce, avec la perspective, pour quelques centaines de multinationales, de privatiser un peu plus des domaines vitaux comme l’eau, l’alimentation, la santé. Le marché est chargé de remédier à la destruction de la planète infligée par … le marché, la seule concession consistant à en atténuer les dégâts les plus visibles, pour autant que subsistent les profits

Puisque l’impact écologique met en évidence un « sur-régime » par rapport aux ressources de la planète, il faut s’orienter vers une décroissance physique, c’est à dire réduire progressivement la quantité de matières premières et d’énergie mise en jeu. La décroissance n’est pas un choix idéologique ; elle est une nécessité absolue.

Si aucune société n’est écologiquement innocente, c’est à dire si le développement de l’humanité s’accompagne toujours d’une transformation du milieu, c’est bien la course au profit, à l’accumulation , avec la création de besoins artificiels, qui produit une accélération fulgurante de la dégradation des écosystèmes. Le préalable à la mise en œuvre de cette décroissance est donc la disparition du capitalisme. Parce que ce système a besoin d’une croissance pour survivre, parce que sa logique propre est une dynamique suicidaire, il ne peut accomplir cette décroissance … sauf à supprimer massivement les populations pauvres, c’est à dire perpétrer des génocides.

La deuxième condition est la suppression de l’Etat, dans la mesure où cette dynamique capitaliste ne s’accélère qu’avec la collaboration des différents gouvernements : multiples subventions, mise en place d’infrastructures, prise en charge par la puissance publique de la formation , de la recherche, des coûts environnementaux, des pertes financières, cadre juridique sur mesure … Ne pas s’atteler à la disparition de l’Etat reviendrait à épargner un pilier fondamental du système et un adversaire redoutable, et donc à rendre impossible la transformation profonde de la société.

Toute solution qui ferait l’économie d’une redistribution des richesses serait fatalement vouée à l’échec. pour que la décroissance puisse être maîtrisée par les différentes populations, pour qu’elle n’ouvre pas la voie à la barbarie des conflits pour l’appropriation des ressources ou aux mesures draconiennes d’un totalitarisme, le problème doit impérativement être posé dans une perspective d’égalité économique et sociale, la gratuité des services publics pouvant constituer un levier essentiel de cette construction.

Si la démarche individuelle de simplicité volontaire, c’est à dire l’adoption d’un mode de vie différent peut représenter la base « philosophique » d’une société soucieuse des générations futures, il est clair que la somme des comportements individuels écologiquement « responsables » ne saurait suffire, loin s’en faut, à édifier une société de décroissance. Ne serait-ce que parce que les domaines les plus dévoreurs d’énergie et de matières premières (complexe militaro-industriel, transports, agriculture, etc.) relèvent des politiques globales, et donc des décisions collectives. Il serait illusoire de penser que nous pourrions faire l’économie d’une révolution.

Parce que la maîtrise par chacun de sa propre existence, parce que la définition par chacun de ses propres besoins ne peuvent en aucun cas justifier une production boulimique, source d’un travail aliénant, seule une société fédéraliste, autogestionnaire peut assurer conjointement l’égalité économique, la justice sociale et la préservation des ressources naturelles.

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