Mobilisations contre les violences policières et mouvements de l’immigration
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Né 1962 à Casablanca, Tarik Kawtari a vécu dans plusieurs quartiers populaires de la re?gion parisienne : les Bosquets à Montfermeil (93), les Fauvettes à Neuilly-sur-Marne (93), à Châtillon (92) et au Pré-Saint-Gervais (93). En 1983, il milite au Collectif Jeunes qui accueille la Marche pour l’Egalité dans la région parisienne. De 1984 à 1986 il participe à la Coordination Justice puis au projet de l’agence IM’média (1985-1987). Il est l’un des fondateurs du Comité national contre la double peine (1990), puis du Mouvement de l’immigration et des banlieues (1995). Depuis 2004, il est l’un des animateurs du collectif Justice pour le Petit-Bard (Montpellier) et l’un des initiateurs du Forum social des quartiers populaires.
Comment s’est créé le Mouvement de l’immigration et des banlieues ?
Le MIB n’est pas une création des militants parisiens, car ils viennent d’horizons multiples. Mais, comme moi, une bonne partie s’est reconnue dans la Marche des Beurs même avant qu’elle ne démarre, le 17 octobre 1983. On s’est retrouvé embringués dans le collectif parisien, avec des gens qu’on ne connaissait pas à l’époque, des gens de Sans Frontières, des gens de Radio Beur, des anciens du Mouvement des Travailleurs Arabes (MTA). On avait besoin de faire des choses par nous-mêmes, sans la tutelle des organisations antiracistes qui géraient l’immigration. Certes, chacun peut raconter l’histoire à sa manière et il s’était passé déjà beaucoup de choses avant la Marche. Mais c’est tout de même cet événement sans précédent qui nous a permis d’affirmer : « On est chez nous en France ! »
« Ceux qui vont faire le MIB n’ont pas arrêté la marche le 3 décembre 1983 ».
C’est une prise de conscience politique qu’il faut référer au sentiment de honte que nous avons connu à travers l’expérience du mépris subie au quotidien par nos pères. Cette génération de Beurs qui, soi-disant, snobait celle des parents, c’est elle qui va ouvrir les portes de l’histoire et de la mémoire. C’est elle aussi qui va mettre hors circuit la toute puissance de l’Amicale des Algériens en Europe. Et c’est elle encore qui va délégitimer la gauche sur la question des quartiers populaires.
Certes, le mouvement beur ce n’était pas un mouvement structuré et certains lui reprochent de ne pas s’être inscrit dans la continuité d’un héritage de luttes comme celles du MTA dans les années 1970. Mais les lieux et les acteurs de la lutte ont entre temps changé : l’action du MTA, ça ne se passe pas dans les quartiers mais dans les usines. Et qui domine ces mouvements-là ? Ce sont des ex-étudiants politisés qui viennent du bled. Par ailleurs, le passage de l’anonymat des quartiers à la une des médias, ça a déstabilisé pas mal de monde et c’est même monté à la tête de certains qui ont cru qu’avec la Marche tout était arrivé ! Cela dit ceux qui vont faire le MIB n’ont pas arrêté la marche le 3 décembre 1983. Ils vont continuer à marcher à leur rythme. On a constitué un petit réseau entre nous. Un réseau affinitaire.
Vous vous êtes rencontrés au moment de la marche ?
Oui. J’ai connu des gens de Nanterre, d’Aulnay, de Mantes, de Marseille ou de la région lyonnaise. On galérait pareil et on avait les mêmes préoccupations. On était jeunes et sans une thune et on se retrouvait soudain à devoir parler au nom de la banlieue. Il y avait ce côté happening permanent mais nous, à la différence de certains qui ont pris la grosse tête, on ne se la jouait pas, on savait que c’était du bluff. C’est aussi ça le travers du mouvement beur ! De la marche à l’implosion, il s’est passé très peu de temps. Même pas deux ans. Avec Convergence 1984, des directions différentes étaient prises, mais on n’avait pas eu le temps de se poser, de choisir de vraies orientations stratégiques.
Définir ces choix, n’était-ce pas l’enjeu des Assises des associations de jeunes issus de l’immigration qui se tiennent quelques mois après la marche de 1983 ?
Tous les participants n’avaient pas les mêmes informations ni les mêmes enjeux. Les animateurs de structures comme Radio Beur ou l’Association nouvelle génération immigrée (ANGI) avaient des rapports privilégiés avec les politiques de gauche. Ce sont eux qui avaient l’écoute des pouvoirs publics et qui ont déplacé les questions posées par le mouvement vers des enjeux culturels qui correspondaient à leurs propres intérêts. Pendant une petite période, ils ont utilisé l’image des marcheurs. Il y avait un vrai décalage social entre les galériens de la banlieue et ces gens de la « beurgeoisie » installés à Paris. Nous, les ministères et les soirées mondaines, on ne connaissait pas !
Mais ça ne nous empêchait pas de rigoler et de se raconter l’histoire à notre façon. On se donnait des noms d’aristos « Kamel de Nanterre », « Farid d’Aulnay » …en délirant sur la Révolution, avec ses nobles et ses Sans-culottes ! Le soir ça se terminait tard et chacun son tour devait trouver un plan piaule. Mais la précarité, ce n’était pas le seul problème et, au moment des Assises, ce sont aussi les querelles de leadership entre Paris et Lyon qui ont créé la confusion. C’était des histoires anciennes, autant personnelles que politiques, entre des groupes comme Rock Against Police et Zaâma d’banlieue. Nous, on ne comprenait rien à ces conflits. On rêvait d’unité.
Comment tu expliques que les mobilisations qu’il y a eu autour des violences policières n’aient jamais eu le soutien massif d’organisations ?
Tout de suite après la marche, certains ont tenu de grands discours sur le fait qu’il fallait créer une coordination nationale, une fédération. Mais nous, ce qui nous avait touché, ce sont les crimes dans les quartiers. C’était prioritaire et on ne pouvait pas passer à côté : car au moins si on s’attelait à ce problème essentiel, on ne se perdrait pas ! Le mouvement sur ces questions s’est crée par défaut, parce que personne à part nous ne voulait bouger. On a créé un comité Justice à Paris, on suivait des affaires à Lyon, à Marseille, des procès comme celui des meurtriers de Wahid Hachichi, de Toufik Ouanes, d’Houari Ben Mohammed. On suivait les dossiers et on a même parfois payé des experts pour des trucs invraisemblables.
Dans l’affaire Toufik Ouanes par exemple, on a constaté l’absence d’experts cinq mois avant le procès. C’était un vrai scandale. Mitterrand était allé déposer une gerbe aux 4 000 de La Courneuve mais on s’est aperçu que le dossier d’instruction n’était même pas entre les mains de l’avocat de la famille parce que ça coûtait 500 francs [76 euros]. Le décalage est saisissant ! Il a fallu reprendre l’affaire, mettre un avocat sur l’affaire. On s’est retrouvé à prendre des photos, à payer un mec pour qu’il fasse une expertise sur l’inclinaison de la balle. Etait-ce à nous de faire ce boulot ? On a vite compris que personne ne le ferait à notre place. Pour cette affaire ou pour d’autres, et dans le but de soutenir les familles et d’obtenir des soutiens, on a fait le tour des associations. Ce n’était pas glorieux du tout et ça nous a donné une autre vision des choses. Le meurtrier de Toufik Ouanes, il a été condamné à cinq ans… dont deux avec sursis. Pour assister à d’autres procès, comme ceux des meurtriers de Wahid Hachichi et d’Ahmed Boutelja à Lyon, on grillait le train, on s’incrustait dans des squats à Lyon. On s’est même fait ratonner dans le palais de Justice…
Cela souligne un certain décalage avec la situation d’une militance plus « installée », mais certaines associations du mouvement beur étaient aussi subventionnées…
Certains en effet voyageaient avec le chéquier de leur association pendant que la rumeur nous traitait de clochards. Ce qui met en avant toutes les limites de l’unité de façade du mouvement beur. Mais de la même manière, quand SOS Racisme et France Plus ont mené une OPA sur notre histoire, il y a eu plusieurs attitudes. Certains ont dit que c’était de l’usurpation. Et d’autres ont dit : « On n’y arrive pas, il faut peut-être qu’on aille là-dedans. » L’histoire de ce côté-là est restée méconnue, parce qu’on n’est pas les troubadours de nos propres histoires. On parle beaucoup mais on écrit peu.
« On n’est pas les troubadours de nos propres histoires. On parle beaucoup mais on écrit peu ».
Personnellement, je défends le mouvement beur. Je défends une certaine éthique du mouvement beur. Car il y avait du vrai et de la sincérité dans cet engagement. Ce n’est pas une histoire qu’on peut résumer à l’opportunisme de quelques beurgeois parisiens. Il y a eu et il y aura toujours un décalage entre la décision qui est prise dans une réunion de s’intéresser à une affaire et le fait d’aller sur le terrain, de parler avec les gens, de faire avec eux. Ce n’est pas la même chose. Ce n’est ni le même degré de responsabilité, ni celui d’implication, ni même celui de légitimité. Très peu de militants sont allé au bout de cette démarche. On n’en tire pas une gloriole, mais c’est un chemin que d’autres avant nous ont tracé et que nous avons essayé de suivre à notre façon. C’est ce chemin-là qu’il faut continuer.
Quel bilan peut-on tirer de cette action sur la police justice ?
Le bilan, c’est que l’institution défend toujours ses ouailles et que c’est très difficile de faire bouger la police et la justice. L’insécurité aidant, l’affaire s’est compliquée. Cela dit, même s’il y a toujours reproduction du racisme policier, on peut dire que l’institution nous a entendus. La muraille de l’arbitraire policier s’est fissurée et nous y avons contribué. Le chemin que nous avons accompli, c’est surtout pour que les gens réfléchissent avant de tirer. Je m’en fous que les beaufs flingueurs prennent cinquante ou douze ans de prison. Il faut qu’ils réfléchissent. Et ils réfléchissent plus aujourd’hui à mon avis.
« La muraille de l’arbitraire policier s’est fissurée et nous y avons contribué ».
Mais au bout d’un moment, on s’est dit qu’on n’allait pas continuer à manifester pour réclamer justice dès qu’un jeune se faisait flinguer. Dans les années 1970, quand il y avait un mort dans la communauté maghrébine, c’était l’Amicale des Algériens qui manifestait, puis l’extrême gauche. Notre slogan pour en sortir, c’est « Pas de justice, pas de paix ». S’il n’y a pas de justice au-delà des crimes, ça va être la merde ! C’est normal que des gens brûlent des voitures quand un jeune se fait flinguer pour rien !
Il est difficile de faire un mouvement avec des précaires. Cela dit, ce sont eux qui tiennent un point de vue politique autonome depuis plus d’une vingtaine d’années. Il faut dire que ces précaires-là, c’était les premiers concernés, par exemple pour la double peine. Ils se battaient pour avoir leurs papiers. Ils se battaient pour eux, mais pas seulement.
Les trois quarts des gens qui étaient là-dedans ne s’occupaient même pas de leurs affaires. Ils s’occupaient des affaires des autres. C’est une expérience inédite d’après moi, cette affaire du Comité national contre la double peine (CNDP). Tout cela s’est fait petit à petit à partir du moment où nous avons dit qu’il est illégitime d’expulser les gens. Le comité, c’était une rébellion. A un moment donné, on s’est juré qu’aucun membre du comité ne se ferait expulser. Et on a expliqué pourquoi et comment, si l’un d’entre nous était expulsé, on le ferait revenir, on mettrait le prix pour le faire revenir. Au ministère, ils nous disaient : « Vous êtes tarés. » On était même en désaccord avec des gens qui soutiennent le mouvement des sans-papiers. Saint-Bernard, toute la gauche en a fait des tartines, mais où sont les pauvres gens qui ont été expulsés ? Pourquoi personne n’a rien fait pour les faire revenir ? Le CNDP a marqué le passage d’une génération à une autre. C’était un mouvement de racailles comme on dirait aujourd’hui, mais ça a décomplexé beaucoup de monde.
Dans le rapport au politique ?
Dans le rapport aux institutions et à la légalité. Certains se contentent de parler de désobéissance civile. Nous, on est passé à la pratique. C’est même écrit dans les statuts de l’association : « Soutenir par tous les moyens les expulsés et leurs familles. » Le CNDP s’est créé en juin 1990. En octobre suivant, il y a eu les émeutes de Vaulx-en-Velin. Puis celles de Sartrouville et de Mantes-la-Jolie. La construction du comité s’est faite dans ce contexte d’actualité. Certes, il n’y a jamais eu d’émeutes parce qu’un gars se fait expulser. Mais, à un moment donné, les pouvoirs publics sont acculés et doivent répondre. A l’époque, ils avaient enregistré qu’il y avait des groupes qui essayaient d’exprimer publiquement les attentes des gens dans les quartiers. Parmi ces groupes, ils avaient repéré Résistance des banlieues et le Comité contre la double peine.
« 50 dossiers, on peut les traiter au cas par cas. Mais quand on arrive à 1 000, ça devient un problème d’ordre politique ».
C’est autour de ces questions que s’est opérée la rencontre avec les copains d’Agora de Vaulx-en-Velin. 50 dossiers, on peut les traiter au cas par cas. 100 dossiers aussi. Mais quand on arrive à 1 000, ça devient un problème d’ordre politique. Il faut situer le problème tel qu’il se posait en 1990. La gauche était arrivée au pouvoir en 1988. Le 2 août 1989, la loi Joxe sur le séjour des étrangers remplace la loi Pasqua. Après la grève de la faim des Jeunes Arabes de Lyon et banlieue (JALB) en 1986, un collectif de 160 associations s’était organisé contre cette loi Pasqua sous l’égide de la Ligue des Droits de l’Homme. Ce sont des membres de ce collectif qui ont négocié avec les pouvoirs publics la loi du 2 août 1989. Ils étaient très satisfaits. Pourtant, si au niveau administratif la loi Joxe a amélioré la situation par rapport à la double peine, au niveau judiciaire elle n’a rien changé du tout. Or deux tiers des affaires, c’étaient des expulsions judiciaires. Grosso modo, avant 1990, quelqu’un qui était arrêté avec un bout de shit pouvait faire l’objet d’une interdiction de territoire même s’il était en France depuis cinquante ans. C’était la loi L-630-1 du code de la Santé publique, loi qui a été faite à l’époque contre la French Connection. Frappé de cette interdiction définitive, tu ne pouvais même pas faire appel !
Les associations prétendaient qu’on ne pouvait rien y faire. Mais nous, quand on ne pouvait rien faire, on faisait tout de même. C’est l’alliance entre des anciens du mouvement beur et des anciens taulards qui a donné sa dynamique au CNDP. Les deux groupes connaissaient bien les situations d’isolement et personne ne voulait baisser les bras. On est allé voir le Gisti, la Cimade, le MRAP, SOS Racisme… Ces derniers, on les a même occupés le 30 juin 1990 pour leur signifier symboliquement qu’ils n’existaient plus. C’est à cette période-là que nous avons été assimilés à des gens violents. C’est vrai que les associations, on les obligeait à casser leur routine. Par exemple, lorsqu’on se mettait d’accord dans une réunion inter-organisations sur le fait de faire 250 envois, souvent il ne restait plus personne au moment de passer à l’action. On tapait alors du poing sur la table, on s’énervait un peu. Agressifs, oui, on l’était un peu. Mais c’était nécessaire !
La force du CNDP c’est qu’il a saisi un problème de fond et qu’il ne l’a pas lâché jusqu’au bout. Reste que le Comité a été marginalisé par les associations alors que son action avait le mérite de toucher plusieurs générations, les sans-papiers comme les jeunes de la banlieue. Nous avons même été amenés à nous confronter aux lois d’exception sur les musulmans présumés terroristes que les associations musulmanes refusaient elles-mêmes de défendre. Nous, on disait que le plus grand salopard immigré a les mêmes droits que n’importe qui. En revanche, la plupart des associations comme la Cimade acceptaient la différenciation entre les cas moralement « défendables » et les autres. Seul le CNDP dénonçait le principe même de la double peine et refusait toute justification morale. Les premiers censeurs, ce sont les associations qui tracent elles-mêmes les limites de l’action. Par exemple, si on défendait quelqu’un qui avait commis un viol, des féministes nous accusaient de défendre les violeurs. Tout cela a nourri les rumeurs. Malgré tout le travail accompli ! On avait une permanence quotidienne : six à dix personnes chaque jour, cinq à six recours effectués, parfois plus, et vingt coups de téléphone au ministère. Tous les jours pendant trois ans.
Matériellement, vous faisiez comment ?
On grattait à droite et à gauche. On faisait des plans pour pouvoir tenir les deux bouts. On avait par exemple des notes de 110 000 francs [16 700 euros] de téléphone par an. On vivait chichement mais on ne se plaignait pas. Le plus important, c’est qu’on avait appris à faire les recours, on défendait les gens dans les commissions d’expulsion, on parlait à des procureurs, à des gens au ministère, on s’expliquait avec des avocats. C’est ce qui a décomplexé beaucoup de monde, ce qui a formé des gens. Tous les tribunaux nous connaissaient dans la région parisienne, les présidents de chambre, les procureurs… Et même s’ils n’étaient pas d’accord, ils avaient du respect pour nous. On a rencontré au ministère de l’Intérieur des soutiens objectifs. Des gens de gauche. Il faut le dire, car il n’y a pas que des salopards dans l’institution.
La transition entre le Comité et le MIB…
Le discours du MIB n’est pas un discours de juriste ni de pleurnichard. C’est un discours d’affirmation : on est chez nous ici ! Le comité a créé un large réseau à travers les prisons, les familles des prisonniers, les quartiers, les émissions de radio. Sans cette expérience je ne pense pas qu’on aurait crée le MIB. Ce mouvement-là, ce n’était pas n’importe quoi. La double peine, ça a touché 20 000 personnes, ce n’est pas rien comme audience dans les quartiers. Beaucoup de gens étaient fiers du comité et nous considéraient comme des combattants.
C’est sur cette base là qu’on pouvait se permettre de parler d’une voix forte avec n’importe qui dans n’importe quel quartier. Les premières rencontres ont eu lieu avec les copains de Vaulx-en-Velin, de l’association Agora en particulier. Il y avait aussi les jeunes de Résistance des banlieues. Il y a eu des réunions improvisées pour essayer de construire une action collective. Ça s’est concrétisé au mois de décembre 1993, avec un meeting à la bourse du travail de Paris sur le thème : dix ans après la marche, où va le mouvement de l’immigration et des cités ? Quatre cent personnes étaient présentes et le soir on a fait une rencontre dans les locaux du Conseil des associations d’immigrés en France (CAIF) avec des gens de différentes générations.
On a alors commencé à affirmer notre volonté de créer un mouvement qui défende l’intérêt des quartiers et de l’immigration. Tout cela a duré deux ou trois ans avant de conclure. Entre-temps on a fait d’autres réunions à Rennes, à Lyon, à Nîmes ou à Paris. On a discuté sur le nom du mouvement et on s’est arrêté sur Mouvement de l’immigration et des banlieues. Parce qu’à l’époque, à contre-courant de tous ceux qui ne voulaient plus parler d’immigration mais d’intégration, on voulait maintenir une importance de l’immigration par rapport à l’histoire et à la mémoire. Les objectifs du MIB sont affichés clairement dans le premier journal : créer un lieu de ressources, d’information, et une permanence juridique où on mutualiserait nos connaissances et nos expériences.
Est-ce que les gens du MIB venaient de quartiers en particulier ?
A Paris il y avait des gens de Sartrouville, de Mantes, de Saint-Denis, de Nanterre, d’Aulnay, de La Courneuve, d’Argenteuil… C’était mouvant, ça dépendait de l’actualité. Parfois on se retrouvait très seuls parce qu’il n’y avait pas d’argent et on se démerdait avec des bouts de ficelle. Le MIB a pris un essor public en 1997. On a fait un effort particulier sur les mobilisations et on avait travaillé un peu la question de la communication. Certaines actions ont retissé des liens et permis de retrouver l’ambiance du comité. En même temps il y avait une dynamique avec les gens de Lyon autour de la création de DiversCité. Ils commençaient à avoir des discussions avec l’UJM. Mais très vite on s’est retrouvés les mêmes qu’avant. Même des gens qui étaient proches de nous restaient à la frontière. On a beaucoup ramé pour remobiliser les gens.
Pourquoi il y a eu cette dispersion ?
Parce qu’ils n’y croyaient pas. Les gens étaient pressés et ils avaient des intérêts contradictoires. Il y avait aussi le poids de l’histoire du comité, car le MIB était une structure encore toute jeune. C’est à cette époque qu’on a commencé à réfléchir à la nécessité d’un mouvement politique issu des quartiers. Ce qui a un peu dynamisé les gens, à Lyon notamment.
Par rapport à l’idée d’un mouvement politique des quartiers, comment tu expliques le fait qu’il y a beaucoup de tentatives sur cette idée-là, mais que ça ne se concrétise pas dans la réalité ?
Peut-être parce que ce n’est pas mûr dans la tête des gens et qu’il y a trop de divisions dans les quartiers pour que ce soit possible. Les associations ne sont que l’expression d’une certaine division qui existe dans nos quartiers. Tu n’as qu’à voir aujourd’hui le problème de la concurrence entre les identités particulières. Les gens ont l’impression qu’ils vont gratter, qui un logement, qui un boulot : Noir, Arabe, musulman, etc. Créer un mouvement, c’est se fédérer sur l’essentiel. C’est comme ça qu’on peut avancer, donner un écho national aux luttes. On n’a pas besoin d’intermédiaire, on peut le faire nous-mêmes ! Poser le problème au niveau national et faire campagne là-dessus. Par exemple, sur la question du droit de vote. Et surtout, poser le problème à notre façon.
« Ni victime, ni héros : responsable c’est tout ! »
Je ne m’inquiète pas sur le long terme. C’est une idée qui fera son chemin et qui existera sous une forme ou une autre. Peut-être qu’on est un peu idéaliste, mais il faut l’être un petit peu si on veut avancer. Si tu charges trop la barque en prétendant constituer un mouvement politique, beaucoup plient sous le poids. Mais si tu fédères des initiatives, avec des actions collectives qui s’enchaînent, tout cela paraîtra évident. Alors il vaut mieux ne pas en parler et le faire. Au départ c’était cela le projet du MIB.
On a tenté des alliances en tapant du poing sur la table pour essayer de formaliser un peu les choses. Vu les mouvements aujourd’hui, il n’y a pas eu beaucoup mieux. Les Indigènes de la République ? C’est un décalage entre les discours et la réalité. Il n’y a pas de confrontation au terrain. Les discours tenus dans un salon parisien ou à la télévision, ça peut séduire et faire illusion. Comme s’il n’y avait pas besoin de créer un rapport de force ! Tout cela n’est pas très politique. C’est comme une affirmation réitérée, un caprice qui aurait vingt-cinq ans de retard. La marche de 1983, elle a déjà permis cette affirmation : « On est ici chez nous ! ». Ça veut dire qu’on a le droit à un traitement égal. C’est cela l’essentiel, avec la question de la responsabilité. Ni victime, ni héros : responsable c’est tout ! Pas de victimisation, pas d’héroïsme. Tant qu’on n’arrivera pas à lier les deux aspects, la question de la responsabilité avec ce qui se passe dans nos quartiers, c’est encore le règne du laisser-aller qui l’emportera !
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