Nantes – une nuit dans la rue : l’envers du dehors
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Local
Thèmes : Exclusion/précarité/chômageImmigration/sans-papierEs/frontieresLogement/squat
Lieux : Nantes
Calicot sur les grands fraudeurs
La banderole « Expulsions non, réquisitions oui » barre la devanture de la banque HSBC. Un pied de nez rageur, ce bout de tissu peint apposé sur une multinationale financière dont le scandale SwissLeaks vient de révéler une fraude fiscale de 180 milliards d’euros dont ont profité trafiquants d’armes, mafieux, chefs d’entreprise, hommes politiques, têtes couronnées, sportifs de haut niveau, stars du show-business. La misère forcée des SDF et des migrants prend place devant cette incarnation du cynisme des prédateurs. Les chansons rendent hommage à ce beau linge : « Merci patron » des Charlots, avant l’éternel « Si tu veux être heureux, nom de dieu, pends ton propriétaire !« . Il y a là quelques centaines de personnes, gens de la rue, migrants des squats de Doulon et de Chantenay, militants libertaires, syndicaux, des droits de l’Homme ou du Gasprom qui accompagnent les migrants depuis plus de 45 ans. Des syndicalistes de la CGT spectacle ont monté un petit gradin. Des zadistes ont apporté des braseros, la Fête des langues a prêté ses barnums pliants. Le DAL a posé une caisse de soutien et sa banderole, la sono a été prêtée par un Chilien solidaire. Époumonant son accordéon diatonique, l’infatigable Lolo, habitué des rassemblements militants, tape du pied en beuglant ses chansons de légumes, de flics et de patrons. Trois collectifs de cantines militantes ont épluché et cuit un beau paquet de carottes et patates de récup’. Un bel élan de solidarité.
Le Tchadien Amat explique au micro la spécificité du groupe des Africains demandeurs d’asile accueillis au squat de Doulon, non pas des migrations fuyant la misère, mais des gens contraints de quitter un pays en guerre, la Libye, où ces Soudanais, Érythréens, Tchadiens, Congolais, Nigérians, Maliens, Somaliens travaillaient jusqu’à l’intervention de l’Otan contre Khadafi. « Par notre travail en Libye, on répondait aux besoins minimum de nos familles. On nous refuse injustement le statut de demandeur d’asile. Notre place n’est pas à la rue dans un squat où on nous envoie les forces de l’ordre pour nous expulser violemment« .
Une femme en treillis intervient en criant : « Moi, je suis Française, j’ai un appartement de merde… Je veux un HLM correct« . On craint le pire. Dès qu’on lui donne le micro, elle se radoucit sans la moindre jalousie ou défiance contre les étrangers, qu’on aurait cru déceler dans son invective. Juste le besoin d’être entendue : « Le plafond du logement se fissure, le bailleur ne fait rien. Je ne sais pas quoi dire, j’ai honte ».
Paupérisation des plus pauvres
Le bord du visage éclairé par le brasero, le porte-parole national de Droit au logement (DAL), Jean-Baptiste Eyraud, « ou Babar« , précise-t-il en prenant le micro, entame une virulente dénonciation des politiques publiques : « la paupérisation des plus pauvres et l’augmentation des loyers, c’est une mécanique qui nourrit le sans-abrisme ! Derniers chiffres disponibles : en 2013, on a compté 126 000 jugements d’expulsion, dont 120 000 pour impayés de loyers… Un record sans précédent : dans les années quatre-vingt-dix, on enregistrait autour de 80 000 expulsions prononcées par des juges, dans les années soixante-dix, pas plus de 15 000…. La politique du gouvernement écoute les bailleurs, les promoteurs, qui obtiennent des cadeaux fiscaux, et les flics pour les expulsions. Après les États-Unis et le Japon, la France est le 3e pays au monde a avoir le plus de millionnaires. Et la paupérisation de la classe populaire va très vite, jusqu’à revenir aux inégalités du XIXe siècle. Il y a une inversion des politiques publiques qui avaient encadré les loyers pour soutenir la bourgeoisie industrielle plutôt que la bourgeoisie rentière. Aujourd’hui, la rente a repris le dessus. Les riches se font encore plus de fric sur les pauvres, sur les pays du Sud et sur l’amaigrissement de l’État.«
M. Vautour, le retour
Si Monsieur Vautour, popularisé par les caricatures, a bien vécu au XIXe, la première moitié du XXe siècle avait plafonné les montant des loyers. Ce système de contrôle a été rejeté depuis les années cinquante, paraît-il pour ne pas décourager l’investissement immobilier.
Quant à la loi de réquisition des logements vides, elle a été officiellement mise en œuvre dans les années cinquante, dans les années soixante pour les rapatriés d’Algérie. Et ponctuellement en 1994 après l’expulsion d’un squat historique rue du Dragon, à Paris : « On avait obtenu 1 200 logements réquisitionnés, quand même« , rappelle « Babar » Eyraud. Récemment, Cécile Duflot a failli réappliquer cette capacité publique, légale, de récupérer des logements abandonnés pour y placer des sans-abri, mais l’annonce a fait pschtttt et Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, n’a jamais donné suite à cette revendication légitime et à ce devoir légal : « L’État viole ses obligations envers les plus fragiles. L’espérance de vie moyenne des sans-abris est aujourd’hui en France de 49 ans… Soit 35 ans de moins que la moyenne des Français. La peine de mort n’est pas abolie ! Le gouvernement, les pouvoirs publics, administrent une mort lente. Il est temps qu’ils commencent à avoir peur, qu’on les traîne devant des tribunaux ! »
Un SDF à la barbe blonde en paille drue, réclame « Dirty Old Town » des Pogues. Les blacks entonnent « Brigadier Sabari« , la sirène de police en guise d’intro en moins. Un tube d’Alpha Blondy aux nombreuses versions dont on reconnaît le leitmotiv « Opération coup de poing » et qui dit en substance qu’il n’est pas recommandé de se balader la nuit quand on n’a pas ses papiers en règle. Ça tombe bien, personne ne se balade. On se blottit. On chante. On se tient chaud.
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