Élections françaises 2012 : l’oligarchie à visage humain
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Les élections françaises de 2012 ont évidemment moins été une victoire du clan “de gauche” qu’un refus du clan “de droite”. Sarkozy n’a tenu ses promesses ni sur le pouvoir d’achat ni sur la sécurité (la crainte d’émeutes comme en 2005 est toujours là), et il a ridiculisé tous les symboles de la République. Le seul enjeu de ces élections a donc été “n’importe qui plutôt que la mafia Sarkozy” : ce “n’importe qui”, ça a été Hollande et sa clique, devenu en quelques mois le candidat improbable d’une irréelle restauration du républicanisme et de la social-démocratie.
Soutenue par ses électeurs, l’oligarchie change de visage…
Ainsi va l’oligarchie depuis trente ans : lorsqu’une de ses têtes se discrédite, l’autre prend la relève. Et la population se prête à cette mascarade. On s’auto-intoxique le temps d’une campagne et on finit toujours par voir des éléphants roses là où il n’y a que de gris technocrates. Mais il en va des élections comme des cuites : Elles ne sont qu’une brève échappatoire à une réalité qu’au fond, tout le monde a bien saisie. Les crises vont s’aggraver, et le clan en exercice, quel qu’il soit, n’y pourra rien, même avec toutes les instances républicaines dans sa poche.
Tout le problème est là. Nous assistons à l’accélération et à l’accumulation des crises : économique et écologique, politique et sociale, culturelle et anthropologique… Cette situation, inédite, nécessiterait de rompre avec les façons de penser qui prévalent depuis de nombreuses décennies. Mais elle n’entraîne aucun sursaut salutaire de notre part. Au contraire, plus la crise s’aggrave, plus nous nous raccrochons à nos réflexes de déresponsabilisation, de délégation du pouvoir, de fuite, de repli derrière les murs en carton de nos vies privées. Nous ne pourrons pas continuer ainsi bien longtemps. Nous devons rompre avec ces réflexes. Mais quand ? Et pour aller vers quoi ?
La débâcle programmée de “la Gauche” : Les impasses des politiques gestionnaires
Les nouveaux gouvernements seront impuissants, parce que leurs approches technocratiques ne leur donnera aucune prise sur un réel qui se dérobe et se précipite. La “Gauche” n’en finit pas de pourrir par tous ses membres : elle n’a pas seulement abandonné l’idée d’un autre projet de société, ou même d’assurer une égalisation des conditions socio-économiques, elle est même incapable de gérer la situation dans ses aspects les plus prosaïquement matériels. Tenter de résoudre la “crise économique” actuelle exigerait de s’attaquer aux prédations permanentes auxquelles se livre l’oligarchie mondiale : on ne voit pas comment, ni surtout pourquoi, ceux qui en profitent s’emploieraient à seulement réduire pillage et racket. Et il n’est que trop clair que le redémarrage de la croissance a pour corollaire sans cesse redécouvert la destruction de la biosphère et l’épuisement des matières premières. Sans même parler de l’intensification de l’exploitation économique – principe dont s’est totalement accommodée ce qu’on ose encore appeler la “Gauche”. Quant aux tentatives actuelles de réorientation énergétique, elles ne peuvent que conduire à une inévitable baisse de la consommation globale et mondiale : ces perspectives sont, pour l’heure, inacceptables par les populations, qui n’accordent de légitimité à l’oligarchie que tant que celle-ci leur garanti une hausse continue de leur niveau de vie. A mesure que ce contrat tacite part en lambeaux, les gouvernements gestionnaires successifs sont condamnés au discrédit au profit d’autres forces, revendiquant un changement radical. C’est là qu’entrent en scène les courants populistes, qui flattent les aspirations les plus infantiles de chacun sous prétexte d’exprimer le point de vue populaire.
L’éternel retour de la démagogie gauchiste
A gauche, ce courant reparaît régulièrement sous la forme d’un messianisme pseudo-marxiste qui reprend les promesses sociales-démocrates : la conservation des acquis sociaux sous l’égide de l’Etat-Providence et la permanence d’un accès pour tous à la société de consommation. Les avatars de ce prophétisme ont été Mitterrand, puis Juquin en 1988, LO et la LCR en 1995-2002-2007. Môssieu Mélenchon est le dernier symptôme en date de ces reprises de plus en plus irréelles des vieilles rengaines gauchistes, dont l’apologie de la Production, de la Technique et de la Consommation n’a plus aucun lien ni avec la philosophie de Marx, ni avec une quelconque perspective souhaitable. Cette mouvance propage l’idée fausse qu’il est possible de renouer, et pour toujours, avec la prospérité des Trente Glorieuses, mais sans remarquer, semble-t-il, la disparition des ressources naturelles. De même, il promet de maintenir intactes les avancées sociales, mais sans avoir l’air de voir que les luttes sociales collectives dont elles sont issues ont été remplacées par des lobbies syndicaux et corporatistes. Et enfin, il érige les “masses opprimées” en Victimes Absolues, les dispensant ainsi de s’interroger sur leur responsabilité en tant que consommateurs, leur adhésion au système de valeurs des couches dominantes, et leur aspiration, non au changement social, mais à l’ascension hiérarchique. Sa rhétorique est donc celle du bouc émissaire (“Qu’ils s’en aillent tous !”), commune aux courants démagogiques analogues d’Amérique latine (Chavisme) et de Grèce (Siriza). La désignation d’une minorité comme totalement responsable de tous nos maux est un terrain fort glissant.
Les tendances de fonds des populismes néo-réactionnaires
Bien entendu, le climat de crise a toujours été favorable aux extrêmes droites : c’est la pente naturelle de toutes les sociétés actuelles, des Etats-Unis au Maghreb, de l’Afrique noire à la Russie. En France le populisme nationaliste incarné par le FN est en croissance continue depuis les années 1980. Il a connu l’éclipse récente depuis la reprise de ses idées par M. Sarkozy, qui les a diffusées dans la société entière. L’actuel retour de bâton n’en est qu’une conséquence logique, prélude à la naissance de nouveaux courants “présentable”, expurgés des vieilles références encombrantes, et autour desquels pourra se recomposer l’actuelle droite classique et républicaine. Le schéma doctrinaire tourne autour d’un traditionalisme d’autant plus fantasmatique qu’il s’accompagne d’un assentiment duplicite vis-à-vis d’un capitalisme mondial qui ne peut bénéficier qu’aux puissants. Ces mécanismes contradictoires de légitimation de fait de l’oligarchie et de crispations face aux déstructurations sociales, ne peuvent que conduire à la naissance de véritables extrêmes droites, comme il en existe déjà dans certains pays, combinant squadrisme, intégrismes para-religieux, et doctrines authentiquement racistes.
Ces deux tendances et leurs interconnexions croissantes sont des canaux du ressentiment, de la frustration et du manque : elle ne mènent qu’à la mécanique auto-entretenue de la confusion et du chaos.
Nous n’avons à choisir aucun camp existant
L’avenir reste à écrire
La crise s’aggravant, de nombreux et profonds mouvements sociaux sont à prévoir, dont les « indignés » ne sont qu’un léger avant-goût. Ces mouvements seront de plus en plus l’objet de récupérations, comme c’est le cas actuellement en Grèce. Sous Hollande, ces mouvements ne pourront constituer un débouché électoral (la gauche est déjà au pouvoir) et n’auront donc pas le soutien des centrales syndicales. Ils risquent donc de se traduire par des émeutes auto-destructrices, comme en Angleterre pendant l’été 2011. Mais nous pouvons aussi – et c’est là notre unique chance – inventer des formes nouvelles de contestation comme cela a pu être fait dans l’histoire, et semble renaître aujourd’hui.
Des expériences passées, et du meilleur des mouvements actuels, il est possible de tracer quelques perspectives.
– Ne compter que sur nos propres forces. Il n’y a rien à attendre des (ir)responsables politiques ou des prétendus experts, quels que soient les clans auxquels ils appartiennent, et pas plus des multiples appareils partisans, syndicaux ou associatifs qui servent de relais et de vivier à l’oligarchie, en maintenant l’apathie et le suivisme dans la population. De la même manière, les ennemis des mouvements autonomes doivent être identifiés, qu’il s’agisse des micro-bureaucraties parasitaires qui tenteront de contrôler toute initiative populaire, des bandes assimilées au “lumpen proltariat” qui n’y cherchent que rapine, ou des variétés infinies de démagogues et autres manipulateurs que l’époque produit en série.
– S’auto-organiser dans la durée. Nous pouvons nous organiser sur une base égalitaire, démocratique et responsable afin que nos discussions, nos luttes et nos moyens de subsistance nous appartiennent. Qu’il s’agisse d’assemblées, de comités, de coordinations, de collectifs, d’associations, de réseaux d’échanges et de partages, de mutuelles ou de coopératives, le principe est autant de réinventer des formes sociales, politiques et culturelles émancipatrices que de dessiner la possibilité concrète d’une autre organisation de la société. Celle-ci ne tombera pas du ciel et implique de rompre avec l’arrivisme, le cynisme et l’attentisme profondément ancrés en chacun d’entre nous.
– Se défier des discours prêt-à-penser. La situation est absolument inédite : on ne peut y plaquer aucun schéma préconçus. Il n’existe pas de Solution cachée qu’il suffirait d’appliquer. La multiplicité des problèmes, leur ampleur et leur interdépendance exigent la création de nouvelles positions politiques et un effort de pensée et de lucidité aussi douloureux soit-il. La révolte ne sera jamais la fin des problèmes, mais plutôt celle des illusions. Ainsi, une contestation radicale de la situation ne peut que combattre l’oligarchie, en tant que domination, mais aussi en tant qu’aspiration à un mode de vie qui rend la société invivable et la planète inhabitable.
L’austérité qui s’impose ne peut être combattue efficacement en réclamant un retour à une société où la fausse abondance se paye d’exploitation et d’inégalité : nous voulons un monde d’égalité, de responsabilité et de sobriété, qui ne peut exister que par une gestion radicalement démocratique de la vie collective et de l’accès aux ressources naturelles et aux richesses sociales. Cette idée de base peut servir à nous reconnaître et à nous rassembler pour agir.
Le vampirisme oligarchique face à une société exsangue se traduit de plusieurs manières, complémentaires : fragmentation sociale (Brésil), confusionnisme bénéficiant à l’extrême droite (Maghreb), autoritarisme (Russie), etc. Mais on peut tenter d’instaurer un système politique fondé sur l’égalité réelle et la démocratie directe pour affronter la situation. Cela ne pourra se faire qu’en retrouvant des réflexes de solidarité fondamentale, en réinventant une émancipation à la fois individuelle et collective, et, avant toute chose, en renouant avec une volonté lucide de regarder les réalités en face. C’est ce sens que nous voulons faire vivre dans les mouvements qui naissent partout dans le monde.
Juin 2012 – Collectif Lieux Communs – www.magmaweb.fr – lieuxcommuns@gmx.fr
“des bandes assimilées au “lumpen proltariat” qui n’y cherchent que rapine”… T’as peur de te faire voler ton téléphone android dernier cri, peur que le lumpen prolétariat crêve trop la dalle pour être maîtrisé?
Ca n’est pas très clair ce que cette phrase veut dire (si elle peut vraiment avoir un sens), mais on dirait que le collectif lieu commun a pour objectif de les répandre plutôt que de les combattre…