Décrypter les lignes de force au moyen desquelles le négationnisme se diffuse, dessiner les contours d’une mouvance qui va bien au delà des négateurs assumés, est donc nécessaire ; nous essaierons ici de commencer ce travail en nous intéressant à deux schémas de pensée intrinsèques à la sphère négationniste et à ses soutiens, la soi-disant défense de la liberté d’expression et le relativisme.
« Je ne prends pas la défense de l’Allemagne. Je prends la défense de la vérité (…) »

C’est par ces mots que s’ouvre le premier pamphlet de littérature négationniste publié en France, Nuremberg ou la Terre Promise, en 1947.

A l’époque, peu de lecteurs prendront la phrase au sérieux, son auteur Maurice Bardèche, beau-frère de Brasillach ayant entamé depuis l’exécution de celui-ci une entreprise de réhabilitation du nazisme et de la collaboration française sans équivoque, qui l’amène immédiatement à se lier avec l’ensemble des nazis encore actifs dans l’Europe de l’immédiate après-guerre.

Soixante-dix ans après, cependant, la posture d’objectivité de Bardèche, aussi grotesque soit-elle, est adoptée par ses héritiers avec un immense succès.
Hormis Vincent Reynouard, qui se dit ouvertement néo-nazi, la plupart des négationnistes et tous leurs soutiens se prétendent totalement neutres vis à vis du nazisme, et même pour beaucoup ses opposants. Dans le débat public, le négationnisme ne s’impose pas par une défense ouverte de ses thèses ( de fait, très peu de gens parmi ceux qui défendent Faurisson connaissent les « arguments » qu’il invoque pour nier les chambres à gaz ), mais toujours par le biais de débats sur la liberté d’expression ou la liberté de recherche historique soi-disant opposée à la main mise de l’Etat sur l’Histoire qu’incarneraient les lois qui pénalisent l’expression des thèses négationnistes. Les négationnistes seraient des chercheurs de vérité.

C’est le long aboutissement d’un combat fasciste pour dépolitiser l’image du négationnisme. La dépolitisation est ce processus par lequel le négationnisme parvient à apparaître dans le débat public comme une idéologie ou une démarche historique ou militante pas forcément liée à l’extrême-droite.

Ce combat a commencé par la mise en avant de certains parcours plutôt que d’autres : ainsi Bardèche , premier négationniste publié avec un tirage d’importance est généralement mis au second plan des récits négationnistes sur l’histoire de leur courant.

Le père fondateur officiel, c’est Rassinier. Un Dieudonné avant l’heure, dans la construction du personnage, au moins. Rassinier est en effet systématiquement présenté comme l’antithèse du militant fasciste à la base : résistant , déporté, homme de gauche. Insoupçonnable, donc comme sera censé l’être Dieudonné, soixante-dix ans plus tard, parce qu’artiste, victime du racisme en tant que Noir et homme de gauche, lui aussi.

Si eux doutent, alors qu’objectivement ils n’ont aucune raison politique de le faire, bien au contraire, alors le doute serait permis…

De fait, l’histoire n’est pas celle-là, ni pour Rassinier, ni pour Dieudonné. Le Mensonge d’Ulysse, et les textes qui l’ont précédé révèlent bien d’autres préoccupations que celles de la vérité historique . Rassinier s’y attache au départ, non pas spécialement à nier la vérité de l’extermination des Juifs, mais à dénoncer ce qu’il estime être le comportement abject de ses compagnons de déportation, en premier lieu les communistes, qu’il déteste. Déjà Rassinier ment, notamment sur une anecdote, où il décrit le communiste allemand Ernst Thaelmann, plus tard assassiné par les nazis se comportant de manière odieuse et brutale. Il sera avéré par la suite que Thaelmann n’a pas pu croiser Rassinier au camp , où il n’était pas à la période ou Rassinier s’y trouvait.(1)

De même , à l’époque de la publication du Mensonge d’Ulysse, Rassinier a déjà un certain passif qui n’est pas exactement celui d’un militant de gauche : il a par exemple, avant sa participation à la Résistance, fait partie d’une revue collaborationniste. Après guerre , surtout, il vit extrêmement mal son éviction à la députation par un radical . A partir de là, il commence à produire des écrits à la rhétorique antisémite classique, sous couvert de dénonciation des « banquiers » et des « réseaux ».

Le père fondateur est donc bien moins insoupçonnable qu’on ne le dit. Comme Dieudonné, il glissait vers la rhétorique fasciste et antisémite, bien avant de rejoindre officiellement l’extrême-droite. Son négationnisme est un aboutissement politique , pas une quête de la vérité.

Il en va de même pour les suivants, dont Faurisson qui se fait arrêter, jeune homme, pour avoir apposé une plaque à la gloire du Maréchal Pétain.

D’ailleurs au départ personne ne doute que le négationnisme ne soit que l’une des stratégies fascistes de réhabilitation du passé nazi.

C’est de la gauche que viendra un apport inespéré, avec notamment l’affaire autour de la Vieille Taupe. C’est cet apport qui va permettre de fausser le débat.
Voilà tout un tas de militants qui vont tolérer pendant des années à leurs côtés des gens qui nient le génocide. Hormis quelques-uns , dont Pierre Guillaume, la plupart ne le nient pas ouvertement eux-mêmes, une bonne partie déclare même qu’il a bien existé. Mais que là n’est pas le débat ouvert par la propagande négationniste.

Le débat serait « la liberté d’expression » d’une part, le sens de l’Histoire d’autre part.

Pour une partie de l’ultra-gauche, la « répression » contre les négationnistes , la réaction de la « bourgeoisie » , de l’ « université bourgeoise »et des « médias dominants » à leur égard serait le symptôme d’un mal bien plus profond que le négationnisme : celui du capitalisme qui a cherché à ériger le génocide des Juifs en horreur absolue, le fascisme et le nazisme en repoussoir intégral pour faire passer à côté le capitalisme comme le meilleur des mondes possibles.

Par conséquent, il faudrait à tout prix défendre la liberté d’expression des négationnistes, même s’ils ont peut-être tort, car ce que le « système » attaque à travers eux, c’est la possibilité de remettre en cause l’horreur du capitalisme….dont le nazisme ne serait qu’un avatar sans réelle originalité.
C’est ainsi que le négationnisme gagne la bataille de la dépolitisation : même si à l’époque, la fraction venue de la gauche qui va soutenir les Faurisson et consorts est numériquement ultra-minoritaire, issue de courants extrêmement marginalisés à l’extrême-gauche, ce qui pouvait sembler anecdotique à la fin des années 70, est en réalité une graine empoisonnée dont la récolte interviendra bien plus tard, le temps que ses racines aient pris.

Ce qui a été semé à gauche, c’est l’idée que « le négationnisme posait de bonnes questions même s’il apportait de mauvaises réponses », et qu’il n’était donc pas seulement une stratégie néo-nazie.

Au début des années 80, Noam Chomsky, par exemple, écrit ceci
« Les tribunaux français ont maintenant condamné Faurisson pour avoir, entre autres vilenies, manqué à la « responsabilité » et à la « prudence » de l’historien, pour avoir négligé d’utiliser des documents probants, et avoir « laissé prendre en charge par autrui (!) son discours dans une intention d’apologie des crimes de guerre ou d’incitation à la « haine raciale ». Dans un déploiement de lâcheté morale, la cour prétend ensuite qu’elle ne restreint pas le droit pour l’historien de s’exprimer librement mais qu’elle punit seulement Faurisson pour en avoir usé. Par ce jugement honteux, on donne à l’État le droit de déterminer une vérité officielle (en dépit des protestations des juges) et de punir ceux qui sont coupables d’« irresponsabilité ». Si cela ne déclenche pas de protestations massives, ce sera un jour noir pour la France. »
Noam Chomsky, « Réponses inédites à mes détracteurs parisiens »,
Spartacus » n°128 (1984).

Contrairement à ce que tous ses défenseurs ont dit depuis, ce n’est pas la simple liberté d’expression pour tous, y compris les militants fascistes qui est défendue par Chomsky, le positionnement par rapport aux négationnistes va bien plus loin que cela.

Faurisson y est bien intronisé “historien”, et c’est bien le fait que ne lui soit pas reconnu ce statut, qu’il soit considéré comme un propagandiste du nazisme punissable par la loi qui constitue pour Chomsky un « jour noir pour la France ».
Chomsky emploie également une autre expression « vérité officielle », une des expressions préférées des négationnistes pour qualifier la réalité du génocide des Juifs.

Or, le génocide des Juifs et plus globalement les crimes nazis ne sont pas « une vérité officielle », ils sont la réalité. Que l’État reconnaisse le réel ne transforme pas celui-ci en « vérité officielle ». Il y a des mensonges d’État, il n’y pas de « vérité d’État ». Un État peut nier l’esclavage, et à ce moment, il devra être combattu par les historiens, mais le fait qu’un Etat interdise la négation de la réalité de l’esclavage, ne fait pas de celui-ci « une vérité officielle ».

Dès les années 80, donc, des militants de gauche et d’extrême-gauche tiennent un discours sur le négationnisme et les négationnistes qui va éminemment plus loin qu’une simple défense de la liberté d’expression pour tous.
Pouvait-il en être autrement ? Etait-il possible de prendre parti contre le principe même de la répression du négationnisme sans glisser d’une manière ou d’une autre ?

Il ne s’agit pas ici de salir ceux qui ont pris parti contre la loi Gayssot en jugeant qu’elle ne serait pas efficace, car c’est là un débat d’autant plus légitime que la prolifération des discours négationnistes n’a pas cessé depuis. Mais il importe de rappeler à ceux qui brandissent avec le plus grand culot un Vidal Naquet qui a toujours combattu fermement l’expression des discours négationnistes et a été une de leurs cibles , que celui-ci n’était évidemment pas forcément opposé à la poursuite des négationnistes au titre des lois antiracistes classiques préexistantes à la loi Gayssot.

Comme d’autres, il n’ a jamais exigé l’impunité totale pour les néo-nazis qui se prétendent historiens.

Il importe aussi de rappeler qu’il y avait bien d’autres choix possibles que ceux consistant, soit, à soutenir la répression étatique soit à défendre la « liberté » des nazis à répandre le nazisme. A commencer par celui de ne pas se préoccuper du sujet du tout, ce qui a été le cas de la plupart des militants au départ. Ou si l’on voulait à tout prix montrer que le négationnisme se combat par la véritable démarche historique et politique, s’en préoccuper , justement, et écrire sur le sujet. Or l’on cherchera en vain, dans la prose des défenseurs de la liberté d’expression d’un Faurisson ou d’un Reynouard, de Quadrupani à Bricmont , des textes sur le sujet , alors même que ces messieurs exigeaient ou exigent des autres un « contre-argumentaire » aux élucubrations sinistres des néo-nazis.
De fait, le discours défendant la liberté d’expression des négationnistes consiste donc à imposer non seulement de supporter le crachat permanent que constitue l’expression de ces thèses, mais également très souvent de leur apporter la contradiction .

Il aurait fallu, donc, que l’agenda des historiens et des militants se règle sur celui des faussaires et des nazis : c’est ce que dit explicitement Bricmont, une des références antisionistes contemporaines, dans un texte récent titré « Suggestion aux profs d’histoire ».

Selon lui, la seule démarche honnête de leur part, consisterait actuellement à « démonter une à une les assertions de Faurisson pour les réfuter : montrer que les documents dont il affirme qu’ils n’existent pas, en réalité existent, ou expliquer rationnellement pourquoi ils n’existent pas, analyser autrement que lui les documents qu’il exhibe, ou restituer dans leur contexte les phrases un peu étonnantes d’historiens anti-révisionnistes citées par Faurisson. »
Voila le visage du « débat libre et non faussé », qui serait soit-disant la seule revendication de tous ces personnages issus de la gauche, qui se prétendent totalement neutres dans leur rapport au négationnisme : celui d’une totale soumission des non-fascistes aux exigences des fascistes concernant la manière de faire l’Histoire. A chaque nouvelle provocation déguisée sous la « démarche historique », historiens, professeurs et antifascistes auraient à répondre sérieusement.

Voila à quoi aboutit le soi-disant combat pour la liberté d’expression : pas étonnant dans ces conditions que les plus stratégiques des négationnistes considèrent que leur victoire ne passe pas forcement par la prise de parti ouverte a l’égard de leurs thèses, mais par la simple reconnaissance du droit à les exprimer .

Pierre Guillaume écrivait ceci, dans cette lettre ouverte a une chroniqueuse de Rivarol, journal de l’extrême-droite antisémite, à propos d’un article où celle-ci critique Chomsky, qui , selon elle, ne serait pas allé bien loin dans son soutien à Faurisson ou à Reynouard .

« En soulevant le problème de cette manière, qui prenait les belles âmes a contre-pied, et en rappelant les principes élémentaires de la liberté d’expression, Chomsky fournissait, clef en main, à Faurisson et aux révisionnistes, un bastion d’autant plus inexpugnable que les principes qu’il rappelait étaient élémentaires. Ce rappel faisait éclater d’un seul coup l’évidence. Si des principes aussi élémentaires avaient besoin d’être rappelés, c’était bien la preuve que l’on avait quitté, en cette affaire, le domaine de la connaissance rationnelle et scientifique, où l’on confronte des arguments et où tout est discutable. On était entre subrepticement dans le domaine du dogme, de la religion, de la connaissance métaphysique de vérités indiscutables… alliées a la censure et a la répression. »

Un peu plus loin dans cette défense de Chomsky accusé par l’extrême-droite traditionnelle de Rivarol de ne pas aller assez loin, Guillaume ajoute :
“Il résulte de cette situation qu’un affrontement portant sur la liberté d’expression pourrait aboutir, à la condition expresse que ce rétablissement n’apparaisse pas trop évidemment comme une étape vers le triomphe des thèses révisionnistes. Par contre un affrontement portant sur l’existence de dieu, dans le rapport des forces actuel, ne peut aboutir qu’a la défaite des révisionnistes et a l’aggravation de la répression qu’ils subissent.

C’est ainsi. Les choses étant ce qu’elles sont et le monde ce que nous savons, il faut qu’une partie des forces qui sont mûres pour engager un combat contre la censure puissent penser, ou affecter de penser, qu’elles contribuent ainsi à retirer leur meilleur argument rhétorique aux révisionnistes !”
Aux Bricmont et aux Chomsky qui se croient autorisés a faire injonction aux historiens de démonter les argumentations délirantes de fascistes qui n’ont jamais été historiens à propos du génocide commis par les nazis, on ne peut que conseiller de commencer par répondre plutôt à ce petit précis de stratégie politique , qui les décrit pour ce qu’ils sont objectivement : au mieux de pauvres abrutis , idiots au service du négationnisme, au pire des antisémites qui ne l’assument pas publiquement, mais n’en propagent pas moins le mal. Et ce d’autant plus que Pierre Guillaume est bien, pour le coup et exceptionnellement, un expert du sujet qu’il aborde dans ces lignes : lui, n’est pas issu des sphères de l’extrême-droite, mais de celles de la partie de l’ultra-gauche où prit naissance ce qui est une des formes pernicieuses du négationnisme, ce qui est devenu en France, son expression la plus répandue : le relativisme relatif au génocide et au nazisme.

En définitive, la répression contre le négationnisme devient déjà dans le discours des défenseurs de la liberté à l’exprimer , le symptôme visible d’une attaque de l’appareil d’État contre « les vérités non-officielles ».

Déja le négationnisme en soi est donc présenté au pire comme un moindre mal face au « mal réel », dont les contours sont définis assez vaguement par certains, plus précisément par d’autres : en effet, pour une partie de l’ultra-gauche, une des grandes catastrophes théoriques et pratiques pour le mouvement révolutionnaire, c’est l’antifascisme.

Nombre de courants anti-staliniens développent une critique de la Résistance, du Front Populaire avant , et de l’union entre le PC et la bourgeoisie française au sortir de la seconde guerre mondiale. La plupart des courants révolutionnaires, également, ne se privent pas de dénoncer les collusions et le laisser-faire des démocraties d’avant guerre face au nazisme, comme ils continuent bien évidemment à dénoncer et à critiquer le capitalisme et ses horreurs après-guerre, et à pointer les insuffisances, et les complaisances de certaines formes d’antifascisme vis à vis de la social démocratie. Pour autant, pour l’immense majorité des militants, ceci ne remet absolument pas en cause, ni la spécificité du nazisme, et à l’intérieur même de son histoire la spécificité du génocide des juifs, dans l’intention comme dans sa réalisation effective.
Mais la petite cohorte des défenseurs de la liberté de Faurisson et des autres aura cependant une postérité inespérée : à l’aube des années 80, elle a introduit le négationnisme dans l’extrême-gauche, et initié un discours culpabilisateur vis à vis des militants qui le combattent.

Trente ans plus tard, en effet, designer les antifascistes comme des collaborateurs conscients ou inconscients de l’État et des capitalistes est presque devenu une banalité à l’extrême-gauche.

Ironie ou leçon de l’histoire, pour les libertaires et les ultra-gauchistes des années 80 qui pensaient démasquer notamment l’alliance entre les capitalistes du bloc de l’ouest et les pays du bloc de l’est faite autour de l’ « idéologie de la résistance », leurs arguments visant à relativiser la spécificité du nazisme sont aujourd’hui repris par des courants qui, à nouveau, soutiennent que la révolution mondiale passe par le soutien à des dictatures sanglantes comme l’Iran ou à de tristes parodies de régimes « socialistes » comme le Venezuela de Chavez.
Comment en est-on arrive là ? Sans doute en partie à cause d’une obsession partagée par de nombreux courants du mouvement révolutionnaire, liée au sentiment de défaite face à la social-démocratie et à la gauche de gouvernement. Dans une certaine pensée d’extrême-gauche, l’échec de la révolution sociale tient avant tout au fait que les prolétaires auraient été trompés par les courants réformistes et se seraient fait une illusion mortelle sur les régimes démocratiques.
Dans cette pensée-la, démasquer la démocratie, montrer « son vrai visage » devient le remède magique, le déclencheur de la révolution : si les prolétaires voient que la démocratie est horrible, alors ils iront vers la solution révolutionnaire.
Ces courants ont des 1945 la même analyse, le même espoir en ce qui concerne le stalinisme et les pays dit « communistes ».

Le problème de la fraction qui va basculer dans le soutien partiel ou total au négationnisme, et plus globalement chez tous ceux qui vont designer l’antifascisme comme un ennemi de la révolution, est que la critique de la démocratie va vite passer par la diabolisation irrationnelle de la démocratie. Puisque l’on doit montrer au prolétariat que le communisme d’État et la démocratie occidentale sont les ennemis à abattre, et puisque ce sont ces deux types de régimes qui ont de fait mis le nazisme et le fascisme à terre, alors présenter comme une victoire la défaite du nazisme et du fascisme est forcement contre-révolutionnaire.
Dans ces conditions, il faut alors démontrer que nazisme et fascisme n’étaient finalement pas pires que communisme et démocratie.

Ceci était déjà le sens du « témoignage » de Rassinier sur les camps, qui vise à démontrer que les détenus communistes ne vaudraient finalement pas mieux que leur bourreau SS.

Comment ce « témoignage » classé à gauche n’aurait-il pas retenu l’attention de Bardèche le néo-nazi qui des la fin de la guerre entame la réhabilitation du régime nazi, non pas en niant totalement ses crimes, mais en prétendant qu’aucun d’entre eux n’est différent de ceux commis par les armées alliées ?
Et de ce temps-là jusqu’à aujourd’hui, la diffusion du négationnisme passera d’abord par la relativisation non seulement des crimes nazis, mais aussi par celle du régime nazi.

Le procédé utilisé jusqu’à la nausée est simple : détacher le crime du mobile et des conditions de sa réalisation. Aligner les massacres, les actes de tortures, d’emprisonnement , de travail forcé, commis effectivement par tous les régimes capitalistes ou liés à l’URSS. Égrener le décompte des morts, par millions, de famine et d’épidémies qui auraient pu être évitées avec la simple réduction des inégalités sociales. Et puis affirmer que l’histoire n’est qu’une longue litanie de sang et de morts et de misère, et que pour la victime, de toute façon condamnée, peu importe le motif de la condamnation.
Sur les réseaux sociaux, cela donne ces raccourcis censés être exemplaires et faire taire immédiatement le contradicteurs : « la vie d’un juif mort à Auschwitz vaut-elle plus que celle d’un africain mort du paludisme ? ( ou d’un palestinien bombardé a Gaza, ou d’un prisonnier mort de faim au goulag, ou d’un vietnamien brûlé au napalm…).

Mais si tout se vaut, alors rien ne vaut…
Le nazisme, la planification intentionnelle de l’extermination d’une partie des habitants d’un continent en fonction de leur appartenance supposée à une catégorie ethnique et/ou culturelle et la mise en œuvre industrialisée de cette extermination est pourtant bien quelque chose de spécifique historiquement.
Ce « quelque chose » n’a pas fini d’être analysé soixante-dix ans après. Les controverses historiques et politiques sur ses causes, sur l’origine des régimes fascistes, comme sur leur nature et leur évolution ne sont pas tranchées.
La question des réactions ou des non-réactions des démocraties occidentales de l’époque comme du régime soviétique est également un enjeu de débats.
Et ces débats bien évidemment concernent aussi le mouvement ouvrier et ses tendances révolutionnaires : penser que l’extermination planifiée d’une partie de l’humanité ne constitue pas un évènement particulier et essentiel dans l’histoire du capitalisme et de la lutte des classes, qu’il s’agit là au fond d’un évènement comme un autre, relève au mieux de la démence.

Serge Quadrupani dit tranquillement des années après , à propos de l’état d’esprit qui était celui de ses camarades au milieu des années 70
« A la Vieille Taupe n°1, le nazisme et le génocide étaient très loin d’être au centre de nos préoccupations. Nous étions principalement occupés à déchiffrer les signes d’une révolution qui tardait à venir, et à dénoncer les forces contre-révolutionnaires du passé et du présent, au premier rang desquels les staliniens et la social-democratie. »
La phrase est claire : le nazisme et l’idéologie qu’il portait ne faisaient pas partie des forces contre révolutionnaires du passé et du présent à dénoncer, ou du moins étaient anecdotiques comparées à d’autres. Dans ce contexte, explique Quadrupani , certes Faurisson est un peu dérangeant : « Ses manières de comptable des cadavres et ses ricanements sur les récits des rescapés nous avaient fait sentir, en dehors même de tout le reste, que cet individu n’avait pas la même attitude que nous devant la saloperie du monde. » .mais « Néanmoins, nous avons, un moment, continué à le traiter comme un hurluberlu qui, malgré tout, avait peut-être mis le doigt sur des failles de l’histoire officielle. ».

Le « tout » du terrible « malgré tout » de Quadrunani et de ses amis , c’est « juste » la négation du génocide, et le « ricanement » antisémite devant le récit des survivants….
Il est vrai que Faurisson n’a pas la même attitude que Quadrupani devant la saloperie du « monde ». Négationniste assumé, il prétend lui que l’extermination planifiée n’a pas existé, et à travers ce mensonge, au moins, le vieux néo-nazi dit-il quelque chose en filigrane, accorde-t-il une certaine spécificité au génocide, une certaine importance en voulant en exonérer les nazis.
Le relativisme d’une ultra gauche qui finit tardivement par condamner la négation avérée du génocide va finalement encore plus loin, en ce début des années 80, dans « La banquise », au travers de la comparaison restée célèbre entre le numéro de sécurité sociale et celui inscrit sur la peau des déportés, le second étant d’une certaine manière moins grave que le premier.
” Mis en fiches et cartes par la sécurité sociale et tous les organismes étatiques et para-étatiques, l’homme moderne juge particulièrement barbare le numéro tatoue sur le bras des déportés. Il est pourtant plus facile de s’arracher un lambeau de peau que de détruire un ordinateur “
Délire absolu, posture littéraire provocatrice et non-réfléchie ou conviction profonde, peu importe. La question de ce qui pouvait bien animer quelques militants pour qu’ils en arrivent à se prétendre communistes en trouvant une conquête ouvrière comme l’accès aux soins , avec ses lacunes et ses défauts, plus grave qu’un génocide n’aurait absolument aucun intérêt s’ils n’avaient eu aucune postérité .

Malheureusement, ce relativisme obscène est aujourd’hui presque la norme dans des cercles bien plus vastes : non seulement la comparaison de tout et n’importe quoi avec le génocide des juifs est devenue chose courante à gauche, ou il faut, absolument, par exemple que chaque mesure prise contre les étrangers soit comparée avec Vichy et le nazisme, comme si elle ne pouvait être horrible et critiquable en soi.

Mais aussi et surtout, le relativisme relatif aux crimes du passé n’a pas abouti à une prise de conscience plus grande de ceux du présent : il n’a pas amené les masses à « démasquer » la démocratie parlementaire et bourgeoise, mais il permet chaque jour par contre de légitimer les crimes de sanguinaires dictatures.
Ces dernières années, une bonne partie des militants d’extrême-gauche, rouges, noirs , verts et même roses ont trouvé peu dérangeant voire utile de manifester pour la Palestine, ou contre les guerres impérialistes aux côtes de religieux intégristes, de fascistes à peine masqués, de partisans du gouvernement syrien ou iranien.

A l’inverse, et pour le malheur des prolétaires syriens, lybiens ou iraniens, par exemple, le « soutien » le plus timoré, le plus dénué d’actes, de quelque démocratie occidentale, que ce soit à une révolte ou à une révolution visant à renverser un dictateur suffit à beaucoup pour immédiatement considérer que la cause est « bien louche » et qu’elle ne peut que “faire-le-jeu-du-capitalisme-en-masquant-les-vrais-problèmes.”

Mais contrairement à ce que pensent les tenants sincère du relativisme, dire que tous les crimes se valent , ce n’est pas valoriser les victimes du capitalisme, c’est au contraire également les banaliser. Si tout se vaut, alors rien ne vaut, et aucun combat n’a plus de sens.

Ne reste que l’absolue soumission devant la force brutale et dominatrice comme moteur de l’histoire, absolue soumission qui est bien celle des héritiers gauchistes du relativisme , fascinés par ces dictatures sanglantes qui ont à leurs yeux le « mérite » de menacer ces démocraties où leur révolution fantasmée n’a pas eu lieu.

Dans les années 90, lorsqu’enfin, fut posé publiquement le problème de la collusion entre des militants révolutionnaires de gauche et les milieux négationnistes , deux facteurs empêchèrent de fait de crever l’abcès qui a macéré depuis , aboutissant aujourd’hui à l’existence de nouvelles collusions, à la formation d’un vaste courant animé par de nombreux militants venus de la gauche dans le sillage de Dieudonne , par des néo-nazis revendiqués et par des soutiens des dictatures iraniennes, russes ou vénézuéliennes.

Le premier est factuel : dans le sauve qui peut général, chacun , dans les milieux concernés, s’empressa de minimiser ses propres responsabilités en pointant celles du voisin. Certes on avait tenu des propos ignobles, mais on n’avait pas rencontré physiquement Faurisson, bien sûr, on avait dit dans La Banquise des ignominies tout a fait comparables à celles qui se disaient dans La Guerre sociale, mais il n’était pas avéré qu’on eut participé au journal La Guerre Sociale avec les négationnistes assumés…Des dizaines d’années plus tard, le même type d’arguties aura lieu à propos du copinage avec Dieudonné, la plupart des concernés postdatant de plusieurs années le début de la dérive antisémite de l’humoriste.
En tout état de cause, le débat sur le négationnisme dans les années 80 et 90 tourna surtout autour de la négation ouverte des chambres à gaz : finalement tant qu’on n’avait pas franchi ce cap là, devant plusieurs témoins et de manière répétée, l’honneur s’avérait à peu près sauf, des lors qu’on consentait à s’excuser de quelques excès , qu’on avait après tout commis « pour la bonne cause ».

Que cette orientation du débat ait permis à quelques raclures de poursuivre leur petite carrière littéraire ou militante n’est pas le plus grave, dans un monde où Faurisson monte sur la scène du Zenith de Paris, devant des milliers de personnes.
Le principal problème réside dans le fait que la réduction ab faurissonem du négationnisme permet encore aujourd’hui à ses thuriféraires et soutiens de voir leur discours minimisé : pour beaucoup de gens, le négationnisme se réduit à l’acte réitéré de nier ouvertement la réalité même du génocide, et la sphère négationniste est circonscrite alors aux quelques-uns qui se livrent à ces actes.
C’est pourtant essentiellement au travers de la stratégie de présentation du négationnisme comme une thèse historique qui devrait non seulement pouvoir être exprimée mais aussi considérée comme digne d’être prise en compte dans le débat, et au travers des discours relativistes sur ce qu’est un génocide, sur ce qu’est l’idéologie nazie que le négationnisme se répand .

Et sa diffusion n’est pas seulement un crachat contre les victimes passées, une oppression antisémite intolérable, mais aussi une arme de propagande massive au service des nouveaux fascistes et des dictatures les plus sanglantes.

(1)

http://www.phdn.org/negation/rassinier/deportation.html

source :

http://luftmenschen.over-blog.com/