Charlie hebdo : l’imposture féministe
Catégorie : Global
Thèmes : Genre/sexualités
Il me faut sans doute dire aussi que j’ai longtemps lu Charlie Hebdo, en gros depuis la fin du lycée où j’ai commencé par piquer des numéros dans l’entourage, ce dernier étant globalement « à la gauche de la gauche » comme on dit de nos jours. Et par la suite avec même une certaine assiduité, jusqu’à finir il y a quelques années par me rendre compte que cela confinait au masochisme.
Je me souviens avoir, de plus en plus souvent au fil des ans, tiqué à sa lecture (Mais qu’est-ce que c’est que cet édito hargneux et méprisant contre les partisans du non au traité européen ? Ah tiens, il est copain avec BHL Val maintenant ? Depuis quand Israël est le parangon de la démocratie ?), mais sans réaliser l’ampleur du changement qui s’effectuait au sein du journal.
Et c’est parce qu’il m’a fallu du temps et de nombreuses lectures pour déconstruire tout un tas d’ « évidences » acquises au contact de ce journal, que j’ai envie de me pencher sur son cas. En espérant que cette analyse me permettra aussi d’être plus articulée la prochaine fois qu’un membre dudit entourage « de gauche » m’assènera avec véhémence une de ces « évidences » qui relève en réalité de l’impensé raciste.
Anatomie du hors-série
Le hors-série est essentiellement composé d’entretiens avec (à l’exception de Fabrice Virgili, seul homme interviewé) des femmes de différents horizons : militantes issues d’associations et collectifs féministes ou se définissant comme tels, chercheuses, journalistes, artistes… Il est à noter que les deux tiers des contributions sont françaises et parmi celles-ci, pas une seule n’émane d’une femme racisée. Les seules ayant voix au chapitre sur la question du féminisme et de ses avancées en France sont blanches. Cela peut paraître sans importance mais on verra qu’il n’en est rien.
Parce qu’il n’est pas indifférent de voir de quoi parle chaque entretien (en tout cas quel titre Charlie Hebdo a décidé de lui donner) et quel espace il a été laissé à chacune pour développer son argumentaire, voici un rapide sommaire du numéro, qui indique le nombre de pages attribué à chacune :
Florence Montreynaud, « Merde à la galanterie, vive la politesse ! » : 3 pages
Caroline Fourest, « Le féminisme est intimement lié à la défense de la laïcité » : 4 pages
Caroline de Haas, « Le jour où Sarkozy sera féministe, ça se saura… » : 3 pages
Marie-Pierre Martinet, « L’IVG sous perfusion » : 1 page
Virginie Despentes, « Si j’avais 16 ans aujourd’hui, il me semble que je deviendrais un homme » : 4 pages (plus une illustration pleine page)
Alix Béranger, « Que les femmes prennent le pouvoir, on verra bien ce qu’elles en feront ! » : 2 pages
Odile Buisson, « Si la femme jouit plus, l’homme jouira plus » : 6 pages
Catherine Vidal, « Le cerveau à la fois hermaphrodite et caméléon » : 2 pages
Françoise Héritier, « Les femmes, matière première de la reproduction » : 2 pages
Lydia Cacho, « L’économie de marché soutient l’exploitation et l’esclavage sexuels » : 4 pages
Fabrice Virgili, « La guerre, une histoire de sexes » : 1 page
Pinar Selek, « Le changement en Turquie viendra des femmes » : 2 pages
Agnès Binagwaho, « Au Rwanda, si 30% des élus ne sont pas des femmes, on recommence ! », 1 page
Chahla Chafiq, « Le féminisme islamique est une invention occidentale » : 4 pages
JD Samson, « En anglais, man fait partie de woman » : 3 pages
A cela, il faut ajouter un édito de Gérard Biard (1 page), et des « panoramas », c’est-à-dire des articles portant sur des pays autres que la France, écrits par Eric Simon (« Pologne, Un curé derrière chaque femme », « Russie, Debout les utérus de la Terre ! » et « Armes de pacification massive, Femmes d’Irak à la reconquête de leurs droits », 1 page pour chaque article), par Patrick Chesnet (« Féminisme et transcendance, L’Asie, un paradis pour les religions, un enfer pour les femmes », 2 pages) et par Gérard Biard (« Masculinisme, Vive le Québec mâle ! », 1 page).
On peut également ajouter les nombreuses illustrations des contributeurs et -trices habituel-le-s du journal, certaines en pleine page, notamment les BD de Catherine sur les femmes de dictateur.
On peut également noter que sur les 15 entretiens, 2 (les plus courts : 1 page) ont été menés par Sylvie Coma, 1 par Valérie Manteau (et Luz), 1 par Luz seul, 1 par Antonio Fischetti et… 10 par Gérard Biard.
Le rédacteur en chef, auteur de l’édito, est également celui qui a mené deux tiers des entretiens. On peut d’ores et déjà dire que son influence et sa vision politique ne peuvent qu’influencer massivement le contenu du hors-série.
Il y aurait beaucoup à dire sur la sélection qui a été faite et les personnes qui ont été choisies pour s’exprimer sur le sujet. C’est sans surprise que l’on retrouve Caroline Fourest, grande habituée des pages du journal – même si ses contributions sont moins fréquentes depuis le départ de Val – ainsi que d’autres, proches du PS, telle que Caroline de Haas. On a eu récemment l’occasion de lire un certain nombre de contributions de féministes importantes au moment de l’affaire DSK, contributions d’ailleurs rassemblées depuis par Christine Delphy dans le recueil Un troussage de domestique. Est-il bien utile de préciser que pas une d’entre elles ne fait partie du panel choisi par Charlie pour (re)présenter le féminisme en France ? On verra plus loin que, Christine Delphy étant visiblement une sorte d’Antéchrist du féminisme pour le rédacteur en chef du journal, ce choix est finalement très cohérent. Et assure que les sujets qui fâchent ne seront pas traités, ou alors seulement selon l’angle défendu par le journal.
On peut aussi s’étonner de ce que l’article le plus long soit celui consacré au point G (existe-ti, existe-tipa ?), alors qu’il n’est accordé qu’une maigrichonne page unique au planning familial et à son cri d’alerte sur la mise en danger de l’IVG en France. Non pas que l’article ou le fait de parler de la sexualité soit sans intérêt, loin de là. Il aurait même été judicieux qu’un entretien porte sur la façon dont est édicté ce qu’il convient de faire et de vouloir lorsque l’on est une femme (lorsque l’on est un homme aussi d’ailleurs).
Mais ce n’est pas tant chaque contribution pour elle-même que je vais tenter d’examiner ici – plusieurs autres, sur lesquelles je reviendrai, étant d’ailleurs pertinentes – mais plutôt l’ensemble dans lequel elles sont intégrées et la logique de leur articulation (lorsqu’il y en a une).
Car si certains aspects du hors-série peuvent au premier abord sembler simplement maladroits au lecteur ou à la lectrice non averti-e, ou liés à la volonté de vulgariser des travaux plus complexes, on s’aperçoit en fait très rapidement que les non-dits procèdent de présupposés politiques précis et les raccourcis d’une volonté d’orientation du débat autour d’une grille de lecture raciste. Cela transparaît très clairement dès l’édito de Gérard Biard et est réitéré tout au long du numéro, notamment à travers les questions posées en entretien par le même Gérard Biard.
Reprenons au début…
Sans doute cela vaut-il la peine de commencer par le commencement, à savoir la couverture, assez emblématique du féminisme « à la Charlie ».
Passons sur le fait que, pour faire un « bon mot » (« la femme/le féminisme est l’avenir de l’homme », pas sûr que ce soit bon, mais c’est le titre qui a été choisi…), il est réaffirmé dès le titre que le mot « homme » désigne le genre humain dans son entier, et donc aussi les femmes. Et ce nonobstant les nombreuses analyses féministes qui ont largement et régulièrement dénoncé le processus d’invisibilisation des femmes que cela provoque et le fait que les « intellectuels » français, tout particulièrement, font montre d’une singulière résistance en ce domaine : nous sommes en effet l’un des derniers pays à continuer à utiliser l’expression « droits de l’homme » et non « droits humains » [2].
Ce qui frappe surtout immédiatement, c’est le dessin de Catherine, qui prend une bonne moitié de la hauteur de la couverture (et continue sur le quatrième de couv’ sans néanmoins apporter beaucoup de changement à l’effet produit). Il s’agit de six femmes, dont quatre sont blanches, une arabe, et une bleue tout droit sortie d’Avatar – c’est la représentation des minorités à la française. Le quatrième de couverture en rajoute une couche en nous offrant également, entre autres, une Noire en boubou et une geisha pour faire « universel », ainsi qu’une… barbamama. Universel, on vous dit. Toutes sont dans la position iconique de la célèbre affiche américaine « We can do it » de 1943 qui dépeint sur un mode héroïque la femme qui fait un métier d’homme dans l’armement pendant que les boys sont au front, affiche qui a ensuite été souvent utilisée comme iconographie/symbole du féminisme.
La femme occidentale a donc droit à plusieurs incarnations, d’Eve à une Marilyn étrangement velue, alors que la femme arabe, musulmane puisque voilée, est fossilisée dans une représentation unique et immuable : battue (elle a un cocard et crache une dent) et lapidée (elle est jusqu’à la tête enfouie sous un tas de cailloux).
Des six femmes, c’est également la seule sur qui on peut lire les stigmates d’une violence physique. Les autres au contraire arborent un large sourire très « go fuck yourself », et semblent posséder les outils de leur libération : d’une Eve croquant goulument la pomme en arborant un sac en peau de serpent à une sorte de Simone de Beauvoir tatouée d’une tête de Sartre entourée de la maxime « Quand je veux », en passant par une Olympe de Gouge brandissant la déclaration des Droits de la Femme.
A la femme arabe en revanche, on ne peut guère imaginer d’autre horizon que celui de victime.
Cette première image, dont on peut dire sans jeu de mot qu’elle annonce la couleur, va se voir confirmée dans tout le numéro, avec une insistance qui frise l’acharnement. Gérard Biard veille en effet tout au long de ses entretiens et dès son édito à nous faire bien comprendre que le féminisme, c’est bien, non pas surtout quand il est occidental, mais à vrai dire uniquement quand il l’est. D’ailleurs, c’est bien simple, il n’existe de véritable féminisme qu’occidental.
Et si l’on veut bien reconnaître que les femmes françaises n’ont pas tous les jours la vie facile, c’est surtout pour bien insister sur le fait que les femmes du reste du monde, et tout particulièrement les non-Blanches, et plus précisément encore les Arabes, et on pourrait même aller jusqu’au plus petit bout de la lorgnette et dire les Musulmanes, et bien il faut bien dire, hein, quand même, que pour elles, c’est le pompon. Parce qu’elles ne peuvent pas s’appuyer sur des alliés mâles bienveillants, elles, vu que les non-Blancs, et tout particulièrement, et plus précisément, etc… et bah c’est pas des gens comme nous, c’est des sauvages. D’ailleurs la preuve c’est qu’ils immolent leur(s) femme(s) (parce qu’en plus ils en ont plusieurs !) au lieu de les envoyer ad Patres à coups de poing bien de chez nous. Et que, comble de l’horreur, ils sont généralement croyants. Et que la religion, c’est le Mal.
Point barre.
L’édito ou la preuve que le féminisme n’est pas « qu’un regroupement de matrones moustachues et vindicatives, dont le seul but est de se confectionner des colliers de couilles » (pour un sous-titre ça fait long, mais c’est trop bon)
Sous le titre « Des hommes comme les autres », Gérard Biard articule le raisonnement qui va être celui de tout le hors-série, à savoir donner la définition du féminisme-le-vrai-le-seul-l’unique, ses buts, ses horizons et le mode d’action qui lui sied au teint. Et ça fait peur.
Après une mention ironique des vociférations d’Eric Zemmour (ça ne mange pas de pain, le sieur est si caricatural qu’il révulse toute personne normalement constituée), l’auteur rappelle les chiffres accablants au niveau mondial puis national (répartition genrée de la pauvreté, de l’analphabétisme, des violences…).
Mais ce constat, chiffré et peu contestable, l’amène immédiatement à une interprétation qui elle l’est nettement plus (contestable) : plutôt que d’articuler ce système d’oppression à d’autres eux aussi structurels, à la fois dans ce pays et dans le monde en règle générale, tels que la domination des Blancs sur les Non-Blancs, Gérard Biard les met en concurrence (« les premières victimes de l’esclavage, de l’exploitation, des discriminations, de l’injustice, de la misère, des inégalités et des violences, ce ne sont ni les minorités, ni les opposants, ni les immigrés, ni les colonisés, ce sont les femmes. »)
Quelle étrange énumération, et quelle étrange logique… Est-ce à dire que seule cette oppression vaut qu’on la combatte, ou qu’elle ne peut être croisée avec d’autres ? Y aurait-il une hiérarchie dans la souffrance ? Ne peut-on être à la fois une femme et non-blanche ? Et dans ce cas, s’amuse-t-on vraiment à savoir à quel titre on sert de punching ball ?
Pire encore, la phrase qui suit (« La moitié de l’humanité vit sous la domination de l’autre moitié, qui n’en est pas plus heureuse pour ça. ») occulte d’une façon proprement ahurissante le fait que le système patriarcal (qui d’ailleurs n’est jamais nommé en tant que tel dans l’édito) profite bien à une catégorie, en l’occurrence les hommes. Certains d’entre eux peuvent, bien heureusement, le déplorer et le combattre, voire s’en trouver effectivement malheureux. Mais nier qu’en tant que catégorie la domination leur profite est un véritable tour de passe-passe rhétorique…
Voulant ensuite déboulonner le mythe des féministes « moustachues et vindicatives, dont le seul but est de se confectionner des colliers de couilles » (on remarquera l’attention gourmande et imagée apportée à la description de ce qui, donc, n’est pourtant qu’un mythe !) [3], l’éditorialiste accumule les tournures ambivalentes, voire confinant au lapsus révélateur.
Outre le fait qu’il écrive qu’ « En 2011, le féminisme ne prétend pas que la femme est meilleure que l’homme » – laissant entendre par là que peut-être, en d’autres temps, c’est cela qui était prétendu mais que le féminisme contemporain est revenu à plus de modération et de retenue – il répète à plusieurs reprises en trois phrases cette notion de « valeur » (la femme vaut « autant » que l’homme, « pas plus, pas moins »).
Ce qui décentre profondément le combat féministe qui lutte justement contre l’assignation qui est faite aux femmes à prouver leur valeur, la valeur au moins égale de leur travail, de leur pensée, de leur vie même. Ce qui est l’objet de la lutte, c’est l’égalité des droits, indépendamment de la notion de valeur.
La suite est du même tonneau. Gérard Biard y fait montre d’une ingénuité confondante, dont il est d’ailleurs permis de douter qu’elle est sincère, lorsqu’il écrit que « cela [le fait que le féminisme est une « bonne base pour bâtir un monde acceptable pour tous »] apparaît d’ailleurs de plus en plus comme une évidence ». On voit bien ce qu’il peut y avoir de rassurant à se le raconter, et l’énoncé pourrait presque passer pour une forme de sympathique wishfull thinking s’il n’éludait pas, une fois de plus, la résistance dure et organisée à tous les niveaux de la société, y compris dans les milieux médiatiques, qui travaille à nier cette « évidence » et fait tout pour que le féminisme n’en devienne jamais une.
Cette pensée est d’ailleurs réitérée plus tard lorsque l’auteur écrit « Au fond, c’est un mouvement [le féminisme] qui s’inscrit dans la « destinée » de l’être humain, qui n’a cessé d’évoluer depuis qu’il a quitté la condition d’amibe. » Si véritablement nous évoluons vers une « destinée » meilleure, alors pourquoi lutter ? Et surtout, si le féminisme est voué à advenir de façon inéluctable, comment expliquer tant de régressions, de combats défensifs contre des backlash parfois larvés, et de plus en plus souvent à ciel ouvert ? [4]
Enfin – et cela donne sans doute la clef pour comprendre l’objet même de ce hors-série –Gérard Biard fait la liste des « sujets de débat » qui selon lui sont traversés par « la question du rôle des femmes et de l’application de leurs droits », liste qui déclenche immédiatement une sirène d’alarme « : la laïcité, la bioéthique, la répartition du travail et des richesses, la gestion de l’allongement de la durée de vie… » [5]
On voit bien dans cette liste la priorité absolue accordée à la laïcité sur tous les autres combats. De ce point de vue, il semble bien que Charlie Hebdo ait le même type de priorité que les gouvernements UMP successifs, qui n’ont d’autres « fait d’armes » à présenter sur la question du droits des femmes que des lois racistes qui prétendent libérer les femmes de confession musulmane de la tutelle des hommes de même confession, laissant entendre que non seulement la relation homme/femme chez les Musulman-e-s tient forcément et uniquement de l’oppression, mais que de surcroit il s’agit là de la seule forme d’oppression des femmes existant en France (puisqu’en se tournant vers les Blancs-qui-ne-lui-veulent-que-du-bien, la Femme Musulmane Libérée n’a plus rien à craindre).
Le fait que la répartition du travail et des richesses n’apparaissent qu’en troisième place, après la bioéthique ( !) et qu’il ne soit nulle part fait mention de la violence masculine faite aux femmes (lutte contre le viol, le harcèlement sexuel, toutes les formes de brutalités dans le couple et au-delà…) est absolument affligeant pour un numéro censément dédié au féminisme.
L’édito se termine sur un paragraphe que l’on voudrait applaudir des deux mains : « Autrement dit, à l’heure où l’on ne cesse de déplorer la perte d’idéaux porteurs de lendemains qui ne chantent pas trop faux, le féminisme, loin d’être un combat dépassé, pourrait être un beau programme pour l’avenir. »
Le problème, comme avec tout programme politique, est qu’avant d’y adhérer, on doit en connaître le contenu. Et celui du « féminisme » à la Charlie Hebdo, s’avère des plus problématiques…
Notes
[1] Les éditocrates Ou comment parler de (presque) tout en racontant (vraiment) n’importe quoi, Mona Chollet et al., Editions La Découverte. Voir aussi sur lmsi la partie qui concerne Philippe Val et Charlie Hebdo, « L’obscurantisme beauf ».
[2] Voir le texte « Droits humains ou droits de l’homme » de Christine Delphy dans Un universalisme si particulier, Editions Syllepse.
[3] Plus tard, une question à Caroline Fourest évoque, toujours sur le mode de la dénégation, les « ‘emmerdeuses avec de la moustache sous le nez » : décidément, la pilosité est un facteur décisif ! A toutes les féministes qui seraient moustachues parce que a) des hommes (bah oui, heureusement il y en a aussi… et le simple fait que cela ne soit jamais envisagé par Gérard Biard en dit long) b) des transgenres c) des femmes rejetant le diktat de la décoloration jaune pisseux au-dessus de la lèvre : tremblez ! On ne peut que se demander si Gérard Biard aurait utilisé le même type de langage s’il avait lui-même interviewé JD Samson, la chanteuse de Men qui arbore sans complexe une fine moustache !
[4] Voir Christine Delphy, « Retrouver l’élan du féminisme » dans Un universalisme si particulier, et ce qu’elle appelle le « mythe de l’égalité-déjà-là » et la « vision idéologique du progrès-qui-marche-tout-seul »
[5] On retrouve cette liste presque à l’identique dans une question posée à Caroline de Haas : « L’action féministe recoupe aujourd’hui la plupart des grands débats de société : la laïcité, la bioéthique, les retraites, les droits des homosexuels, même les débats qu’on instrumentalise, comme l’insécurité, la violence… » Vois comme il est pratique de parler d’instrumentalisation pour mieux s’en dédouaner : chacun-e sait bien qu’en France, à l’heure actuelle, la laïcité ne fait PAS partie des « grands débats de société qu’on instrumentalise »…
Réflexions d’une féministe atterrée à la lecture d’un hors-série de Charlie hebdo qui lui est adressé (deuxième partie)
PAR DINAÏG STALL,
On a commencé à voir dès l’édito que ce qui anime l’équipe de Charlie Hebdo au sujet du féminisme, ce n’est pas tant de transmettre de façon condensée des informations généralement invisibles dans les médias dominants (dont Charlie prétend toujours ne pas faire partie) ou de rendre accessibles des pensées complexes analysant la domination masculine (dont la diffusion est rendue difficile par ces mêmes médias dominants). Non, ce qui intéresse vraiment Charlie, c’est de vendre comme juste et évident un féminisme qui n’égratigne pas les intérêts des détenteurs du pouvoir, c’est-à-dire les hommes blancs. Et l’on va voir que, pour ce faire, la seule occultation de certaines questions ne suffit pas : il faut les neutraliser, les délégitimer.
On sait que la force de l’idéologie dominante – de l’idéologie des dominants – réside précisément en ce qu’elle s’efface, y compris aux yeux d’une grande partie des dominés. Plus elle est invisible, plus elle infuse la pensée commune, plus elle est opérante C’est ce que Saïd Bouamama appelle l’ « arôme idéologique immédiat ».. Il importe donc de neutraliser suffisamment tout ce qui peut la rendre à nouveau visible pour lui conserver sa force de « bon sens », de « juste milieu ».
L’une des techniques les plus efficaces pour ce faire est d’assimiler aux « extrêmes » toute analyse qui permettrait de dénoncer l’inconsistance de ce féminisme vidé de sa substance, afin de faire de celui-ci le seul féminisme moralement défendable. Pour cela, rien de tel que quelques repoussoirs.
Delphy / Zelensky : même combat !
L’un des aspects les plus vomitifs du hors-série réside sans doute dans l’entreprise de diabolisation de Christine Delphy à laquelle se livre avec insistance Gérard Biard, secondé de Caroline Fourest et de Caroline de Haas.
Tout d’abord et avant tout autre remarque, qu’il me soit permis de douter que Gérard Biard ait jamais lu les textes de Christine Delphy. Je ne vois tout simplement pas comment il pourrait poser des questions aussi stupides et mensongères s’il les avait lus. Des questions telles que celle posée à Caroline Fourest « Qu’est-ce qui explique selon toi que des féministes historiques, comme Christine Delphy ou Anne Zelensky, rejoignent l’extrême droite ? »
Alors là, d’un point de vue purement esthétique, on frise la perfection ! Les deux « extrêmes » qui se rejoignent en une figure circulaire d’une telle harmonie, mon dieu, les larmes m’en viennent aux yeux !
D’un point de vue politique en revanche, le procédé est éculé – mais visiblement toujours tentant, pour qui n’a pas d’argument cohérent à opposer à une pensée elle-même impeccablement construite, que de la discréditer simplement en l’accolant à une autre, qui n’a pourtant strictement rien à voir (il suffit de lire une fois dans sa vie une diatribe raciste et haineuse de Zelensky pour s’en convaincre). Eculé, malhonnête, mensonger, d’une crapulerie totale, on pourrait accoler encore bien des épithètes à la chose…
La réponse de Caroline Fourest – qui dissimule assez mal son intense contentement que lui soit ainsi offerte une tribune pour dégommer une adversaire politique – est évidemment à l’avenant. Je la cite dans son intégralité, car elle vaut son pesant de cachous :
« Quand on a été à l’avant-garde de combats fondamentaux, dans le lot de ces avant-gardistes, il y aura forcément des gens qui vont partir trop loin dans un sens ou dans l’autre. [La loi est mathématique, quoiqu’artistiquement floue, et elle sera désormais reconnue internationalement par tous les scientifiques sous le nom de Théorème de Fourest] On a ici deux figures historiques du féminisme, emblématiques de deux choix opposés. D’un côté, Christine Delphy, l’une des figures du MLF et grande théoricienne du féminisme – et elle le restera, ça ne change rien – [incise d’une grande mansuétude sur laquelle je reviendrai], qui décide, au moment du débat sur les signes religieux à l’école publique, de nouer un pacte avec les Indigènes de la République, et au-delà, avec les islamistes anti-avortement… Au nom de quoi ? D’un féminisme tiers-mondiste. Mais son tiers-mondisme a pris le pas dans cette affaire-là, au point de la rapprocher de gens qui sont des antiféministes. On a la même chose avec Anne Zelensky, mais à l’autre bout du spectre. En tant que féministe, elle se bat contre le voile, et, donc, contre l’intégrisme islamique [ô la force d’un petit « et-virgule-donc », ô sombre beauté du raccourci, que dis-je de l’amalgame, admire, vraiment, ça fait presque mal aux yeux !], mais elle va tellement loin qu’elle noue une alliance avec Riposte laïque et, via cette alliance, se retrouve acoquinée avec des gens du Bloc identitaire, avec Batskin, avec des antiféministes d’extrême droite… »
Bon. Revenons un peu là-dessus, parce que c’est du lourd.
Alors primo, le péché originel de Christine Delphy, c’est de s’être opposée à ce que des filles soient, au nom du féminisme et du respect de l’égalité des sexes et des principes républicains, exclues de l’école publique française. Ce faisant et contrairement à Anne Zelensky, elle s’est refusé à lutter contre « l’intégrisme islamique »-qu’il-est-contenu-dans-le tissu-du-foulard-que-si-tu-le-mets-sur-ta-tête-rien-à-faire-l’intégrisme-il-est-dedans…
Deuxio et à cette occasion, elle a noué un « pacte » (ouh la, mais dis-donc Rémy, ce serait-tu pas comme le début d’un complot antirépublicain c’t’affaire ?) avec les Indigènes de la République et « au-delà avec les islamistes anti-avortement ». Ah tiens, c’est drôle, ceux-là ils n’ont pas de nom… Ils auraient pu s’organiser un peu, quoi, qu’on les repère, c’est quand même pas compliqué de s’appeler les Islamistes Anti-Avortement, avec des majuscules partout, qu’on sache exactement de quoi il s’agit et combien de membres ça compte, que diable. Et que soient historiquement référencées les rencontres entre ce sombre et protéiforme ennemi du féminisme et Christine Delphy…
Trêve de sarcasmes, même s’ils sont forcément tentants face à un tel déluge de calomnies (qui, selon un procédé familier de Caroline Fourest, ne portent pas sur des arguments précis développés dans des écrits ou interventions mais sont simplement des insinuations mensongères sur la personne).
Il faut quand même insister un peu sur ce point tant ces calomnies sont graves et pourraient véritablement donner matière à un procès en diffamation. En effet, le seul compagnonnage avéré – et revendiqué – de Christine Delphy avec des militantes revendiquant elles-mêmes leur islamité s’est fait autour du Collectif des féministes pour l’égalité (CFPE), qui réunit des musulmanes voilées, des non-voilées et des non-musulmanes. Et l’une de leurs premières apparitions publiques fut justement une participation à la manifestation de défense du… droit à l’avortement ! C’était début 2005, à l’occasion des trente ans de la loi Veil. On voit bien là jusqu’où peut aller la volonté de nuire de Caroline Fourest et le peu de cas qu’elle fait de la vérité.
Ce qui me frappe finalement le plus, dans cette bouillie, c’est cette petite phrase qui tue, ce « ça ne change rien » qui reconnaît à Christine Delphy le statut de « grande théoricienne du féminisme », nonobstant d’erratiques errements en terrain « tiers-mondiste »… Comme si sa pensée était débitable en petits morceaux distincts dont certains sont à garder et d’autres à jeter, comme s’ils ne formaient pas une cohérence, alors qu’au contraire elle bâtit sans cesse des ponts entre les différents systèmes de domination et que c’est cette transversalité qui l’amène à rejeter radicalement le racisme, y compris celui qui peut sévir dans la tête des féministes blanches.
Et pour quelqu’un comme Caroline Fourest, qui prétend étudier et dénoncer les violences faites aux femmes au nom des intégrismes religieux, focaliser le débat sur l’islam de façon appuyée et avec des arguments totalement pervers « change tout ». Et ce changement est d’ailleurs ce qui lui a valu reconnaissance et visibilité.
Un peu à la manière d’un Freud (toute proportion gardée ! je ne pense pas que le siècle prochain citera encore Fourest) revenant sur sa théorie première pour pondre un « complexe d’Œdipe » qui lui a valu une place parmi les grands penseurs du XXème siècle (alors que sa théorie de la séduction, abandonnée rapidement, lui avait juste valu le mépris et le rejet de ses pairs) [1], Caroline Fourest, depuis qu’elle défend avec ferveur la laïcité à la française, ne prêche plus dans le désert…
Ce n’est pas ponctuellement, sur des questions marginales telles que l’islam, que la pensée de Delphy et celle de Fourest divergent, à partir d’une base qui leur serait commune. C’est au contraire à la racine qu’elles sont différentes. Ce que d’ailleurs Caroline Fourest avoue en partie, puisqu’Anne Zelensky se contente d’aller trop « loin » dans ce qui, pourtant est censé être la bonne direction…
Mais avant de se pencher plus avant sur la rhétorique développée par Charlie Hebdo, via Caroline Fourest (elle n’est pas la seule mais son rôle est central), il faut lui faire justice et reconnaître qu’elle n’est pas la seule à vouloir la peau de Christine Delphy : Caroline de Haas apporte elle aussi une contribution non négligeable et, semble-t-il, spontanée.
Voici en effet un extrait de son entretien avec Gérard Biard :
« Justement, une société féministe est par principe une société égalitaire. [dit Gérard Biard et on voit qu’il présuppose l’existence de ce qui à ce jour ne peut guère être qu’un projet tant on est loin de son avènement) Pourtant, au prétexte de la lutte contre l’islamisme, certaines féministes rejoignent l’extrême droite. Comme Anne Zelensky, qui fut l’une des initiatrices du Manifeste des 343 salopes et qu’on voit aux côtés des identitaires…
C’est notre drame [répond Caroline de Haas]. Il y a aussi Christine Delphy. Ces femmes étaient des piliers du MLF. Il y en a une qui se retrouve aux côtés d’ « Une école pour tous », à défendre le voile à l’école, et l’autre qui termine avec des nazis… Mais ce n’est pas étonnant. Les femmes ont toujours été instrumentalisées à des fins politiques. Sarkozy instrumentalise les femmes avec la burqa pour stigmatiser une population. Le jour où Sarkozy sera féministe, ça se saura… Faire une loi en soi, pourquoi pas, mais si on considère que c’est une violence sectaire, nul besoin de faire une nouvelle loi, qui plus est contre les victimes. C’est exactement comme pour les prostituées : à aucun moment on n’analyse le mécanisme d‘oppression et d’exploitation. Le voile, ce n’est pas un choix individuel, c’est l’expression politique de la différence entre les femmes et les hommes. »
Là, il faut bien avouer qu’on tangue devant tant d’inconsistance… Passons sur l’expression « défendre le voile à l’école », qui recouvre une réalité quelque peu différente de « défendre le droit des filles portant foulard à aller à l’école publique »…Ben oui, c’est vrai quoi, dès qu’on est précis, on est moins convaincant, quand on n’a pas d’argument rationnel. Passons également sur la phrase « Les femmes ont toujours été instrumentalisées à des fins politiques. » qui, une fois de plus, n’utilise l’argument de l’instrumentalisation que pour mieux s’en défendre.
Ce qui laisse coit-e, c’est surtout l’illogisme total de la pensée : alors comme ça, Sarkozy instrumentalise le féminisme à travers la loi sur le port de la burqa – mille excuses, sur la république qui se « vit à visage découvert » – mais la loi sur le port du voile à l’école est, elle, une loi juste ? La loi sur la burqa, ou les lois sur le racolage passif sont des lois « contre les victimes », mais la loi qui exclut des filles de l’enseignement public français au prétexte d’un bout de tissu (quand bien même il serait « l’expression politique de la différence entre les femmes et les hommes ») [2] est une loi juste ?
Les voies d’un certain féminisme sont décidément des plus obscures à l’entendement…
Le bon grain et l’ivraie. Ou : laïcité, j’écris ton nom
La rhétorique développée par Fourest, et par d’autres à sa suite, a déjà été brillamment analysée ailleurs : technique du « oui mais » [3], attaques ad hominem, construction d’un « mauvais objet » (exemple : les Indigènes de la République sur le sol français, les Frères Musulmans partout ailleurs dans le monde) contre lequel on s’oppose sans plus avoir besoin de prouver la validité de ce qu’on lui oppose, etc… [4]
Ce qui est intéressant dans la façon dont elle énonce sa pensée au sein de ce hors-série, c’est qu’elle prend en compte sinon les critiques qui lui ont été adressées en elles-mêmes, du moins le fait qu’il lui en a été adressé de nombreuses, et que sa réputation d’islamophobe émérite commence à se répandre au-delà des cercles « droitsdel’hommistes ».
Il lui importe donc d’amender son discours afin qu’il semble mesuré et non centré sur le seul islam. Cela nous vaut de longs morceaux de bravoure où Caroline Fourest démontre une connaissance intime de l’islam et des différents courants qui le traversent. Il y a par exemple des croyants qui essaient d’extirper le mal de la religion, et eux ce sont les gentils, qu’il ne faut pas confondre avec ceux qui prêchent le bien au nom de la religion, et eux ce sont les méchants. Attention, la différence est subtile… et n’est bien sûr étayée par rien. [5]
Une petite touche de flou, un estompage du plus bel effet, ou comment passer pour une grande spécialiste qui maîtrise vachement bien toutes les nuances allant de l’islam à l’islamisme (concepts dont les contours sont également tout sauf nets), tout en ne disant jamais rien de concret ou précis. On comprend bien pourquoi Mona Chollet dit de Fourest qu’elle est « en passe d’élever [l’approximation] au rang des beaux-arts » ! [6].
Plus fort encore, Caroline Fourest prétend que son discours n’a rien à voir avec la récupération du féminisme qui est opérée par le pouvoir afin de discriminer les populations migrantes ou issues de l’immigration.
« il y a plus que jamais un lien entre la défense de la laïcité et la défense des droits des femmes. A ne pas confondre avec un lien entre la défense des droits des femmes et les politiques sécuritaires et anti-immigration. On a assisté à des conversions un peu massives au féminisme, ces derniers mois… Mais personne n’est dupe de gens qui ne sont féministes ou laïques que face à l’islam. » Comprenez bien entendu qu’elle ne fait pas partie, ah non vraiment pas, de cette dernière catégorie.
Et, à propos de Zemmour (un petit repoussoir sur la droite, histoire de ne pas donner l’impression qu’on est fâché que sur sa gauche) :
« (…) il y a beaucoup d’identification à ce malaise et à cette peur de perdre sa virilité. Ces gens ont une particularité : ils sont tout à fait prêts à défendre les droits des femmes face à l’islam – là, pour le coup, c’est limite s’ils ne sont pas plus féministes que les féministes – mais, dès qu’il s’agit de remettre en cause leur pouvoir de domination, les féministes sont responsables de tout. »
Cette dernière remarque est très juste, et l’on peut s’étonner de ce que Caroline Fourest ne l’a pas faite lors de la cérémonie de remise du prix du livre politique qu’elle a reçu en 2006 des mains de Jean-Louis Debré à l’assemblée nationale (pour La Tentation obscurantiste, qui décrit avec force adjectifs anxiogènes l’invasion islamique qui nous pend au nez), où elle était pourtant en présence d’un très grand nombre de ces « féministes » qui ont bien du mal à accepter de « remettre en cause leur [propre] pouvoir de domination »… On voit bien qu’il est facile de se payer de mots au sein d’un hors-série de Charlie Hebdo, sans jamais avoir ce même discours face à ses tout nouveaux amis politiques…
Et qu’il ne suffit pas de se répéter antiraciste pour l’être véritablement. Ne pas être raciste pourrait aussi consister à ne pas se poser comme l’instance qui sait séparer le bon grain de l’ivraie parmi les musulmans. Cette posture a d’ailleurs été parfaitement bien analysée par… Christine Delphy ! Et en lisant ce qui suit, on comprend bien l’urgence qu’il peut y avoir à l’attaquer et tenter de la rendre inaudible…
« Pour en revenir aux hyper-laïcs, qui prétendent qu’il faut faire dans la vie publique comme si les religions n’existaient pas, très curieusement ils passent leur temps non seulement à étudier l’islam, mais à l’expliquer aux musulmans. Les grands “spécialistes” de l’islam que sont Bernard-Henri Lévy et Caroline Fourest font assaut de citations de hadiths et de sourates et deviennent des exégètes du Coran. Ils expliquent, comme le fait aussi le Premier ministre, que le foulard ou le niqab « ne sont pas des obligations religieuses pour les musulmanes ». (…)
L’État, par exemple, se mêle de fabriquer un « islam de France (…) Mais c’est complètement contradictoire avec la loi de 1905 et la liberté de conscience et de culte. Les gens ont le droit de croire à ce qu’ils veulent, et il n’y a donc pas de “bonne” ni de “mauvaise” interprétation de l’islam — ou de l’astrologie — du point de vue de la loi, du point de vue de l’État. Car la loi de 1905 met sur le même pied toutes les croyances, l’astrologie et le voltairisme, le bouddhisme et l’athéisme. L’État n’a tout simplement pas à intervenir dans les questions religieuses, dans les convictions individuelles : c’est là l’une des libertés fondamentales. » [7]
Cette posture du « on n’est pas contre l’islam, c’est vous autre musulmans qui le comprenez mal », se double chez certain-e-s d’un angélisme bêta qui confond laïcité et perfection morale de tous les instants. Lire à ce propos l’analyse de haut vol que fait Caroline de Haas de l’utilisation de la laïcité par Marine Le Pen : « Quand j’entends Marine Le Pen récupérer la laïcité, je suis horrifiée, car elle récupère quelque chose de fondamental à gauche. Et la gauche, qu’est-ce qu’elle fait ? Elle défend l’islam [si si… On ne rit pas, je n’invente rien, la gauche française « défend l’islam » !], au lieu de contre-attaquer encore plus fort sur la laïcité en disant que Marine Le Pen nous ment, on sait bien qu’elle défend les catholiques et qu’elle n’est pas laïque ! »
Voilà donc la laïcité intronisée vertu ultime qui garantit contre le racisme. Comme si l’on ne pouvait pas être laïc et raciste. Alors qu’on voit très bien aujourd’hui que, loin d’être incompatibles, la laïcité est d’abord et avant toute chose utilisée comme cache-misère d’un racisme latent qui ne veut pas être nommé et reconnu.
D’ailleurs, si Marine Le Pen n’instrumentalisait pas la laïcité mais était une athée convaincue, en serait-elle moins raciste ? [8]On voit bien que, tout comme le mot « féminisme », le mot « laïcité » est devenu un mot-fourre-tout, au contenu de moins en moins ragoutant. Si l’on s’en tient à la loi de 1905, la laïcité est une loi respectueuse de toutes les croyances, y compris l’athéisme (car quoi qu’on en dise, l’athéisme est aussi une croyance), et non ce concept totalitaire qui prétend actuellement dicter à chacun-e ce qu’il ou elle est censé penser, croire et plus encore exprimer de ses convictions.
Là encore, c’est Christine Delphy qui en parle le mieux : « C’est en réalité une religion précise — l’islam — qui est refusée et attaquée par des gens qui prétendent qu’ils ne peuvent supporter aucune religion. Cependant, on voit qu’ils ont une grande tolérance pour les religions chrétiennes. En fait ils les ont intégrées comme des éléments culturels (…) Or la religion fait partie de la culture, et vouloir l’en exclure est absurde. La religion n’est qu’un des aspects d’une culture qui est sexiste de bout en bout. Mais enlevons la religion de la culture — par exemple parmi les “déchristianisés” français, la majorité des gens en France — trouve-t-on moins de sexisme ? Absolument pas. » [9]
Troisième partie
Textes de Dinaïg Stall
Des contrepoisons, 16 février
Portrait du sexiste en religieux barbu, 13 février
Injuste milieu, 11 février
Charlie Hebdo : l’imposture féministe, 9 février
Le nom des gens n’est pas important, leur genre et leur religion si, Mars 2011
Notes
[1] Voir au sujet de Freud l’article d’Igor Reitzman « Le complexe d’Œdipe : belle découverte ou perverse invention ? ».
[2] Ce qui reste à prouver un minimum, le simple fait d’asséner une « jolie » formule ne suffisant pas… On retrouve souvent ce travers chez les défenseurs de la loi sur le port des « signes religieux » à l’école : on charge le voile d’une signification unique et systématique, au travers d’une formule lapidaire et destinée à paralyser toute contradiction, et on se garde bien d’étendre cette analyse à tout un tas d’autres signes, religieux ou non, qui pourraient pourtant eux aussi être lus comme une « expression politique de la différence entre les femmes et les hommes ». Et dieu sait pourtant si, dans le seul domaine vestimentaire, on peut en trouver à foison…
[3] « La spécialité de Caroline Fourest et ce qui l’a rendue si populaire auprès de médiacrates aussi peu soupçonnables de progressisme qu’Yves Calvi ou Arlette Chabot, c’est sa maîtrise du « Oui mais » : Oui, certes [placer les arguments traditionnels des mouvements de gauche dans leur version les plus compassionnelles sur un sujet pendant un paragraphe], MAIS [placer les postulats conservateurs dominants sur le thème en lui passant un coup de vernis de gauche]. » Voir l’article de CPPN, Oui, certes mail les Grecs sont quand même des salauds->http://cppn.over-blog.com/article-o…].
[4] Voir entre autres Mona Chollet, « Tariq Ramadan, Caroline Fourest et l’islamisation de la France » et [« L’obscurantisme beauf »-526].
[5] Je mets ici la citation dans son intégralité, pour que l’on voit bien que je n’invente rien, mais que personne ne se sente non plus obligé-e de débourser le prix du hors-série pour vérifier. Avec Charia Hebdo, Charlie a suffisamment renfloué ses caisses ! « Il y a des croyants qui ont commencé un travail pour essayer de dénouer ce pacte [entre monothéismes et patriarcat], en tout cas pour essayer d’extirper du religieux la part patriarcale, pour n’en garder que la part spirituelle. Je trouve personnellement que c’est un travail titanesque et que, tant qu’à faire, mieux vaut partir de l’humanisme laïque des Lumières et de la Déclaration universelle. Mais je ne veux pas nier aux gens qui se lancent dans ce type d’expédition le droit de le faire, et je ne veux pas nier qu’ils existent. Attention, il ne faut pas les confondre avec, par exemple, celles qui se revendiquent du féminisme islamique – qui ne sont pas non plus des féministes musulmanes – tel qu’il est théorisé par des gens proches des Frères musulmans. Eux essayent de nous faire croire que l’islam est en soi une réponse pour aider les femmes à gagner en dignité et en égalité. ».
[6] Cf op.cit. de Mona Chollet
[7] A lire dans son intégralité, ce texte limpide : « La fabrication de l’« Autre » par le pouvoir », entretien avec Christine Delphy, publié dans Migrations et sociétés, vol. 23, n°133, janvier-février 2011 et repris sur le blog de Christine Delphy.
[8] Et elle n’est certes pas la première à y aller de son petit laïus sur la laïcité, comme le montre bien cette recherche (en vain !) de « l’auteur pouvant se vanter de la primauté du propos » sur le blog CPPN.
[9] Op.cit. « La fabrication de l’« Autre » par le pouvoir », entretien avec Christine Delphy
http://lmsi.net/Injuste-milieu