Prisonniers politiques palestiniens, ceux qui sortent et ceux qui sont encore en prison
Catégorie : Global
Thèmes : Prisons / Centres de rétentionResistances
Il ne fait aucun doute que le rôle de la nouvelle Egypte et le poids des révolutions du Monde arabe ont été déterminants dans les négociations.
Mais les politiques français et les grands medias ne se soucient pas des Palestiniens. Au lendemain des échanges, 1789 occurrences sur google titrent sur la libération du soldat israélien. Appelé de son nom, de son prénom, décrit dans son entourage familial etc. comme si c’était quelqu’un de notre famille ! Ce qui n’empêche pas Le Figaro de titrer « Le Hamas met en scène la libération des prisonniers » !
Au prétexte qu’il a une grand-mère française et la nationalité française, ce soldat israélien capturé, en train de faire la guerre, dans son char, par un groupe de résistants palestiniens est transmuté en « otage français» au même titre que la dizaine d’otages journalistes et autres civils de par le monde qui sont mentionnés chaque soir en fin de JT. Le soutien à la politique coloniale de l’état d’Israël est à ce point installé dans l’état français et les médias dominants qu’il en devient une seconde nature. On ne compte plus les municipalités de droite comme de gauche (PS) qui ont affiché des portraits géants du soldat israélien et ont réclamé sa libération. Et on peut s’attendre à des réjouissances des mêmes pour sa libération.
A l’inverse silence radio total sur l’étudiant franco-palestinien Salah Hamouri qui n’a commis aucun délit ( !) et qui est emprisonné depuis 6 ans par Israël.
Bien plus grave, aucune de ces grandes âmes, si sensibles quand il s’agit du sort d’un soldat membre d’une armée coloniale criminelle condamnée pour crime de guerre, n’a manifesté le moindre soutien aux milliers de prisonniers politiques palestiniens qui au mépris des conventions de Genève sont emprisonnés en Israël.
Depuis 1967 Israël a emprisonné plus de 700 000 palestiniens (hommes femmes et enfants) soit 20% de la population. Fin août 2011 le PCHR (organisation palestinienne des droits de l’Homme) annonce qu’il y a plus de 6000 prisonniers palestiniens dont 272 en détention administrative, c’est à dire sans accusation ni procès de la façon la plus arbitraire et illégale qui soit.
Depuis septembre 2000, Israël a arrêté et emprisonné plus de 7000 enfants palestiniens. En août 2011, il y avait 180 mineurs palestiniens détenus dans les prisons israéliennes. Parmi eux, 34 avaient entre 12 et 15 ans. l’infraction la plus courante est le lancement de pierres et de cocktails Molotov ; dans la plupart des cas, aucune pierre n’a été véritablement lancée, ou l’a été sans toucher de cible, ou sans causer de dommage ; en aucun cas, en provoquant un grave préjudice ;
– dans 94 % des cas, les enfants ont été détenus en détention préventive et n’ont pas été libérés sous caution ;
– dans 100 % des cas, les enfants ont été reconnus coupables d’une infraction ;
– 87 % des enfants ont été soumis à une forme ou une autre de violence physique pendant leur détention.
Dans son rapport annuel de 2011 le même rapport d’Amnesty International indique : « Les allégations répétées de tortures et autres mauvais traitements, y compris sur des enfants, sont fréquemment relevées. Parmi les méthodes les plus couramment citées, il y a les coups, les menaces auprès des détenus et de leurs familles, les privations de sommeil et l’imposition de postures douloureuses pendant de longs moments. Des aveux qui auraient été obtenus sous la contrainte ont été acceptés comme preuve par des tribunaux militaires et civils israéliens ».
Par contre le soldat israélien a déclaré en toute liberté à la TV égyptienne avoir été bien traité.
Alors qu’il n’y a plus un seul soldat israélien détenu par les palestiniens, il reste encore plus de 5000 civils (hommes et femmes) détenus dans les prisons israéliennes. Le 27 septembre, 50 prisonniers palestiniens entamaient une grève de la faim illimitée pour protester contre les conditions d’incarcération. Initiée par des prisonniers du FPLP, dont le secrétaire général Ahmad Saadat soumis à l’isolement individuel depuis près de deux ans. Les grévistes sont aujourd’hui plus de 2000. Parmi eux, Ahmad Saadat, chef de file du FPLP et gréviste de la faim vient d’être hospitalisé.
JLM . CCIPPP34
Communiqué de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS)
L’Association France Palestine Solidarité (AFPS) se félicite de la conclusion d’un accord aboutissant à la libération de Gilad Shalit et de 1027 prisonniers palestiniens.
« Nous avons une pensée pour toutes les personnes libérées et pour leurs familles. Nous voulons y voir une étape de la marche vers la réconciliation nationale palestinienne. » a déclaré Jean-Claude Lefort, président de l’AFPS. « Cette bonne nouvelle ne doit toutefois pas éclipser le fait que 5000 autres prisonniers politiques sont toujours détenus, dont un autre ressortissant français, Salah Hamouri, emprisonné depuis sept ans suite à un procès inique, ainsi qu’un grand nombre de députés et responsables politiques palestiniens. » a-t-il ajouté.
L’AFPS appelle les autorités françaises à agir pour la libération de notre compatriote franco-palestinien. Salah Hamouri, détenu arbitrairement depuis près de sept ans. Ce dernier, dont la détention doit se terminer en novembre, risque actuellement de voir sa peine rallongée de 140 jours sous l’effet de la loi dite « Shalit ».
L’AFPS exprime par ailleurs sa préoccupation face à l’aggravation récente des conditions de détention des prisonniers palestiniens. Parmi ces mesures figurent l’interdiction faite aux prisonniers palestiniens de poursuivre des études universitaires, l’interdiction à l’accès aux livres, l’intensification de la pratique de fouilles humiliantes sur les prisonniers, la limitation drastique du droit de visite, la mise à l’isolement des leaders palestiniens, et l’aggravation arbitraire des peines d’emprisonnement. Depuis le 27 septembre, plusieurs centaines de prisonniers palestiniens ont entamé une grève de la faim illimitée dans plusieurs prisons israéliennes pour protester contre ces punitions collectives, qui constituent une violation du droit international.
Communiqué Association France Palestine Solidarité (AFPS)
http://www.france-palestine.org/article18481.html
mardi 18 octobre 2011, par Alain Gresh
“On ne peut que se féliciter, sur le plan humain, de la libération de l’« otage » Gilad Shalit, rendu à sa famille et à ses proches après cinq ans de captivité. On peut toutefois s’étonner de la place accordée à cet événement par nombre de médias, avec des envoyés spéciaux dans son village natal, attendant son retour, interrogeant les habitants, partageant l’émotion générale.
Si la joie des Palestiniens est également montrée – et c’est une bonne chose –, on partage en revanche rarement celle d’une famille précise, celle d’une femme retrouvant son mari (certains prisonniers croupissaient dans les geôles israéliennes depuis plus de trente ans – j’ai bien dit trente ans –, un tiers ont été arrêtés avant les accords d’Oslo de 1993), d’un fils retrouvant son père dont il ne se remémore même pas le visage.
L’une des remarques qui reviennent sans cesse dans les médias est que ces gens que l’on libère ont « du sang sur les mains ». Il est étonnant de voir ainsi repris l’un des thèmes de la propagande israélienne, qui parle, elle, de « sang juif sur les mains ».
Oui, nombre de prisonniers ont participé à des actions contre des militaires et même des civils israéliens. C’était aussi le cas des combattants du Front de libération nationale (FLN) algérien et du Congrès national africain (ANC) sud-africain : tous deux ont menés des actions armées, tous deux ont commis des actes « terroristes » (attaques contre des cafés, des civils, etc.). Nelson Mandela, présenté aujourd’hui comme une sorte d’icône du pacifisme, était considéré comme un terroriste par les Etats-Unis et le Royaume-Uni ; Amnesty International avait refusé de l’adopter comme « prisonnier de conscience » parce qu’il prônait la violence.
La question essentielle qui ne sera pas posée : est-ce que l’attaque contre Gaza de décembre 2008, durant laquelle des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont été commis, ne signifie pas que l’armée israélienne a « du sang sur les mains » ? Sans parler de l’invasion du Liban de 1982, qui a fait des milliers de victimes civiles, ou de la guerre contre ce même pays en 2006, qui a causé 1 400 morts.
L’un des arguments les plus fallacieux utilisés concernant les prisonniers palestiniens est qu’ils sont passés devant des tribunaux, qu’Israël est un pays démocratique, que sa justice est indépendante, etc. Tous ceux qui connaissent un peu le système judiciaire de ce pays savent que cela est parfaitement faux – sans même parler des prisonniers “administratifs”, que l’on maintient en détention sans procès, mais « légalement ». Ce serait un sujet intéressant pour les médias d’enquêter là-dessus.
Pour revenir sur l’émotion qui semble saisir les médias occidentaux devant la libération de Shalit, espérons qu’ils feront preuve de la même compassion pour le Franco-Palestinien Salah Hamouri, emprisonné depuis bientôt sept ans à la suite d’un procès qui était ainsi résumé par Alain Juppé, ministre français des affaires étrangères : « Je déplore que les autorités israéliennes n’aient pas pris de décision de remise de peine, d’autant que les aveux faits à l’audience n’ont été corroborés par aucun élément de preuve. Je mesure la peine de sa famille, alors qu’il est à présent en âge de s’investir dans des études. Je comprends également que l’intéressé a fait le choix de ne pas solliciter de demande de grâce. C’est une attitude respectable. » Et que de nombreuses chaînes de télévision couvriront en direct sa libération…”
http://blog.mondediplo.net/2011-10-18-Gilad-Shalit-les-…et-le
La société israélienne s’enveloppe maintenant dans un manteau bien-pensant d’éloge d’elle-même : Comment sommes-nous concernés par le sort d’un seul soldat, et non le destin de nombreux soldats, d’une armée entière, de tout un peuple ?
Ce week-end, même l’après-rasage de Gilad Shalit était un sujet de conversation. Un commentateur de haut vol a rapporté à la nation galvanisée, dans un sérieux infini, que les experts en psychologie des Forces de Défense d’Israël ont recommandé à sa famille de préparer une valise contenant ses après-rasages préférés pour faciliter son retour. Un affichage lumineux à l’entrée d’un bar de Tel-Aviv flashait un message qui n’était pas moins grotesque : « . Des prix spéciaux pour les coups d’Absolut et de Finlandia … Bienvenue à la maison, Gilad Shalit ! »
Shalit sera de retour ce mardi à son domicile, comme cela a été souhaité. Il sera de retour non pas dans un pays, mais plutôt dans une telenovela dans laquelle les émotions sont encore et toujours le seul langage. Il faut espérer qu’il sera de retour en bonne santé mentale, mais il ne sera certainement pas de retour dans une société saine. Il sera de retour dans une société psychotique. La psychose nationale entourant son destin a commencé le jour où il a été capturé, et elle a maintenant atteint son paroxysme. Les Forces de Défense d’Israël ont préparé quelques jeux d’uniformes pour lui, nous a-t-on rapporté, au cas où le garçon national aurait perdu beaucoup de poids – la chose principale étant de le montrer en uniforme, comme il sied à un héros de guerre.
Le Yedioth Ahronoth a déjà lancé une campagne de promotion de vente déguisée sous la bannière du « Voulez-vous écrire à Gilad ? » et les centaines de milliers de rubans jaunes qui flottaient dans tous les arbres et sur les rétroviseurs extérieurs de toutes les voitures flotteront pour la dernière fois dans la brise d’automne. Israël va à nouveau se tapoter dans le dos dans une solidarité poisseuse, de fraternité et de responsabilité mutuelle – il n’y a personne d’autre comme nous.
Ce week-end un général de brigade à la retraite a déjà écrit, « C’est exactement la différence qu’il y a entre nous et eux ». (Quelle est exactement la différence ? Ce n’était pas clair…) Et un général réserviste a déclaré : « Le Hamas a un cœur de pierre » (comme si quelqu’un qui détient des dizaines de milliers de prisonniers palestiniens, certains d’entre eux politiques, quelques-uns d’entre eux sans procès, certains d’entre eux détenus pendant des années sans visites de leurs familles, avait un cœur d’or).
Au cours des cinq dernières années pas un seul Israélien n’est resté apathique quant au sort de Shalit. Voilà comment il doit être, et c’est une source de fierté. C’est l’humanisation d’un seul soldat, avec un visage (pâle), avec de (nobles) parents et un grand-père (inquiet), et même le fait qu’il ait été transformé en un « garçon », est un signe d’une société humanitaire. On peut même en quelque sorte accepter la nature frénétique de la société israélienne, qui va d’une situation extrême à l’autre en un éclair. Les deux soldats qui ont été tués pendant l’enlèvement de Shalit sont des soldats inconnus, Shalit est devenu un héros iconique ; Yitzhak Rabin s’est transformé en une nuit d’un premier ministre méprisé en un Saint. Les soldats portés disparus ont été oubliés, d’autres soldats captifs ne sont jamais devenus des symboles nationaux, et seul Shalit est devenu ce qu’il est devenu.
Cinq ans avec seulement de rares émissions de nouvelles ne mentionnant pas son existence. Apparemment, il y avait quelque chose pour Shalit et pour ses parents qui a capturé le cœur de la nation. Et cela aussi c’est tout simplement tant mieux.
Le problème commence avec les couronnes ridicules que nous nous sommes tressées et avec l’hypocrisie, la vacuité et la cécité qui les caractérisent. La campagne visant à libérer Shalit, qui n’était pas exempte de certains aspects répulsifs, comme les efforts visant à empêcher les visites aux prisonniers palestiniens, s’est transformée en une campagne de l’Etat, une soupape de décompression pour la démonstration de l’implication et la prise en charge humaine et civile – creuse et superficielle – tout comme « les bougies des jeunes » qui sanglotaient pour l’assassinat de Rabin et qui ont voté pour Nétanyahou à l’élection d’après.
Qui n’est pas contre le terrorisme et pour la libération de Shalit ? Mais cette même société sanglotante ne s’est pas demandée un seul instant, avec honnêteté et avec courage, pourquoi Shalit a été capturé. Elle ne s’est pas dit un seul instant, avec courage et avec honnêteté, que si elle continue sur le même chemin il y aura beaucoup plus de Gilad Shalit, morts ou capturés. Lors des élections successives où elle a voté, encore et encore, pour les gouvernements du centre et de droite, le genre de ceux qui garantissent que Shalit ne sera pas le dernier. Elle a attaché des rubans jaunes et soutenu tous les drapeaux noirs. Et personne ne l’a jamais dit, avec courage et avec honnêteté : Shalit est le prix inévitable d’un Etat qui choisit de vivre par le glaive pour toujours.
Personne ne s’est jamais demandé : Pourquoi est-il permis de négocier avec le Hamas sur le sort d’un seul soldat et est-il encore interdit de le faire sur le sort de deux peuples en sang ?
Au lieu de cela, la société israélienne s’enveloppe maintenant dans un manteau bien-pensant d’éloge d’elle-même : Comment sommes-nous concernés par le sort d’un seul soldat, et non le destin de nombreux soldats, d’une armée entière, de tout un peuple ?
Gideon Levy.
16/10/2011 (Haaretz).
http://www.legrandsoir.info/shalit-est-de-retour-dans-u….html
Le 18 octobre dernier, le sergent Gilad Shalit a été libéré après plus de cinq ans de captivité dans la bande de Gaza. Le même jour, 477 prisonniers palestiniens étaient relâchés, dans le cadre d’un accord entre Israël et le Hamas, qui prévoit en outre que 550 autres Palestiniens quitteront les prisons israéliennes au mois de décembre. Cet échange a fait l’objet d’une intense couverture médiatique, notamment par les télévisions. Qu’ont-elles dit et montré ?
Une étude des JT de TF1, France 2 et France 3 du 18 octobre (midi et soir) révèle un consternant déséquilibre dans le traitement de ce qui n’était pas une « libération d’otage » mais bel et bien un échange de détenus : non seulement l’essentiel du temps d’antenne et des moyens journalistiques ont été consacrés à la libération de Gilad Shalit et aux réactions israéliennes, mais les prisonniers palestiniens, leur famille, leurs proches… ont bénéficié d’un maigre traitement factuel, la compassion et l’empathie, l’émotion et la joie étant réservées au traitement médiatique des réactions israéliennes.
« Libération de Shalit » ou échange de détenus ?
Le choix des titres des JT parle de lui-même.
Au 20 heures de TF1…
… comme au 20 heures de France 2…
Ou au « 12/13 » de France 3 :
C’est le sergent Shalit qui occupe, seul, la une. À l’image de ce qui s’est passé dans la presse écrite :
Les 477 prisonniers palestiniens ne font ni la « une », ni les gros titres. Dans les JT du 18 octobre (comme dans la presse écrite), des sujets leur sont néanmoins consacrés. Mais le décompte du temps accordé, respectivement, à la libération de Gilad Shalit et aux réactions en Israël d’une part, et à la libération des prisonniers palestiniens et aux réactions en Cisjordanie et à Gaza d’autre part, est éloquent. Si l’on additionne ces durées dans les sept JT observés (13 heures et 20 heures de TF1 et de France 2, « 12/13 », « 19/20 » et « Soir 3 » sur France 3), le résultat est le suivant : 17 min 37 s ont été accordées à Shalit, 7 min 56 s aux prisonniers palestiniens [1]. Soit 69 % du temps pour le premier et 31 % pour les seconds. Ce sont notamment les duplex réalisés par les diverses chaînes qui ont fait pencher très nettement la balance : sur sept duplex organisés (un par JT), six ont eu lieu à Mitzpé Hila, village dans lequel réside la famille Shalit, et un à… Tel Nof, base militaire où Shalit a retrouvé ses parents. Aucun duplex n’a été réalisé depuis Gaza ou Ramallah, où des centaines de milliers de Palestiniens célébraient pourtant le retour des prisonniers et où les principaux dirigeants palestiniens ont prononcé des discours.
Les titres et les dispositifs indiquent donc que le choix opéré dans l’ensemble des JT de TF1, France 2 et France 3 était de couvrir la « libération de Shalit » avec, en arrière-plan, le « retour » des prisonniers palestiniens, comme si la double nationalité de Gilad Shalit suffisait à justifier une telle disproportion. Or, au-delà des chiffres, le ton et les termes employés montrent que les JT ont invité à partager le soulagement ou l’allégresse du côté israélien, tandis que les sentiments équivalents des Palestiniens étaient tenus, c’est le moins que l’on puisse dire, à une certaine distance.
Une empathie à sens unique
« Des fleurs blanches, des acclamations et des larmes de joie, le Franco-Israélien Gilad Shalit a retrouvé la liberté aujourd’hui après cinq ans de détention, il a retrouvé sa famille aussi. Mêmes scènes de liesse en face, côté palestinien, où des centaines de prisonniers échangés contre le soldat sont arrivés tout à l’heure » (David Pujadas, 20 heures de France 2). « Il n’a que 25 ans, vient de passer cinq années prisonnier du Hamas : le Franco-Israélien Gilad Shalit savoure ses premières heures de liberté et ses retrouvailles avec sa famille. Scènes de liesse en Israël, scène de liesse aussi à Gaza et en Cisjordanie, où l’on fête le retour triomphal des 477 premiers prisonniers palestiniens » (Carole Gaessler, « 19/20 » de France 3) [2].
Sur France 2 comme sur France 3, dans les « lancements », on explique donc que les « scènes de liesse » ont lieu côté israélien et côté palestinien. En revanche, seule la famille de Gilad Shalit est mentionnée, comme si les prisonniers palestiniens n’allaient pas, eux aussi, retrouver leurs familles et leurs maisons. La présentation épouse, là encore, une asymétrie qui vaut parti pris, qu’il soit ou non volontaire. Tandis que les Palestiniens rentrent « à Gaza », « à Ramallah », ou « en Cisjordanie », Gilad Shalit rentre « à la maison », comme l’ont souligné des incrustations :
Sur TF1 (20 heures) :
Et sur France 2 (20 heures) :
L’emploi de l’expression « retour à la maison » ou les fréquentes références à la « famille » de Gilad Shalit invitent à la proximité et au partage : ils n’ont pas d’équivalent, s’agissant de la libération des prisonniers palestiniens. Quoi que l’on pense des raisons et de la légitimité de la détention de l’un et des autres, qui peut soutenir que les souffrances endurées par les familles et les proches de ces derniers n’étaient pas équivalentes à celles qu’ont endurées la famille et les proches de Gilad Shalit ?
On l’a dit, 477 prisonniers ont été relâchés le jour de la libération de Gilad Shalit. Et 550 autres suivront en décembre. Sur l’ensemble des sept JT du 18 octobre, seuls deux prisonniers ont été nommés et interviewés (chacun durant quelques secondes) : « Abdulrahmane Elqeeq » (au 20 heures de TF1) et « Alla Bazian » (au « 19/20 » de France 3 et au « Soir 3 ») [3]. Les autres demeurent des anonymes, que l’on ne voit pas rentrer « à la maison » ou retrouver leur « famille ». Au cours des sept JT, la parole a été donnée une fois à un membre de la famille d’un prisonnier. C’était sur TF1, où l’on a entendu brièvement la mère de l’un des prisonniers libérés (dont on ne nous précise pas le nom) remercier ceux qui avaient détenu Gilad Shalit. Était-ce la seule réaction qui pouvait être recueillie ? Rien n’est moins sûr… Mais ce qui est certain est que de tels propos, a fortiori lorsqu’ils sont les seuls rapportés, ne peuvent guère susciter d’empathie chez le téléspectateur. Aucune des trois chaînes n’a choisi de filmer le « retour à la maison » de l’un des prisonniers, ou de permettre aux téléspectateurs de partager l’émotion des proches des détenus. Volontaire ou non, cette option révèle que l’empathie a été réservée à Shalit et à ses proches, tandis qu’une distance permanente a été maintenue non seulement avec les prisonniers palestiniens – dont certains venaient de passer vingt ou trente ans derrière les barreaux [4], mais également avec leurs familles, comme si elles étaient responsables de leur propre douleur, désormais apaisée.
Lors du 13 heures de France 2, le contraste était encore plus saisissant. L’envoyé spécial en Israël, Claude Sempère, explique : « la famille de Gilad Shalit a quitté son domicile du nord d’Israël. Ils ont été conduits sur une base militaire. Dans quelques heures, ils vont pouvoir serrer leur fils dans leurs bras ». Quelques minutes plus tard, en plateau, Élise Lucet explique à son tour : « À Gaza, on a assisté à des scènes de liesse, à des embrassades avec les responsables du Hamas ». Et avec les familles ? On ne le saura pas. On n’en apprendra pas plus lors du 20 heures de David Pujadas, durant lequel on sera néanmoins bien informé : « [Gilad Shalit] est toujours dans sa maison, qui se trouve à 200 mètres derrière moi, et il a besoin de communiquer, manifestement il parle, il raconte son histoire à ses proches à sa famille et, autre information importante, il vient de terminer un excellent dîner » (Dorothée Ollieric, envoyée spéciale en Israël) [5].
Chacun aura compris qu’il ne s’agit pas ici de contester une émotion bien réelle ou de ternir la joie compréhensible de la famille et des proches de Shalit. Mais, à bien regarder les JT du 18 octobre, le « retour » des prisonniers palestiniens méritait à peine qu’on s’y attarde : non seulement ces prisonniers semblaient n’avoir ni nom, ni visage, ni maison, mais ils n’avaient ni famille, ni proches, ni soutiens dignes d’empathie. Pourtant leurs souffrances et leur joie étaient elles aussi compréhensibles. Et ce au-delà des prises de position dans le « conflit ». Aussi le double standard de l’émotion est-il probablement une forme de prise de position…
… Comme l’est également la totale absence de mention de l’existence et du sort du détenu franco-palestinien Salah Hamouri. Lors des sept JT du 18 octobre, son nom n’a jamais été prononcé. Sa situation est-elle comparable à celle de Gilad Shalit ? Cette question excède de très loin le champ de la critique des médias. Mais pour comprendre pourquoi les médias l’ont ignorée, nous renvoyons nos lecteurs à l’émission (payante) d’« Arrêts sur images » qui lui a été consacrée [6]. Si l’hyper-médiatisation de la libération de Shalit résulte, comme certains semblent le penser, du simple fait qu’il possède la nationalité française, alors le silence concernant Hamouri n’en est que plus assourdissant. Certes, le 19 octobre, le ministre de la Défense, Gérard Longuet, a été questionné sur France Inter au sujet du cas Hamouri (qu’il a affirmé ne pas connaître…) Mais une recherche sur la base de données Factiva [7] indique qu’il y a eu dans la presse française, au cours de l’année passée, 2503 occurrences du nom « Shalit » contre… 173 occurrences du nom « Hamouri ». Soit un rapport de 1 à 14,5.
À la lumière du traitement de l’échange du 18 octobre, le sort des prisonniers palestiniens, qu’ils aient ou non la nationalité française, ne semble guère préoccuper les grands médias. C’est ainsi qu’aucun des JT du 18 octobre n’a jugé bon de mentionner le fait que plusieurs centaines de prisonniers palestiniens étaient en grève de la faim depuis la fin du mois de septembre, soutenus par une grève de la faim « tournante » de 3000 de leurs codétenus, pour protester contre leurs conditions de détention, notamment la pratique abusive de l’isolement et les restrictions sur les droits de visite [8]. Gageons que le retour des 477 premiers libérés et la libération annoncée de 550 détenus supplémentaires sera l’occasion, pour les grands médias, d’approfondir la question des prisonniers palestiniens, indispensable pour une réelle compréhension des enjeux de la situation au Proche-Orient et d’une hypothétique « résolution du conflit ».
Colin Brunel
N.B. : Soulignons que les critiques que nous émettons ici n’ont rien à voir avec les « critiques » formulées par certains à l’égard de l’émission de France 2 « Un œil sur la planète », accusée (entre autres) de n’avoir montré « qu’un seul côté ». Cette émission était en effet principalement axée sur les conditions de vie et les dynamiques économiques, sociales et politiques dans les territoires palestiniens, tandis que ce qui nous préoccupe ici est le traitement médiatique d’un événement qui a eu autant d’importance et de répercussions immédiates au sein des deux sociétés.
Notes
[1] Dans le détail : 13 heures de TF1 : 2 min 16 s contre 29 s ; 20 heures de TF1 : 3 min 25 s contre 1 min 57 s ; 13 heures de France 2 : 3 min 26 s contre 1 min 22 s ; 20 heures de France 2 : 2 min 42 s contre 32 s ; « 12/13 » de France 3 : 2 min 5 s contre 32 s ; « 19/20 » de France 3 : 2 min 20 s contre 43 s ; « Soir 3 » de France 3 : 1 min 23 s contre 37 s.
[2] Le « lancement » de Carole Gaessler est d’autant plus regrettable que le JT qu’elle présente est le seul qui a proposé un titre générique mesuré : « Proche-Orient : jour de liberté ».
[3] Nous utilisons les guillemets car ces deux translitérations depuis l’arabe, effectuées par TF1 et France 3, sont assez approximatives.
[4] Aucun des sept JT n’a par ailleurs mentionné le fait, nullement anecdotique, que plus de 40 des prisonniers « libérés » seront déportés à l’étranger et que 163 autres, résidant en Cisjordanie, ne pourront pas retourner chez eux et devront vivre à Gaza.
[5] Transcription réalisée par Olivier Prigent.
[6] Émission « “Les médias s’intéressent aux choses déjà médiatisées”. Shalit, Hamouri : deux stratégies médiatiques au banc d’essai ».
[7] Factiva regroupe la plupart des organes de presse écrite (et leurs sites).
[8] La grève de la faim a été, depuis, « suspendue », l’administration pénitentiaire israélienne s’étant engagée à prendre en compte les revendications des prisonniers palestiniens.
http://www.acrimed.org/article3702.html