Le mouvement actuel de contestation est arrivé à un point de bifurcation depuis que cheminots et ouvriers des raffineries ont suspendu la grève. Pour tenter de savoir dans quelles directions il pourrait aller, il nous faut revenir un instant sur quelques-unes de ses caractéristiques essentielles.
Le mot d’ordre de « blocage de l’économie » a été largement affichée et mise en œuvre avec la formation aussi rapide qu’inédite de liaisons entre chômeurs / précaires, étudiants et salariés dans de très nombreuses villes en France.
Cette coopération a été rendue possible par la légitimité nouvelle acquise par la contestation, laquelle n’a eu de cesse de dénoncer un pouvoir ostensiblement inféodé aux volontés des capitalistes, outrageant et violant quotidiennement les quelques droits populaires acquis de haute lutte. La « réforme des retraites » est venue cristallisée cette colère. Cet état de choses a légitimé une sorte d’état insurrectionnel latent où c’est la force populaire de blocage de l’économie qui a été mise en avant, et où la violence populaire a été quant à elle contenue.
Cette cristallisation contre le pouvoir actuel et sa réforme a catalysé le travail de liaison qui s’effectue depuis des années entre chômeurs/ précaires, étudiants et salariés sur un certain nombre de villes, notamment à Rennes. Il a porté ses fruits en contribuant à élargir l’espace public : en fournissant possibilité et légitimité aux étudiants comme aux chômeurs et précaires d’intervenir par le blocage devant des lieux de travail, lesquels lieux sont censés être privés, ne pas être les leurs.

A Rennes, la place des chômeurs et précaires dans la composition de classe des piquets volants qui réalisent ces blocages de l’économie est centrale tant sur le plan numérique qu’organisationnel. Le caractère essentiel de cette forme d’action comme la place importante des chômeurs et précaires dans ces formes d’action tiennent en partie évidemment au fait que les chômeurs et précaires n’ont pas ou seulement de manière discontinue de lieux de travail pour exercer une grève au sens traditionnel du terme et qu’ils existent de multiples contournements de ce droit : aussi bien à travers « le service minimum » que les contrats précaires, ou dernièrement par les réquisitions ad hoc.
Si le mouvement bénéficie d’un large soutien populaire, il n’en demeure pas moins que la base militante qui participe aux actions de blocage est, à ma connaissance, assez restreinte, au moins pour ce qui est des villes comme Rennes ou Brest. Tout au plus 200 à 400 piquetistes volants par ville, ponctuellement augmentés grâce aux rangs des lycéens. La raison principale en est que en dehors des grandes mobilisations, nous pâtissons d’une activité politique revendicative relativement rare et confinée à certains espaces militants.

La situation de reflux vérifie que la vision stratégique des sites clés de l’économie à bloquer en priorité n’est pas absolument juste. La coopération attendue avec les salariés est au moins aussi importante dans le choix des cibles. D’où la proposition suivante : coordonner au plus vite piquets volants et salariés des entreprises bloquées en s’appuyant sur les équipes syndicales de lutte revendiquant le retrait de la réforme des retraites, en mettant également en avant des revendications spécifiques aux sites bloqués conçus avec les salariés du site : titularisation, salaires, conditions de travail, etc. Ce type d’actions ne peut bien entendu pas se substituer entièrement à la contestation au sein de l’entreprise de l’autorité hiérarchique mais elle peut l’encourager. Le souci primordial du maintien et de l’accroissement des capacités d’intervention de tous et des précaires dans l’action de blocage de l’économie appelle ainsi à refuser de penser la dialectique entre le mouvement et les organisations, au profit de l’une à l’exclusive de l’autre.