Mercredi 27 octobre.
Un rendez-vous avait été donné à 4h du matin devant la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne.
Le dépôt de carburant qui en est proche (le dépôt Rubis) avait été bloqué toute la semaine précédente par des grévistes, provoquant plusieurs interventions de la police. Cette dernière, depuis le week-end, campe sur place pour éviter toute nouvelle tentative de blocage. Il faut dire que le dépôt Rubis reçoit des approvisionnement de carburant importé par bateau. Il était donc question, ce matin-là, de déloger la police de “notre” dépôt pour pouvoir à nouveau l’occuper. Car non seulement le blocage de Rubis accélérait la pénurie dans les sations services de la région, mais il était aussi l’occasion pour les grévistes des différents secteurs de se retrouver, échanger et se rencontrer.

A l’heure prévue, 300 personnes se rassemblent. Les étudiants ont préparé une banderole renforcée, et tiennent donc (avec quelques autres) la première ligne. Les manifestants se massent derrière. Le cortège avance vers Rubis en chantant. Les CRS ont à peine le temps de se mettre en position ; la première ligne leur rentre dedans. La ligne de flics éclate, l’avant du cortège trébuche, les flics se recomposent et gazent. Le cortège prend le temps de se reformer et y retourne. Nouvelle charge, ça pousse, les flics reculent, puis regazent. Pour faire bref : ça c’est joué à peu de choses pour que les manifestants puissent s’enfoncer, mais les flics ont tenu bon. Impossible, donc, de rebloquer. Pour autant la détermination est toujours là.

Jeudi 28 octobre.
Le matin : blocage du dépôt de bus de la TCAR. Au même moment un autre blocagea lieu sur le port autonome.
A 10h30, manifestation.
Le parcours est ridicule, la manifestation ne passe même plus en centre-ville. Si on avait voulu faire une manifestation pour passer inaperçu, pour miner le moral de tout le monde et pour enterrer le mouvement on aurait pas fait mieux. Malgré tout il y a encore du monde (les syndicats parlent de 40 000 manifestants). Le cortège se disperse sur les grandes pelouses face à la préfecture.
Le mot a circulé pendant la manifestation de poursuivre jusqu’au Medef. Rapidement une centaine de personne se masse pour inciter les manifestants à les rejoindre. Le rassemblement est bon enfant, de plus en plus de gens ont l’envie de poursuivre ; l’idée est apparemment de balancer des oeufs sur la façade. Brusquement, le S.O. de la CGT, visiblement excédé, décide de repousser les manifestants qui incitent le cortège à les suivre au Medef. Ceux-ci se protègent derrière une banderole. Le SO de la CGT pousse, puis balance quelques patates. Ceux qui assistent à cette mascarade sont atterrés. Le SO se fait insulter. “CGT collabo”. “Pourquoi vous faites ça ?” Un membre du SO : “Je ne sais pas.” Un autre : “Je sais pas, c’est Gérald (?) qui nous a dit d’intervenir”. Personne ne semble très fier. La manoeuvre est d’autant plus minable qu’elle n’aboutit pas. Les gros balourds n’arrivant pas à faire reculer d’un mètre les autres manifestants. C’est désormais plusieurs centaines de personnes (dont des syndicalistes, notamment de la CGT) qui laissent tribune et barbecue derrière eux pour se diriger vers le Medef.

Plus tard, pour justifier sa provcation et son échec, le SO de la CGT inventera ce gigantesque (et magnifique) mensonge : “les jeunes avaient des lames de rasoir et des gazeuses”. Il faudra dire aux mythomanes du SO de renouveler leurs bobards : messieurs, les “lames de rasoir” ça sonne un peu trop années 60… Toute la journée la machine à fantasmes de certains CGTistes aura déversé quantité de clichés du même ordre ; les même qui ont cours depuis 40 ans, quand il s’agit de mettre fin à un mouvement, vis-à-vis des “étudiants”, des “jeunes”, des “inorganisés”. “Ce sont des incontrôlés”. “Ils jouent les radicaux mais ce sont eux qui vous dirigeront plus tard”. (Quelle blague. Il faut vraiment avoir foi dans l’université – qui plus est celle de Rouen – pour croire qu’elle conduit encore à des postes de direction…) “Ce soir, ils vont attaquer le local”. (Mais où vont-ils chercher tout ça ?)

Ce dernier mensonge justifiera une fermeture totale de l’AG intersyndicale du soir. Les étudiants présents n’auront même pas le droit de rentrer (“C’est une AG invitée par la CGT. Seuls les invités de la CGT peuvent rentrer” dira un vigile). Dans ce mouvement l’AG intersyndicale fut, un court moment ouverte à tous. Puis, tout le monde continua de pouvoir y assister, mais seuls les mandatés des AG et des orgas pouvaient y participer. Désormais seuls les mandatés peuvent entrer. De toute façon chacun sait qu’une partie des décisions importantes (les parcours de manifs par exemple) sont décidées dans une autre instance, encore plus fermée. Pour protester contre cette situation, et le comportement du SO, un certain nombre de personnes (notamment syndiqués Sud, Snesup, ou CGT) ont quitté ce jour l’AG de l’intersyndicale.

Mais revenons à notre manif’ : les quelques centaines de personnes se dirigent vers le Medef, mais se retrouvent bloqués par une ligne de gardes mobiles.
Si la police protège le Medef, elle est assimilée à lui : les oeufs partent, par centaines, sur les forces de l’ordre. Ces dernières gazent plusieurs fois, puis chargent. Le cortège revient à la préfecture et annonce sa dispersion.

Dans l’heure qui suit des équipages de la Bac vont procéder à des arrestations plus ou moins ciblées, dans le centre-ville. 8 personnes seront arrêtées (la police prétend avoir des photos d’eux, lançant des oeufs). Et 4 autres qui tenteront de s’interposer lors d’une arrestation. Ce matin, 9 personnes avaient été libérées, dont 5 avec une convocation devant la justice en janvier. 3 autres étaient encore en garde à vue.

La fin du mouvement ayant été “officiellement” annoncée par le gouvernement et leurs alliés, la police se permet désormais de procéder à ce genre d’opérations, même pour des actions aussi symboliques que cet après-midi. Cela ressemble, de la part des forces de l’ordre, à de l’entrainement, de l’intimidation, et une manière de gonfler les chiffres (le ministère de l’intérieur annonce l’arrestation de 22 casseurs aujourd’hui sur toute la France. Nos 12 casseurs d’oeufs présumés en font-ils partie ? )
Il va sans dire que ceux qui divisent le mouvement (par exemple en envoyant le SO taper sur d’autres manifestants) facilitent ce genre d’opérations policières.

Si nous sommes déterminés à continuer, il va nous falloir nous organiser, et agir, différemment.
La police, et ceux dont le seul désir semble être de diriger, commander, évincer et diviser, veulent reprendre la main sur la situation. Bon courage à eux…