Pascal, tu es de ces militants internationalistes qui défendent les militantes et militants progressistes du « 3ème camp » au Moyen-Orient (ni impérialisme, ni islamisme). Tu es aussi un vrai militant communiste qui n’oublie pas que l’État palestinien attendu sera aussi un État capitaliste au service de la bourgeoisie palestinienne. Ça n’a l’air de rien, mais je crois que nous ne sommes peut-être plus si nombreux par les temps qui courent à garder ces principes clairs à l’esprit. Je voudrais donc prendre un moment pour échanger avec toi sur l’état d’excitation à gauche suite aux derniers crimes de l’armée israélienne au large de Gaza.

On assiste ces derniers temps à des « échauffements », comme une sorte de basculement de la condamnation habituelle et légitime de la politique d’Israël envers les palestiniens vers un ralliement de plus en plus généralisé au camp nationaliste palestinien, fut-il instrumentalisé par les réactionnaires du Hamas: glissement dans les mots d’ordre de manifs, dans les prises de positions habituelles, dans qui participe à quels meetings organisé par qui pour y faire et y dire quoi, etc. Comment expliques-tu que la question palestinienne ait rendu un peu folle l’extrême-gauche ? Est-ce simplement parce qu’elle a pris l’habitude de n’y voir qu’une problématique coloniale sans s’intéresser vraiment aux luttes de classe sur place? Ou au-delà de ça y a t-il une faille profonde dans les traditions de l’extrême-gauche française qui la rend perméable aux récupérations?

– Je ne crois pas que l’on peut parler de basculement récent, mais plus d’une conséquence d’une veille tradition politique, tradition qui est celle du renoncement, en fait, à lutter pour la création d’organisations communistes révolutionnaires et pour le socialisme. Lors des mouvements anti-coloniaux de l’après guerre, une grande partie de l’extrême-gauche s’est mise à la remorque des organisations nationalistes des pays du tiers-monde. On peut rappeler que des trotskistes sautillaient après 1968 en criant « Hô hô hô Chi Min, Che che Guevara »… Or, pour tout communiste internationaliste, Hô Chi Min reste ce dirigeant stalinien et nationaliste qui a fait massacrer les communistes indochinois du groupe « La lutte ». Et cette position, ce soutien aux nationalistes, se retrouvait aussi sur la Palestine, où l’OLP était quasiment considéré comme une organisation socialiste, alors que ça n’a toujours été qu’un front nationaliste, dominé par la bourgeoisie palestinienne et, aussi, par différents intérêts des États et bourgeoisies arabes de la région. Ce qui s’est passé ces dernières années, c’est le renforcement du poids de l’Islam politique en Palestine, avec le Hamas qui a pris le pouvoir dans la Bande de Gaza et qui apparaît aujourd’hui comme l’aile la plus radicale du nationalisme palestinien. Les mêmes qui hier soutenaient l’OLP ou le Fatah soutiennent aujourd’hui, de façon plus ou moins (et surtout moins) critique, le Hamas. On peut ajouter qu’on voit le même phénomène avec le soutien au Hezbollah au Liban, aux groupes islamistes en Irak, ou même, pour certains, des Talibans en Afghanistan. Mais en 1979 déjà, une partie de la gauche et de l’extrême-gauche, avait vu en Khomeiny le leader d’une « fraction nationale progressiste » de la petite-bourgeoisie et une force « anti-impérialiste ».

Au nom de cet « anti-impérialisme« , qui, contrairement à Lénine, ne voit pas dans l’impérialisme « le stade suprême du capitalisme » et donc un phénomène normal du mode de production capitaliste, mais le limite à « quelques pays méchants », une partie de la gauche et de l’extrême-gauche s’est, comme je le disais, mise à la remorque de mouvements nationalistes, et donc bourgeois, y compris les plus réactionnaires. C’est bien sûr, tourner le dos à toute analyse marxiste, oublier qu’aujourd’hui chaque pays est divisé entre bourgeoisie et prolétariat, et pour le cas des courants islamistes c’est même tourner le dos aux droits humains en particulier les droits des femmes.

La différence entre aujourd’hui et hier, c’est que le Hamas, par exemple, n’est pas seulement un courant isolé palestinien mais qu’il fait parti d’un mouvement politique et social global, celui de l’Islam politique, mouvement qui a aussi ses militants en Europe, ce qui change énormément, dans le concret, par rapport à un soutien qui ne serait que symbolique ou platonique à tel ou tel mouvement nationaliste situé à des milliers de kilomètres. Et de fait, on peut voir des meetings contre-natures où des personnalités qui se disent de gauche interviennent aux côtés d’islamistes. C’est en Grande-Bretagne, avec le SWP, que cette stratégie est allée le plus loin et a été le plus théorisée avec la fameuse phrase, lors de la guerre civile en Algérie, « Avec l’État jamais, avec les islamistes parfois ».

Derrière cette logique, il y a, je trouve, un véritable mépris pour les peuples des pays sous occupation. En gros, ces mêmes groupes se définissent féministes, parlent de la lutte des classes, et parfois même de la perspective révolutionnaire d’en finir avec toute forme d’oppression lorsqu’il s’agit de l’Europe, mais semblent ne voir aucun problème à ce que des femmes, arabes en l’occurrence, soit fliquées et assassinées par des bandes armées islamistes au Moyen-Orient ou au Mahgreb, que des communistes ou des progressistes doivent subir la répression de ces groupes, etc, etc. L’impression que ça donne c’est que, pour ces gauchistes, l’internationalisme, le marxisme, le féminisme, la liberté, l’égalité ne seraient que des concepts pour « l’Occident », et qu’en Palestine les gens devraient subir ce que eux ne supporteraient pas une seule journée, au nom de la « priorité à la lutte nationale ».

– Concrètement, plusieurs camarades en province se posent la question de leur participation ou pas aux manifs organisées régulièrement contre chaque saloperie commise par l’armée israélienne dès lors qu’ils ne sont pas en mesure de se retrouver à quelques un dans une partie du cortège pour y porter un slogan internationaliste ou au moins laïque, n’étant pas de facto à la remorque des nationalistes et surtout des pro-Hamas. Qu’en penses-tu?

– Je comprend bien ces camarades. La question de la participation à une manifestation est une question tactique, et à mon avis, l’activité communiste ne se limite pas, loin de là, aux manifs, il y a tout un travail de fond à faire avec la population dont la majorité ne va pas ou pas souvent aux manifs, dans les quartiers populaires, dans les boîtes, etc. Pour répondre à ta question, je crois que, pour ce genre de manif, la question est : peut-on y intervenir ? Peut-on y faire entendre une voix internationaliste ? Mais pour cela il ne faut pas être isolé. C’est une vraie question tactique que tu poses, parce que bien sûr, on a tous et toutes envie d’exprimer notre rage après un nouveau crime de l’armée israélienne, mais, pour moi, si c’est pour me retrouver isolé au milieu de drapeaux nationaux, de fanions du Hezbollah et de slogans à la gloire du Hamas, très peu pour moi. En fait, les seuls manifs contre la politique militariste israélienne où je me suis senti à l’aise, c’était lors de la guerre contre le Liban, en 2006, à Tel Aviv. Le slogan principal était « juifs-arabes, nous refusons d’être ennemis » et les drapeaux étaient, à 90%, des drapeaux rouges.

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