Aux camarades et aux amis de Rennes et d’ailleurs.

Mercredi 2 juin dernier nous étions pas mal à défiler ensemble dans les rues de Rennes en réaction à un énième crime de guerre de l’armée israélienne, dont le nom hypocrite, Tsahal, (c’est à dire armée de défense de Heretz Israël), ne dissimule pas ses prétentions impérialistes.

Je suis convaincu qu’il n’y a personne parmi nous qui soit antisémite, ni qui soit islamiste. Je ne suis pourtant pas certain qu’il n’y ait chez certains et certaines de nos camarades, une propension à construire une mystique de la religion comme ferment de l’identité des enfants des immigrations maghrébines, sub-africaines et turques.

L’islamisme est une pensée politique réactionnaire dont la montée en puissance s’est construite sur l’anti-impérialisme et le discrédit des élites politiques en Afrique et aux proche et moyen-orient. L’exaltation des masses dont elle participe se produit dans un contexte d’hégémonie du capitalisme sous son modèle occidental. Certains pourraient être poussés à croire, dans la limitation de leur critique du capitalisme par le prisme civilisationnel, ou même culturel, qu’en définitive le recours à l’identité religieuse comme renforcement du lien communautaire serait une forme comme une autre de résistance sociale.

La critique de la haute-bourgeoisie, cosmopolite et internationale, par les nationaux-socialistes allemands, se fondait en large partie sur la présentation du redressement culturel de l’Allemagne, par la convocation des grands mythes allemands, tels que Siegfried, face à une conspiration juive, visant à avilir l’Europe, à la bâtardiser. Ce mouvement extrêmement réactionnaire, en appelait aux masses, les libérait pour laisser exploser une dynamique révolutionnaire. Les Nazis étaient en phase avec la passion révolutionnaire des masses, parce qu’ils touchaient chez elles les énergies libératoires inhibées par des siècles d’oppression. Le plaisir, le délire, la destruction des règles établies (au moins un temps), correspondait à ce que tout mouvement révolutionnaire produit chez ses acteurs, le sentiment profond et joussif de l’affirmation d’un moi de tout temps réprimé. Voilà le piège dans lequel on n’a pas le droit de tomber quand on prétend mener des actions politiques.

Lors de la manifestation du 2 juin dernier, quelques jeunes gens, sans organisation ni bagage politique, ont scandé avec un enthousiasme certain des paroles de prière « Allah ou’akbar », « Leïla ras’houn Allah ». Qu’il soit clair ici qu’il ne s’agit pas de condamner ce que ces gamins ont pu crier dans l’excitation d’une manifestation, ce que j’entends condamner, avec la plus sévère fermeté, c’est cette tendance marginale, mais présente, dont les représentants, érudits, et désormais expérimentés politiquement, nous ont donné un spectacle pathétique. Ce spectacle, c’est d’avoir poussé des gamins à continuer à hurler des bêtises, avec clairement sur le visage une sorte de contentement, voire d’extase. Et quand on leur pose la question du pourquoi faites-vous cela, il y avait ces réponses écœurantes du genre « c’est normal, c’est leur culture », « Ils en appellent à leur identité de musulmans, ce n’est pas choquant ». J’en passe et des bien pires.

Qu’on mette désormais les points sur les i, et les poings sur la table.
Premièrement, il y a clairement depuis au moins 1999, une volonté affichée du politique, en France particulièrement, de créer une identité musulmane chez les enfants d’immigrés arabes, noirs et turcs. L’activation du Conseil National du Culte Musulman par Sarkozy (conseil créé par Chevènement), participe de cette volonté politique. Par cet organisme, l’Etat Français considère qu’il y a en France 5 millions de musulmans. Qu’est-ce que cela veut dire? Eh bien rien du tout, puisqu’en Islam il n’y a pas de clergé, et qu’il est légalement interdit depuis l’après-guerre de tenir des statistiques sur l’appartenance religieuse des français. Pourtant quand on dit qu’il y a 5 millions de musulmans en France on fait exister quelque chose qui n’existe pas. On crée une distinction, un « eux » et un « nous ». On mélange identité, culture, communauté. Suis-je musulman par mon prénom? Par mes origines? Par mes croyances? Par mes pratiques? De fait nous sommes nombreux, athées, à être par la création de cet organisme devenus, malgré nous musulmans. C’est très grave, mais on n’en parle jamais. Comme il y eu une question juive inventée de toute pièce, il y a désormais, en Europe, et particulièrement en France, une question musulmane qui débouche sur un amalgame: identité-Islam-islamisme-jeunes-immigration-violences. Cela s’appelle du racisme, de la discrimination, et en abandonnant la question sociale à la question identitaire, certains de nos camarades ont commis ce 2 juin une très grave erreur politique, mais aussi humaine.

Car, et ce sera le deuxièmement, il y a une différence entre être musulmans dans la vie et scander des versets du Coran dans une manifestation politique. L’Islam (du moins chez les sunnites), je le répète n’a pas de clergé. C’est l’individu qui est responsable face à Dieu. C’est une ascèse, une philosophie autant qu’une religion. Les pires moments de l’histoire des musulmans auront été ces périodes où des ùlémas, auront été investis de pouvoirs plus politiques, pour contrôler la société au profit d’un ordre conservateur, comme ce fut le cas dans l’empire ottoman au XIXème siècle. C’est de la contestation de cet ordre moral, de cette chape de plomb que surgiront plus tard, les réformateurs, séculiers, d’une part, et les islamistes d’autre part. Les mouvements islamistes évolueront dans différentes directions, mais aujourd’hui ils sont tous des mouvements réactionnaires, identitaires, essentialistes, dont les buts sont avant tout d’ordre politique. Que la langue arabe soit liée en l’espèce à la religion, c’est une chose, d’ailleurs maintes fois utilisée par les dirigeants du monde arabe. Mais que le fait d’être enfant d’immigrés arabes (ou berbères) nous lient aux yeux de certains camarades à une appartenance est intolérable. On en a déjà assez de subir cela de la part des politiciens réactionnaires qu’ils soient dirigeants français, ou membres d’organisations islamistes. On se laissera pas faire, et là où je milite je ne laisserai pas un tel discours s’installer. Je le combattrai comme le poison qu’il est.

Troisièmement, je dirai ceci, cela fait plusieurs fois que certains comportements m’ont franchement dérangé, par exemple cette forme de séduction pour les « banlieues » et la « violence des jeunes de cité ». Ce qui est dérangeant c’est que d’abord, on a un peu l’impression qu’il y a une sorte de fétichisation dans laquelle on transforme des individus en objet. C’est à dire exactement ce que font les gouvernants quand ils décrètent l’état d’urgence, qu’ils placent des quartiers sous la pression de la police, qu’ils parlent d’Islam « républicain », et qu’ils en appellent à la délation et à la kärcherisation des « français issus de l’immigration ». On nous tend le piège de l’identité comme substitution à l’appartenance sociale, et certains y fonce tête baissée, et bien qu’individuel, leur acte a une portée collective, il nous engage politiquement tous, tant que nous ne prenons pas une position claire. Il nous faut un vrai débat, pour éclairer et déterminer une position commune, sans renier la vérité des cultures, et des identités, et en même temps ne pas tomber dans les lieux-communs de l’essentialisme, ou dans des clichés qui verraient dans l’Islam une religion du dominé, et le christianisme celle du dominant, ou pire, qui donnerait du crédit aux thèses du choc des civilisations.

Enfin, pour ce qui est de la question du soutien à la population palestinienne, je ne me suis pas senti légitime d’organiser, de noyauter, ou de contrôler cette manifestation, et franchement, quand des gens ne savent même pas reconnaître le drapeau du Hamas l’organisent (le npa par exemple), ou voire qu’ils excitent des passions réactionnaires chez des gamins (les sus-dits camarades), je me demande au nom de quoi d’autre que l’accomplissement de leurs propres délires (que certains ou certaines appellent « désir ») ils obéissent.