Proces 15-12
Catégorie : Global
Thèmes : ArchivesPrisons / Centres de rétention
COMPTE RENDU DU PROCES DES MUTINS DE CLAIRVAUX
ACTE I : Tribunal de Troyes, le 15 décembre 2003.
Aujourd’hui, comparaissaient 12 personnes inculpées de la mutinerie du 16 avril 2003 à la prison centrale de Clairvaux : dans une atmosphère tout à fait surréaliste, les 12 mutins ont fait face à un procureur haineux, des parties civiles fières et sûres de leur bon droit – dont Danet, directeur de Clairvaux, quelques matons ayant tout à fait la tête de l’emploi, un syndicaliste FO (le syndicat s’étant porté partie civile[1]) -, une quantité impressionnante de bleu marine (CRS, RAID, simples gendarmes) – pour tout dire, le Proc’ a même déclaré que « toutes les forces de l’ordre du département étaient aujourd’hui concentrées sur le Palais de Justice »… Et heureusement, une trentaine de personnes étaient venues soutenir les mutins et faisaient les chœurs, avec des « oh » d’indignation (« les prévenus vont comparaître entravés ») et des « ah » de satisfaction (« les dommages sont évalués à 4 millions d’euros »). Et au milieu, une dizaine d’avocats qui ont plutôt fait honneur à leur profession : c’est plutôt rare, alors autant le souligner.
Voici comment l’audience s’est déroulée. Dès le début, les avocats sont montés au créneau car les 12 inculpés étaient tous menottés (comme si le fait qu’ils étaient tous encadrés par deux gendarmes et la quantité phénoménale de CRS et de gendarmes du RAID dans la salle d’audience ne suffisait pas). Or, selon l’article D6 283-4 du Code de Procédure Pénale :
« aucun lien ne doit être laissé à un détenu au moment de sa comparution devant une juridiction. »
Après une suspension de séance, le juge a finalement opté pour une solution boiteuse : que les prévenus comparaissent entravés, mais qu’ils soient désentravés lorsqu’ils étaient entendus. « Ouh » ! C’est donc dans des conditions très particulières (même en cour d’assises, on ne voit jamais cela…) que l’audience a commencé.
Il a été fait lecture des faits reprochés aux douze inculpés : des coups et blessure sur des matons, des dégradations volontaires (« 4 millions d’euros, quand même »…), aggravées du fait qu’elles ont lieu sur un monument classé (« ouh ! » Comme si on leur avait demandé de choisir pour leur lieu de résidence entre une abbaye classée et une vulgaire prison 13 000 !). Cela a été l’occasion de prises de paroles très intéressantes par les prévenus, qui ont tous demandé des renvois.
Des interventions des prisonniers, on a d’abord compris que, volontairement, avaient été entravés les droits de la défense. D’abord les accusés venaient de différentes centrales (Lannemezan, Moulins, Poissy, Ensisheim notamment), car ils ont tous été transférés après le 16 avril dernier, passant souvent de longs mois dans des maisons d’arrêt et/ou des quartiers d’isolement. Ces transferts disciplinaires sont synonymes, d’éloignement des proches, interruption du travail ou des études entreprises, etc. mais aussi de l’impossibilité d’une défense collective.
D’autres détenus ont été transféré début décembre, notamment aux quartiers d’isolement des maisons d’arrêt d’Auxerre, de Chaumont et de Besançon : ils n’ont appris leur convocation à l’audience du 15 décembre que dans le fourgon ou arrivé à destination… Au-delà des conditions de détention dégradées au moment même où les personnes doivent passer en jugement, il faut reconnaître que c’est un peu court pour préparer une défense…
L’un des inculpés a fait part des faits suivants :
Après la mutinerie, il est resté à Clairvaux. Mieux, il a continué à travailler aux ateliers, à Clairvaux : il a touché normalement ses fiches de payes, et même, lorsqu’il a demandé à changer d’atelier, sa demande a été acceptée. La direction, comme les matons, ne le considérait donc pas comme un mutin. Or, il a participé le 3 novembre dernier à un mouvement pacifique pour protester contre l’interdiction qui est faite aux prisonniers d’organiser des repas à plusieurs (alors même qu’en cantine, ils peuvent se procurer des gâteaux faits pour 12 personnes…) Le 10 novembre, il est « balluchonné » (c’est à dire transféré au petit matin…) et c’est plus quinze jours plus tard qu’il reçoit sa convocation pour l’audience du 15 décembre : ce qui ressemble fort à un règlement de comptes…
Tous les détenus ont souligné l’absence totale d’instruction, le fait qu’aucune preuve matérielle n’était avancée et que personne n’avait été entendu par un quelconque juge d’instruction. L’impossibilité de se défendre correctement a donc motivé leur demande unanime de renvoyer le procès.
Les interventions des avocats ont permis de souligner un certain nombre d’anomalies juridiques lors de cette audience, confirmant point par point ce qu’ont déclaré les prisonniers à différents moments. Ils se sont appuyés notamment sur l’article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« Droit à un procès équitable »), permettant de faire cassation vue l’indignité des conditions de cette audience :
« Tout accusé a droit notamment à :
– être informé, dans le plus court délai, […] de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
– disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
– se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
– interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge […]. »
Certains avocats n’ont pu rencontrer les prévenus qu’entre deux gendarmes et entre deux camionnettes, c’est à dire à peine plus que juste se présenter à eux. Les délais de désignation des avocats étaient tellement courts (les prévenus ayant été averti, au mieux juste 10 jours avant l’audience, mais pour certains dans un délai inférieur à la loi), qu’un seul a pu étudier le dossier sommairement le matin même, alors que les autres étaient soit absents car n’ayant pas pu se dégager de leurs autres audiences, soit totalement impréparés à défendre les prévenus. Ainsi, une avocate, commise d’office, avait été prévenue par le bâtonnier le vendredi soir pour l’audience du lundi, et se retrouvait chargée de la défense de six personnes, ayant chacun une défense propre à mener… On croit rêver !
Or les avocats ont confirmé les propos des prévenus concernant l’absence d’instruction, comme l’impossibilité d’avoir un débat contradictoire vu qu’aucun témoin des faits n’était convoqué, et donc le caractère parfaitement inéquitable du procès s’il devait avoir lieu ce jour-là. Les avocats qui ont pu entr’apercevoir les dossiers ont fait part du caractère laconique des procès verbaux des gendarmes, confirmant ainsi les propos des prisonniers eux-mêmes.
Un avocat a eu tout à fait raison de rappeler que ces conditions de procès étaient parfaitement indignes, et rappelaient étrangement celles lorsque existait encore la scélérate loi anti-casseurs : vindicte de la justice sur des victimes désignées de la répression…
L’impossibilité matérielle de faire des citation à témoins in extremis a été également souligné par un avocat qui a émis le souhait de voir, au procès, témoigner, entre autres : Danet, Pivet (responsable de l’armurerie de Clairvaux), d’autres prisonniers, et aussi des surveillants dont les déclarations aux gendarmes seraient bien plus favorables aux prisonniers que ne laisse penser la version finale des accusations portées à leur encontre.
Le Procureur a par la suite réussi à incarner, avec beaucoup de talent, un mélange subtil de bêtise et d’idées des plus malodorantes. Se félicitant du respect de « l’esprit » de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme (« ouh ! »), il a estimé que le procès se déroulait dans des « conditions satisfaisantes », vue la dangerosité des prévenus : « 4 millions d’euros, quand même »…
Bien sûr, après avoir rappelé l’existence de victimes et de parties civiles, il a fait une grossière allusion à Buffet et Bontemps (« grossière allusion » oui, car cet horrible personnage, bien connu à Troyes pour ses propos souvent racistes pendant les audiences, ne semble connaître que la loi du sang (le sang appelle le sang) et la vile satisfaction de mettre une robe pour se croire un homme), condamnés à mort dans ce même tribunal, et également référence aux parties civiles (non encore dédommagées) d’une évasion remontant à une dizaine d’années à Clairvaux : « 4 millions d’euros, quand même »…
L’audience a donc été renvoyée au mardi 9 mars 2003. Une première victoire pour les prévenus. A nous de relayer l’information et d’être encore plus nombreux à la prochaine audience pour les soutenir, surtout que Danet est venu récemment faire de la provocation sur FR3 en déclarant que l’immense majorité des détenus sont favorables à la fermeture des portes de cellule en journée.
Solidarité, dehors comme dedans ! et la solidarité, ça n’a pas de prix, na !
contact : vivelesmutins@free.fr
site internet : http://vivelesmutins.freeservers.com
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