La volonté d’être utile

Silvia Cattori
Ramallah, Palestine Occupée le 15 décembre

Robyn, une Américaine âgée de 48 ans, venue en Israël pour visiter la ville sainte, n’avait jamais imaginé qu’elle irait un jour dans le camp des Palestiniens. Le hasard a fait qu’une fois à Jérusalem, elle a rencontré des internationaux qui lui ont parlé de l’International Solidarity Movement. C’est ainsi que cette femme a quitté l’hôtel King David pour débarquer dans la boue de Naplouse.

Dès sa première prise de contact avec les soldats à kippa qui maltraitaient des Palestiniens, la vie de cette femme élégante et douce, qui voyageait pour son plaisir, a basculé. Ses yeux se sont ouverts sur l’inimaginable. Sur des faits bruts qui lui ont apporté leur propre perspective.

Au check point d’Howwara, Robyn regardait cette foule de Palestiniens qui se pliaient docilement aux ordres les plus aberrants et ne cessait de répéter : « Ces colonnes de gens me font penser aux Juifs de l’holocauste. Les Israéliens font aux Palestiniens ce que les Allemands ont fait aux Juifs ? « .

Quand la soldate s’est mise à fouiller une femme et à l’humilier avec un plaisir évident, Robyn est intervenue. La soldate l’a dévisagée avec mépris. Alors, Robyn est allée vers les trois soldats qui n’avaient pas plus de 19 ans et qui, eux aussi, brutalisaient les hommes. Parmi eux, elle a repéré le sergent, qui s’est montré tout de suite menaçant. Quand elle lui a dit qu’elle aimait les Juifs, que toute sa famille était juive, que son pays aidait Israël, mais qu’elle n’acceptait pas que des Juifs se conduisent de la sorte avec des non Juifs, il a accepté le dialogue.

 » Mais de quel droit les martyrisez-vous ? Ils sont chez eux « .

 » C’est notre terre  » a répondu le soldat d’un air sarcastique.

 » Qui a dit ça ? « 

 » La Bible « 

 » C’est un livre ancien. Vous devez partager »

 » Dieu nous l’a donnée. Si les Indiens veulent ta terre tu la lui donnes ? « 

 » C’était une grande erreur. Vous n’allez pas faire les mêmes erreurs que les Américains « 

 » On fait aux Palestiniens ce que les Américains font aux Irakiens  » ricanait-il.

 » Dans le monde on vous déteste. Vous êtes de plus en plus haïs »

 » Tu me déranges. Si tu ne pars pas j’appelle la police « 

Elle n’est pas partie. Elle n’avait pas peur. Elle avait l’avantage d’être Juive et de posséder, au surplus, le passeport américain. Elle aurait pu passer sans montrer son indignation. Elle a pris le parti de la justice : d’utiliser ses privilèges à fond, pour défendre les Palestiniens injustement écrasés.

Il y avait là, le Major Ofal, ou Ofer – le teint violet, la cinquantaine bouffie – qui se vantait d’être, lui, humain, d’avoir été placé là pour contenir l’ardeur des jeunes soldats dans certaines limites. Pendant que Robyn lui assénait tout ce qu’elle pensait des Juifs qui maltraitaient les Palestiniens, des centaines de Palestiniennes qui attendaient depuis des heures sous la pluie, portant, sacs, enfants, bagages, ont profité de ce flottement, et sont passées sans encombre.

Chaque jour il y a des jeunes voyageurs en route vers l’Orient, qui font une escale à Jérusalem. Ils se retrouvent dans des Hôtel comme le Faical, porte de Damas. Là ils rencontrent d’autres jeunes qui reviennent de Naplouse ou de Jenin avec le sentiment d’avoir voyagé « utile » et d’avoir découvert une vérité que le monde veut leur cacher : que le fanatisme juif est tout aussi répugnant que n’importe quel fanatisme ; que les Arabes, les musulmans, les Palestiniens sont des êtres pacifiques. Et que les soldats israéliens qui sèment la haine, le désordre et l’insécurité, ne sont pas du tout des êtres pacifiques.

Ces jeunes, que l’imposture et les mensonges de l’Etat d’Israël et de ses alliés auraient laissés – comme des générations de jeunes avant eux – dans la confusion et la désinformation, en quelques jours de voyage en Palestine ils peuvent comprendre cette chose simple : que l’Etat d’Israël qui fait la guerre avec des F 16 et des tanks à des populations innocentes, à des enfants, à des hommes qui n’ont pas de quoi résister dignement, est un état terroriste.

Il y a là un espoir. L’espoir que, grâce à la venue de tous ces gens, grâce à la sympathie qui s’établit entre eux et les populations écrasées que les imposteurs cherchent à délégitimer, le monde parvienne plus vite qu’on ne le pense à une meilleure compréhension des choses.

Silvia Cattori