Le film Avatar de James Cameron (metteur en scène du film Titanic entre autres) est en train de devenir un véritable phénomène de société. Projeté en 3D, des images de synthèse d’une qualité sans précédent (les données de la plateforme de production atteindraient le peta-octet), un investissement financier démesuré, tout dans ce film est extravagant. Et comme toute oeuvre d’art, Avatar nous renvoie une certaine image de la société dans laquelle nous vivons.

La trame du film est d’une simplicité biblique. Une puissante corporation terrienne a découvert sur la planète Pandora des gisements d’un minerai rare et convoité ; elle envoie donc sur place tout ce qu’il faut d’engins et d’ouvriers (qu’on ne voit jamais d’ailleurs) pour ouvrir une mine. Le seul hic : la planète, couverte d’une splendide forêt vierge, est habitée par des peuplades indigènes humanoïdes, bleues de peau et de trois mètres de haut, qui n’ont aucune intention de se laisser déplacer sans résistance. L’entreprise industrielle est donc accompagnée d’une force armée ressemblant à s’y méprendre à l’armée américaine, avec bombardiers, hélicoptères, et équipements inspirés des “mekka”, les mangas japonais. Toute ressemblance avec la conquête américaine de l’Amérique, le viol du Vietnam ou le pillage de l’environnement pratiqué aujourd’hui en Amazonie, n’a évidemment rien de fortuit. Dans l’espoir de convaincre les indigènes – les “Na’avi” – de se laisser déplacer sans effusion de sang (et surtout sans publicité défavorable), la compagnie envoie également une équipe de chercheurs dotée d’une technologie qui leur permet de fabriquer des corps d’indigènes – des “avatars” – qui seront habités par l’esprit de “pilotes” humains restés à l’abri dans leur camp retranché. Ces derniers pourront donc circuler librement sur la surface de Pandora (dont l’atmosphère est toxique pour les humains) et “gagner la confiance” des indigènes. Un de ces “pilotes”, l’ex-marine Jake Scully dont le corps humain est cloué à un fauteuil roulant, va s’éprendre (dans sa forme “avatar”) d’une belle de la tribu locale, une sorte de Pocahontas bleue, et rejoindre son peuple dont il mènera le combat contre les envahisseurs.

Voilà pour la trame de l’histoire – qu’en est-il du film dans son ensemble ? Sur le plan visuel, il n’y a pas à dire, c’est éblouissant. Non seulement les images de synthèse sont parfaitement convaincantes (les Na’avi sont tout aussi “vrais” que les personnages humains), mais les concepteurs ont déployé des trésors d’imagination pour dépeindre l’exo-biologie pandorienne, dans une vaste fresque vivante de plantes, d’animaux, et même d’insectes imaginaires, le tout avec une cohérence et une attention au détail qui rappelle certains films d’animation de Miyazaki. Impossible de ne pas être séduit quand, par exemple, les Na’avi chevauchent de grands reptiles volants et que, grâce à la projection en 3D, on peut réaliser un des plus vieux rêves de l’humanité et chevaucher dans le ciel avec eux.

Heureusement que le côté visuel impressionne d’ailleurs car l’histoire n’est qu’un collage fadasse de plagiats. Les “nobles sauvages” qui vivent en harmonie avec la nature (le film Green), les blancs décents qui essaient d’arrêter le massacre (dans la lignée de certains westerns modernes), l’étranger qui tombe amoureux et cherche à se faire accepter dans la tribu (Danse avec les loups), la brute épaisse de militaire mégalo américain (Apocalypse Now, mais sans la folie et la culture), la scientifique dans un monde macho (Sigourney Weaver reprenant son rôle dans Alien) – tout y passe. Même le dénouement où l’écosystème tout entier se met en branle pour repousser l’envahisseur, est plagié des romans Deathworld de Harry Harrison. Quel intérêt ce film peut donc il avoir ?

En fait, l’intérêt se trouve ni dans l’histoire – plate et banale – ni dans les personnages en carton, mais dans les thèmes dont le film est composé. A qui sont-ils destinés ? Quelle est l’idéologie qu’ils véhiculent ?

Avant d’être une oeuvre d’art, Avatar représente un énorme investissement financier (entre 250 et 300 millions de dollars) qui doit être rentabilisé. En plus, il ne suffit plus de se contenter d’un succès sur le seul marché américain : selon un article de The Economist du 28 novembre, les deux tiers des profits d’un “blockbuster” se réalisent en dehors des Etats-Unis. Pour réussir, le film doit donc faire appel à des sentiments très largement répandus dans la population mondiale, du moins celle des pays industrialisés. En ce sens, les situationnistes des années 1960 avaient raison de dire que la “société du spectacle” (le capitalisme) met en scène nos propres rêves pour nous les revendre.

Sur le plan des ventes justement, Avatar est un succès incontestable, ayant déjà dépassé le milliard de dollars d’entrées en salle. Il est frappant de constater qu’il a eu un gros succès en France et en Allemagne, les deux pays européens qui se sont particulièrement distingués par leur opposition à la guerre en Irak. L’image peu flatteuse (c’est le moins qu’on puisse dire !) des “marines” et, surtout, le fait qu’ils prennent une raclée à la fin et se trouvent obligés de partir la queue entre les jambes, n’y est sans doute pas pour rien.

Cela dit, James Cameron réussit, par une grosse ficelle, à “sauver l’honneur” pour l’audience américaine. On apprend dès le début du film que les soldats en question étaient “autrefois des marines, combattants pour la liberté”, qui sont devenus mercenaires, et le principal héros est lui-même un ex-marine. On peut donc se permettre d’attribuer le militarisme brutal non pas à l’Etat et à ses serviteurs loyaux mais aux armées privées actuellement déployées en Irak et en Afghanistan par les firmes de “sécurité” qui assurent logistique et “protection” pour les grosses boîtes comme Halliburton mais aussi, et de plus en plus, directement pour l’armée américaine. Du côté des “bons”, les Na’avi représentent, bien sûr, le rêve d’une humanité de nouveau en harmonie avec la nature. Ils chassent, mais tuent leur proie avec respect, ils vivent paisiblement dans une forêt qui n’est pourtant pas sans danger. Cameron ne s’embarrasse pas de considérations métaphysiques – le lien entre les Na’avi et le monde naturel est assuré par le fait que la planète elle-même est une créature vivante (une idée piquée au roman Solaris de Stanislas Lem, mis en scène dernièrement par George Clooney) et que les autochtones sont naturellement équipés de sortes de clefs USB biologiques leur permettant de se « brancher » aux animaux et aux plantes. Les invraisemblances sont légions. Les Na’avi mâles (des Apaches bleus) sont de “grands guerriers” alors qu’ils n’avaient personne à qui faire la guerre avant l’arrivée des humains. Les femelles sont les égales des mâles, y compris à la chasse, ce qui ne les empêche pas d’être cantonnées dans des tâches spécifiquement féminines (il n’y a pas de “guerrières” par exemple).

Et pourtant ça marche ! Le film se termine avec un grand coup d’adrénaline et l’audience ravie de voir la compagnie minière chassée de la planète par les indigènes (peut-être la plus grande de toutes les invraisemblances !) applaudit.

C’est du pur fantasme, évidemment. Mais il est intéressant de comparer ce fantasme, qui sort en plein marasme économique, avec ceux créés lors du dernier grand krach. Une grande partie de la production hollywoodienne des années 1930 consistait en films mettant en scène des rêves de richesse dans un monde peuplé de playboys, d’aventuriers et de milliardaires – le monde par excellence de Fred Astaire et Ginger Rogers. Ce rêve-là n’est plus de mise. Dans Avatar, les grandes entreprises sont définitivement rangées du côté des “méchants”. Aujourd’hui, le meilleur rêve – celui qui fait rentrer les plus grosses recettes – que la machine à fantasmes capitalistes puisse nous vendre, c’est un monde où le capitalisme lui-même serait définitivement banni.

Jens – Courant Communiste International