« Mercredi 16 est la journée où la désobéissance prend forme : elle se libère finalement de toutes les superstructures de contrôle qui l’ont bridé jusqu’à ce jour, se transformant d’affaire de quelques uns et pour quelques-uns, et assume les caractéristiques qu’elle peut potentiellement avoir. Celles du langage et de la pratique multiforme de la multitude, laquelle, en s’affirmant, détermine sa propre “indépendance”.»

Luca Casarini,
leader des « disobbedienti » (ex tute bianche),
porte-parole d’une coordination de centres sociaux italiens,
et bientôt consultant en marketing et publicité

Dialogue avec un type, dans la tente altermondialiste :

– Je pense qu’il ne fallait pas attaquer la police
– Que ce n’était pas le moment ?
– Je pense que c’est toujours une erreur d’attaquer la police, car les violences prennent une importance disproportionnée dans la couverture médiatique.
– Et vous ne croyez par qu’il y a des choses plus importantes que la couverture médiatique ?
– Nous sommes ici pour représenter tous ceux qui n’ont pas pu venir à Copenhague. Nous étions 40000, mais nous représentions l’ensemble de la planète. Nous envoyons un message fort à l’ensemble des gens et aux hommes politiques. Et le policier, lui aussi, il est peut-être sensible à l’avenir de la planète, et s’il ne l’est pas, ses enfants le sont.
[…]
– Cette conférence de Copenhague est ridicule
– Ils ne parviendront jamais à sauver la planète. Ils veulent faire baisser les émissions de CO2 de 35% d’ici 2025, notre mission est d’obtenir -60% d’ici 2050, sinon nous sommes foutus…
-60%, c’est d’après le GIEC la condition sine qua non pour que la température du globe n’augmente que de X degrés.

Rarement un tel étalage de médiocrité militante aura bénéficié d’un battage médiatique de l’ampleur de celui qui s’est abattu sur Copenhague en ce mois de décembre 2009. Chaque grimace, chaque alter-cation, chaque cohorte de rennes tristes, chaque déclaration hypocritement enflammée aura fait plusieurs fois le tour du monde, porté par le grand flux de n’importe quoi généré par la conférence censée sauver l’humanité.

Certaines personnes pensent qu’il est parfois juste de désobéir aux ordres. Elles appellent cela de la « désobéissance civile ». Il s’agirait en quelque sorte d’anticiper une légalité à venir, de désobéir à crédit lorsque la situation, trop urgente, nous contraindrait à agir en dehors des cadres légaux afin d’amener ceux-ci à évoluer plus vite. Désobéir ponctuellement, pour pouvoir obéir plus durablement, telle pourrait être la devise de ces super citoyens.

À chaque contre-sommet, à chaque événement globalisé, ils sont là, mais à Copenhague, le milieu altermondialiste s’est retrouvé comme un poisson dans l’eau, a pu déchaîner son pouvoir lénifiant et faire de ce contre-sommet un summum de médiocrité. Préparé depuis plus d’un an par un collectif semi-virtuel sur les bases d’un semblant de perméabilité, l’hégémonie molle du courant désobéissant a absorbé toutes les critiques, avant de les recracher, intégrées (en « affinity group »), dénaturées, dans leur plan d’action, leur parti réseauifié », néoléniniste. Le refus de la conflictualité – comme forme antidémocratique destructrice du mouvement-parti -, le nivellement voire la disparition des antagonismes par le biais d’un objectif, d’une idée, au dessus de toute remise en question : sauver la planète. Le même discours qu’à l’intérieur du COP15 : travailler ensemble, pour sauver la planète. De fait, sur ce terrain, aucun groupe – le morcellement était d’autant plus renforcé par le boycott des AGs, où ceux qui n’étaient pas d’accord ne devaient pas l’exprimer et où les non-anglophones n’avaient pas leur place – n’avait la force de remettre en cause ce qu’on voulait nous imposer comme un consensus. Nous pouvons donc l’affirmer, leur apothéose a triste mine. Nous avons été informés là-bas, lors de diverses assemblées, que tout avait déjà été démocratiquement décidé, aussi n’avons nous pu pas même faire part de notre mécontentement, qui n’était pas petit, et dont le bourdonnement était quasi sensible dès que l’on se plaçait dans l’angle mort des caméras.

Ceux qui vénèrent l’ordre et l’État ont tendance à accorder une grande valeur à la moindre transgression de la loi, la plus minime des infractions n’étant par ailleurs justifiable à leurs yeux qu’aux moyens de grands discours renvoyant au salut de l’humanité. Ainsi, ce qui importe le plus à un désobéissant lors d’un acte de désobéissance n’est pas d’atteindre un but prohibé par l’État mais de désobéir à l’État afin d’exercer sur lui une supposée pression. Il en découle que ce n’est pas tant l’acte lui même qui importe que l’intention affichée de l’acte. C’est pourquoi nous avons eu le plaisir de découvrir, affichées sur les murs de Copenhague, les intentions assez ambitieuses (blocage du port, occupation du ministère de l’intérieur) des organisateurs, ou plutôt celles qu’ils nous distribuaient généreusement lors de chaque assemblée post-démocratique.

Lors de la mascarade de Copenhague, nous avons pu admirer bouche bée le dispositif contestataire du XXIe siècle, qui s’est répété jour après jour suivant un même schéma bien huilé. Ce dispositif consiste dans la préparation minutieuse et proclamée de son propre échec à venir. Ainsi, la police était prévenue pour chaque action illégale par voie d’affiches et de tracts contenant un luxe de détails. D’autre part, les organisateurs prenaient soin de désarmer tous les participants aux actions, les épuisant dans des trajets interminables, leur interdisant de faire usage de la violence y compris pour leur propre défense, et les entravant dans leur mouvement en leur imposant un rythme d’escargot et une réactivité d’huîtres (« faites des chaînes ! Ralentissez !Serrez la chaîne ! Ralentissez ! Protégez le camion ! Ralentissez ! »…..) Les organisateurs parvinrent ainsi à l’exploit de faire arrêter des milliers de personnes par la police danoise, qui est sans doute la plus nulle d’Europe. (toute attaque d’envergure à l’aide de moyens rudimentaires
aurait facilement pu la mettre en déroute).

La boucle est bouclée. Les désobéissants, arrêtés – avant même toute action -, « violentés», sont confirmés dans la certitude de la radicalité de leurs actes, et parallèlement, ils sont soulagés du poids d’avoir quelque chose d’illégal à commettre. Par la répression, ils sont même quittes des mauvaises pensées qu’ils ont pu avoir. Éventuellement, ils peuvent tenter de convaincre les policiers de les imiter : « Obéir à un ordre Illégal est Illégal ! ». Avantage supplémentaire de l’opération, les incontrolés potentiels sont également dans le panier à salades, et leurs amis neutralisés par les manifs de soutien (prévues d’avance et déjà déposées).

Des images de jeunes sauvagement réprimés – pour rien – font le tour du monde. Ce à quoi sert réellement la police, on n’en dit mot.

Un mauvais rêve vient chasser l’autre sans que le présent en soit altéré, à peine avons nous pu goûter l’amertume d’un temps gâché que nous sommes sollicités par de nouvelles vaines promesses. Les experts de la contestation citoyenne nous font oublier les échecs flagrants de leur politique en regard de leurs promesses mirobolantes en faisant sonner de nouveau le tocsin de la « mobilisation ». Pas de mauvaise conscience pour ces spécialistes de l’oubli qui mesurent leur efficacité à l’aune de la saturation de leurs « agendas militants ».

Il nous paraît nécessaire qu’une trace subsiste de notre passage à Copenhague, de cette mauvaise expérience à Copenhague dont nous voudrions qu’elle ne se reproduise plus. Trop de fois nous avons répondu à un appel, nous sommes arrivés sur un champ de bataille déjà perdue, et nous sommes retournés sans un mot, évoquant à peine ce qui nous était arrivé. Nous devons faire une histoire de nos échecs, qui à maints égard serait plus utile que l’actuelle énumération de nos semi-victoires. En commençant par rappeler que le contre-sommet de Copenhague a été un moment réel, que nous y avons effectivement traîné nos guêtres et qu’il aurait pu se dérouler différemment, nous souillons la nullité parfaite de ce qui voudrait avoir été un moment de spectacle à l’état pur, distrayant et sans conséquences, un beau mensonge garanti de toute discussion par l’oubli général.

Ceux qui se voient en acteurs d’un quelconque Mission Impossible ne nous ont pas convaincus. Ce n’est pas en prêchant devant un parterre de bigots attendant la fin du monde que la police est terriblement répressive et que par conséquent il faut se désolidariser de tous ceux qui la combattent qu’ils sauveront la planète. Cette forme «d’intelligence» ne nous intéresse pas plus que leur mission. Leurs criailleries n’inquiètent d’ailleurs pas beaucoup les flics, et c’est pourquoi il nous paraît nécessaire de contrecarrer une campagne de désinformation au sujet de l’échauffourée de Christiana du 14 décembre.

Ce soir là, nous en avions plus que marre des actions débiles pendant lesquelles nous étions
gaiement instrumentalisés, nous en avions plus que marre des discours lénifiants dont on nous abreuvait. Pendant qu’un concert avait lieu dans la tente centrale de Christiana, nous avons commencé vers 23h à monter des barricades autour du village, suite à quoi la police a afflué vers nous avec une rapidité surprenante, nous empêchant de porter le combat au centre de la métropole (elle s’attendait à quelque chose pour cette nuit là). Nous avons caillassé, molotovisé, feu d’artificé les keufs, nous avons redonné un peu de vie à cette antre de la récupération marchande qu’est devenue Christiana, puis nous avons tous été arrêtés, certaines personnes de manière très violente.

Les altermondialistes ont beuglé que la police avait attaqué le camp pour empêcher Naomi
Klein de déverser ses paroles subversives, en réalité nous avons attaqué la police pour contredire Naomi Klein et son fan-club. Faute de réelle motivation, l’expérience s’est malheureusement conclue trop tôt. Néanmoins, face à la chape de plomb du discours de l’impuissance, nous avons jeté un cri, nous étions toujours vivants.

En dehors de cette nuit là, le moment le plus intense de ce contre-sommet a eu lieu lors de notre emprisonnement collectif, le 13 décembre, à environ 300. Enfermés dans des cages en kit, sortes de légos montés à la va vite pour le sommet de Copenhague, ces cages ont assez souffert de notre passage, pendant lequel nous avons eu l’occasion de nous livrer à une certaine euphorie, à visage découvert, et sans inquiètude. Il paraît que de telles scènes se sont reproduites durant d’autres journées, et toujours la situation était à la limite de l’incontrolable pour nos gardes chiourmes. « It’s really exciting ! », exultait l’un de mes co-prisonniers. Où l’on voit de manière assez évidente que les prisons les plus solides ne sont
pas celles que l’on pense.