Copenhague: le fiasco des négociations

A la gare de Hambourg, les grands journaux allemands titrent « Copenhague: le chaos », « Le désastre de Copenhague ». Il n’y a pas eu d’accord, juste une petite déclaration de trois pages sans objectifs précis, sans rien de contraignant. C’est bien ce que je voulais, non? Oui. Pas d’accord est définitivement mieux qu’un mauvais accord qui aurait contribué à élargir le marché du carbone, à financer des méga-projets énergétiques dévastateurs (grands barrages, plantations d’agrocarburants, champs d’éoliennes dans les pays du Sud au profit des industries exportatrices) et à accélérer la privatisation massive des ressources naturelles au détriment des communautés locales, paysannes et indigènes. Mais ce que cette débâcle signifie va encore plus loin. Elle signifie que nos gouvernements sont incapables de se mettre d’accord pour trouver des solutions à la crise climatique. Elle donne à voir leur irresponsabilité face à une menace qui
touche chacune et chacun de nous, directement, dans un futur chaque jour plus proche.

« We are peaceful, what are you? »

Dans les rues à Copenhague, nous avons été des dizaines de milliers à demander la justice climatique. A chanter, à crier, à scander « System change not climate change » (« Changeons le système pas le climat »). Du samedi 12 au vendredi 18 décembre, chaque jour les mobilisations donnaient à voir une foule déterminée mais pacifique, prête à se mettre en péril pour se faire entendre, mais décidée à ne pas répondre à la violence policière. Pendant toute cette semaine, pas une fois je n’ai vu une vitrine cassée, pas une fois un geste agressif de la part d’un manifestant. En face, la police danoise avait sorti le grand jeu: gaz au poivre, arrestations préventives massives, matraques, gaz lacrymo, centres de détention spéciaux. En quelques jours, près de 2000 personnes ont été arrêtées, la plupart sans motif. Des centaines de personnes ont été laissées dehors dans le froid, menotées les mains en arrières pendant des heures avant
d’être emmenées au poste. Le 16 décembre, pendant l’action Reclaim Power, alors que les policiers matraquaient, la foule scandait « We are peaceful, what are you? » (« Nous sommes pacifiques, et vous? »).

L’émergence d’une nouvelle alliance mondiale des peuples?

De quoi avaient-ils peur? Nous étions quelques milliers, pas même la foule énorme que nous espérions voir déferler sur la capitale danoise. Mais pour la première fois dans les négociations climatiques, un mouvement social se levait pour dire « Nous comprenons ce que vous êtes en train de manigancer et nous ne sommes pas d’accord ». Le 16 décembre, une foule bigarrée se serrait les coudes pour défendre la tenue de l’assemblée des peuples à quelques mètres du Bella Center, là où les chefs d’Etat étaient réunis. A côté d’une femme autochtone de Oaxaca (Mexique), un jeune anars suédois, à son bras une militante d’une organisation environnementale des Etats-Unis, à côté encore, un paysan indonésien de la Via Campesina. Ils demandaient que les énergies fossiles restent dans les sols, ils demandaient la souveraineté énergétique et alimentaire, la relocalisation de la production, ils demandaient que les Etats du Nord payent leur dette
écologique aux pays du Sud. Alors que les gouvernements donnaient à voir leur incapacité à agir ensemble, chaque soir à Ragnhildgade, un des lieux de convergence de Climate Justice Action, des centaines de personnes se réunissaient en assemblée pour définir ensemble, par la voie du consensus, les activités et les messages du mouvement. Tous partageaient le même but, faire entendre la voix des peuples pour stopper la crise climatique, et tous ont décidé d’une stratégie commune pour atteindre cet objectif: la désobéissance civile non-violente mais déterminée.

Reprenons notre avenir en main!

Lors de ce sommet de Copenhague, les puissants ont fait savoir au monde entier qu’ils étaient incapables de trouver des solutions au changement climatique. Aujourd’hui plus que jamais, il paraît clairement que nous ne pouvons pas faire confiance à nos gouvernements pour répondre à la crise globale qui menace notre survie collective. Ceux-ci sont trop liés aux intérêts financiers, trop englués dans la défense de leurs privilèges, trop aveugles à la colère qui nous soulève.

Certains seront désespérés, effrayés de découvrir cette réalité. Ils penseront que puisque les Etats ne sont pas capables de trouver un accord, alors tout est perdu. Mais ce n’est pas la fin du monde, plutôt une piqûre de rappel salutaire! Rien ne se passera si nous ne prenons pas en main le changement! L’échec de Copenhague est un appel, un appel à s’organiser, un appel à aller voir nos voisins, nos collègues, nos amis, un appel à se mettre ensemble dans nos quartiers, nos villages, nos entreprises, nos universités, pour construire des solutions et changer le rapport de force qui oppose l’intérêt des populations à celui des puissances financières et économiques.

J’espère cela, j’espère que devant l’incapacité flagrante des gouvernements de nous sauver, NOUS trouverons l’énergie d’organiser un peu partout des assemblées populaires pour la justice climatique. Je me prends à rêver à des assemblées d’assemblées où se construiraient, petit à petit et par le consensus, les réponses que les populations souhaitent pour leur avenir.

Le prochain sommet sur la climat sera au Mexique: prenons exemple sur les mouvements mexicains! En 2006, un grand mouvement social s’y est construit et pendant six mois a pris le contrôle de l’Etat de Oaxaca grâce des assemblées populaires. Nous avons un an avant que, sans doute, les Etats reprennent la main en imposant un nouvel accord basé sur les marchés. 2010 sera crucial. Au Mexique, dans les favellas et les villages, une rumeur circule. 1810 fut l’année de la révolution d’indépendance, 1910 celle de la révolution de Zapata « Terre et Liberté! ». 2010 est pleine de nos attentes.

Morgan Ody