Communiqué du Black Bloc du 30 novembre
à propos de Seattle

Rapport d’une des sections du Black Bloc anarchiste durant les événements du 30 novembre à Seattle :

Le 30 novembre, plusieurs groupes d’individues du Black Bloc ont attaqué différents objectifs dans le centre ville de Seattle. Parmi eux (pour n’en citer qu’une partie), on trouve :

– Fidelity Investment (principal investisseur dans Occidental Petroleum, la plaie de la tribu U’wa en Colombie),

– Bank of America, U.S. Bancorp, Key Bank et Washington Mutual Bank (institutions financières clés dans l’expansion des grands groupes),

– Old Navy. Banana Republic et le GAP (entreprises familiales qui pillent les forêts du Nord-Ouest et les ouvrieres des ateliers de confection),

– NikeTown et Levi’s (dont les produits hors de prix sont fabriqués dans des ateliers de confection où l’on exploite le personnel),

– McDonald’s (fast-food esclavagiste responsable de la destruction des forêts tropicales, et du massacre d’animaux),

– Starbucks (fabriquant d’une matière première dont les produits sont récoltés par des paysanes sous-payées et obligés de détruire leurs forêts),

– Warner Bros. (monopole médiatique),

– Planet Hollywood (pour le simple fait d’être Planet Hollywood)

Cette activité dura plus de 5 heures et entraîna la destruction de vitrines et de portes de magasins ainsi que la dégradation de façades. Des lance-pierres, des distributeurs de journaux, des marteaux, des maillets, des leviers, des pinces ont été utilisés pour détruire de façon stratégique la propriété privée et pouvoir entrer (un des trois Starbucks et Niketown visés ont été pillés). Des œufs remplis d’une solution d’eau-forte pour verre, des pistolets de peinture et de la peinture en bombe ont également été utilisés.

Le Black Bloc est un ensemble plus ou moins organisé de groupes et individues réunies par affinité qui se baladent dans le centre ville, attirées parfois par des devantures de magasins vulnérables et éminentes, parfois par la vue d’un groupe de policiers. Contrairement à la majeure partie des activistes qui ont été gazés (poivre et lacrymogènes) et atteints par des balles de caoutchouc à plusieurs occasions, la plupart de notre section du Black Bloc a évité les blessures graves en restant constamment en mouvement et évitant la bagarre avec la police. Nous sommes restés groupées et nous regardions toujours derrière nous. Celles/ceux qui étaient attaquées par les bandits fédéraux ont été rapidement libérées par des membres du Black Block réagissant vite et organisées. Le sens de la solidarité était imposant.

La Police de la Paix

Malheureusement, la présence et la persistance de services d’ordre ont été perturbante. Au moins à six occasions, des soi-disant activistes « non violentes » ont attaqué physiquement des individus qui voulaient s’en prendre à la propriété privée. Certaines sont même allées jusqu’à se tenir devant la grand magasin NikeTown pour attaquer et repousser le Black Bloc. En fait, ces « gardiennes de la paix » comme elles/ils se nomment elles/eux-mêmes ont été bien plus menaçantes vis-à-vis du Black Bloc que les « gardiennes de la paix » en uniforme de l’Etat, notoirement violentes (des policieres ont même utilisé la couverture des activistes « gardiennes de la paix » pour tendre une embuscade à celles/ceux qui commençaient à détruire la propriété privée).

La réaction contre le Black Bloc

La réaction contre le Black Bloc a mis en lumière certaines des contradictions et des oppressions internes de la communauté « activiste non violente ». En dehors de l’hypocrisie évidente de celles/ceux qui se sont montrées violentes avec les gens vêtus de noir et masqués (nombre d’entre elles/eux ont été frappées malgré le fait qu’elles/ils ne se sont jamais engagées dans la destruction de la propriété), il apparaît un racisme d’activistes privilégiées qui peuvent s’offrir d’ignorer la violence perpétrée contre la majeure partie de la société et la nature au nom des droits de la propriété privée. L’attaque des vitrines a concerné et inspiré beaucoup des personnes parmi les plus opprimées de la ville de Seattle, et ce bien plus que n’importe quelles marionnettes géantes ou costumes de tortues de mer (ce qui ne remet pas en cause leur utilisation par d’autres groupes).

Dix mythes à propos du Black Bloc

Voici un petit quelque chose pour dissiper les mythes qui circulent à propos du Black Bloc N30 :

1. « Ils sont tous une bande d’anarchistes d’Eugene. » Bien que certaines puissent être des anarchistes d’Eugene, nous sommes originaires de tous les Etats-Unis, y compris Seattle. Dans tous les cas, la plupart d’entre nous connaissent les problèmes locaux à Seattle (par exemple, la récente occupation du centre ville par certains des plus infâmes commerçants multinationaux).

2. « Ils sont tous adeptes de John Zerzan. » [1] De nombreuses rumeurs courent qui nous présentent comme des adeptes de John Zerzan, un auteur anarcho-primitiviste de Eugene qui prône la destruction de la propriété. Bien que certaines d’entre nous peuvent apprécier ses écrits et analyses, il n’est en aucun cas notre leader, directement, indirectement, philosophiquement ou d’une autre manière.

3. « Le squat « public » est le quartier général des anarchistes qui s’en sont pris à la propriété le 30 novembre. » En réalité, la plupart des personnes du squat « Zone autonome » sont des habitantes de Seattle qui ont passé la plus grande partie de leur temps, depuis l’ouverture le 28, à l’intérieur du squat. Bien qu’ils puissent se connaître, les deux groupes ne font pas un et en aucun cas le squat ne doit être considéré comme le quartier général des gens s’étant attaqués à la propriété.

4. « Ils ont aggravé la situation, ce qui a mené au gazage des manifestants non violents. » Pour répondre, nous avons seulement besoin de noter que les tirs de grenades lacrymogènes, les jets de poivre et les tirs de balles en caoutchouc ont tous commencés avant que le Black Bloc (autant que nous savons) commence à s’engager dans la destruction de la propriété. En plus, nous devons aller à l’encontre d’une tendance qui établit une relation de cause à effet entre la répression policière et la protestation sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de la destruction de la propriété ou non. La police a chargé dans le but de protéger les intérêts de quelques possédantes et la responsabilité de la violence ne peut pas être mise sur le dos de celles/ceux qui protestent contre ces intérêts.

5. Inversement : « Ils ont agi en réponse à la répression policière. » Bien que cela puisse constituer une meilleure image du Black Bloc, c’est faux dans tous les cas. Nous refusons d’être désignées comme une simple force de réaction. Bien que la logique du Black Bloc puisse échapper à certaines, c’est dans tous les cas une logique en faveur de l’action.

6. « Ils sont une bande de jeunes garçons en colère. » En dehors du fait que dire cela revient à faire preuve d’âgisme et de sexisme, c’est faux. La destruction de la propriété n’est pas une libération fondée sur une agitation machiste ou chargée de testostérone. Ce n’est pas non plus une colère déplacée et réactionnaire. C’est stratégiquement et spécifiquement de l’action directe dirigée contre des intérêts privés.

7. « Ils veulent juste se battre. » C’est proprement absurde, et c’est une façon commode d’ignorer l’ardeur de la « police de la paix » à nous attaquer. De tous les groupes engagés dans l’action directe, le Black Bloc était peut-être le moins enclin à provoquer les flics et nous n’avions certainement aucun intérêt à nous battre contre les autres militantes anti-OMC (malgré de grands désaccords dans la tactique à mener).

8. « C’est une foule chaotique, désorganisé et opportuniste. » Bien que nombre d’entre nous pourraient sûrement passer des jours à discuter du terme « chaotique », nous n’étions certainement pas désorganisées. L’organisation a pu être fluide et dynamique, mais elle était serrée. Quant à l’accusation d’opportunisme, il serait difficile d’imaginer qui parmi toutes celles/ceux qui participaient n’a pas essayé de tirer avantage de l’opportunité créée à Seattle pour mettre en avant son programme. La question devient, alors, si oui ou non nous avons créé cette opportunité, et la plupart d’entre nous l’ont certainement fait (ce qui mène au mythe suivant) :

9.  » Ils ne connaissent pas les problèmes » ou « ce ne sont pas des militants qui ont travaillé là-dessus. » Bien que nous ne soyons pas des militantes professionnelles, nous avions toutes travaillé sur cette convergence à Seattle depuis des mois. Certaines ont réfléchi chez elles/eux, d’autres se sont rendues à Seattle des mois à l’avance pour préparer cela. Il est certain que nous étions responsables de la présence de centaines de personnes qui sont descendues dans les rues le 30 novembre, seule une très petite minorité ayant quelque chose à voir avec le Black Bloc. La plupart d’entre nous avons étudié les effets de la mondialisation de l’économie, du génie génétique, du pillage des ressources naturelles, des transports, des conditions de travail, de la suppression de l’autonomie des indigènes, des droits des animaux et des humains et nous avons fait des actions sur ces thèmes depuis plusieurs années. Nous ne sommes ni mal informées ni inexpérimentées.

10. « Les anarchistes masqués sont antidémocratiques et camouflés parce qu’ils cachent leur identité. » Bon, regardons les choses en face (avec ou sans masque), nous ne vivons pas actuellement en démocratie. Si cette semaine n’a pas rendu les choses assez claires, laissez-nous vous rappeler que nous vivons dans un Etat policier. Il y a des gens qui nous disent que si nous croyons vraiment avoir raison, nous ne nous cacherions pas derrière des masques. « La vérité l’emportera » est la revendication. Si c’est un juste et noble but, cela ne marche pas dans la réalité présente. Celles/ceux qui menacent sérieusement les intérêts du capital et de l’Etat seront persécutées. Certaines pacifistes voudraient nous voir accepter cela joyeusement. D’autres nous diraient que c’est un sacrifice qui en vaut la peine. Nous ne sommes pas aussi moroses. Nous ne sentons pas non plus que nous avons le privilège d’accepter la persécution comme un sacrifice : la persécution est pour nous quotidienne et inévitable et nous tenons à nos maigres libertés. Accepter l’incarcération comme une sorte de flatterie est l’apanage d’un privilège d’ »occidentaux ». Nous pensons qu’une attaque de la propriété privée est nécessaire si nous voulons reconstruire un monde qui serait utile, sain et joyeux pour toutes. Et ce malgré le fait que les droits hypertrophiés de la propriété privée dans ce pays transforme en félonie des accusations pour toute destruction de propriété supérieure à 250 $.

Les motivations du Black Bloc

Le but principal de ce communiqué est d’éclairer un peu du mystère qui entoure le Black Bloc et de rendre certaines de ses motivations plus transparentes, puisque nos masques ne peuvent pas l’être.

Sur la violence de la propriété

Nous considérons que la destruction de la propriété n’est pas un geste violent à moins que cela ne détruise des vies ou cause des blessures. Selon cette définition, la propriété privée – en particulier la propriété privée des entreprises – est elle-même infiniment plus violente que toute action entreprise contre elle.

On doit distinguer la propriété privée de la propriété personnelle. Cette dernière est basée sur l’usage alors que la première est basée sur l’échange. Le prémisse de la propriété personnelle est que chacune d’entre nous dispose de ce dont elle/il a besoin. Le prémisse de la propriété privée est que chacune d’entre nous dispose de quelque chose dont quelqu’une d’autre a besoin ou désire. Dans une société basée sur les droits de la propriété privée, les personnes qui sont capables d’accumuler le plus ce dont les autres ont besoin ou désirent ont un pouvoir plus grand. Par extension, elles exercent un contrôle plus important sur ce que les autres perçoivent comme des besoins et des désirs, habituellement dans l’intérêt d’accroître leurs profits.

Les avocates du « libre échange » aimeraient voir ce processus amené à sa conclusion logique : un réseau de quelques monopoles d’industrie disposant d’un ultime contrôle sur la vie de toutes. Les avocates du « commerce équitable » aimeraient voir ce processus atténué par des régulations gouvernementales dont le but serait d’imposer superficiellement des normes de base en matière de droits humains. En tant qu’anarchistes, nous méprisons les deux positions.

La propriété privée – et le capitalisme par extension – est intrinsèquement violente et répressive et ne peut être réformée ou atténuée. Que le pouvoir de toutes soit concentré entre les mains de quelques entreprises ou réparti au sein d’un appareil de régulation chargé d’atténuer les désastres de ces dernières, nulle ne peut être aussi libre ou détenir autant de pouvoir qu’elle/il ne le pourrait dans une société non-hiérarchique.

Quand nous brisons une vitrine, nous avons l’intention de détruire le mince vernis de légitimité qui entoure les droits de la propriété privée. Dans le même temps, nous exorcisons cet ensemble de relations sociales violentes et destructives qui ont imprégné presque tout autour de nous. En « détruisant » la propriété privée, nous transformons sa valeur d’échange limitée en une valeur d’usage étendue. Une devanture devient un conduit laissant passer de l’air frais dans l’atmosphère oppressive de la vente de marchandises (au moins jusqu’à ce que la police ne décide de lancer des lacrymogènes sur une barricade toute proche). Un distributeur de journaux [2] devient un outil pour créer de tels « conduits » ou un petit blocus pour revendiquer l’espace public ou un objet pour améliorer son point de vue en se tenant debout dessus. Une benne à ordures devient un encombrement pour une armée de flics anti-émeutes et une source de chaleur et de lumière. Une façade d’immeuble devient un tableau pour noter des idées en vue d’un monde meilleur.

Après le 30 novembre, beaucoup de gens ne regarderont plus une vitrine de magasin ou un marteau de la même manière qu’avant. Les utilisations possibles de l’espace urbain se sont multipliées par 100. Le nombre de vitrines éclatées est ridicule comparé au nombre de sorts brisés – sorts jetés par l’hégémonie des entreprises pour nous endormir et nous faire oublier toutes les violences commises au nom de la propriété privée et tout le potentiel d’une société sans elle. Les vitres brisées peuvent être rebouchées (avec un gâchis en bois toujours plus grand) et éventuellement remplacées, mais le fracas de notre arrogance et de nos espoirs persistera avec un peu de chance pour quelque temps.

Contre le capital et l’Etat,
le collectif ACME, 5 décembre 1999.

Contact : P.O. Box 563, Morgantown, wv, 26 507, USA
jeff@tao.ca

Démenti : Ces observations et analyses représentent seulement celles du collectif ACME et ne doivent pas être jugées représentatives du reste du Black Bloc sur le 30 novembre ou de toute autre personne qui aurait participé a l’émeute ou à la destruction de la propriété ce jour-là.

Traduction (plus que) largement inspirée de celle parue dans le #79 de l’excellent journal Cette Semaine.