En quête d’allié-es ?
Catégorie : Global
Thèmes : Prisons / Centres de rétentionRépression
Au secours… des rouges
“Si les épigones des forces autoritaires qui ont étouffé tant d’élans subversifs sont, en tant que nombre et projet, mal en point, pourquoi les aider à sortir de leur désastre ? Pourquoi s’attarder parmi les momies alors que le vent souffle fort ? Eux, font des calculs politiques, nous pas.”
anonyme, dans “A l’air libre”
Bien que semblables dans leurs dynamiques, ces deux manières de rallier des gens autour d’une certaine “solidarité” diffèrent quelque peu dans leurs discours.
Pour le secours rouge, rien ne change : “Nous avons un ennemi de classe commun à affronter et nous règlerons nos différents politiques plus tard”. Tant pis s’il faut faire le grand écart pour accepter la défense de certaines associations citoyennes retirant les idées révolutionnaires des inculpés pour en faire de simples victimes du déni du droit à l’expression. Tant mieux si quelques anti-autoritaires se joignent à eux. Tant que ça sert la Cause, tout est bon dans le cochon.
Rien de bien neuf donc, on ne change pas une équipe qui perd. C’est déjà comme ça que le parti communiste révolutionnaire et son komintern avaient justifié le retour à un discours “classe contre classe” dans les années ’30. Discours qui trouve sa forme la plus claire dans le texte Appel aux fascistes [2]. Ce texte, écrit en 1936 par Togliatti, tend explicitement la main aux “camarades fascistes” qui ont eux aussi comme ennemi les “requins capitalistes”. Par moment cela donne ce genre de chose : “Les communistes adoptent le programme fasciste de 1919 (ndlr : édicté par Mussolini) qui est un programme de liberté. (…) Travailleur fasciste, nous te donnons la main car nous voulons construire avec toi l’Italie du travail et de la paix, nous te donnons la main car nous sommes, comme toi, des fils du peuple, nous sommes tes frères, nous avons les mêmes intérêts et les mêmes ennemis”.
Voilà, ce que l’idée de “l’alliance objective” peut parvenir à faire quand on ne prend qu’un critère pour lutter.
Pour ce qui est de la postposition de la résolution des conflits politiques, merci, mais les exemples de la guerre d’Espagne de 1936, de Cronstadt ou de la Makhnovstchina nous ont déjà enseigné à refuser ce genre d’alliance. Et puis, plus simplement, peut-on lutter ou apporter son soutien à des gens qui veulent instaurer un régime qui ne peut être que totalitaire de par les structures qu’ils proposent (parti révolutionnaire, politburo, prépondérance du travail,…) ? Un régime qui gardera des prisons ou des “camps de rééducation” –selon le jargon- pour les déviants et autres incontrôlés ?
Mais alors, comment des camarades aux idées anti-autoritaires ou luttant pour l’auto-organisation peuvent-ils se joindre aux différentes manifestations de soutien (rassemblements, soirées-concerts, émissions radio,…) au secours rouge ? La réponse est probablement à trouver partiellement dans des vieux restes d’un à-priori d’unité ou de proximité entre “révolutionnaires”, dans une vieille image du front populaire s’affrontant à la droite fasciste et réactionnaire. Et pourtant, tout a déjà été dit cent fois et beaucoup mieux que par moi : “L’unité anti-fasciste n’a été que la soumission à la bourgeoisie… Pour battre Franco, il fallait battre Companys et Caballero. Pour vaincre le fascisme, il fallait écraser la bourgeoisie et ses alliés staliniens et socialistes. Il fallait détruire de fond en comble l’Etat capitaliste(…) L’apolitisme anarchiste a échoué” (los amigos de Durruti, 1937)
Le comité très visible
Du côté des comités de soutien [3], c’est une logique assez similaire, mais, en apparence en tout cas, moins marquée idéologiquement. Étant donné la largeur et les différences flagrantes entre les personnes impliquées dans ceux-ci, nous parlerons ici uniquement de la schizophrénie des camarades impliqués dans ces comités.
Ici, la logique de départ peut plus ou moins se résumer en ces quelques mots : “Des amis ou des camarades se retrouvent en prison, merde, vite, vite il faut faire quelque chose pour les en sortir”. La dynamique qui s’ensuit, elle, mérite bien quelques paragraphes.
Partant du constat qu’on n’est pas nombreux et d’une drôle d’idée que ça serait le nombre qui compterait ; il leur faut trouver un point d’attaque pas trop fâchant qui permettra de rallier des gens. Et pour ça, quoi de mieux que de feindre l’indignation face aux dits “abus” de l’Etat (ici via les lois anti-terroristes) ? C’est assez large comme critère. En temps voulu le bouchon sera poussé jusqu’à dénoncer l’incessante “dérive du droit” ; laissant supposer que le droit en soi serait une chose neutre et que seule son application serait problématique.
Et puis, toujours dans cette course au nombre, et vu que les moyens mis en place sont trop faibles face à la hauteur de la situation, on va aussi aller chercher quelques intellectuels de gauche, ça donne du crédit ça. Tant pis si cela ouvre grand les portes au crédit de leurs positions politiques social-démocrates. “On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs”, comme disait ma mère.
En outre, par soucis de “rétablir la vérité” auprès de cette fameuse « opinion publique », certains donneront des interviews à des journaux ayant directement participé au grand spectacle médiatico-policier du 11 novembre en reprenant allègrement les thèses de la police et en étalant dans leurs pages la vie de certains des inculpés. Là encore, comme si le moyen de la presse officielle était neutre. Comme si on ne savait pas que pour que l’article soit accepté il allait falloir s’auto-censurer sur des propos trop “vindicatifs” ou que le journaleux n’allait finalement garder que ce qui irait dans sons sens (ou, s’il est sincère, que ce qu’il peut comprendre ou ce que lui déciderait comme ayant de l’importance) pour remplir le nombre de signes demandés par son rédacteur en chef ; noyant alors ces propos dans le flot d’informations insignifiantes quotidien. Parce que c’est là aussi la magie de la démocratie, la puissance à pouvoir tout pacifier ou à laisser tout dire tant que les mots restent des mots et n’appellent pas aux actes.
Stratégie quand tu nous tiens
Ces deux dynamiques partent d’un constat ou d’une crainte qui concerne chaque (groupe de) personne ne suivant pas le cours tranquille de la vie “normale” : comment ne pas se retrouver isolés et donc plus faible ? C’est sur les réponses données à cette question que nous différons.
Selon les deux stratégies rapidement énoncées auparavant, sortir de l’isolement signifierait s’adresser à l’opinion publique. Et souvent cette démarche est accompagnée d’une réserve pour ne pas “brusquer les gens”. Dans un premier temps, on va dire ce qu’on pense qu’ils peuvent entendre (le secours rouge a au moins ça pour lui qu’en tant que tel il est toujours clair sur ses positions, mais par contre il est moins rigoureux sur le choix de ses alliés). Position particulièrement arrogante dans le sens où elle part du présupposé que ce qu’on vit est tellement différent que peu de personnes peuvent s’y reconnaître.
Or, la répression et le sentiment d’insatisfaction face à ces vies perdues sont assez répandus. C’est parler de ce vécu commun et le replacer sur un terrain de lutte qui pourrait éveiller non pas l’indignation, mais la rage auprès de la dite “opinion publique”. Mais, bien que l’on aime pas se l’avouer, c’est bien souvent le spectre du “prisonnier politique” qui, même sous une forme ammoindrie, continue à planer au-dessus de nos têtes.
Si cette position ne nous semble pas être un point de départ intéressant pour s’affronter à la répression, elle est d’autant moins tenable qu’elle nous amène très vite à mentir [4], à cacher des choses, à éluder des sujets ou à affirmer des idées qu’on ne pense pas. On va tantôt nier sa position de révolté, renier des connaissances, ou encore s’indigner face aux “abus policiers”, aux “lois liberticides” et au “non-respect des procédures judiciaires ” … Tout en sachant très bien que ce ne sont pas des “dérapages” du système, mais des méthodes inhérentes à celui-ci et que dans le négatif de toutes ces plaintes peut se lire une demande de remise à flot de l’épave de l’Etat de droit alors que nous pourrions encore lui envoyer quelques boulets de canon.
Loin d’être une déduction abstraite de notre part, ce désir d’un Etat qui respecterait ses propres règles en tant que garant du bon fonctionnement de la démocratie est d’ailleurs tenu ouvertement par des intervenants invités lors de soirées de soutien, des signataires de carte blanche ou des associations ayant écrits des communiqués de soutien (auxquels on donne du crédit en les diffusant). Preuve flagrante du consensus mou sur lequel se base cette alliance et de l’impossibilité de tenir un discours proche de nos idées.
De même la carte de l’innocentisme jouée à tout crin relève de l’escroquerie intellectuelle. S’il ne s’agit pas de revendiquer des actes restés anonymes, pousser le bouchon jusqu’à essayer de faire croire que c’est parce qu’on est épicier, parce qu’on traduit un texte ou parce qu’on vit en communauté que la répression s’abat sur nous est une fausse analyse de la répression distillée de manière consciente afin d’atteindre ses objectifs. En effet, la répresion ne s’acharne pas sur chaque petit commerçant, ni sur les traducteurs de l’Union Européenne et pas même sur un quelconque hippy ayant rejoint la campagne. Ou, tout du moins, si elle le fait ce n’est pas pour ces raisons. Ce qui est attaqué dans ces deux affaires ce sont des liens, des idées et des pratiques relevant d’un discours reconnu comme étant “révolutionnaire”.
Faire passer l’outil répressif pour un ramassis de flics et de juges débiloïdes en caricaturant certaines de leurs incapacités – mis à part que ça nous permette de bien rire entre potes – ne permet pas de le considérer pour ce qu’il est. On ne montre que les traits grossiers d’une machine visant à mettre au pas la contestation sociale, alors que le caractère totalitaire du contrôle est bel et bien plus finaud. (carte d’identité, registre national, biométrie, fichiers permettant les bases de données, surveillance téléphonique,…)
Là où nous voyons l’impasse de ce genre de stratégies (au-delà du fait qu’elles ne soient justement que pures stratégies et qu’elles n’émanent pas de ce que nous sommes, de ce que nous portons, de ce que nous ressentons) c’est que, si elles permettent de rallier beaucoup de gens (ce qui reste encore à démontrer), les unions se font sur de fausses bases ou sur un ensemble de positions qui restent les unes à côté des autres. Et, soit, on reste avec l’insatisfaction d’un discours édulcoré pour cause d’alliance foireuse, soit les dissensions pointent le bout du nez au moment où tombent les masques. Cette constitution d’une “force collective” apparaissant alors pour ce qu’elle est : une illusion.
A moins que vous (et votre groupe de camarades) ne vous considériez comme un super stratège qui aura, après une première phase de préparation, réussi à “radicaliser les masses”. Mais il faut être bien malin pour y parvenir sur la longueur. Et, quand bien même, nous n’envisageons pas notre implication dans les mouvements ou dans les luttes comme celle de personnes venant apporter la lumière à la plèbe ignare. Non, malgré nos différences, nous nous plaçons d’égal à égal avec les personnes rencontrées. Nous recherchons des complices pas de la pâte à modeler. Des complices avec qui partager des idées/pratiques et avec qui nous pourrons peut-être faire un bout de chemin ensemble au-delà de cette lutte spécifique. Et s’il est vrai que la question de la forme selon laquelle nous partageons nos idées afin qu’elles puissent être accessible est pertinente, le fond, quant à lui, ne change pas au gré du vent ou selon les circonstances des forces en présence.
Sans quoi, et nous ne l’avons que trop expérimenté, toute l’énergie déployée ne viendra qu’alimenter les luttes partielles visant à un aménagement du système, vu que nous-mêmes nous n’aurons pas porter une critique plus globale en partant d’une situation spécifique (prison, sans-papiers, lois liberticides,…)
Sortir de l’isolement
Agir entre convaincus alors ? Certainement pas ! Mais agir sur des bases claires qui permettent de rencontrer des compagnons de lutte (et plus si affinités) et à faire exister nos réelles idées. Parce que nous ne nous sentons pas plus forts quand nous sommes nombreux sous une banderole faible.
Pensons-nous être si exceptionnels -que nos idées soient tellement farfelues – au point que personne ne pourrait nous comprendre ?
En ces temps de grogne de plus en plus généralisée, rien n’est moins vrai. Les oreilles et les esprits sont probablement plus ouverts aux remises en question. Encore nous faut-il savoir saisir les occasions et mettre en avant nos idées de manière décomplexée.
Il ne s’agit pas de se doter d’une parure radicale, ce n’est pas non plus un appel au repli identitaire. Nous disons juste que tout n’est pas que stratégie. Que les moyens ne sont pas neutres et que, même s’ils peuvent aider à sortir des camarades de prison, certains d’entre eux nous affectent et laissent des traces.
Certains diront que ce texte relève de la discussion interne, que nous hurlons avec les loups de la meute policière. Nous affirmons que quand tout est étalé dans la presse officielle (tant par les journaflics que via la collaboration active de certains inculpés, membres de comités, parents,…) cete considération devient une chimère. Par ailleurs un “mouvement” qui ne laisse pas de place à des tentatives d’auto-critiques et reste campé sur ses certitudes est sclérosé et ne nous intéresse pas.
Extrait de Tout Doit Partir N°4, téléchargeable par le lien ci-dessous.
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