Mouvements sociaux et médias

L’idée de ce texte m’est venue suite à une AG des intermittents ayant eu lieu au Lieu Unique. Un certain nombre de débats provenaient de la manière dont les médias relayaient le mouvement et les manières dont il fallait s’adresser aux médias pour qu’ils parlent bien de nous.

Un déplacement du lieu de production politique

Il y a un déplacement de la problématisation politique vers cette question de : que vont en dire les médias ?. On ne se pose plus les problèmes soule­vés par les participants au mouvement mais par la manière dont en parle les médias. Le lieu de pro­duction politique se déplace du mouvement vers les média : on dit et fait cela, on regarde comment les médias le reçoivent et ainsi on modifie les analyses, les points mis en avant, les actions, de manière a faire des actions médiatiques ou consensuelles (dans le sens de plaire au médias c’est-à-dire sans violence et sans poser de problèmes (dans tous les sens du termes)).

Une processus politique de dépolitisation

En effet, les médias, soumis au diktat de l’audimat, doivent produire une information consensuelle, c’est-à-dire qui ne va pas poser de problème, de questions, qui peut être lue par tout le monde, et acceptée par tout le monde. On se retrouve dans un mouvement circulaire. Les médias relayent une information, mais sachant qu’il faut qu’ils vendent leur produit, il ne faut pas que celui-ci puisse effrayer une partie du lectorat ce qui aurait pour conséquence une baisse du financement par les annonceurs. Ainsi des techniques (souvent inconscientes) sont déployées pour dépolitiser et rendre consensuelles les questions sociales.
En résumé, les journaux, soumis à la règle de l’audience et de l’audimat, doivent produire une information lisse, de manière à ne choquer personne, à ne rien dire. Dans ces conditions comment dire quelque chose dans les journaux et à la télévision; quelque chose de nouveau, de politique, autre que les banalités qu’attendent les journalistes. Sur ce point je pense que le journal de 13H de Jean-Pierre Pernaud est particulièrement révélateur. C’est une des question que doivent se poser les mouvements sociaux au risque de tenir la même place que le fait divers ou la météo, c’est-à-dire a ne plus rien faire de nouveau, de politique….

Un formidable outil de censure et de controle de l’existence

Les journalistes contrôlent l’existence politique des groupes sociaux. En effet, pour exister aux yeux des politiciens, il faut avoir accès à la parole publique contrôlé par les médias. Il faut pouvoir accéder à la sphère publique. Ainsi il faut passer à la télévision, que les journaux parlent des mobilisations des gens, pour que les dirigeants s’inquiètent de notre sort. Or, compte tenu du fonctionnement du champs journalistique, on ne passe pas dans les médias pour dire quelque chose mais pour être vu. C’est un pouvoir énorme que possède les médias, que ce contrôle de l’existence politique des groupes. Ils vont pouvoir choisir ce qui est légitime de dire (et donc de faire exister), et les manières de le dire. C’est une énorme pouvoir de censure.
Ce déplacement de l’agora publique (dans le sens place publique) à l’agora médiatique nous affaiblit. Dans un article, a propos des manifestations, paru sur indymedia, on pouvait lire ceci :

« Le second processus qui renforce la dimension problématique de la manifestation comme dispositif représentatif est la place prise par les médias dans les luttes politiques. Tout se passe désormais comme si cette « nouvelle » place des médias avait déplacé le champ de lutte de la rue vers le champ médiatique (les colonnes des journaux, les titres du 20h00…) où une bonne couverture médiatique, un article favorable pèse plus lourd qu’une manifestation rassemblant des milliers de personnes. Le premier et principal danger de ce déplacement est que les rapports de force politiques s’éloignent un peu plus des gens les premiers concernés. Le second danger que nous percevons est que la mainmise des grands groupes sur les médias favorise soit la censure ou soit l’exposition d’un seul et unique point de vue : celui des pouvoirs en place. On comprend qu’alors, le contrôle de la « bonne » image de la manifestation hante les esprits des organisateurs, ce qui renforce considérablement les pratiques normalisantes et conventionnelles de la manifestation rendant toute prise de risque d’innovation ou de création politique trop dangereuse… Tout comme la vie quotidienne, l’espace social de la manifestation se normalise et par conséquent s’affaiblit petit à petit… »

Je pense qu’il en est de même pour les questions politiques…

C’est tous ensemble que nous pouvons agir

Je pense que la première chose a faire lorsqu’on veut apparaître dans les médias est de se poser des questions : est-il nécessaire d’y aller ? Ce que je veux dire pourra-t-il être dit ? Les conditions d’une bonne communication sont-elles remplies ? ….
On peut se dire qu’il ne faut communiquer dans les médias que par papiers. Un communiqué de presse fait qu’on a la maîtrise de ce qui va ou peut être dit. Il faut, je pense relire les papiers avant leur publications et ne donner son accord qu’au dernier moment…
La propriété privée des moyens de communication fait que les mouvements sociaux seront toujours dominés par le champ journalistique, et seront toujours censurés. A nous de nous poser collectivement la question de comment faire sans eux, sans cette censure invisible et pourtant si efficace…
Sur la production politique je pense qu’il ne faut pas passer par les médias mais par nos propres canaux de diffusion (tracts, affiches, textes, journaux d’organisations, médias alternatifs…).
Enfin, les médias, par leur traitement succincts des informations, obligent certains agents des mouvements a des prises de positions pour les médias, les rassurer, et à des actions consensuelles qui deviennent bien souvent chiantes et dépolitisantes car il ne faut pas politiser sinon les médias n’en parlent pas. Processus circulaire, disparition de la politique, censure… voilà à quoi nous sommes confrontés, à nous de développer notre propre puissance et de nouvelles manières d’intervenir dans les médias. . Tels sont les enjeux (censure, propriété privé des moyens de communication, developpement de nouveaux moyens de diffusion, démocratie…), me semble-t-il, qui nous attendent si nous voulons transformer, et developper une nouvelle puissance créatrice.