Deux poids, deux mesures : de l’onanisme en milieu militant.
Category: Global
Themes: Prisons / Centres de rétentionQuartiers populaires
Suite à la mort de Bouna et Zied, la révolte était au mieux « compréhensible », mais ce n’était pas la « bonne » révolte, LA révolte « politisée » (celle qui aboutirait à la Révolution Sociale), et les cibles n’étaient pas les bonnes non plus ; foutre le feu oui, mais pas à l’école primaire de la ville, pas aux associations de « grands frères » chargées d’assurer la médiation, pas à la voiture du voisin prolétaire, pas à la bibliothèque du quartier, pas aux entreprises qui amènent « l’égalité des chances » dans les banlieues parce que faire « cela » revenait à un suicide politique.
Mais était-ce vraiment le choix des cibles qui démangeaient nos révolutionnaires franchouillards ? On se pose la question quand on voit les réactions de ces mêmes personnes lorsque le même type d’événements a lieu en Grèce , mais cette fois, lorsqu’ils sont « produits » par des personnes qui ajoutent un A cerclé et autres signes de reconnaissances tribaux sur les murs (comprenez : « par des gens déjà conscientisés »).
Dans le premier cas, il s’agit « d’irresponsabilité », dans l’autre, c’est « l’insurrection qui vient ». Ce qui semble cristalliser l’attention de nos révolutionnaires dans ces émeutes à l’étranger, c’est le folklore militant.
En effet, la France est un des pays où ont lieu le plus d’émeutes urbaines, et ce depuis le début des années 80 (depuis Vaulx en Velin en 79). Encore il y a peu, Vitry-le-francois, Roman-sur-Isere, Villiers-le-Bel, Grigny, La Courneuve, Les muraux etc. ont explosé. Mais personne aux balcons, finalement, c’est devenu si commun de se révolter dans les banlieues…
Seulement, dans ces milieux, l’exotisme règne. La France, ses banlieues pourries, ses « racailles obsédées par l’argent facile et le bizness » et sa « jeunesse dépolitisée » contre la Grèce, son soleil, ses îles fleuries et ses black blocs photogéniques.
Ces « analyses » militantes créent donc une hiérarchisation entre les explosions de rage régulières des banlieues et celles, plus sporadiques, comme à Oaxaca ou en Grèce. Ils reconnaissent donc à certaines populations le privilège d’être le ou les « sujets révolutionnaires », tandis que d’autres restent, à mot couvert, des avatars modernes du lumpenprolétariat, incapables d’aller au delà de la révolte. Car les révoltes, dans leurs esprits, ne sont bonnes qu’à être le prélude du Grand Soir, ou d’un hypothétique processus révolutionnaire, ce qui revient au même.
Une étrange compétition semble alors s’installer, entre ceux et celles qui ne feraient « que » cramer la voiture de leur voisin, l’école de leur petit frère ou le bureau de poste de leurs parents, et ceux qui ont déjà tout compris, ceux qui s’en prennent directement aux symboles du Pouvoir. Pourtant, les cocktails Molotov sont de même facture, et une école qui brûle reste une école qui brûle, d’Ithaque à Aubervilliers.
Il est bien plus facile pour un libertaire, un trotskiste ou n’importe quel autre gauchiste de s’identifier à un étudiant de classe moyenne, déjà actif dans les mouvements sociaux et surtout, affublé des mêmes symboles folkloriques qu’à un individu qui n’a pas la même « culture politique » et qui d’ailleurs n’a pas forcément attendu de lire l’intégrale de Bakounine pour foutre le feu à ce monde. La rage spontanée des pauvres, elle, n’a rien de folklorique ; elle n’est ni esthétique ni pompée d’un manuel commercialisé à la Fnac.
Dans les divers commentaires à propos des révoltes en Grèce, on a pu lire que le Pouvoir se chiait dessus, qu’il était à deux doigts de vaciller, que l’insurrection se propageait à vitesse grand V, et autres projections fantasmées. Faux, la révolte était somme toute balisée, elle est restée dans un cadre « classique », connu par les forces de l’ordre, et ce , quelque soit le nombre de banques cramées. Si l’insurrection venait vraiment, ce ne serait pas des grenades lacrymogènes que l’Etat enverrait, mais l’armée.
En 2005 par contre, peu après les premiers tirs en direction de la police et le relatif retour au « calme », une note interne des renseignements généraux décrivait la situation comme « insurrectionnelle ». En effet, dans cette note de huit pages de la D.C.R.G. nommée « crise des banlieues : violences urbaines ou insurrection des citées ? » on pouvait lire : « la France a connu sous forme d’insurrection non organisée avec émergence dans le temps et dans l’espace, une révolte populaire des citées, sans leader et sans proposition de programme » et ce, en totale contradiction avec leur ministre de tutelle de l’époque. La note rajoute : « aucune manipulation n’a été détectée, permettant d’accréditer la thèse d’un soulèvement généralisé et organisé ». Cette fois-ci, la France s’est véritablement chiée dessus, dans des proportions incomparables avec d’autres crises « politiques » comme le CPE. Le déploiement des hélicoptères de surveillance et les mesures de couvre-feu en témoignent. Le 8 novembre, De Villepin décrète l’Etat d’urgence, autorisant ainsi les préfets à mettre en place des mesures « exceptionnelles », alors même que le « calme » était peu à peu en train de revenir.
Le but de ce texte n’est pas de minimiser une révolte ou d’en maximiser une autre, mais de mettre les militants face à leurs contradictions. Pourquoi eux se permettent-ils de maximiser ou de minimiser, et selon quels critères ? Nous nous foutons des symboles, la seule chose qui importe dans une émeute, c’est la rage qui la guide, et non les « capacités pré ou post-révolutionnaires » de ceux qui la font [1]. Mais se réfugier dans le fantasme exotique d’une insurrection en Grèce permet de ne pas trop se mouiller ici, et de redorer un blason terni par des actes manquants. Pour nous, condamner une émeute de banlieue -sous un prétexte fallacieux ou un autre- équivaut à condamner une grève sauvage, une attaque de keufs ou l’incendie d’un centre de rétention ; c’est nier la révolte qui anime les enragéEs, en faisant d’eux des objets d’étude sociologique qui, pour se faire, doivent nécessairement adopter un point de vue extérieur et distant, voir condescendant. Assis au coin du feu, le révolutionnaire a tout le loisir de pondre d’imposantes réflexions qui feront autorité et montreront la voie à ceux qui eux, n’ont pas que ça à foutre.
Solidarité avec les incarcérés de 2005 comme de 2008.
Extrait de Non Fides N°III à paraitre en Janvier.
Ouf, heureusement sur le texte original sur Non Fides, on peut trouver en note en bas en tout petit suite à cette phrase:
“Nous nous foutons des symboles, la seule chose qui importe dans une émeute, c’est la rage qui la guide, et non les « capacités pré ou post-révolutionnaires » de ceux qui la font [1]”
Notes
“[1] Il est évident par ailleurs que nous ne serons jamais solidaires d’une émeute conduite par des ennemis, ou par n’importe quel groupe ayant l’intention de s’emparer du pouvoir ou de commettre des massacres, cela va sans dire.”
Mais pour savoir si une émeute est conduite par “des ennemis”, “des groupes ayant l’intention de s’emparer du pouvoir ou de commettre des massacres”, n’est-il pas important de savoir les “”capacités pré ou post-révolutionnaires” de ceux qui la font” ? Comment savoir de quelle émeute être solidaire alors ?
Tout cela me paraît bien confus dans cet article de la part de Non-Fides…
Réduire ce qui s’est passé en Grèce à une émeute, même si l’intention n’est pas là c’est un peu court, non ?
Il y a eu des grèves, des occupations, des manifestations de plusieurs dizaines de milliers de personnes, partout sur le territoire grec …
L’assemblée générale des travailleurs insurgés à Athènes
http://toulouse.indymedia.org/spip.php?page=article&id_…32906
La Grèce en feu…
http://toulouse.indymedia.org/spip.php?page=article&id_…32655
Communiqué de la mairie autogérée d’ Ayos Dimitrios
http://toulouse.indymedia.org/spip.php?page=article&id_…32647
Peut-on comparer les émeutes de 2005 avec le soulèvement grec ? Relever ce qui distingue l’une de l’autre, est-ce réaliser une hiérarchisation ?
A posteriori, je peux comprendre que des libertaires puissent se sentir plus proches et motivés par le soulèvement des grecs, qui n’est pas juste comme voudrait le laisser entendre le texte de Non-Fides une émeute d’ “… étudiant de classe moyenne, déjà actif dans les mouvements sociaux et surtout, affublé des mêmes symboles folkloriques…”
On peut comprendre que les aficionados d’une “insurrection à venir” puissent énerver Non-Fides pour la redondance de l’analyse dès que la révolte gronde, mais Non-Fides ici ne fait guère mieux en se focalisant sur l’émeute.
Peut-être que le caractère spectaculaire de l’émeute marque plus nos esprits bouffis d’images et que certains ne retiennent que cela.
“Il est évident par ailleurs que nous ne serons jamais solidaires d’une émeute conduite par des ennemis, ou par n’importe quel groupe ayant l’intention de s’emparer du pouvoir ou de commettre des massacres, cela va sans dire.”
Et pourtant les émeutes des nationalistes serbes à Belgrade (c’était dans le courant de cette année), lorsqu’ils s’en sont pris aux flics, qu’ils ont brulé des voitures, monté des barricades… n’était-ce pas là une contestation directe, en actes, de la réalité vécue ? En contradiction complète avec leur idéologie certes, mais n’était-ce pas là le profond désir humain de liberté et le plaisir de foutre en l’air ce qui empêche de vivre pleinement qui s’exprimait ?
Peut-on être solidaire de certains actes sans l’être des personnes qui les commettent ?