Comme on pouvait s’en inquiéter avant son départ, la mobilisation étudiante n’arrive pas à se politiser ni à ouvrir à des débats constructifs, faute de poids, de nombre et de coordination des militants capables; et d’une manière plus générale, par la distance qui existe entre les votes des ag étudiantes et le déroulement des différentes action et réunions (comité de grève, commissions…).
En gros voici les forces en présence: les étudiants grévistes, les étudiants non grévistes, les personnels, l’administration universitaire, le gouvernement, les organisations politiques et syndicales, la presse.
On peut séparer les grévistes en quatre grandes catégories:
-Les simples participants aux ag, généralement spectateurs des débats et mobilisables essentiellement sur les grandes manifestations, ils constituent l’écrasante majorité des « grévistes » et sont très volatiles, c’est à dire qu’ils ne constituent pas une force soi, mais plustôt une force de légitimation des ag.
-Les néophytes investis, ce sont des grévistes sans expérience antérieure, ni bagage politique réel, mais ils constituent une force vive, volontaire et pleine de curiosité. Potentiellement une part d’entre eux deviendra des militants politiques ou syndicaux. Ils constituent un groupe fluctuant entre 50 et 90 personnes.
-Les militants aguerris, syndiqués ou non syndiqués, adhérents d’un parti ou non, c’est de ce groupe que provient l’essentiel du travail de structuration dans et autours des ag
-Les cuisinards, ou parfois appellés à tort autonomes, constituent un groupe non homogène, qui est fédéré part un rejet apolégétique des organisations politiques ou syndicales, et qui ne peut se trouver d’unité que dans le rejet de formes d’organisations pouvant entraver les désirs individuels de chacun de ses membres. Il y a dans ce groupe beaucoup de personnes qui se connaissent et agissent en connivence, ce qui leur donnent une capacité d’influence négative dans les ag et l’occupation, mais chaque fois que le status quo de leur existence au sein du mouvement est menacé, ils savent faire profil bas et attendre des jours meilleurs. Si certains sont politisés, très peu assument leur savoir politique et s’enferment dans des logiques anti-intellectualistes primaires, dans lesquelles l’expérience militante et la culture historiques sont considérées comme des outils de domination entre militants. Leur mot d’ordre « vivre la grève » exprime à lui tout seul leur limitation de l’expérience politique à un ressenti collectif fortement imprégné d’individualisme, tout des comportements déviants ou inconséquents dans les manifestations ou les occupation (dégradations, « expression libre » sur les murs, désire de se « réapproprier » la fac, et dans les manifs provocations à l’encontre des forces de l’ordre) Nombre de ces actes, aussi anodin qu’il puissent paraître mettent en danger l’ensemble des grévistes, et divise les participants.
Toutefois, force est de constater que c’est aussi de ce groupe que proviennent nombre d’initiatives, qui si elles peuvent être parfois déqualifiées, ont le mérite d’exister ce qui est déjà beaucoup au vu du manque d’initiative des autres « participants » au mouvement. De même peut-on constater une propension chez quelques militants à rendre les cuisinards responsables de toutes les errances du mouvement, alors qu’en définitive les-dites errances sont plutôt causées par l’aporie politique et intellectuelle de l’ensemble des étudiants, et leur désengagement quasi consummériste d’une grève qu’ils votent en AG, les voici pour le coup bien à l’image de leur société.
Ce groupe demeure très fluctuant, entre 30 et 70 personnes en fonction des périodes et des relations affinitaires qui se tissent en marge du mouvement.

Les étudiants non grévistes sont à diviser en deux grandes catégories, les non et les anti-grévistes, eux-mêmes subdivisibles en tendances politiques plus ou moins assumées:
-Les non grévistes sont les étudiants lambda, peu ou pas intéressés par la vie publique, qui subissent le blocage, sans pour autant se mobiliser contre. La majorité ne vient pas en AG, et donc a peu de chance d’être touchée par les débats qui s’y déroulent. ce groupe représente l’écrasante majorité des étudiants, on peut aussi supposer que s’y trouve une part non négligeable de personnes qui peuvent être opposées à la loi, mais qui ne croient pas au succès à long terme d’une mobilisation bornée à la contestation d’un texte de loi, ou bien qui sont fatigués de se battre contre ce qu’ils considèrent être une chimère.
-Les anti-grévistes représentent la droite étudiante.
La majorité d’entre eux n’appartient à aucune organisation politique de droite, et donc beaucoup se croient apolitiques. Ils ont intégrés tous les leitmotiv du capitalisme triomphant, ne voient dans l’université qu’une banque de capitalisation professionnelle, et sont convaincus que la sélection et l’entrée des entreprises dans les universités optimiseront leurs gains en terme de débouchés et de valorisation sur le marché du travail.
Une minorité des anti-grévistes est clairement organisée par l’UMP et l’UNI, voire la Cé, et ici à rennes l’AGEB (Asso. générale des étudiants bretons, sorte d’uni bretonne).
Ce sont eux qui sont les interlocuteurs privilégiés de l’administration et de la presse. Ils ont très vite organisé la riposte à la grève (pétition, plainte au tribunal, appel à manifester contre les grèves étudiantes et professionnelles). Dans une certaine mesure ils sont l’avant-garde des non grévistes, ils soutiennent la »révolution » culturelle prônée par le medef et le goouvernement.

Les personnels de Rennes 2 sont massivement opposés ou indifférents au mouvement.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer leur rejet ou leur appréhension:
-l’héritage de la fin du mouvement contre la loi d’égalité des chances (dit mouvement contre le cpe), qui ici, a profondément marquée les esprits. Rennes 2 a été la fac bloquée le plus longtemps (deux mois et demi), les votes des AG étaient plus que litigieux, les bâtiments avaient été considérablement dégradés par une partie des occupants, des violences avaient eu lieu entre blocusards et anti-blocusards, et la police était intervenue pour déloger les occupants après le retrait de l’article 8 de la loi d’égalité des chances.
-l’absence de recul du snes-sup, et partant, d’une prise de position réalisant un discernement entre les évènements à l’université de rennes 2 et la mise en place de la lru. Le snes-sup de Rennes 2 n’a pas appelé à participer à la journée du 27/11, en raison des tensions et du fossé existant à la fac entre étudiants mobilisés et personnels enseignants.
-l’utilisation de différents incidents marginaux par l’administration pour pousser les personnels à désavouer les grévistes, en les stigmatisants comme dangereux et irresponsables.
-l’impossibilité de réunir étudiants et personnels en dehors d’intersyndicales qui n’offrent pas la possibilité qu’un débat de fond s’instaure entre des acteurs concernés au même titre par la loi.

L’administration quant à elle souffle le chaud et le froid. D’un côté elle appelle à la légalité, et à des procédures de vote sous son encadrement, de l’autre elle multiplie les provocations et les outrages, ce qui a pour résultat d’exacerber les tensions entre grévistes et non grévistes, entre étudiants et personnels.
Le président est clairement sous l’influence de deux de ses adjoints membres du sgen cfdt, qui ont été à l’initiative de l’appel des forces de l’ordre pour évacuer les locaux. Ce sont ces deux mêmes personnes qui ont interdit l’accès aux bureaux de vote aux observateurs, ce sont ces deux mêmes personnes qui ont poussés par deux fois à des empoignades entre agents de sécurité et étudiants grévistes.
Le président a clairement joué la carte de la division, en poussant par trois fois déjà les étudiants anti-blocage à forcer les piquets de grèves, la première le jeudi 8 novembre devant le bâtiment L, en faisant croire que le bâtiment était bouclé par les grévistes, alors qu’il avait l’opportunité d’ouvrir les issues latérales, et qu’une délégation de grévistes et de non-grévistes l’avaient enjoint de reporter le scrutin au lundi suivant.
Il réitéra la semaine suivante en tentant de rallier à lui les personnels, et enfin le lundi 26 novembre il appela à nouveau les étudiants et les personnels à forcer les piquets le lendemain, ce qui fut fait.

Le gouvernement quant à lui se frotte les mains, le mouvement peine à se trouver une direction et une parole claire. Fillon et Pécresse usent de subterfuges grossiers qui ne sont dénoncés par aucun média, ni aucune organisation syndicale ou politique d’envergure. Ils ont notammment réussi à faire passer à l’arrière plan la question fondamentale de la mise en place d’une économie de la connaissance fondée sur les critères de Shangaï, ainsi que la présentation de la loi dans son cadre européen (Lisbonne et Bologne) en prétendant répondre aux aspirations des étudiants par des déblocages financiers, alors que ceux-ci s’inscrivent désormais dans des plans quinquennaux qui correspondront au temps d’évaluation de la réussite des présidents-managers d’université en fonction toujours des critères de Shangaï.
La répression policière dans les universités et la mise en place de votes électroniques sont des propédeutiques au noouvel ordre politique en constitution, notamment pour la question des conflits dans le monde du travail.

(suite plus tard)