La mutilation de Théo – l’État en roue libre

Ça s’est passé il y a 7 ans. Le jeune footballeur Théo a été violé par la matraque télescopique d’une patrouille de police. Lors du procès à la Cour d’assises de Bobigny qui vient d’avoir lieu, le viol de Théo, un crime, a été requalifié de simple délit. Son infirmité à vie, pourtant incontestable, a été discutée. L’auteur de l’estocade qui l’a déchiré de l’intérieur, risquait 15 ans de prison et s’en est tiré avec 1 an de sursis, ses complices avec 3 mois de sursis et tous, avec l’obligation de passer de 2 à 5 ans sur un fauteuil dans un bureau… La légèreté de la peine qui leur a été infligée est d’autant plus scandaleuse, quand on apprend qu’un jeune manifestant a écopé en appel de 4 mois avec sursis pour avoir refusé de communiquer à la police le code de son téléphone ! Le réquisitoire du procureur, la voix du gouvernement, apporte un éclairage cruel sur l’orientation du régime Macron. Étonnamment sévère vis-à-vis de l’enquête, il a évoqué « la faiblesse » de l’institution. Peut-on avoir le recul nécessaire quand tous les experts d’armement et les enquêteurs de l’IGPN appartiennent à l’institution policière ? s’interrogeait-il (cité par Médiapart). Mais nous chuchoter dans l’oreille que l’enquête de la « police de la police » et des « experts » flics c’est du bidon, permet en réalité de nous délivrer un message terrifiant de la part du pouvoir : « Toute cette comédie judiciaire n’est qu’un rideau de fumée pour masquer mes crocs de rapaces ». Méfions- nous. Le régime en voie de fascisation s’embarrasse de moins en moins de fioritures judiciaires. Plus des cérémonies inutiles. La répression roulera en roue libre, en direct, à coup de fusil. C’est dans ce cadre qu’il faut entendre que Macron veut « réarmer » le pays, en commençant par la jeunesse qui s’est révoltée cet été suite au meurtre de Nahel et a bloqué cet hiver des lycées contre la loi immigration et son monde : uniforme dans les écoles, généralisation du SNU à tous les lycéens… Mutilé à vie, Théo reste enfermé entre les quatre murs de sa chambre. Personne ne pourra lui redonner la vie à laquelle il a droit. Démasquer les glauques cheminements de l’appareil répressif reste une tâche accessible et nécessaire. Et ne pas abandonner le terrain de la lutte.

> [ C H R O N I Q U E D E L ’ A R B I T R A I R E ]

Tous jeunes, tous à scooter, tous poursuivis par la police, tous morts Après deux jeunes à Limoges en Août, un autre à Saint-Priest en octobre, trois morts s’ajoutent à la longue liste. Vendredi 8 décembre entre Neuilly-sur-Marne et Chelles vers 23h une patrouille de la BAC prend en chasse un scooter à bord duquel circulent deux ados de 17 ans. Le scooter finit par s’encastrer sous un véhicule à l’arrêt au feu rouge. L’un des deux jeunes est mort samedi matin, l’autre dimanche. Deux enquêtes ont été ouvertes, au commissariat pour « refus d’obtempérer » et à l’IGPN pour « blessures et homicide involontaire » mais le communiqué du parquet de Meaux a d’emblée estimé « il semblerait qu’il n’y ait eu aucun contact entre le scooter et le véhicule de la BAC ». Une semaine plus tard, le vendredi 15, à Marseille, c’est au tour d’un autre jeune de 22 ans de mourir sur le coup dans les mêmes circonstances. Cette fois la police s’est empressé de salir sa réputation sans donner aucune indication sur la raison du contrôle ni précision sur le déroulement de la course-poursuite. On ne sait même pas si une enquête a été ouverte à l’IGPN.

Une colonne de motards des BRAV M ont percuté et tué ont percuté et tué un homme âgé qui traversait l’avenue de Flandre à Paris le 12 décembre. Pour justifier l’accident ils ont dit que l’homme semblait ivre alors que son alcootest s’est révélé négatif. Des riverains et des élus se sont déjà plaints de leur conduite inquiétante et une enquête de Médiapart révèle qu’une quinzaine de policiers passagers des BRAV-M avaient transmis à leur hiérarchie des rapports pointant du doigt la dangerosité et l’illégalité de la conduite de leurs collègues et signifiaient leur refus de continuer de monter derrière des pilotes décrits comme hors de contrôle.

Un mort suite à son interpellation à Montfermeil Le 4 janvier vers minuit 18 flics interviennent dans une épicerie et 6 d’entre eux tirent sur un homme de 40 ans plus de 12 fois avec leur pistolet à impulsion électrique (PIE, qui projette des aiguillons reliés à l’arme par des filins). Killian fait deux arrêts cardio- respiratoires et s’enfonce dans le coma. Il meurt le lendemain. Quelques jours après les faits le patron de l’épicerie contredira la version policière en témoignant ne pas avoir appelé la police, que Killian qui était son employé n’était pas agressif, n’était pas ivre et n’avait pas commis de dégradation.

JO 2024 : la chasse aux pauvres s’amplifie C’est l’inquiétude exprimée aux autorités par le collectif « Le revers de la médaille » : à l’approche des JO, à Paris et en Seine Saint Denis, les places d’hébergement réservées dans le hôtels s’amenuisent et les expulsions de bidonvilles se multiplient. Désormais, « Les nouvelles directives de tri des demandes données au 115 ne permettent plus de proposer une place qu’à des femmes enceintes de plus de huit mois ou à des familles avec des bébés de moins de trois mois ».

L’adoption de la loi Darmanin, Macron patauge dans la boue La loi raciste anti-immigration vient d’être définitivement adoptée, mais à quel prix  ? Le Conseil Constitutionnel en a expurgé les articles les plus racistes introduisant la «  préférence nationale  » mais n’a rien touché au texte tel qu’il avait été proposé à l’origine par Darmanin. Le peu de possibilités de régulations dans les métiers dits en tension dépendent du bon vouloir des préfets, les expulsions sont facilitées… Macron a fait des concessions nauséabondes au PR et au RN pour éviter le 49,3 les aspirants fascistes peuvent jubiler, ils ont réussi à introduire leurs idées dans le débat public grâce à lui.

Sans papiers, des victoires minuscules… mais des victoires quand même. À Briançon, ville frontalière, les arrestations de personnes arrivant d’Italie, contrôlées sur la base de leur apparence physique, se multiplient. Beaucoup sortent du commissariat avec une OQTF assortie d’IQTF prises par le préfet, mesures totalement illégales puisque les migrants interpellés avaient exprimé leur volonté de déposer une demande d’asile ce qui leur a été nié. Mais cet automne, 18 d’entre eux soutenus par l’association marseillaise « Tous migrants » ont fait un recours et ont obtenu que ces décisions soient annulés. La lutte commence à payer pour le Collectif des Jeunes du Parc de Belleville des jeunes mineurs qui dormaient dans des campements vont désormais pouvoir dormir sous un toit : 49 places ont été arrachées grâce à leur détermination et à la solidarité des habitants dans un gymnase du 7ème arrondissement. Cagnotte du collectif :https://www.helloasso.com/associations/liberte-egalite-papiers/formulaires/1. Mieux encore : le soir de Noël, 11 personnes ont réussi à s’évader du CRA de Vincennes par une fenêtre dont elles avaient coupé le grillage. De tout cœur avec elles !

A Marseille Le RAID de nouveau impliqué Dans les révoltes survenues à la suite de la mort de Nahel, abattu par la police, le RAID devient un outil de répression pour le ministre de l’intérieur, à l’origine de graves blessures (à Mont-Saint-Martin, Meurthe-et-Moselle, Aimène Bahou a le crane fracassé par un « bean bag » le plongeant 25 jours dans le coma) et du décès de Mohamed Bendriss à Marseille. Dans la nuit du 30 juin au 1er juillet toujours dans cette même ville Abdelkarim Y. est grièvement blessé à la tête, perdant l’usage de son œil après un tir de lanceur de balles de défense (LBD). L’instruction a pu identifier les tireurs : cette même unité du RAID qui le lendemain blessera mortellement Mohamed Bendriss au thorax.

Refus d’obtempérer La justice a séparé les affaires, et Nordine a déjà été condamné pour refus d’obtempérer à 2 ans de prison ferme. Été 2021 à Stains une équipe de la BAC sans identification aucune, tire à 8 reprises lors d’un contrôle, blessant gravement Nordine et Merryl, sa passagère (voir RE 199 et 207). Le couple a porté plainte, fin 2023, l’instruction annonce renvoyer devant le tribunal correctionnel les 2 policiers tireurs de la BAC, concluant que les tirs « ne peuvent être considérés comme strictement proportionnés et ne répondent pas à l’absolue nécessité »… à suivre.

Un procès politique nouveau point de bascule En octobre se tenait un procès pour « association de malfaiteur terroriste » diligenté par l’Etat contre 7 co-accusés (voir RE 214). Aucun projet d’action violente, mais l’accusation porte sur des convictions politiques, une nouvelle tentative d’ouvrir les champs de l’anti-terrorisme et son arsenal de répression accru contre la contestation sociale. Le verdict extrêmement sévère est tombé : de 2 ans de sursis simple à 5 ans dont 30 mois avec sursis probatoire et inscription au fichier des auteurs d’infraction terroriste (FIJAIT) pour 6 des 7 accusés… Des peines lourdes pour un dossier vide, mais surtout un grave basculement de la logique répressive. Cette condamnation malgré l’absence de faits, n’est parfois même pas fondée sur de pré-supposées « intentions terroristes », mais pire encore sur une soi-disant participation aux pré-supposées « intentions terroristes » d’un autre que soi. Un point de bascule dans la criminalisation des luttes sociales. A l’origine de cet acharnement de l’Etat il y a l’engagement du principal condamné, « Libre Flot », auprès des forces kurdes contre Daech au Rojava. Estampillé « terroriste » parce qu’il a combattu le fascisme. Aujourd’hui plus de 4000 français sont mobilisés sur le front à Gaza – le deuxième contingent de soldats étrangers opérant dans l’armée israélienne après celui des États-Unis – alors que l’armée israélienne commet des crimes de guerre à Gaza et à l’heure où la Cour de justice de l’ONU a examiné les accusations d’actes de génocide suivant la requête déposée par l’Afrique du Sud : que se passera t il à leur retour ?

« Il faut les défoncer ! » ordonna le commissaire Le 23 mars 2019 lors d’une manifestation des gilets jaunes, une charge policière renversait Geneviève Legay, une militante d’Attac de 73 ans : hémorragie cérébrale, fracture crânienne… Fait rare, ce n’est pas le policier auteur des violences qui passait devant le tribunal les 11 et 12 janvier dernier, mais le commissaire Rabah Souchi qui avait donné l’ordre de la charge. Le jour même de la manifestation un officier de police judiciaire rapportait dans son PV que « selon les premiers éléments recueillis, la septuagénaire aurait été bousculée par un homme qui portait un bouclier ». Les gendarmes témoignaient dans un rapport daté du 25 mars avoir refusé la charge ordonnée par le commissaire la jugeant « disproportionnée ». Très vite des éléments interrogent sur la responsabilité policière, mais le discours officiel couvre les violences malgré leur gravité. Pour le président Macron comme pour le maire de Nice Estrosi, Geneviève a dû trébucher. Le procureur de la République de Nice écarte toute responsabilité des forces de l’ordre et charge la compagne du commissaire Rabah Souchi, Hélène Pedoya, commissaire en cheffe de la sûreté départementale, de mener l’enquête. Pourtant les faits sont là, et la lutte pour la vérité bénéficie de témoignages de l’intérieur. L’IGPN conclut à une charge inadaptée. Mais à ce jour, le commissaire Rabah Souchi exerce toujours, et n’est pas passé en conseil de discipline, alors que le policier qui a contribué a faire toute la lumière a été mis à pied. Au final le parquet requiert six mois avec sursis contre le commissaire. Le délibéré sera rendu le 8 mars. Mais l’Etat a déjà rendu son jugement. En juin 2019 Rabah Souchi et Hélène Pedoya ont reçu la médaille de la sécurité intérieure des mains du ministre de l’Intérieur Castaner pour leur service et leur engagement.

la France poursuivie pour « acte de torture » Le 4 décembre 2023 la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a ouvert une procédure contre la France pour « acte de torture » ou « traitement inhumain ou dégradant » se saisissant d’une requête de Laurent mutilé en septembre 2016 lors d’une manifestation à Paris contre la loi « travail » où ayant reçu un morceau de grenade désencerclement au visage, il perd l’usage de son œil droit (voir RE 208). Bien que la cour d’assises ait reconnu l’irrégularité du tir et les « violences volontaires ayant entraîné une infirmité permanente » sur un manifestant ne présentant « aucune menace », le policier auteur du tir est acquitté. Il aurait agi en état de « légitime défense » prétextant des agressions contre les forces de l’ordre plus tôt dans la journée. Un jugement qui admet une nouvelle forme de légitime défense « indiscriminée ». Une condamnation par la CEDH pourrait faire jurisprudence pour les 46 Etats signataires de la Convention ainsi que pour toutes les affaires de mutilation policière survenues depuis en France.

> [ A G I R ]

Le 17, un guide pour les victimes de violences policières Flagrant Déni a publié un guide numérique interactif pour soutenir les victimes de violences policières dans leur parcours juridique : https://www.flagrant-deni.fr/ « Qui contacter, à quel moment et pour quoi faire ? Quels moyens se donner pour accéder à la vérité ? Comment utiliser l’arme du droit de la façon la plus efficace possible ? » […] « Cet outil est le fruit d’un an de travail. Il découle aussi en droite ligne des 4 années d’enquêtes sur le traitement judiciaire des violences policières réalisé par notre rédaction. C’est un choix éditorial autant qu’un engagement militant pour répondre aux questions des victimes et réduire leur détresse face à un système souvent difficile à appréhender. »

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La mutilation de Théo – l’État en roue libre / Résistons Ensemble bulletin numéro 215 (.pdf)

source : https://resistons.lautre.net/spip.php?article645