Les États généraux du film documentaire ont pris un certain nombre de décisions et
d’engagements modifiant la programmation de l’édition qui se déroulera du 17 au 23
août 2003.

En collaboration avec le Groupe du 24 Juillet qui réunit des professionnels du
documentaire, des ateliers de travail sont mis en place et seront coordonnés sur
place par les membres de ce collectif. Pour être efficace, Ils se réuniront en
commissions (à former le lundi en AG) sur quatre thématiques (qui pourront être
modifiées et complétées) pour élaborer un certain nombre de propositions et
revendications ayant trait au documentaire mais aussi à la culture et à la création
et aux enjeux politiques qui les accompagnent. Ces propositions seront rédigées
publiées et diffusées ensuite.
Chaque jour, au cours de séances ouvertes, un éclairage sera porté sur un de ces
ateliers, par une série d’interventions et un débat sur les questions qu’elles
susciteront, pour que l’ensemble des personnes présentes à Lussas puissent
participer et amender les textes, ou proposer des  » mots d’ordre  » et des actions
pour la rentrée.
Nous souhaitons que ces commissions et ces échanges initient un travail qui devra se
poursuivre dès la rentrée pour contrer les attaques auxquelles nous devons faire
face à de nombreux niveaux de la société.

Concernant le protocole sur le statut des intermittents, la matinée du premier jour
y sera entièrement consacrée avec les explications de représentants de la
Coordination des intermittents et précaires d’Île de France, avec l’appui des autres
coordinations d’intermittents.
Des séances seront aussi réservées à la présentation de films réalisés au cours de
ces semaines de lutte et d’actions.
Enfin une partie de la programmation a été adaptée pour renforcer le sens que
prendront ces États généraux du film documentaire pour ceux qui viendront y
réfléchir avec nous.

Les ateliers porteront sur les thèmes suivants, encore susceptibles de modifications :

• Comment vivons-nous notre travail ? L’intermittence, liberté et dépendances.
Aujourd’hui nous sommes très fortement attaqués par l’accord signé le 26 juin
dernier. De salariés intermittents, précaires relativement protégés, un grand nombre
d’entre nous va se retrouver exclu de tout droit à l’indemnisation du chômage ;
droit légitime de salariés. Personne ne sera épargné. Ceux qui se maintiendront
subiront les effets d’une plus grande précarité : la baisse des salaires, la
dégradation des conditions de travail, la répression, l’obligation de se soumettre,
et enfin à l’horizon la perte du seul statut que nous ayons le salariat
Alors URGENCE !
Si notre secteur doit continuer à servir de laboratoire social pour d’autres
salariés d’autres secteurs, il faut faire les récits de notre réel pour en tirer des
orientations et des perspectives novatrices.
Nous voulons interroger nos propres itinéraires professionnels pour démêler
l’écheveau des effets contradictoires de notre mode d’organisation de notre travail.
l’intermittence, liberté et dépendances Nous nous engageons à l’ occasion de ce
débat, à dire la vérité, à ne plus mentir pour les bonnes- mauvaises raisons
habituelles et à tenter un autoportrait en êtres sociaux et historiques. C’est bien
ce portrait que le gouvernement refuse de faire parce qu’il refuse le réel lui-même,
parce qu’il ne veut considérer que des populations dont certaines sont des bassins
de main d’œuvre. Il n’y a plus de personne consciente avec des émotions, des
sentiments et de la pensée. Il n’y a plus que des forces de travail.

Coordination : Anita Perez (Anitap2@wanadoo.fr) avec la participation d’Antoine
Perrot, artiste plasticien et président de la fédération des réseaux et associations
des artistes plasticiens (FRAAP).
Ce travail se poursuivra après Lussas avec la participation de Bernard GAZIER,
professeur de sciences économiques (PARIS I), chercheur au laboratoire Matisse
(CNRS) et auteur de Tous  » sublimes « . Vers un nouveau plein emploi et de Dominique
Meda, philosophe et directrice de la Mission d’animation de la recherche DARES
(ministère du travail).
Débat le vendredi 22 août à 14h30.

• Comment sont diffusés nos films pour inventer et développer des formes
alternatives de diffusion.
À l’heure où la télévision se ferme aux auteurs, nous voulons remettre en question
radicalement le fonctionnement anti-démocratique et sclérosant des télévisions
publiques et privées ainsi que le formatage de leurs grilles de programme. Nous
voulons réfléchir et imaginer d’autres manières de faire la télévision publique et
de la financer, pour la libérer de l’emprise de l’audimat.
Enfin il est urgent de multiplier et d’aider les autres lieux et moyens de
diffusion, comme la distribution en salles sur film et sur vidéo, en DVD, via
internet…
Parce que la situation menace directement et à court terme le genre documentaire, il
s’agira cette fois de dépasser nos plaintes habituelles pour aboutir à de réelles
propositions et des moyens d’action.

Coordination : Mariana Otero (oteromacedo@wanadoo.fr), Laurence Petit-Jouvet
(avril.films@wanadoo.fr) et Jean-Pierre Thorn (jp.thorn@wanadoo.fr).
avec la participation de Geneviève Troussier (Groupement National des Cinémas de
Recherche), Patrick Guivarch (Utopia Avignon) et Pierre Payan du groupe  » la tordue
« .
Débat le mercredi 20 août à 18h.

• Le temps du travail, le temps de la création, le temps du capitalisme.
Débats en présence de Robert Cantarela, Jean-Louis Comolli, Marie-José Mondzain et
Jack Ralite.
Débat le mardi 19 août à 21h30.

• La production : le financement, l’indépendance.
Dans la tempête qui souffle sur le monde de la culture, particulièrement de
l’audiovisuel et du cinéma, le couple réalisateur/producteur est malmené. Certains
aimeraient qu’il divorce, que leur alliance qui fait poids, vole en éclats.
La crise provoquée par la signature du protocole le 26 juin dernier, les menaces
d’implosion de la SCAM, la confirmation par le Conseil d’État du statut d’œuvre
audiovisuelle de création pour  » Popstarts « , sont en quelques semaines des données
convergentes d’une telle gravité, qu’elles remettent en cause l’équilibre des
systèmes mis en place depuis des années.
L’objectif de notre Commission Production est précis et limité : nous allons
consacrer les cinq jours des États Généraux à « travailler » les positions et les
situations des uns et des autres, réalisateurs et producteurs :
– face à la question du déficit de l’Unedic et du financement de la création
audiovisuelle et du cinéma
– face aux pratiques frauduleuses et à la question des  » Permittents « 
Ceci en recentrant le questionnement autour de l’œuvre, sa définition (documentaire
de création), sa hiérarchisation, ses critères d’éligibilité pour des soutiens
publics.
Il est possible que nous puissions aboutir, au-delà d’une mise à plat et d’un état
des lieux, à l’élaboration de propositions qui seront autant d’outils pour les mois
à venir.

Coordination : Gérald Collas (gcollas@ina.fr), Yves de Peretti
(yperetti@club-internet.fr) et Jean-Paul Roig (jean-paulroig@wanadoo.fr) avec la
participation de Denis Fred ‘Archipel 35), Xavier Carniaux (AMIP), Marc Olivier
Sebag (SPI), Antoine Leclerc (Carrefour des festivals).
Débat le jeudi 21 août à 18h.

• Politiques publiques de l’art et de la culture : place de la création, statut
de l’artiste…
et
• Enjeux de société.
« La bourse ou la vie ? »
Nous ne pouvons faire acte de cécité devant la machine ultra libérale qui tend à
nous soumettre tous à la loi du marché.
L’état nous dit, il faut des réformes pour combler les déficits. Alors en complicité
avec le MEDEF, il s’attaque aux secteurs les moins rentables, aux droits sociaux,
mais aussi aux secteurs qui produisent de la pensée, du sensible, du questionnement,
en clair tous les secteurs (éducation, recherche, vieillesse, santé, art, culture,
environnement, etc.) qui pourraient être des freins au développement des grandes
puissances économiques.
Que va-t-il nous rester de l’existence ?
Les questions qui se posent aujourd’hui et qui secouent tout le tissu social sont
fondamentales. D’autres se les posent ou les subissent depuis plus longtemps, ils
luttent et souffrent, et incarnent souvent les sujets des films documentaires.
Comment allons nous travailler, nous nourrir, respirer, nous soigner, vieillir,
habiter, nous déplacer, apprendre, créer, penser, vivre ensemble.
À qui profite l’argent, l’argent public ?
Refusant de se voir confisquer nos espaces publics et nos bien communs, nous devons
quitter le consensus et entrer en réaction. Le droit de vote n’est plus un outil
suffisant dans une société qui ne se discute plus et qui est gouvernée par une
politique privatisée.
Nous devons quitter nos intérêts particuliers et occuper l’espace politique pour
construire ensemble une riposte suffisamment puissante, pour désamorcer cet
engrenage ultra libéral qui se fabrique au-delà de nos frontières, en dehors de tout
débat public (privatisation, flexibilité, précarité, retraites, éducation,
recherche, agriculture, culture, patrimoine, création….). Nous devons impérativement
faire le lien aujourd’hui avec les politiques européennes et mondiales.
Nous devons prendre conscience et connaissance de toutes les luttes d’aujourd’hui,
du travail déjà commencé et à poursuivre, des actions à mener tous ensemble.
Le 22 août, si nous avons choisi la vie plutôt que la bourse, nous devrons avoir
élaboré des revendications, des mots d’ordre et d’action pour rester mobilisés
au-delà du 23 août.
Nous travaillerons avec d’avec d’autres acteurs du champ culturel et artistique
(spectacle vivant, musique) sur les politiques publiques de la culture et la
question du statut de l’artiste.
N’oublions pas le 4 septembre la réunion du Conseil National des Professions du
Spectacle que nous devrons suivre de près, voire occuper, pour éviter que quelques
« élus de la scène politique, culturelle et artistique » ne débattent et décident à
huis clos.
Nous travaillerons également avec d’autres acteurs : architectes, chercheurs,
enseignants, agriculteurs…Sur les questions de confiscation des espaces publics et
des biens communs et les politiques menées au niveau européen et mondial qui
conditionnent les politiques nationales (OMC, AGCS)

Coordination : Pierre Oscar Lévy (pierre_oscar.levy@noos.fr), Anne Toussaint
(atous@club-internet.fr) et François Chilowicz (fchilowicz@yentaproduction.com).

Ces deux approches donneront lieu à deux débats vendredi 22 à 14h30 :
– les politiques publiques de l’art et de la culture : statut de l’artiste, place de
la création, avec la participation (sous réserve) de Valérie de Saint-Do
(Cassandre/Horschamp – Parlement pour la démocratie culturelle et artistique)
Stanislas Nordey, Aldo Romano.

– Enjeux de société : la bourse ou la vie? :
Avec la participation de Mohamed Taleb, historien, philosophe auteur du
livre:Sciences et archétypes, fragments philosophiques pour un réenchantement du
monde et de deux architectes.

ÉDITO

Origine, transmission… Rupture

Une rupture qui ne serait pas un lien brisé, ne laisserait pas un corps exsangue
mais une rupture qui au contraire annoncerait un resserrement, marquerait un
mouvement des corps, un déplacement des enjeux et des points de vue, des questions
et des regards, enfin, une rupture qui manifesterait un désaccord profond.
États d’urgence du documentaire, états généraux de la culture, état général de notre
société. L’urgence caractérise parfois un réveil tardif, un après-coup. Aujourd’hui
l’impression de  » gueule de bois  » – n’oublions pas entre autres, la démolition en
cours des retraites, celle annoncée du service public, le tout porté par l’ambitieux
chantier de l’Accord Général sur le Commerce des Services – nous l’avons sans avoir
goûté l’ivresse.
Sans doute cette rupture correspond-elle aussi à un vide laissé par une génération
pour laquelle a manqué l’esprit d’opposition et de revendication, puis finalement
l’esprit critique. Après-coup là aussi. Peut-être encore, sommes-nous parvenus au
bout de quelque chose, à l’épuisement de ce désengagement, de ce repli, pour sortir
d’une forme de résignation.
La menace s’apparente à un licenciement sec. Elle pèse sur des milliers de personnes
qui travaillent pour le théâtre, la danse, la musique et le cinéma. Cette menace
réduit et fragilise davantage encore le champ de la création – même si cela ne
semble pas être l’avis de tout le monde au sein même de ces professions :  » moins on
est, plus on en a et comme il n’y en a pas pour tout le monde… « . Et cette
fragilisation affecte particulièrement le secteur du documentaire dont la forte
dépendance à la télévision est en train de l’emporter avec elle dans sa
dégénérescence.
Comment préserver de précieuses pratiques indépendantes dans un système industriel ?
Comment dépasserons-nous donc la crise ?
C’est ce que nous tenterons de définir à l’issue des réflexions menées dans les
commissions et les assemblées qui nous réuniront au fil de la semaine.
Il n’y a pas de conscience politique sans intelligence sensible. Et la culture
devrait être cette capacité d’une société à porter l’acte de création – sa
nécessité, celle d’un geste et de son humanité -, la porter, cette trace, jusqu’au
regard d’un autre, à qui elle est étrangère, invisible pour le moment.
S’il s’agit de préserver un espace pour la création, c’est bien aussi pour imaginer
les conditions de la rencontre d’une œuvre avec un spectateur, un espace où même des
œuvres surexposées dans des lieux de consommation culturelle pourraient retrouver
discrètement leur puissance d’implication. L’enjeu étant bien de redécouvrir et
réaffirmer en quoi l’art nous implique, nous concerne. Pour se sentir de nouveau
concerné.
Il nous semble que chaque année, c’est ce qui réunit une équipe de près de deux
cents personnes, dont une majorité de bénévoles, qui travaillent à proposer un
espace où de la transmission serait à l’œuvre, un lieu où l’on viendrait se
ressourcer.
Dans la continuité de cette mobilisation et de cette urgence qui devraient devenir
permanentes, nous avons imaginé des explorations, des passages, des déploiements
pour interroger l’origine des images et leur transmission, la place et le statut de
l’artiste.
Des premières traces rupestres jusqu’aux images cinématographiques : remonter à
l’origine de l’image, repenser le cinéma depuis ces antiques productions de signes
visuels et le resituer dans la généalogie des questionnements sur l’image, afin
d’interroger son mystère et son pouvoir au sein de la société des hommes. Mais
penser aussi, parallèlement, son pouvoir plus intime sur un individu ; le lien de
fascination, d’amour, de filiation même, entre un film et son spectateur. La
possibilité d’un film à se faire monde. Comment alors nommer ce lien, comment le
transmettre ? Tenir donc ensemble ces deux bouts du phénomène de l’image : son
origine – le geste et le désir dont elle naît – et son devenir, pour un regard et
pour une pensée.

Jean-Marie Barbe, Pascale Paulat, Christophe Postic

État d’urgence

Le milieu du documentaire comme tous les domaines vivants de la création est en état
de choc. Parce que son économie intègre depuis longtemps les indemnités de chômage.
Parce que l’indispensable réforme du régime spécifique aux intermittents n’a pas eu
lieu. Et qu’à la place, le Medef y a substitué un  » protocole d’accord  » qui fait
des indemnités chômage un outil financier adapté aux besoins des plus puissants des
employeurs.
Les effets dévastateurs de ce protocole ne vont pas se dissiper de sitôt. Les
projections concrètes effectuées par la Coordination des intermittents et précaires
d’Île-de-France montrent que la  » réforme  » exclut de fait ceux qui ont des revenus
variables et n’épargne que les revenus réguliers et stables, c’est-à-dire ceux qui
sont le plus étrangers à l’intermittence. Bien loin de  » sauver l’essentiel « , comme
il a été dit, elle masque sous un galimatias difficile à déchiffrer les objectifs
inavoués de ses promoteurs : le contrôle de la flexibilité sociale du secteur et
l’éviction de ceux qui ne vont pas dans le sens du marché. Ce n’est pas une réforme,
c’est un hold-up.
Cette logique sans scrupule, qui ne prend plus la peine de négocier, a fait déborder
le vase et provoqué dans les milieux artistiques et de la création audiovisuelle une
prise de conscience brutale. Ce n’est pas une réforme. C’est par contre un symptôme.
Que dit-il, ce texte, au-delà même de  » nous « ? Il dit que l’avenir sera à la
flexibilité, au travailleur jetable, à la logique des coûts, à la main d’œuvre
précaire. À l’intérim généralisé. Oui, cette affaire parle des intermittents du
spectacle. Mais elle parle de beaucoup plus que d’eux. Parce qu’elle parle de « 
restructuration « , de concentration économique, parce qu’elle ne s’occupe ni de
culture ni même de télévision de service public, mais de marchandise, de produit, et
de gestion des stocks humains. De nous et de vous.
Cette  » réforme  » arrive à un moment où le film documentaire est mis en danger par
les principaux protagonistes du secteur, des diffuseurs soumis à la dictature de
l’Audimat, à la Scam en crise. Avec l’appauvrissement qualitatif de la demande, la
standardisation des contenus et des formes, le sous-financement chronique, les
effets pervers de l’ouverture du Cosip aux œuvres de flux, etc., la production de
documentaires à la télévision se voit condamnée au formatage industriel et à la
disparition programmée de la subjectivité.
Le succès public croissant et les sorties en salle de films documentaires ne
sauraient masquer la crise profonde que nous traversons. Il est plus que jamais
nécessaire de défendre la notion d’œuvre.
C’est parce qu’il y a  » État d’urgence  » dans le documentaire que les États généraux
du film documentaire doivent être un des lieux pour prendre le temps ensemble,
réalisateurs, producteurs, techniciens, de dire nos manières  » de faire les films « 
aujourd’hui, de revendiquer des conditions de travail et de financement décents et
d’affirmer notre volonté d’indépendance pour continuer à faire des films demain.
C’est parce qu’il y a  » État d’urgence  » dans tous les domaines de la création,
qu’aux côtés de ceux, comédiens, metteurs en scène, cinéastes, danseurs et
musiciens, acteurs de la scène artistique et culturelle mais aussi spectateurs, nous
devons interpeller les politiques culturelles et affirmer la nécessité d’existence
d’espaces critiques de création et de diffusion.
C’est parce qu’il y a  » État d’urgence  » face au monde qui se prépare visant à faire
disparaître nos biens communs : éducation, recherche, santé, culture, qu’aux côtés
de ceux, chercheurs et enseignants et tous ceux qui crient aussi leur colère et leur
angoisse, nous devons ensemble trouver les moyens de désamorcer les stratégies de
mise en place d’une société où le  » désir d’avoir  » l’emporte sur  » le désir d’être
« .

Groupe du 24 juillet.