Samedi 02 Décembre 2006

NOSOTROS INCONTROLADOS RELAIE ET RECONNAIT LES NEXIALISTES

La plus part des thèses et actions des Nexialistes on toujours trouvé un écho favorable dans l’histoire individuelle et collective de ceux et celles qui constituent aujourd’hui Nosotros.incontrolados/les Amis du Négatif à l’Oeuvre, au delà de quelques polémiques bien compréhensibles et nécessaires.
Quoiqu’il en soit, la baiblesse actuelle de l’expression qualitative du mouvement révolutionnaire converge semble-t-il vers l’indiscutable nécessité de remettre sur la table les tentatives acérées des débats anciens, avec leurs erreurs et errements, au risque de nous répéter.

Nous saluons tout particulièrement celles et ceux qui dans une période difficile, phagocytée par l’orchestration médiatique d’une « gôche alter-mondialiste » cherchant dans les poubelles de la représentation un « candidat unique » contre le libéralisme, ont su présenter l’initiative d’un débat que d’aucuns voulaient croire à jamais enterré avec le vieux mouvement anarchiste, l’internationale Situationniste, les Nexialistes, et quelques autres héritiers critiques tels: l’Agence pour l’Auto-suppression du Prolétariat, l’Agence pour une Zymotechnie Apodictique, l’Encyclopedie des Nuisances, l’Exagéré, Mordicus et de bon nombre d’autres formes d’intervention contre le monde de la marchandise et du spectacle .
le mouvement alter actuel constitué d’un incalculable nombre de récupérateurs, d’usurpateurs, d’opportunistes aurait voulu être le ciment scellant le tombeau de toutes ces initiatives là.

C’est de bonne guerre; mais si les mots font quelques fois couler des larmes, les preuves feront tomber des dents!

Aussi, et dans cette perspective joyeuse et ludique N.I publie l’I.N.

Stephane.Kerfanto pour Nosotros.incontrolados.

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SILLING
Réflexions et analyses
SURSAUT ET DÉTOUR

Texte reçu par mail
Date: 29 Octobre 2006
À: 1libertaire (at) free.fr
Objet: Voici le texte de la brochure de Montréal mais sans les illustrations.

Où réside le secret qui peut mettre en mouvement cette immobilisation apparente ?

La principale faiblesse du mouvement radical actuel réside dans son absence de pratique théorique, dans son inexpérience critique de ce qui le porte. Cette investigation primordiale doit pourtant envahir tous les domaines séparés de la domination en évitant les conclusions d’une facilité suspecte, afin d’en démontrer de manière frappante la stratégie unifiée.

Une telle critique devrait avoir un caractère expérimental pour avoir seulement un commencement de validité.

Chaque mouvement révolutionnaire est tributaire d’une conception non dogmatique de la vérité afin de le rester.

De l’essence des mouvements révolutionnaires précédents dressés avec cohérence contre les pouvoirs en place, nous avons à connaître ce qu’il y avait de meilleur comme de plus mauvais. Mais si ces mouvements ont échoué, si les modèles sociaux et idéologiques qu’ils proposaient ne sont plus valides, la mémoire de leur héroïsme, leurs luttes exemplaires et leur maturité dans leur temps, leur stratégie de rupture parient sur le meilleur de ce qu’ils furent et aboutit à définir comme à justifier, nos aspirations présentes. Ainsi nous pouvons admirer (et parfois envier) les révolutionnaires anonymes qui se sont battus pour la Commune de Paris, de Canton, Cronstadt ou même à Winnipeg, bien qu’aucun d’entre nous ne veut échouer et connaître leur fin. Aucun échec n’est irrémédiable.

Ce n’est pas leur sort qui nous motive mais le besoin de fraternité.

Ce n’est pas leur sort qui nous enthousiasme mais le nôtre.

La conscience pratique contemporaine de la révolte permet d’entrevoir une autre architecture de la révolution.

Si nous avons besoin de rythmes nouveaux pour préserver le sens de nos luttes, leurs puissances ne peuvent venir non de l’intensité de nos visions d’avenir mais de la certitude de notre pratique du présent. La question de la fausse conscience, de la fragmentation de l’identité dans la religiosité spectaculaire, de la vie inversée, ces questions se maintiennent obstinément au centre de toute critique pratique, de toute activité radicale. Omettre la question centrale de l’aliénation dans ces termes, participe de la mystification volontaire au même titre qu’elle entretient la dépendance et l’asservissement à ce que l’on entend nier.

Le vedettariat est un instrument de hiérarchisation incompatible avec tout projet révolutionnaire. Il est l’avènement d’une caste restreinte et une des formes de pactisation avec le spectacle dominant de la misère.

L’anonymat est une nécessité subversive et anti-idéologique

Les mouvements sociaux précédents se sont appuyés sur des faits concrets pour élaborer une critique qui soit exactement au plus prés de la réalité et de leurs besoins. Critique de l’économie et de la politique pour les marxistes, critique de l’état et conception de l’Unique pour les anarchistes furent quelques-unes de ces pistes de recherche et la base théorique des assauts ouvriers du XIXe siècle. Qu’ils aient été rabaissés et dégradés dans la constitution de partis ouvriers par l’écrasement et la mise au pas de ces mêmes ouvriers ne doit pas faire oublier que les secousses insurrectionnelles sont condamnées, dans ce monde, à rester sans cesse récurrentes parce qu’en elles s’affirme la vie même. Le temps travaille pour nous, il faut alors lui donner un coup de pouce salutaire. Nos espoirs ne sont pas refroidis.

Alors oui, tout a changé et tout continue comme avant! Le seul vrai travail important de la pensée critique aujourd’hui doit tourner autour de cette question de la réorganisation des forces théoriques et matérielles du mouvement révolutionnaire, afin qu’il s’affirme en conscience en tant que subversion.

Les révolutionnaires seront d’autant plus eux-mêmes qu’ils auront l’intelligence de se transformer afin d’échapper aux formes posées comme des pièges et qui les attendent pour les figer. La compréhension subversive du monde est salutaire comme détour.

Cette transformation n’est réalisable que dans le jeu subversif de petits groupes déterminés. Là où la liberté enflamme la passion, là où le changement s’affirme comme rupture.

Tout est mémoire et anticipation

S’orienter : première contribution

Il y a plusieurs façons de matérialiser un débat théorico pratique et plusieurs de ces façons ont déjà été tentées ailleurs, dans d’autres temps, mais certaines, encore inédites, demandent à naître. Il s’est toujours agi à chaque fois de tenir compte de situations particulières, d’évolutions individuelles et de praxis adaptées et collectives dans un environnement social déterminé.

Chacun est ainsi contraint de trouver ses méthodes en soi-même, et donc rien n’y est insignifiant, au contraire. Encore faut-il avoir en tête le souci permanent d’un débat concret et se donner les moyens réguliers d’accéder à celui-ci malgré ou à cause du quotidien.

Chaque individu aux prises avec l’affirmation de son autonomie se retrouve avec son petit chantier personnel en partie construit, en partie dévasté, à tenter d’élaborer une dimension critique historique et évidemment, ces choses-là passent par différentes étapes, plusieurs médiations, où la cohérence, l’enthousiasme et le temps au beau fixe ne sont pas des éléments stables.

Pas de hasard donc si l’enthousiasme nous tourne autour en reniflant comme si nous manquions de violence fondatrice : le temps est encore, trop souvent, dédié à un cynisme stérile et à l’auto commisération, ou tout simplement aux luttes partielles dont nous connaissons tous le manque de portée radicale et les tendances à combler les trous du système dominant.

Ainsi beaucoup de ceux qui se réclament abusivement d’une pensée libertaire au Québec ne font que reproduire le principe statique de ces luttes partielles issues de la survivance des extrêmes gauches européennes ou américaines maintenant bien dégradées. De ces extrêmes gauches qui « reproduisent en elles les conditions de scission et de hiérarchie qui sont celles de la société dominante.»Quand aux autres, comme dans tout véritable projet révolutionnaire, ils ont à s’immerger dans la relation entre la théorie critique et l’activité pratique, en dépassant tout romantisme, afin de relever les défis identifiés parmi les trous noirs de la lutte des classes, lutte de classes qui persiste sous des formes différentes de celles que connaissaient nos prédécesseurs mais toujours avec, au cœur, la même exigence d’une critique de la totalité. Donc, subjectivement, car il faut en parler, l’enthousiasme se construit, tout du moins on peut en construire les bases, ensemble, et… advienne ce que pourra !

De toute façon, il faut miser sur un champ d’activités et de réflexions qui nous soient favorables et dans ce champ d’activités, parions que nous allons trouver très vite de l’enthousiasme et du plaisir.

Il ne s’agit pas, pour ceux qui veulent participer à un tel projet, d’apparitions confuses, de désirs vagues ; les perspectives de changement radical ne sont pas des vestiges du passé, changer nos vies au présent a encore un sens et nous sommes un des maillons de cette solidarité organisée qui peut contribuer à redéfinir le mode d’emploi d’un projet révolutionnaire avec, entre autres, cette modeste publication, même si celle-ci doit être perçue comme un élément ponctuel d’une activité subversive forcément plus large.

L’esprit de résignation que chacun d’entre nous peut constater quotidiennement chez les salariés comme les chômeurs, imbibe les comportements quand ce n’est pas le sens très officiel de ce consensus particulier à la conception nord américaine des liens et des partenaires sociaux. La menace récurrente du terrorisme et du chaos social n’a jamais été aussi présente dans les têtes ni autant véhiculée par les médias.

En contrepartie, le contrôle social exerce une énorme pression selon une cadence accélérée ; l’idée démocratique est devenue une publicité de supermarché surveillée par l’armée ; les syndicats gèrent grassement les fonds sociaux et les cotisations sur le dos des salariés ; les médias désarment les consciences ; chaque citoyen est en guerre avec lui-même ; seul le respect des apparences (et la police bientôt dans chaque chambre) empêche de tirer sur son voisin, l’ennemi de toujours.

Le climat idéologique porte en lui un âge d’or imprévisible, constamment reculé, mais vraiment sécurisé qu’il présente comme le seul réel possible, la seule vérité de son existence.

C’est pourquoi, devant la progression de l’aliénation, la fausse conscience des « progressistes » qui, sous des dehors contestataires, se rallient objectivement et même gaiement bien que de façon confuse au système, ne peut être perçue que sous sa docilité finale : des velléités d’autonomie dérisoires, des parodies de résistance.

Pour les révolutionnaires, il est judicieux de ne rien laisser de côté dans l’ampleur critique qu’ils entendent donner à leur révolte, notamment en attaquant avec humour et dérision, la constante gravité des erreurs et des imbécillités que nous pouvons entendre, lire ou voir exposées ici ou là à l’aide d’un dilettantisme contestataire basé sur l’oubli (de l’histoire, des luttes, de la critique, etc.), par ceux qui tentent de faire accréditer l’idée que leur réformisme est en réalité de la subversion, raison pourtant fondamentale de leur antagonisme viscéral d’avec tout projet subversif, par ceux qui se trouvent non dans la négation et le refus du monde actuel mais dans son aménagement. Leurs conditions de communications, en général, sont égales à celles utilisées par le spectacle dominant. La contestation et le pouvoir se justifiant l’un et l’autre, c’est là leur grande consolation car ils s’abandonnent l’un et l’autre à des lois de fonctionnement identiques, aux mêmes ressorts de la pensée et à la même gratitude réciproque. La contestation et le pouvoir ne sont pas appelés à se détruire, ils s’interprètent et rappellent constamment leur origine commune.

Mais un projet révolutionnaire doit savoir distinguer les qualités de camarades potentiels situés dans la mouvance libertaire que nous fréquentons, que ce soit là ou même ailleurs, partout où l’intelligence ne se dissimule pas sous des oripeaux vieillis ou abandonnés depuis longtemps par la seule force de l’histoire.

Personne n’ayant le monopole de la critique, tout triomphe du verbiage est le bienvenu.

Les errements des pensées politiques d’une gauche locale atomisée [1] qui se cherche sans se trouver, composée d’anarchistes recyclés et de nationalistes reconvertis dans l’alter mondialisme, révèlent de graves manques théoriques et pratiques et des archaïsmes désinvoltes, y compris du point de vue de cette modernité universitaire dont beaucoup se réclament dans ces milieux d’adeptes de la contestation. Depuis que les nationalistes comme Pierre Vadeboncoeur et Claude Charron passent alternativement du journal Le Couac à l’Action Nationale, il est évident qu’une contamination nationaliste, c’est à dire blanche et francophone, envahie, dans le contexte historique particulier du Québec, une pensée anarchiste éparpillée et superficielle pendant que les idées altermondialistes modernisent (mollement, il est vrai) le discours national québécois ; il nous appartient de montrer ce qui constitue la confusion de cette fausse réconciliation cette récupération à double tranchant, ses promesses triviales, ses contraintes prévisibles.

Dans la période transitoire où nous sommes, quelques uns de ces fins penseurs répètent, sous la forme de fragments théoriques déplacés et de restitution de faibles signes du passé, les interminables alibis d’une gauche modérée, citoyenne dans son application, systématiquement dépourvue d’embryon de radicalité. Rien ici qui aboutisse à un dépassement historique mais une série de réactions qui peu à peu perd en importance selon la place événementielle accordée à l’actualité en cours et qui va toujours décroissant.

Pour ces militants rêvés, éternels frustrés, les symptômes ont valeur de cette vérité qui se dérobe constamment à leurs yeux ; leurs motivations les transfigurent car ils entendent valoriser non la démarche mais un résultat partiel. La constatation de repli autiste d’un présent planifié en désordre et en chaos organisé, d’un réel brisé, dépourvu de références à sa propre histoire, cette constatation qui conduit nécessairement à questionner ce qui réside de consolation personnelle et d’héritage religieux dans l’envoûtement militant, cette constatation est sommée de disparaître devant l’exhaustivité parfaite de leur propre activisme. Pour eux, il est vain de se préoccuper de sens, d’histoire ou de mémoire, encore moins d’avenir : préoccupés d’alibis immédiats, ils ont déjà choisi de lier leur survie à un présent cerné par l’oubli, à un réel détestable qui rebondit sur lui-même, écrasé et dépourvu de sens. Seuls comptent le même bruit de fond des ajustements tardifs du système que, bien dressés, ils ornent de leurs indignations interchangeables.

Ils sont « agis », jamais acteurs.

Les langages du spectacle et de la marchandise administrent leur indignation. Leurs protestations visent les retards et les défaillances du système jamais le système lui-même.

Ce jugement, à peine sévère, en regard de la pauvreté éculée de leurs pensées – même d’un point de vue moderniste comme nous l’avons dit – décrit des « progressistes » notoirement sans praxis radicale, dont l’expression de révolte se change, à court terme, en défaitisme.

Leur attention au présent est devenue aveuglement, leur pensée, une attente éternellement reconduite.

Il est de notre intérêt de montrer où se situe la ligne de fracture entre cette vague gauche pimentée de quelques anars perdus qui aimeraient bien ressusciter une sorte d’extrême gauche raisonnable et, les individus ou les groupes, qui interrogent le présent en fonction d’une mémoire historique et de perspectives d’avenir dans un projet de rupture radicale.

L’idée d’une organisation révolutionnaire, d’une praxis radicale, ne s’est pas encore totalement raréfiée grâce aux champs d’expérience accumulés, à une mémoire historique dont les fils ne sont pas rompus malgré l’extrême aliénation actuelle. L’avenir ne s’est pas totalement obscurci tout simplement parce que quelques uns, tout comme nous, cherchent à relier et à définir un projet encore utopique au présent, par delà l’impuissance sociale, par delà un présent éternisé et sans mémoire vécu comme un temps étranger. Il n’y a donc aucune nouveauté révolutionnaire à attendre de ceux qui n’ayant jamais eu d’esprit critique, bernés par leurs contestations partielles, occultent les questions à résoudre, les réponses à donner afin de démaquiller le réel qui nous est donné à voir.

Il s’agit du même vieux débat entre révolutionnaire et réformiste, de cette constante confusion qui occupe de la façon la plus obscène, le terrain des luttes sociales en tant que représentation de ses pseudo valeurs. Un tel mouvement n’est que le « subi » d’une dépossession réelle, l’expression parfois de sa souffrance mais jamais sa prise de conscience ni la volonté de son dépassement, réalisations qui permettraient pourtant d’éliminer les reflets artificiels et l’illusion primitive d’un tel comportement.

Certain débat récent à Montréal (CMAQ, août/septembre), malgré ses emportements et ses expressions parfois confus, a révélé le désir de nombreux camarades de ressusciter une parole révolutionnaire libre afin de contrer les discours désolant et confus de quelques individus ou les propositions de cogestion responsables de ces revues alter mondialistes, démesurément tristes à mes yeux, qui occupent, en tant que telles, la scène « anarchiste » québécoise avec une jubilation de présentateurs d’émissions de variétés.

Nous avons sans cesse à rappeler que le mouvement social dont nous nous réclamons ne peut leur être assimilé qu’à condition de le réduire à rien. Il ne correspond ni à leur confusion, ni à leur idées compensatoires, ni à leurs carriérisme ; leur soi disant invulnérabilité, qui leur permet de dire n’importe quoi sur tout les sujets, n’existe tout simplement pas.

Il faut en finir particulièrement avec le politiquement correct : un con est un con, un politicien, un politicien. Pas de hasard si ce sont souvent les mêmes !

La faiblesse du mouvement social n’est pas une chose éternelle, l’énergie réapparue récemment montre aussi le degré d’exaspération atteint. Elle démontre une vraie force sous jacente. Quant aux enjeux soulevés, ils ne peuvent maintenant tromper personne. Les débats en cours sur le Web et ailleurs, ne portent pas sur un clivage de personnes, mais sur des conceptions du monde et des luttes opposées.

Les idéologies anarchiste et communiste libertaire, les pratiques fragmentaires des luttes partielles, les confusions entre le démocratisme participatif, civique et citoyen, et un projet révolutionnaire reproduisent l’aliénation sous des formes aliénées. L’idéologisation transpose les volontés individuelles, à l’aide des manifestations singulières de la représentation, vers des intérêts organisationnels particuliers éloignés des objectifs révolutionnaires. Cette confusion entretenue est la principale production de ce processus. Elle sous-tend nombres de pratiques sociales au Québec. Ces pratiques dès lors qu’elles se présentent abusivement comme des alternatives révolutionnaires doivent être passées au crible pour ce qu’elles représentent de bricolages sociaux, reproducteurs de culture aliénée, refuges ratés, maigres souvenirs d’émancipation libertaire.

Si ces formes de solidarité partielles sont généralement justifiées par les trop réelles injustices du système, elles n’ont pas à se substituer, par leurs formes de protestation et de contestation, à un quadrillage, momentanément omis par l’État, des marges archaïques ou misérables du système.

Nous avons tous, à un niveau individuel, pratiqués des formes de solidarités sociales dans des organisations de types communautaires parce que notre vécu est aussi le signe avant coureur d’une subversion plus vaste. Il ne nous est pas possible de demeurer insensibles au monde qui nous entoure, et d’éviter en permanence les contradictions qu’impose le monde actuel, il nous faut aussi le vivre. Impossible de vivre dans l’oubli du monde, le regard centré sur soi en un refus total, en nihiliste achevé. Et nous n’ignorons pas, pour avoir partagé des moments identiques, les mêmes espoirs et les mêmes doutes, que parmi les individus participant à ces types d’organisations, existent des signes concrets de dépassement, parfois une communauté de pensée, ainsi que des tentatives de pratiques communes. Ces rapprochements ne peuvent alors être envisagés qu’en tant que rencontres individuelles.

Les regroupements de solidarité tout comme les organisations communautaires montrent les limites et la mauvaise gestion du pouvoir mais en tant que produits du système car aucune pensée unitaire ne les habite ; elles se perpétuent, non pas au centre de la conscience sociale mais à la périphérie, victimes de l’interprétation régnante qui consiste à reconnaître partout des nécessités sociales puis à les combler par des pratiques néo trotskistes de contestation permanente. Ces pratiques ne sont que des ébauches réactives qui ne posent jamais la question essentielle : comment une conscience subjective porteuse de révolte peut-elle devenir égale à l’organisation pratique qu’elle a à se donner ?

Il n’a pas été prouvé que ces formes solidarité minimum soient l’expression parfaite de pratiques radicales adéquates. Au contraire, compte tenu de l’objectif à atteindre (régularisation de réfugiés, logements et loyers raisonnables, aides diverses aux itinérants, aux usagers de drogue, etc.), les pratiques de ces groupes apparaissent de plus en plus inadéquates devant des impasses sociales en nette augmentation. Pôles de contestation minimum et souvent nécessaires du point de vue des victimes du système, c’est leurs discours qu’il faut questionner, leurs propensions à ne pas s’interroger sur leur propre pratique, leur capacité d’intolérance sur un point particulier et leur tolérance pour beaucoup d’autres.

L’objectif quasi atteint par l’état canadien de créer un compromis social permanent, consiste pour l’État à financer lui-même ses ONG et autres organisations communautaires et à tenir les syndicats en main via les fonds de pension. Demain, il n’est pas exclu que Solidarités sans frontières ou Le Couac soient financés à leur tour[2]. Le Mouton noir, journal alternatif de Gaspésie, est bien sponsorisé par le Programme d’aide aux médias communautaires du ministère de la Culture et des Communications du Québec (PAMEC).

La cogestion sociale mise en place par l’état canadien, particulièrement efficace au Québec, est le point le plus avancé de la récupération.

En conséquence, si nous pouvons accepter de participer individuellement à des formes de contestation, nous ne pouvons, par contre, abonder dans une « politique du pire ».

Stratégiquement, la reconduction de ces fragments de lutte est un retour vers le passé, un aménagement déficient du présent. Il n’y existe conjointement aucune « variante » révolutionnaire puisqu’il n’y existe aucune critique unitaire.

Nous ne sommes pas malveillants mais critiques, certes dans une forme intransigeante. Nous cherchons à nous livrer à des revendications nouvelles adéquates à l’époque qui permettraient de dépasser définitivement le romantisme révolutionnaire des luttes partielles. Si nombre de camarades de ces groupes dont nous parlons, cherchent, comme nous l’espérons, de nouveaux éléments de réflexions, une dynamique plus expérimentale et plus d’efficacité dans leur praxis, les termes de notre réflexion critique et nos conclusions rebondiront progressivement partout dans ces groupes.

Enfin, si nous devons affirmer un projet organisationnel publiquement, cela ne peut-être que comme une des tendances d’un mouvement révolutionnaire qui aspire à l’universel, pas seulement à travers un mode d’être ou de critique/critique contre un milieu et une vision passéiste anarchiste proclamée pour l’éternité. Cela serait évidemment insuffisant.

Un enjeu social ne peut être réductible à une simple publication, d’ailleurs réduite à sa plus simple expression comme celle-ci, mais bien au contraire, à une plus grande ouverture critique, à la nécessité d’une plus grande lumière sur nos vies, et donc reprenons : une telle publication n’est pas un porte-flambeau de textes morts sitôt ânonnés ; elle est semblable à une vie et une dynamique  » organisationnelle  » véritable ; son univers consiste à trouver des outils, capables de nous définir offensivement, en tant que pratique sociale.

Les cibles ne manquent pas, et le système n’est étanche qu’en surface, il faut donc taper là où ça fait mal sans oublier de faire le ménage devant notre porte. J’ai commencé avec la confusion intéressée de Dupui Déri, l’anarchisme citoyen et le vrai réformisme de Baillargeon, les compromissions nationalistes du Couac, mais d’autres critiques, par exemple la critique du nationalisme québécois, restent à faire d’un point de vue révolutionnaire.

Une fois engagé, le combat montre que la réalité n’est pas confondue avec l’écran de TV ou les pages du Devoir, ainsi le principe inviolable du droit au travail qui fédère les syndicats, la notion même de travail salarié, l’encadrement syndical obligatoire, les conditions d’accès à la consommation et au circuit économique, nous attendent nécessairement au coin de la théorie.

Si nous demeurons tributaires du temps dans lequel nous vivons, nous ne sommes pas forcément écrasés entre l’idéologie contemporaine au sens strict et matériel du mot et nos aspirations subjectives et radicales. L’exploration critique du domaine aliéné n’empêche pas l’émotion de ressurgir sans culpabilité, l’imagination d’y profiler sa force terrible, la joie secrète des détournements de crever les images en répandant des forces négatives qu’il est possible de fondre à notre seul usage.

Les difficultés – elles sont nombreuses – d’une compréhension du présent et, intimement liées à elles, d’une esquisse réaliste de nos objectifs, résident avant tout dans le souci affirmé, partagé et compris, d’une analyse globale, y compris des erreurs et des acquits de pratiques passés.

Ensemble, nous avons la possibilité de corriger la confusion et le manque de perspective immédiate du mouvement social contemporain.

Confiné au parcellaire, aux fronts de lutte, à la seule réaction de défense et à l’aveuglement devant un système qui légitime franchement ses principes, La lutte contre le confusionnisme qui altère la nature même des perspectives révolutionnaires sans être capable d’envisager la critique de la vieille politique spécialisée, impuissante, apparaît comme une priorité.

Il faut ouvrir de nouveaux fronts.

Un petit groupe déterminé peut faire beaucoup pour changer le cours du temps.

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Lettre de loin

[« Lettre de loin », pourrait paraître l’écho des débats récents – été 2006 – au Québec entre différentes tendances anarchistes et d’autres révolutionnaires. Cette lecture est fortement encouragée – titusdenfer]

Alger : juin 1945 – Fin des années de guerre, où, clandestinement, dans des camps, le mouvement libertaire s’est reconstitué autour d’un conseil occulte. Mais la guerre est finie. L’unité qui s’est forgée dans le malheur, la défaite, l’internement dans les camps de la mort, pourra t-elle résister aux discordes qui à nouveau, surgissent : le Faïsme renaît de ses cendres, plus autoritaire que jamais, avec ceux qui acceptèrent toutes les compromissions y compris la plus ignoble, celle du pouvoir, feignant d’oublier leur bassesse, et se drapant à nouveau d’une toge de virginal radicalisme.

Rien ne viendra plus critiquer de l’intérieur ce qui fut la pire erreur du mouvement anarchiste espagnol. D’Alger, au centre de ce qui pourrait rester uni, une voix va s’élever, celle de Fabio, dans une lettre datée du 10 juin 1945. Celui dans lequel beaucoup ont reconnu la plume acérée du vieux Felipe Alaiz, va clamer une vérité qui aujourd’hui reste toujours vivante. S’il y a du naïf ou de l’insuffisant dans cette lettre, il n’y en a guère dans le constat. Fabio, l’irréductible nous donne une étonnante leçon d’histoire à méditer.

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[ ALAIZ Felipe (1887-1959)

1887 : né le 23 mai à Belver de Cinca Huesca

Journaliste

Fils de militaire à la retraite, il fera ses études à Lerida et à Huesca avec Ramon Acin. Directeur pendant deux ans de la revista de Aragon, rédacteur à El sol de Madrid, heraldo de Aragon,La RevistaBlanca, Solidaridad Obrera de Valencia et Sevilla, ainsi qu’à Dia Grafico

1918 : arrive à Barcelone, ou il publie avec Hermoso Playa la revue Vertice, et avec Torres Tribo, la revue Voluntad à Sarragosse , puis il intègre la rédaction de Solidaridad Obrera de Valencia et de retour à Barcelone il publie avec Antonio Garcia la revista Nueva.

1925 : En prison à Barcelone, il écrit le prologue du livre de Peiro, Trayectoria de la CNT

1929/30 : directeur de Tierra y Libertad,

1932/33 : directeur de Solidaridad Obrera de Barcelone

1934/35 : rédacteur à Solidaridad Obrera de Barcelone

1939 : en exil en France il vivra à Paris et dans plusieurs villes du Midi de la France.

1943 : Au Plenum de Mauriac (Cantal) il est chargé d’écrire une  » Ponencia  » sur le futur du Mouvement Libertaire en compagnie de  » Juanel « , texte qui sera lu au Plenum de Tourniac (Cantal) et qui donnera lieu aux divisions du Mouvement Libertaire.

1959 : Mort le 8 avril à Paris

Auteur de nouvelles et nombreuses œuvres de divulgation anarchiste, comme Hacia la federacion de autonomias Ibericas. Traducteur au français et au catalan de divers ouvrages.]

(Source : http://www.chez.com/ascasodurruti/Biographies/biograA.htm )

Alger le 10 juin 1945.

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Je ne savais pas que parler du temps qu’il fera demain fût affirmer l’existence de Dieu. Ta lettre me l’apprend. Chaque jour on apprend des choses nouvelles. Cette fois-ci, la nouveauté était une idiotie. Ne t’irrite pas de me voir juger ainsi ton analyse, je pourrais être beaucoup plus dur dans mon jugement.

D’après ce qui apparaît prévisible, dire que la C.N.T. va intervenir dans le destin du peuple espagnol, ce n’est pas affirmer que la C.N.T. doit participer au gouvernement. Je ne suis rien pour dicter des normes à la C.N.T. Ni toi. Ni personne. Comme je l’ai écrit, dans ce que tu me reproches, sans connaître pour autant ce que tu me reproches, ce que la C.N.T. peut faire dépendra de la volonté des travailleurs qui la constituent. Ni plus, ni moins. Toute autre chose serait admettre que la C.N.T. a des chefs qui la mènent où ils veulent. Ce qui – sans doute ne le soupçonnes-tu pas – serait politique, même sans participer au gouvernement.

Dans son sens habituel, lorsqu’on en parle par exemple en sociologie, la politique est tout ce qui se fait pour ordonner, modifier ou transformer la structure sociale. Dans ce sens la C.N.T., depuis sa fondation n’a rien fait d’autre que de la politique, certaines fois directement, d’autres fois indirectement. Le moindre de ses manifestes était un acte politique. La moindre de ses grèves aussi. Celle de la Canadiense, que tu cites comme un exemple oublié par moi – qui t’a dit que j’avais oublié? – fut une grève éminemment politique : l’aspect économique qui la détermina devint rapidement secondaire. Ne parlons pas des grèves de protestation, que tu cites également et que je n’avais pas oubliées non plus. Protester est toujours un acte politique. Il s’agit de mettre fin à quelque chose : de modifier, ce faisant tel ou tel aspect de la société. Même les grèves économiques sont, de ce point de vue, fondamentalement politiques. Une augmentation de salaires peut entraîner des changements décisifs dans la structure sociale. Quant à l’action directe, peux-tu douter qu’elle soit politique ? Approfondis un peu plus, tu constateras même qu’elle n’est pas toujours éloignée de la plus habituelle. Rappelle-toi les coups d’état, ces œuvres maîtresses de l’action directe.

Si la C.N.T. est apolitique, c’est dans le sens où elle n’intervenait ni dans les élections, ni dans le gouvernement. C’est tout, et c’était beaucoup. Mieux, c’était l’essentiel. Il y avait de quoi être fier d’appartenir à une organisation qui se maintenait éloignée de cette pourriture. Déduire, comme tu le fais, que je soutiens, – en écrivant que la C.N.T., d’après ce qui apparaît prévisible, va intervenir dans le destin du peuple espagnol -, qu’elle doit prendre part aux élections et au gouvernement est une idiotie. Je te l’ai déjà dit. Excuse que je ne trouve, pour rendre compte de ton jugement, une parole plus adéquate.

Si, comme tu me le répètes tout au long de ta lettre, j’avais fondé les lignes suivantes : d’après ce qui apparaît prévisible, la C.N.T.  » va intervenir non d’une manière indirecte, comme par le passé, mais d’une manière directe et décisive dans la vie politique espagnole « , sur ce qui est immédiatement observable, j’aurai sans nul doute ajouté quelque apostille pessimiste. Car ce que l’on observe, est en effet, décourageant. On voit des individus qui représentent la C.N.T. – non pas tous des réformistes, comme tu le dirais -, prendre part, sans élections, à tout ce qui fait ici visant la succession de Franco : pour le sérieux et le dérisoire, pour le responsable et l’irresponsable; pour ce qui se voudrait remarquable et qui ne cesse d’être comique. Toi-même, qui m’écris une lettre aussi  » révolutionnaire  » – permets que je place révolutionnaire entre guillemets, parce qu’en réalité quelques jours après sa rédaction tu participais à un meeting en compagnie de politiciens dont se serait vraiment un malheur s’ils redevenaient quelque chose en Espagne.

Non, je n’ai pas fondé ces lignes – qui ne l’oublie pas, ne veulent pas dire que la C.N.T. va aller aux élections (je t’ai déjà dit que cette analyse est une idiotie, et il m’est pénible de le répéter) – d’après ce qui est immédiatement observable : j’ai fondé mon propos sur des raisons plus solides. Et c’est de celles-ci que je vais t’entretenir brièvement.

La solution anarchiste au problème espagnol, et à plus forte raison du problème du monde, écartée pour l’instant, et qui sait pour combien de temps – ne t’inquiète pas : je t’expliquerai plus avant pourquoi il faut l’écarter -, le million d’ouvriers qui compose la C.N.T., – pas tous anarchistes, loin de là, mais suffisamment influencés par l’anarchisme -, doit rechercher pour ses conflits quotidiens et pour ses aspirations, des ouvertures qui, adéquates au moment pour ceux-là, ne ferment pas les portes du devenir à celles-ci. Cette recherche, qui devrait être constante, les porterait, comme par la main, à intervenir directement sur la vie politique espagnole – plus directement que par le passé, quand la solution anarchiste semblait être au coin de la rue -, c’est à dire à s’occuper de modifier et de transformer les structures sociales espagnoles, non pas en nommant des députés, ce qui serait une façon de ne pas intervenir, ni en acceptant tel, ou tel poste gouvernemental, ce qui serait une autre façon de ne pas intervenir et, de plus, de tout faire échouer. (Il serait honteux que puisse se répéter le spectacle de ce troupeau de conseillers, de militaires, de juges et même de policiers issus de la C.N.T. et du mouvement anarchiste. Je t’assure, et tu peux le croire, que je ne connais personne qui assista avec plus de répugnance que moi à un pareil spectacle. Mais je te parlerai de cela après). Cette intervention sur la vie politique espagnole – je répète : pour la transformation de la structure sociale espagnole – peut prendre et prendra, indubitablement diverses formes, non pas anarchistes, ou du moins pas totalement, mais tendant d’une certaine façon vers l’anarchisme. Par exemple : réalisations mutualistes, coopérativismes, communistes, dont la base seront les municipalités. Une politique municipale sera, cependant obligatoire et acceptée. Parce qu’une organisation d’un million d’hommes ne peut précéder comme un groupe d’anarchistes, ou surnommé anarchiste – tu verras que ce n’est pas la même chose -, serait-elle d’ailleurs exclusivement composée de groupes anarchistes. Et une politique municipale, en Espagne, embrasse toute la vie politique du pays. Rappelle-toi que des élections municipales, qui sont une chose beaucoup plus insignifiante qu’une politique municipale, provoquèrent la chute de la monarchie. Cette politique municipale tendra, par les réalisations dont j’ai parlé, non à renforcer l’État, ce qui serait contraire à l’esprit de la C.N.T. (sa collaboration durant la guerre civile, qui aida au renforcement de l’État, était contraire à son esprit; mais il s’agissait de s’opposer à ce qui se dressait contre cet État, et qui était pire que lui. Erreur? Je n’en discuterai pas. En tout cas, le grave ne fut pas l’erreur, tu le verras plus avant), mais à lui soustraire des attributs, pour qu’il soit à chaque fois de moins en moins nécessaire, de façon qu’arrive un jour où sa disparition sera facile, ou simplement faisable. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Pour en finir avec tout cela, je vais te donner un conseil : surveille à l’avenir tes réactions immédiates. Elles révèlent toujours les désirs les plus profonds. Quand une femme déclare, la première fois qu’elle voit un homme, qu’il est odieux, elle ne tarde pas, si l’occasion se présente, à coucher avec lui. Un lecteur attentif découvrira dans ta lettre, occulte mais fervent, le désir d’être pour le moins candidat conseilliste.

Et maintenant, passons à autre chose. Il me peine de te le dire, mais tout ce que tu écris dans ta lettre sur l’anarchisme, n’est qu’une suite de lieux communs. J’avais espéré que l’expérience de la guerre civile ferait que tu ne lancerais pas, comme tant d’autres, de vaines paroles au vent. Mon espérance était non fondée. Il y a un anarchisme poussiéreux qui date de l’age de pierre, et qui se modernise en retournant encore davantage à l’âge de pierre – par exemple en adoptant un drapeau -, et je te vois accroché à cet anarchisme qui manque de fulgurance et de devenir. De la doctrine anarchiste, qui est pur dynamisme, qui affronte chaque problème au fur et à mesure de son surgissement, et ne l’abandonne qu’après en avoir extrait tout son contenu, vous avez fait, toi et ceux qui pensent comme toi, une chose statique, immobile, un dogme qui dénonce à grands cris les hérétiques. Lis notre grand Ricardo Mella qui fut un hérétique permanent. Il t’aidera à désembourber ton cerveau, s’il est encore temps. Il est plein de toiles d’araignées. Les lieux communs dans lesquels tu te complais ne sont rien d’autre, encore que certains cessent de l’être pour se transformer en niaiseries. Tout ce que tu dis dans ta lettre sur la collaboration est trivial. Tu ne t’es pas approché même par mégarde du problème. Pensant comme tu penses, tu ne t’en approcheras jamais. Si la collaboration avait été seulement une erreur, la chose ne serait pas grave. Les erreurs se rectifient. En ne collaborant plus, problème résolu. Ce que la collaboration révèle n’a pas de rectification possible. C’était cela, que peu nombreux, nous suspections depuis un certain temps : que nous n’étions anarchistes, en Espagne, que quelques centaines au maximum… (Et voilà pourquoi il faut écarter la solution anarchiste au problème espagnol. Ce que défendent quelques centaines d’individus ne règlera jamais aucun problème. Je te répète ici ce que j’ai dit auparavant : ne t’inquiète pas. Ne t’inquiète surtout pas pour mon anarchisme. Il est plus vigoureux qu’aujourd’hui qu’hier, et il le sera demain bien plus qu’aujourd’hui. À mesure que passe le temps, les racines s’enfoncent plus profondément. J’ai la conviction, chaque jour plus affirmée, que les sociétés ne deviendront supportables que dans la mesure où elles se rapprocheront de l’anarchisme. Mais cette conviction ne fait pas rêver éveillé. Non, tout autre chose serait de croire en la possibilité d’établir maintenant l’anarchisme. Pour moi, anarchiste, l’unique solution au problème de l’Espagne et au problème du monde c’est l’anarchie. Mais cette opinion, ne la partagent avec moi, que quelques milliers d’hommes, et en Espagne, quelques centaines. Ce n’est donc pas une solution jouable maintenant. C’est la meilleure – personne d’intelligent ne s’avisera de le nier – mais nous la désirons si peu ! Devons-nous donc renoncer à l’anarchisme ? Diras-tu. Telle n’est pas ma pensée. Nous devons faire au contraire tout ce qui imaginable pour préparer le terrain à l’anarchisme; nous devons faire que les coutumes régentant les accords forcés, dérivent vers les accords libres; nous devons faire que l’intervention de l’état dans les relations entre les hommes ne soit plus nécessaire, parce que tant que cela ne sera pas, aussi favorables qu’apparaissent des possibilités pour l’épanouissement de l’anarchisme, l’anarchisme ne s’épanouira pas).
publié par Nosotros.Incontrolados-Les Amis du Négatif à l’Oeuvre dans : http://nosotros.incontrolado.over-blog.com