Les 21 et 22 octobre derniers s’est tenu dans le Tarn « Ramdam sur le Macadam », un week-end de lutte contre le projet d’autoroute A69 réunissant plus de 10 000 personnes. Nous sommes quelques personnes membres de la coordination de lutte contre l’A69 et nous aimerions ici prendre le temps de raconter de manière assez factuelle l’organisation et le déroulé des différents cortèges.

Les 21 et 22 octobre derniers s’est tenu dans le Tarn « Ramdam sur le Macadam », un week-end de lutte contre le projet d’autoroute A69 réunissant plus de 10 000 personnes.

Cette date fait suite à « Sortie de Route », qui avait déjà réuni 8000 personnes en avril dernier dans une ambiance qui se voulait festive et bon-enfant. L’objectif de cette précédente mobilisation était de se montrer nombreu.ses et déterminé.es, sans pour autant entrer dans la confrontation, les esprits étant marqués par les affrontements de Sainte-Soline qui avaient eu lieu quelques semaines auparavant.

Ce second week-end contre l’A69 s’inscrit dans un contexte bien différent. Les derniers mois de la lutte contre l’autoroute ont été très éprouvants pour celles et ceux qui s’organisent contre l’État et les concessionnaires ATOSCA/NGE. Le rythme des travaux, défigurant les paysages sur l’ensemble du tracé, s’est intensifié en même temps que celui de la répression policière et judiciaire. Face à l’obstination et au mépris des meneurs du projet de l’A69, un certain désespoir a commencé à toucher les habitant.es et les collectifs en lutte. Mais la détermination à mettre un terme à ce projet s’en est aussi vu renforcée : cette fois, il fallait atteindre directement les intérêts matériels des profiteurs de l’autoroute.

Nous sommes quelques personnes membres de la coordination de lutte contre l’A69 [1] et ayant participé à l’organisation de cet évènement, notamment des cortèges or et rouge de la manifestation du samedi. À plusieurs égards, cette journée est pour nous une belle réussite. Pourtant, certaines décisions que nous avons prises ont fait l’objet d’incompréhensions et de frustrations. Cet écart de perception semble illustrer plusieurs paradoxes quant à la stratégie adoptée dans des évènements de type manif-action regroupant plusieurs milliers de personnes.

Au cours de ce week-end, nous avons essayé de faire cohabiter deux objectifs politiques que nous considérons d’importance égale. D’une part, rassembler un grand nombre de personnes et mêler différentes pratiques de lutte en considérant les volontés et initiatives de chacun.es. D’autre part, atteindre des objectifs matériels précis. Pour y parvenir, le choix a été fait en amont de la manifestation d’élaborer, avec un groupe restreint de personnes ayant une bonne connaissance de la lutte contre l’A69, un plan d’action et de le mener à bien en guidant les cortèges.

Nous aimerions ici prendre le temps de raconter de manière assez factuelle l’organisation et le déroulé des différents cortèges. Ce récit est situé et n’a pas vocation à s’imposer en tant que discours unique et officiel de l’évènement. Il cherche plutôt à rendre lisible les enjeux, les choix de cette journée de manifestation et les questions que ceux-ci pourraient soulever.

Récits

L’élaboration du week-end

Dès le début de l’organisation du week-end contre le Macadam, plusieurs constats sont partagés au sein de la coordination1 :

  • Le désir d’organiser un moment plus offensif que Sortie de Route. L’épuisement des recours juridiques suspensifs d’une part, et le mépris de l’État et d’Atosca/NGE de l’autre, font clairement apparaître que sans une certaine capacité de nuisance, la lutte ne réussira pas à faire cesser le projet.
  • La conscience d’être sous grande surveillance de la préfecture, du gouvernement et de ses services de police et de renseignement, (renseignements territoriaux, cellule « Anti-Zad », etc.). Dans ce contexte général de répression démesurée du mouvement de défense des terres, il est évident que les forces de l’ordre entendent nous empêcher toute action, et protégeront coûte que coûte les chantiers et les cibles évidentes. Seule notre capacité à surprendre ainsi que notre nombre pourra nous permettre de réussir à mener collectivement une action déterminante pour la suite du mouvement.
  • L’envie de conserver et d’approfondir la pluralité dans cette lutte. La capacité à réunir des profils de gens différents avait déjà fait la réussite de la première date (habitant.es, militant.es de longue date, scientifiques du CNRS, agriculteur.ices, circassien.nes, parent.es d’élèves, chasseur.euses du coin, étudiant.es, etc.). De plus, l’offensivité n’a du sens que si elle est comprise, assumée ou mieux encore portée collectivement.

De là, deux objectifs principaux émergent. D’une part, l’occupation d’un lieu situé directement sur le tracé. Le camping de Vendine, installé depuis plusieurs mois sous des platanes destinés aux abatteuses, ayant été violemment expulsé quelques semaines auparavant, il était nécessaire de se doter d’un nouveau QG pour visibiliser la lutte au quotidien et permettre les rencontres, les échanges et l’organisation.

D’autre part, le dépassement du dispositif policier et la réalisation d’actions d’intensités diverses. Plutôt que de composer un cortège fleuve, assez peu mobile et facile à canaliser, la stratégie adoptée fut de créer plusieurs cortèges avec des cibles et des directions différentes. Nous avions présumé que les alentours du camp seraient classés en « zone rouge », et nous imaginions qu’en nous divisant nous pourrions diviser le dispositif et ainsi sortir de l’immense nasse policière que la préfecture entendait ériger autour de nous. Le choix de créer plusieurs cortèges répond donc à la volonté de conjuguer divers modes d’action et d’expression dans la lutte, mais aussi à la nécessité de dépasser des techniques policières toujours plus violentes, massives et élaborées.

Le déroulé de la journée

Dès l’ouverture du camp, un siège est tenté par les forces de l’ordre, visant à empêcher l’arrivée de soutien et de matériel lors des deux premières journées, le jeudi et le vendredi. Les flics, en nombre, protègent d’emblée la Crémade que nous avons prévu d’occuper pendant le week-end et procèdent à plusieurs contrôles poussés et à une arrestation. Cela se double d’un travail de renseignement, avec des relevés de plaques d’immatriculation et de nombreuses photos. Trois jours plus tard, le samedi, le dispositif est d’une ampleur impressionnante : 1600 gendarmes mobiles, des unités du PSIG, des services de renseignements, des hélicoptères, un avion, des drones, des canons à eau, des blindés, etc. Nous apprenons par l’infotraflic que des contrôles ont lieu jusque dans l’Aude. Le camp est un point au milieu d’une zone rouge interdisant presque toute circulation. L’arrivée des personnes est freinée par ce dispositif et nous redoutons de ne pas être assez nombreuses pour pouvoir former une manifestation conséquente. Au moment du départ des cortèges, sortir du camp nous paraît presque être une victoire en soi.

Dans la matinée du samedi, des flyers sont distribués en nombre sur le camp, afin d’expliquer la répartition en six cortèges. Un texte est censé donner le ton et l’ambiance de chacun d’entre eux sans pour autant expliciter leurs objectifs, dans un souci évident de confidentialité. Des drapeaux, associant une forme et une couleur, matérialisent les points de ralliement des différents cortèges. À partir de 12H30, les 10 000 personnes présentes sur le camp commencent à se répartir dans les différents cortèges, avant de partir (avec un peu de retard) dans des directions différentes, s’attelant à leurs objectifs.

Le premier cortège à se lancer est le jaune, dit « décarbonation », composé d’environ 40 cyclistes. Ce cortège a pour but de rejoindre le centre-ville de Castres mais est rapidement stoppé par un important dispositif de gendarmerie mobile (camions, barrières anti-émeute, etc.). Les cyclistes, qui ne manifestent aucune attitude hostile, tentent ensuite de dépasser une voiture de la BAC qui leur barre la route. Une personne se fait alors violemment plaquer au sol (elle sera accusée par la justice d’avoir « très légèrement » blessé les policiers et d’avoir « abîmé » leur voiture avec son vélo). D’autres cyclistes sont contrôlés et/ou gazés. Face à une telle réaction, le cortège vélo décide de rejoindre le cortège bleu pour grossir ses rangs.

Le cortège bleu « désenclavement » part du camp en second. Ouvert par une dizaine de tracteurs et annoncé comme le plus largement joignable de part ses faibles risques de confrontations avec les forces de l’ordre, il est le plus massif. Il est aussi un des deux seuls (avec les naturalistes) à avoir un parcours autorisé. Composé de plusieurs milliers de personnes, il se dirige, lui aussi, vers les abords de Castres, et se heurte, lui aussi, à un dispositif policier conséquent au niveau du pont de la RN126 sur l’Agout. Son objectif est de s’approcher le plus possible de la ville et de poser un péage en bois sur la route. Ce cortège est déclaré, pourtant quand la préfecture comprend que d’autres cortèges refusent de se cantonner aux quelques axes laissés libres au milieu de la zone rouge, elle transmet par téléphone le message suivant à la coordination : « vous dépassez les règles que nous (la préfecture) avons établies, si le cortège (bleu) s’approche de Castres, nous tirerons à vue ». Compte tenu de cette menace, malgré le tracé déclaré et autorisé, et de la présence visible de canons à eaux et de blindés, ce cortège prend la décision de ne pas se rapprocher du dispositif policier et de revenir vers le camp.

Le cortège violet « valorisation du territoire » démarre en troisième avec pour objectif l’occupation du lieu-dit de la Crémade, une ancienne bâtisse, proche du tracé et propriété d’Atosca. Les jours précédents la manifestation, l’entreprise y avait fait déverser 200 tonnes de fumier, avec l’espoir que cela empêcherait son occupation. Le samedi, plusieurs centaines de personnes s’élancent dans la foulée du cortège bleu en portant la charpente d’une cabane. Le lieu, situé en zone rouge à seulement quelques centaines de mètres du camp, est très rapidement investi : les gendarmes ont déserté l’endroit le matin même, après avoir passé deux jours les pieds dans le fumier-purin. Immédiatement, un goûter géant est organisé, pendant que des chants résonnent, que les bâtiments sont nettoyés, repeints et que des barricades sont érigées. Le soir, une grande assemblée de lutte s’y tient.

Les Naturalistes des Terres, en vert, composent le quatrième cortège (dit « compensation environnementale »). Il est, avec le cortège bleu, le seul déclaré et autorisé. Pourtant, la veille de la manifestation, la zone du Dicosa, où est censée évoluer le cortège, est placée en zone rouge. La préfecture mentionne un « oubli » et autorise les naturalistes à se rendre dans la zone, « sans garantie » toutefois. Plusieurs centaines de personnes partent donc explorer le Dicosa, une zone humide et protégée, située non loin du camp de base. On y compte plusieurs espèces protégées (des roucoups et doduos notamment), évidement mise en grand péril par le projet d’autoroute.

Le cinquième cortège à partir est le cortège or, dit « utilité publique ». Il s’aventure en zone rouge vers l’est du camp. En contournant les étangs du Dicosa, il souhaite rejoindre la RN126 avec comme objectif une des base-de-vie de NGE, qui se trouve vers la ville de Soual, non loin des bureaux de l’industriel Pierre Fabre. Initialement composé de quelques centaines de membres, le cortège atteint plus de mille personnes, rejoint en cours de route par toutes celles et ceux qui n’ont pas pu accéder au camp à cause du dispositif policier. Malgré le fait qu’il soit visiblement plus déterminé, qu’il progresse en pleine zone rouge et en direction de la base-de-vie, ce cortège ne croise aucune présence hostile sur son parcours. Mais lorsqu’il atteint le croisement de la RN126, bloqué par quelques barrières, la dizaine de camions de gendarmerie stationnés en amont de la route passent devant lui à toute vitesse pour rejoindre les autres troupes protégeant la base-de-vie située plus au sud. Arrivé au croisement, la foule investit la route nationale au niveau de l’entreprise Bardou, un sous-traitant du chantier de l’A69. Les gendarmes se déploient et installent à toute hâte des barrières anti émeute pour bloquer la route nationale en direction de la base-de-vie.

Le sixième et dernier cortège est le cortège rouge, dit « économie locale ». Suivant au départ le cortège or, il s’en détache rapidement pour bifurquer vers le sud. Son objectif est de traverser au plus vite la RN126 et de rejoindre la cimenterie Carayon, autre sous-traitant du projet de l’autoroute, pour y réaliser une action de désarmement. L’idée est d’entrer dans l’infrastructure et de l’égayer avec de la peinture et une banderole, afin d’afficher publiquement le rôle des entreprises locales dans ce projet ravageur. Sans croiser de force hostile lui non plus, le cortège rouge parvient facilement à cet objectif. Pour être sûr de bien faire passer le message, certain.es profitent même de l’intrusion pour incendier des locaux préfabriqués (contenant des ordinateurs dont la destruction mettra l’usine à l’arrêt pour quelques temps) ainsi que plusieurs véhicules et toupies de chantier. Le cortège rouge peut ensuite quitter les lieux sans encombre en empruntant la RN126, libérée des camions de gendarmerie quelques minutes auparavant, et rejoindre le cortège d’or qui l’attendait au croisement. Alors que les deux cortèges se rejoignent, une épaisse fumée noire s’élève de la cimenterie. Les gendarmes mobiles, se rendant sans doute compte de leur erreur, refluent vers l’entreprise mais… il est déjà trop tard !

Les deux cortèges ayant fusionné, ce sont maintenant plusieurs milliers de manifestante.s qui bloquent la route. L’entreprise Bardou, est alors prise pour cible par la manifestation. Les barrières tombent et certaines personnes s’aventurent à l’intérieur, repeignent et étoilent la façade. Les GM réagissent mollement par quelques tirs de grenades lacrymogènes, auxquels répondent des feux d’artifice. Après un moment d’incertitude, la décision est finalement prise de rentrer au camp pour soutenir l’occupation de la Crémade, déjà en place. Les flics continuent de gazer la queue de cortège, sans toutefois trop s’avancer. Signalons tout de même qu’à ce moment une personne est blessée à la jambe par un tir tendu de lacrymo.

Un peu plus de deux heures après leur départ, les cortèges se retrouvent à la Crémade et sur le camp pour organiser l’occupation et célébrer les victoires de la journée.

Analyse et critique

Une journée réjouissante

Grâce au nombre, à la mobilité, à la ruse, mais aussi, reconnaissons-le, à pas mal de chance, la stratégie de multiplier les cortèges et les objectifs s’est montrée payante. A la fin de la journée, la quasi totalité des objectifs ont été atteints. Attaquer des cibles et occuper un lieu en zone rouge à plusieurs milliers de personnes, en déjouant un tel dispositif policier et sans que personne ne soit arrêtée ou blessée gravement [2], constitue bel et bien un « coup de force » dont nous pouvons être collectivement fier.e.s.

D’autre part, nous avons su faire ensemble des choix décisifs dans le déroulé de la journée du samedi. La cible du cortège or était la base-de-vie, mais dès la préparation de la manifestation, il nous paraissait clair que cette dernière serait extrêmement protégée. Proche de la ville de Soual, des bureaux de Fabre et constituant un symbole de l’avancée des travaux, cette base était évidemment en tête de liste des infrastructures défendues par la préfecture. Le scénario d’approche d’une forteresse policière était quelque chose que tout le monde souhaitait éviter, notamment après l’épisode de Sainte-Soline le 25 mars dernier. Atteindre cette base-de-vie paraissait donc très peu probable, voir non désirable en réalité. Pourtant, nous diriger vers cet objectif avait pour intérêt de focaliser les forces de l’ordre à l’ouest et ainsi de couvrir l’action de désarmement du cortège rouge.

Comme évoqué dans le déroulé de la manifestation, alors que le cortège or rejoignait la nationale, un escadron de gendarmes mobiles s’est précipitamment déplacé depuis la zone industrielle où est située la cimenterie Carayon jusqu’à l’entrée de Soual, plus à l’ouest, pour y ériger à toute vitesse des barrières anti-émeute. L’arrivée massive du cortège or à proximité de la base-de-vie a alerté les GM et précipité leur départ. Elle a aussi capté l’attention du seul hélicoptère assigné à la partie ouest de la zone rouge. À l’est, vers Castres, les cortèges bleu et jaune ont également permis de fixer une partie des FDO et un hélicoptère. L’ensemble des cortèges a donc contribué au succès de cette manœuvre de diversion, laissant ainsi le champ libre au cortège rouge pour entrer dans l’usine de ciment, agir, et sortir sans encombre. Cette participation collective à la réalisation de gestes offensifs et à la mise en échec du dispositif policier est pour nous l’autre grande réussite du week-end.

Auto(bahn)critique

Ce qui nous apparaît comme moins réussi, ce sont les problèmes liés à la communication interne et externe des cortèges, et plus précisément celle du cortège or. Dans ce cortège, la lecture générale de la situation était un peu confuse. Une certaine latence s’est fait d’abord ressentir une fois arrivé sur la RN126. Il fallait attendre de savoir où en était le cortège rouge dans la réalisation de ces objectifs, et ne pas prendre le risque de déclencher une intervention des FDO alors qu’il se situait dans l’enceinte de la cimenterie. Ces informations ont eu du mal à circuler dans l’ensemble du cortège or. Ensuite, quand l’attaque de l’entreprise Bardou, devant laquelle le cortège stagnait, a finalement été lancée, celle-ci fut relativement brève et chaotique. Pour beaucoup de personnes présentes, la sensation frustrante d’avoir juste fait un aller-retour sur la nationale était fortement palpable. De toute évidence, le but de ce cortège n’était pas clair.

Évidemment, expliciter la stratégie de diversion en amont l’aurait rendue complètement inopérante. Elle exigeait un certain degré de confidentialité, d’autant plus que des flics en civil avaient infiltré les cortèges (sur ce point, précisons que deux faux-journalistes ont été identifiés et virés du cortège or au niveau de l’entreprise Bardou. Il se sont réfugiés dans l’enceinte du bâtiment, essayant de frapper les manifestants à coup de trépied de caméra). Outre la nécessité de la confidentialité, le problème de communication était dû au fait que trop peu de personnes étaient dédiées à relayer et transmettre les informations importantes au sein du cortège.

Il est compréhensible que des membres du cortège or aient ressenti de la déception, s’attendant peut-être à plus « d’intensité » et espérant exprimer autrement leur détermination. Rappelons que nous ne savions pas à quoi nous attendre en sortant du camp, et que l’absence de FDO fût presque une surprise. Rappelons également que ce type d’organisation implique une certaine responsabilité de la part des organisateur.ices et invite à la prudence. Si nous ne voulions pas nous écraser sur un dispositif de type fortin, nous envisagions d’avoir à répondre à des agressions, à tenir face au gaz ou à passer des lignes nous empêchant d’atteindre nos objectifs. Par chance, cela n’a pas été nécessaire. Dans ce contexte, nous ne pensions pas que l’affrontement avec la police était une fin en soi, mais seulement un moyen ou une étape pour atteindre nos cibles.

Ces ratés dans la communication ont sans doute joué sur la compréhension du moment vécu collectivement et donc de ses possibilités d’actions spontanées. Nous pensons en effet qu’il est nécessaire de laisser la place aux gestes qui déborderaient toute organisation, et que c’est aussi sans doute là que réside une forme d’action politique désirable et insaisissable pour l’État. La forme manif-action implique, elle, des limites d’ordre structurel en terme d’accès aux informations, de prises de décision, etc. Elle impose une tension irrésolue, et peut-être insoluble, entre des enjeux d’opacité et d’efficacité de l’action, et des enjeux de transparence et d’intelligence collective. Nous avons fait le choix de cette stratégie, parce que nous pensions qu’elle fonctionnerait. Cela a été le cas. Pour autant nous sommes conscient.es qu’il existe d’autres façons de faire et que ce choix ne doit pas s’imposer de manière systématique.

Malgré ces questionnements, la journée du samedi nous apparaît réjouissante et encourageante à plein d’égards. Les actions accomplies ont été un succès que nous voulons revendiquer, d’autant plus qu’elles sont portées et assumées par l’ensemble des membres de la coordination de lutte. Nous pensons qu’un cap à été franchi dans la confrontation avec l’État, NGE/ATOSCACA et les soutiens locaux qui tentent d’imposer par la force un projet déclaré par mille fois inutile et absurde. Nous nous en réjouissons et dans la diversité des composantes de la coordination, nous réaffirmons que nous sommes contre l’autoroute, et que nous entendons bien empêcher sa construction en poursuivant la montée en puissance du mouvement.

Dans une perspective où les luttes locales prennent de plus en plus d’ampleur à l’échelle du territoire, où leurs enjeux dépassent de loin la seule question écologique (Bassines, LGV, A69, etc.), et où la violence d’État est de plus en plus brutale et généralisée, il est de notre responsabilité collective d’interroger les formes que nous investissons si nous voulons continuer à les renforcer.

Pour ouvrir la discussion, voilà quelques questionnements qui nous traversent. Nous invitons quiconque lira ce texte à s’en emparer, à y répondre ou à en poser d’autres :

Quels sont les perspectives nouvelles et désirables d’organisation à des échelles de plus en plus grandes ? Comment créer les conditions pour plus d’auto-organisation au sein de tels évènements ? Comment articuler la tension entre l’efficacité d’une action dans une situation complexe et le fait de pouvoir s’en ressaisir collectivement ? Comment se protéger et mettre en échec collectivement une présence policière toujours plus poussée sur ce genre de mobilisations ? Quels sont les nouveaux imaginaires à trouver et à déployer pour les prochaines mobilisations de ce type ?

À plus sur la RN126 !

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Pour aller plus loin dans la réflexion, nous renvoyons à ces tois articles : « Saïx, symbole d’une dépossession », sur Lundi matin. « Sainte Soline : repenser nos stratégies de lutte depuis une logique d’autonomie et de soin », sur Terrestres. « La faute à Sainte-Soline », sur La Grappe.

Et surtout, pour se tenir au courant de la lutte : Collectifs impliqué au sein de la coordination contre l’A69 La Voie Est Libre Extinction Rébellion Toulouse Comité Soulevements de la Terre 31 Lauragais Sans Bitume Labo des terres Déroutes des routes

Notes

[1] La coordination est le cadre d’organisation commune des tous les collectifs luttant contre le projet de l’A69

[2] Nous n’évoquons là que le moment du samedi après midi dans les cortèges de l’ouest. Rappelons que tout au long du week-end, 9 personnes ont été arrêtées et une quarantaines de personnes blessées. Au moment où nous écrivons, certaines sont en attente de jugement.

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source : https://iaata.info/D-or-et-de-platanes-retours-sur-l-organisation-du-week-end-contre-l-A69-6285.html