Une vidéo enregistrée et diffusée dans des conditions que l’environnement de Ségolène Royal conteste sans en nier toutefois le contenu, dévoile des propos pour le moins choquants tenus par l’intéressée à une réunion du Parti Socialiste français en janvier dernier. Des propos, apparemment, destinés aux cadres du parti mais pas au « grand public ».

L’élue socialiste, qui fut chargée de mission de François Mitterrand au moment de l’attentat contre le Rainbow Warrior et ministre déléguée de Claude Allègre au moment de sa polémique avec les enseignants qui se solda par la démission de ce ministre début 2000, est revenue à la charge en cercle fermé en janvier dernier, à propos des prétendus privilèges des fonctionnaires qui enseignent dans les établissements scolaires publics. Elle a revendiqué cette fois-ci une obligation de présence totale de ces agents dans leur établissement, sans prendre en considération la nécessaire autonomie liée à la nature même de cette fonction et alors qu’il est connu que l’administration ne dispose pas de moyens permettant d’accueillir de cette façon le personnel enseignant.

De surcroît, Ségolène Royal accuse les enseignants de pratiques contestables, lorsqu’elle déclare: « Comment se fait-il que des enseignants du secteur public aient le temps d’aller faire du soutien individualisé payant et ils n’ont pas le temps de faire du soutien individualisé gratuit dans les établissements scolaires ?  » Des propos qui ont été d’autant plus contestés, que seuls les enseignants sont mis en cause, et que les enseignants se plaignent précisément d’une surcharge de travail: heures de cours, copies à corriger, réunions… C’est donc logique que les réactions aient été nombreuses.

Parmi les articles diffusés sur la Toile, on trouve une analyse du 12 novembre intitulée: « Emploi du temps des enseignants et vrais problèmes des institutions françaises » mettant en évidence qu’en matière de réforme des institutions françaises, l’urgence serait de procéder à d’autres réformes que le monde politique se garde bien d’évoquer. Il paraît utile d’en commenter quelques extraits.

D’abord, l’auteur écrit notamment:

 » Juge administrative au début de sa carrière à la sortie de l’ENA, Ségolène Royal est bien placée pour savoir qu’en dehors des audiences et des réunions indispensables des formations de jugement, les contraintes de présence imposées aux magistrats ne sont pas sévères. Si un justiciable en litige avec une administration se présente soudain au tribunal et demande à consulter son dossier, il peut se trouver devant un greffier de section ou de chambre qui ne sait pas comment l’aider car « les magistrats ne sont pas là » et « c’est eux qui ont le dossier ». Or, il semble bien qu’au moins une partie de ces absences soit due à l’exercice d’autres fonctions. La plus connue, traditionnellement, est celle de professeur ou maître de conférences associé à une université. La juridiction administrative n’est d’ailleurs pas la seule concernée.  »

(fin du premier extrait)

Il conviendrait sans doute d’ajouter qu’il paraît étonnant d’apprendre que les magistrats des juridictions ne se consacrent pas à temps plein à leur principale mission statutaire, alors qu’ils se plaignent d’un « encombrement des tribunaux » et que ce prétexte a ouvert la voie à une véritable escalade de mesures rendant le fonctionnement de la justice de plus en plus expéditif et sommaire, et difficile d’accès. Curieusement, Ségolène Royal n’a jamais rien dit de précis sur la question de la réforme de la Justice.

On peut lire également dans le même article :

 » Des juges enseignent également dans des établissements privés qui organisent des préparations à des concours. (…)
Avec tout le respect qui leur est dû, pourquoi des magistrats dont la présence à temps plein auprès des tribunaux peut paraître si nécessaire deviennent-ils, entre autres, des enseignants à temps partiel, alors que de nombreux universitaires sont au chômage et finissent par quitter le pays au bénéfice du tissu professionnel des Etats-Unis qui se nourrit de la « fuite des cerveaux » d’autres pays ? (…) Quant à l’indépendance des institutions publiques, elle semble fondre à vue d’œil. La fondation Bettencourt-Schueller, créée par Liliane Bettencourt, principale actionnaire de la multinationale des cosmétiques L’Oréal, devrait financer à compter de janvier 2007 une chaire du Collège de France déjà officiellement annoncée avec l’intitulé : « Chaire d’innovation technologique – Liliane Bettencourt ». Comme par hasard, au moment du débat politique sur la question des autorisations des recherches dans le domaine de la génétique humaine, atteint depuis un an par le scandale de la falsification de résultats sur les cellules souches à l’Université de Séoul. La Fondation Bettencourt – Schueller accorde également, entre autres, des prix à des laboratoires de recherche publics. Cerise sur le gâteau, Dominique Strauss-Kahn, auteur avec Claude Allègre de la Loi sur l’innovation de 1999, a récemment déclaré qu’il trouverait normal le financement par EDF d’une chaire de Physique Nucléaire à l’Université Paris VI… La belle « apparence d’impartialité » pour les experts du XXI siècle ! « 

(fin du deuxième extrait)

Curieux, par exemple, que Ségolène Royal n’ait pas réagi à l’emprise croissante du secteur privé sur l’enseignement supérieur et la recherche publics. Mais, si Dominique Strauss-Kahn est ouvertement pour… C’est, tout compte fait, le même parti et le même programme.

Enfin, l’auteur de l’article écrit :

 » Ségolène Royal est plus récemment devenue avocate, comme d’autres membres de la coupole politique. Il serait intéressant qu’elle dise aux militants de son parti et aux électeurs ce qu’elle pense de la double mission d’auxiliaire de justice et de « conseil » d’entités privées (notamment des banques, des multinationales…) que s’attribuent les corporations d’avocats. (…) « 

(fin du troisième extrait)

Une évolution inquiétante, abordée dans un article de Justiciable du 24 avril ainsi que dans mon article du 30 avril. Encore un silence de Ségolène Royal, pourtant très à même d’évoquer cette question qui la concerne directement sur le plan professionnel.

A différence du faux problème abordé dans la vidéo de janvier dernier, il s’agit là de véritables problèmes : le fonctionnement de la Justice, ses garanties d’indépendance; la pluralité de fonctions et de responsabilités ; l’indépendance plus globale de l’Etat, des universités et de la recherche publiques, des experts… ; la déontologie des missions des avocats… Mais Ségolène Royal fait elle-même partie d’un milieu professionnel plus « haut placé » que les fonctionnaires de l’enseignement scolaire. C’est également le cas de l’ensemble de la coupole politique française. Quant à la question des moyens de l’enseignement public pour le plus grand nombre, les préoccupations de la nomenklatura politique française semblent s’en éloigner de plus en plus…

Rappelons aussi l’implication de Ségolène Royal, dès sa nomination en tant que ministre déléguée à l’enseignement scolaire en 1997, à une prétendue « campagne contre la pédophilie » dans les écoles, au déroulement outrancier et très médiatisé, qui se solda notamment par le suicide d’un enseignant. Encore une opération ayant fait l’objet d’un large consensus politique, déjà en 1996 sous Alain Juppé, et dont la logique arbitraire et artificielle n’a pas été étrangère à une certaine perte de contact avec la réalité qui a fini par conduire au fiasco judiciaire d’Outreau.

En somme, il semble bien qu’une fois de plus des personnalités politiques « de gauche » et de « droite » cherchent à faire des enseignants le bouc émissaire de problèmes réels de l’Etat français qui ne proviennent pas de cette catégorie de fonctionnaires et qui exigeraient des réformes dans des domaines beaucoup plus protégés. Mais quel est l’objectif réel de ces attaques permanentes contre les enseignants, quels intérêts cherche-t-on à servir ? Des multinationales, des financiers, des fondations de l’oligarchie… ne rêveraient-elles pas de s’emparer, par de nouvelles privatisations, de l’enseignement public français ?

Usager-administré (France)

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